Pélage 10

Darras tome 13 p. 105


§ IV. Condamnation du semi-pélagianisme.


53. Pendant que la foi catholique triomphait en Orient des blasphèmes de Nestorius, le pape foudroyait l'hérésie semi-pélagienne en Occident. Nous avons encore la lettre que saint Célestin adressait en cette occasion, le 28 août 430, aux évêques des Gaules. «Nos très-chers fils Hilaire et Prosper d'Aquitaine, dont nous ne sau­rions, dit le pape, trop louer le zèle et l'active sollicitude, se sont rendus à Rome, pour nous informer de l'audace de je ne sais quels prêtres, qui soulèvent indiscrètement des questions théologiques et soutiennent avec obstination une doctrine contraire à la vérité. Votre dilection me permettra de faire retomber sur elle la respon­sabilité de ce scandale, puisque vous êtes assez faibles pour ne pas imposer silence aux perturbateurs. « Le disciple n'est pas au-dessus du maître 1. » Nul n'a le droit d'enseigner dans vos dio­cèses sans votre permission. Que peut-on espérer pour le main­tien de la foi, quand ceux qui en ont reçu le dépôt se taisent, laissant la parole à ceux dont le devoir est d'écouter? Le silence en pareil cas me semble de la complicité, et je crains fort qu'en tolérant de pareilles doctrines, on ne les partage. Donc, sévissez contre ces hommes. Ne laissez point à chacun la liberté de faire le docteur. Il est temps d'opposer à ces nouveautés scandaleuses la règle antique de la tradition. Frères bien-aimés, c'est au nom de la foi catholique que je vous tiens ce langage sévère. La dignité sacerdotale ne dispense personne d'obéir à son évêque. Ils sont prêtres ! dit-on : c'est une raison de plus pour qu'ils apprennent de vous la saine doctrine. Et que seriez-vous dans vos églises, si les prêtres y tenaient le sceptre de l'enseignement? Après cela, il s'agit peut-être de néophytes récemment promus au sacerdoce

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1. Luc, vi, io.

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ou à l'épiscopat, et ignorant encore leurs droits et leurs devoirs. Naguère nous avons écrit à ce sujet une lettre à notre frère et collègue Tuentius 1. Je ne puis que vous répéter les paroles que je lui adressais. Ne permettons point de semer sur notre terre un autre grain que celui dont le divin agriculteur nous a laissé le dépôt. Mais pourquoi s'étonner de pareilles usurpations contre des évêques vivants, alors que ces téméraires ne respectent même pas la répu­tation des morts? Ils osent outrager Augustin de bienheureuse mé­moire, ce grand homme, dont les vertus et le génie ont fait l'admi­ration de notre siècle, et que l'Église romaine a toujours eu dans sa communion, sans que jamais un soupçon d'erreur soit venu ter­nir sa gloire ; Augustin, dont la science ecclésiastique a été consi­dérée par mes prédécesseurs à l'égal de celle des docteurs les plus illustres Tout l'univers catholique est habitué à révérer ce génie qui faisait la gloire de l'Église et du monde. Comment pouvez-vous souffrir qu'on l'insulte publiquement parmi vous? C'est un crime pour quiconque a conservé une ombre de religion. Il ne s'agit point ici d'un docteur particulier. La gloire d'Augustin est celle du catholicisme lui-même et de l'universalité des églises. Hâtez-vous donc de nous mander de meilleures nouvelles ; imposez silence aux méchants, et ralliez-vous à la doctrine du siège apostolique. La chaire du bienheureux apôtre Pierre est la gardienne de la vérité. Qui donc oserait, parmi les catholiques, lui préférer l'autorité d'un Pélage ou d'un Cœlestius2? » — Le pape reprenait ensuite une à une toutes les propositions semi-pélagiennes ; il en démontrait la faus­seté par les textes de l'Écriture et de la tradition, puis il ajoutait : «La sanction inviolable de nos prédécesseurs sur ce siège aposto­lique, non moins que l'enseignement unanime des pères et des docteurs de l'Église, s'accordent à reconnaître que la grâce de Jésus-Christ opère en nous non-seulement la perfection finale, mais les commencements et les principes de la foi. Telle est la règle ecclésiastique et la doctrine de Jésus-Christ. En dehors de ce point

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1 Nous n'avons plus la lettre de saint Célestiu I à l'évêque Tuentius, dont il est fait mention ici. — 2 S. Cœlestin., Epist. xxi; Patr. lat., tom. L, .col. 528-531, n» 1-4.

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fondamental, auquel il nous faut demeurer fermement attachés, si les apologistes chrétiens, dans leur controverse avec l'hérésie, ont traité des questions plus profondes et plus obscures, nous ne pré­tendons ni condamner ni défendre leurs sentiments individuels. Il suffit de savoir et de croire que l'enseignement traditionnel des apôtres attribue à la grâce de Jésus-Christ aussi bien le commen­cement que la fin de nos œuvres. Nul catholique ne peut s'écarter de cette règle .1»


   54. Telle est cette fameuse lettre du pape saint Célestin I aux évêques des Gaules. Ceux qui ne voient dans le pontife romain qu'un primat d'honneur, égal pour tout le reste aux autres évêques, expliqueront, s'ils le peuvent, le ton d'autorité absolue, indépen­dante, souveraine, de ce document parfaitement authentique. On remarquera aussi la largeur de vues des successeurs de saint Pierre, dans la dispensation du trésor des vérités surnaturelles confié à leur garde. Loin de chercher à multiplier les décisions dogmatiques et à restreindre l'essor du génie humain dans les questions libres et sur les matières douteuses, ils se contentent de poser les bases générales de la doctrine, les limites précises où s'arrête la foi obligatoire. Pour le reste, ils se bornent à sur­veiller, en les encourageant, les efforts des théologiens et des doc­teurs. Cette réserve admirable, dont les exemples se renouvellent à chaque page de l'histoire, ne s'est jamais démentie. Elle est au­jourd'hui, sous Pie IX, ce qu'elle était au Ve siècle, sous le pontifi­cat de Célestin I. Alors, comme maintenant, elle trouvait des con­tradicteurs. Les semi-pélagiens des Gaules ne se soumirent point à la sentence pontificale. Sous prétexte que l'éloge donné par le pape à saint Augustin ne spécifiait pas les écrits du grand doc­teur que le siège apostolique entendait approuver positivement, ils prétendirent demeurer libres de faire leur choix. « Ainsi, dit saint Prosper d'Aquitaine, par ce subterfuge et ce faux fuyant, ils vinrent à bout d'obscurcir un jugement aussi clair que le jour2. » Saint

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1 S. Prosper. Aquitan., Contra Collator., cap. xxi ; Patr. lat., tom. LI, eol. 271. — 2. S. Cœlestin., Epist. xxi ; Patr. lat., tom. L, col. 528-531, n° 12-15.

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Célestin n'eut pas le temps de renouveler contre eux ses anathèmes. Il mourut le 6 avril 432, au moment où il venait d'élire Patricius (saint Patrick) évêque d'Hibernie (Irlande), et de faire peindre sur les murs de l'église de Sainte-Priscille une fresque représentant la séance du concile d'Éphèse où le dogme de la maternité divine avait été solennellement proclamé. La tradition lui attribue la prière ajoutée à la Salutation angélique : Sancta Maria, mater Dei, ora pro nobis, etc., qui a fait passer dans la langue liturgique l'immortel décret d'Éphèse.

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