St Damase 3

Darras tome 10 p. 245

 

Le

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1 Prœfaiio Lihell. precum; ilid-, col. 82. — * Libell. pttt%mt cap. XI; &i>Li •el. 97. — » Libell. prec, cap. xxi ; Aid.-, col. S3.

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p246 PONTIFICAT DE SAIVf  DAilASE   (o6C-3S4).

 

Libellus precum rejette naturellement sur Damase la responsabilité de toutes ces mesures. On conçoit que, dans le système des accusateurs, il ne pouvait en être autrement. « Depuis que Damase, ce bel archevêque dévaste l'Église de Jésus-Christ, dit le Libellus precum, il n'est plus permis aux prêtres fidèles de convoquer chaque dimanche le peuple chrétien aux assemblées saintes. Mais est-il besoin d'une permission, quand il s'agit de la foi, des sacrements et du salut éternel? Ce qu'on nous interdit en public, nous l'avons pratiqué et nous continuerons à le pratiquer encore 1, sans nous effrayer des atrocités, des violences exercées contre les fidèles en Espagne, à Rome, à Trêves, dans toutes les provinces de l'Italie 2. » Après cette énergique protestation de dévouement à leur cause, les auteurs du réquisitoire signalent un nouvel attentat commis en Egypte contre un de leurs adhérents. A Oxyrinque, petite cité de l'Heptanomide (aujourd'hui Behnésé), une minorité factieuse s'était séparée de la communion de l'évêque catholique Théodore, et avait fait sacrer pour son propre usage un prêtre nommé Héraclide, qui accepta I'épiscopat de la secte. Les magistrats d'Oxyrinque agirent comme ceux de Grenade et de Trêves; ils expulsèrent le pseudo-évêque, et firent raser l'église élevée par les dissidents 3. — Tels sont les griefs articulés par le réquisitoire, et tels étaient les prétendus martyrs du Libellus precum. L'exil prononcé contre les schismatiques par les magistrats de Rome, de Trêves, de Grenade, d'Egypte, prouve à merveille que partout l'autorité légitime de saint Damase était acceptée ; qu'elle était reconnue par l'Église et par l'empire : mais il ne prouve nullement la thèse des schismatiques, savoir que la main de Damase se fût à plaisir rougie de sang, puisqu'en définitive ni à Trêves, ni à Grenade, ni en Egypte, ni même à Rome, depuis les scènes violentes de l'élection, il n'y eut une seule goutte de sang répandu. En somme, toute l'agitation dont le Libellus voudrait nous faire un tableau si lamentable, s'était réduite à trois tentatives isolées de propagande schismatique sur trois points différents de l'empire,

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r « Libell. prec, Cap. XX ; ibid., col. 98. — » Libdl. prec, cap. XXV ; ibid., col.
100 J Libell. prec. cap. nvi ; ibid.', col. 100-103.

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p247 AP,  II.  — IE  PAPE DAMASE.

Grenade, Trêves, Oxyrinque. Certes il y a loin de là à une manifestation unanime de l'Eglise catholique. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible d'y voir autre chose que l'irritation  persévérante d'une faction incorrigible.


§ III. Le pape Damase.

 

11. Et maintenant il nous faut dégager de tant d'accusations calomnieuses et faire resplendir, du sein de tant de nuages, la radieuse figure du pape Damase, telle qu'elle nous apparaît au flambeau de l'histoire. Si quelqu'un put connaître intimement et apprécier Damase, ce fut assurément saint Jérôme, le juge intègre, le témoin véridique dont nous entendions tout-à-1'heure la parole vibrante flétrir les désordres des mauvais prêtres. Or pour saint Jérôme, Damase fut le pontife immaculé qui avait de bonne heure voué à Jésus-Christ une continence parfaite, et qui ne viola jamais son serment. Pour Jérôme, «la mémoire de Damase est sainte 1. » Aussitôt après sa mort, la voix unanime du clergé et du peuple a placé Damase au rang des bienheureux 2. Damase « fut le héros de la foi, l'oracle de la science sacrée, le docteur vierge de l'Église vierge 3. » Pendant que ses ennemis propageaient partout contre lui leurs grossières et infâmes calomnies, «Damase célébrait en prose et en vers l'éloge de la sainte virginité.4. » Si de pareils témoignages ne suffisaient pas pour effacer jusqu'à la plus légère trace des honteuses accusations d'adultère, répandues sans pudeur par les Lucifériens et les schismatiques, il nous resterait la sentence juridique du concile d'Aquilée, lequel en 378, dégrada solennellement les diaces Concors et Callistus, qui se faisaient les propagateurs de  tant de bruits outrageants. Il nous resterait

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1 Sanctœmémorise Vamasus. (S. Hieronym., Epist. xlvjii; Patr. laf., tom. XXII,

col. 508.) — * Beatce memonœ Damasus. (Hier., Episl. xlv; ibid., col. 481.) .

Vir egregius, et erudilut in Scripturis, et virgo Ecclesiœ virginis doctor. (S. Hier., Epist. xlviii ; ibid., col. 508.) — * Damas., de Virginitate vcrsiïpràsaque compo- ■ tita. (S. Ilierou., Epist. sxii} ibid., col. 409.)

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p248 PONTIFICAT DE  SAISI  DAMASE   (3G6-3S'i).

 

l'enquête impériale ordonnée par Gratien contre le juif renégat
Isaac et son complice Paschasius. Ces deux imposteurs, nous
avons dit, prétendaient avoir entre les mains la preuve des griefs
articulés contre le pontife. Sommés par l'autorité civile d'avoir à
les produire, ils furent obligés de confesser leur perfidie. Gratien
les condamna au bannissement perpétuel (378). Ainsi se termina,
après douz années de coupables manœuvres et de détestables intrigues, le schisme d'Ursicinus. On ignore ce que devint le fougueux
antipape. Le Liber Pontificalis nous dit qu'il mourut évêque de
Naples. Les   diptyques  napolitains mentionnent en effet vers
cette époque un prélat nommé Ursus. Cependant il paraîtrait assez
difficile qu'Ursicicus exilé à Trêves par Valentinien et continuant
encore ses menées schismatiques sous Gratien et Théodose, eût
vécu assez longtemps pour être élevé canoniquement, après une
abjuration préalable, sur le siège épiscopal de Naples.


 

12. Quoi qu'il en soit, si la mémoire de l'antipape s'éteint pour nous dans l’obscurité qui environne les dernières années de sa vie, la gloire et la sainteté de Damase rayonnent au contraire du plus brillant éclat. Rufin, dans son Histoire ecclésiastique, après avoir raconté sommairement les troubles excités à Rome par l'élection je Damase, s'exprime ainsi : « La haine et la méchanceté des factieux s'empara de ces faits pour les tourner contre le saint et vertueux pontife. Mais Dieu lui-même intervint pour affirmer son innocence, et le châtiment retomba sur la tête des vrais coupables : sed assertor innocentiœ Deus adfuit 1. » Ces dernières paroles ont une portée très-considérable, et se rapportent à un ordre de faits surnaturels qu'il nous faut mettre en lumière. Damase avait passé sa jeunesse dans les catacombes; il avait enseveli dans la prière, sur la tombe des martyrs, les années que la persécution de Constance avait rendues si pénibles et si laborieuses pour l'Église. Quand son nom, lamentablement discuté par le schisme, sortit de l’urne électorale ; quand le pontife vit le sang couler pour sa cause, sa pensée se reporta aussitôt vers les intercesseurs célestes

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1. Rufin., Biit. ecclti., lib. II, coi. 20.

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p249 CHAP. II. — LE PAPE DAMASE.

 

qu'il avait tant de fois invoqués. Il s'adressa tout spécialement aux glorieux saints Laurent et Félix de Nole. Ses prières et ses vœux furent exaucés. Voici par quel prodige « Dieu lui-même intervint» pour proclamer l'innocence du pontife calomnié. « Un jour que Damase sortait de la basilique Vaticane, où il avait célébré le sacrifice de la messe sur le tombeau de l'apôtre Pierre, un infirme, qui depuis treize ans avait perdu la vue, se fit présenter au saint pape, et lui demanda la guérison. Damase hésita quelques minutes ; mais l'aveugle insistait avec une foi ardente et vive. Traçant alors sur les yeux de l'infirme le signe de la croix, le pape lui dit : Que votre foi vous sauve! A l'instant les yeux de l'aveugle s'ouvrirent; il vit, et devant tout le peuple il rendit grâces à Dieu et à son très-saint pontife Damase 1. » On conçoit, mieux qu'on ne peut le décrire, l'effet immense produit sur la multitude témoin du prodige. La ville de Rome entière, dans un enthousiasme bien naturel, jura de n'avoir d'autre pape que le thaumaturge. Damase voulut perpétuer le témoignage de sa reconnaissance pour les saints Laurent et Félix, aux prières desquels il attribuait cette intervention divine; il composa à ce sujet deux inscriptions qui nous ont été conservées. Voici celle qu'il faisait graver sur la tombe de saint Félix, à Nole : « Félix, vraiment bienheureux de nom, de cœur, de corps et d'âme, illustre soldat couronné de Jésus-Christ, vous qui accordez si généreusement vos faveurs à ceux qui viennent les implorer, et ne laissez jamais s'éloigner le pèlerin sans consolation, c'est à vous que Damase, votre suppliant, doit le bienfait qui le rend à la vie, c'est à vous qu'il consacre cet hymne de reconnaissance 2 ! »

 

13. La glorification du pontife rendit la paix à l'église de Rome. Sept prêtres et deux diacres, qui avaient jusque-la suivi le parti de l’antipape, vinrent abjurer leur erreur entre les mains du pasteur légitime. Ce fut pour Damase l'occasion d'un nouvel ex-voto, en l'honneur ces martyrs innommés dont il faisait alors décorer

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1 Acta S. Daman; cf. Baron., À*». 384, cap. xit. — 2. Damât., Ccrtnea *f | tatr. iat., tom. X1I1, coî. 588.

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p250 PO.NTU'iCAT  DE  SAIJiT  DAXiSE   (3oC-33i).

 

magnifiquement les tombeaux souterrains 1. Jusqu'à nos temps, on ne connaissait, de la sollicitude et de la dévotion de saint Damase pour les reliques des martyrs, que les Carmina ou Ins-criptiones attribués à ce pape et recueillis, au nombre de trente-sept, probablement par les pèlerins du Ve ou du VIe siècle, qui les transcrivirent pour la satisfaction de leur piété personnelle sur les monuments catacombaires. Encore devons-nous ajouter que la critique se montrait assez difficile sur leur authenticité. Mais, de nos jours, l'étude des catacombes a singulièrement modifié la question. Les travaux de saint Damase dans nos hypogées chrétiens, dit M. de Rossi 2, ne furent pas seulement partiels, et ne se localisèrent pas sur un point déterminé, ils s'étendirent à toute la Rome souterraine. Son nom se retrouve dans chacune des catacombes, sur le tombeau de tous les martyrs illustres. Les constructions pour l'ornement ou pour la solidité, les escaliers de marbre ménagés dans chaque crypte insigne, portent tous l'empreinte de sa pieuse main. C'est à sa haute intelligence que nous devons la conservation des hypogées chrétiens, parce que c'est lui qui fit abandonner le système vicieux adopté pour la construction des basiliques constantiniennes. Ce système consistait à raser les étages superposés d'une catacombe jusqu'à ce qu'on fût arrivé au niveau de la crypte inférieure, où d'ordinaire se trouvait la sépulture des martyrs les plus illustres. On dégageait ainsi une tombe principale, sur laquelle s'élevait un édifice somptueux; mais il avait fallu sacrifier un nombre immense d'autres loculi pour arriver à ce résultat. Damase comprit que, si les reliques des martyrs ont droit à notre culte, la tombe des simples fidèles doit être aussi l'objet d'un respect inviolable. Dès lors, il étendit sa sollici-

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1. Sanclorum qukumque legis venerare sepulcrwn.

Numina nec numerum potuit retinere velustas. Oitiamt Damasus tumulum, cognoscite, rector Pro rediiu cleri Christo prœttanie triuniphans Martyribus sanetis reddii sua vola sacerdos.

(Pair, lai., tom. XIII., col. 590.)
 ,- — ....

2. M.. de Rossi, Roma Sotterranea, tom. I, pag. 213-213.

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p251 CHAPII.   — LE   PAPE  DAMASE.

 

tude pontificale à tout l'ensemble des monuments chrétiens de l'âge héroïque. Les trésors que la piété des matrones mettait à sa disposition, et que lui reprochait la jalousie païenne d'Ammien Marcellin, il les consacrait non pas à la satisfaction de son luxe personnel, mais à la décoration des lieux sanctifiés par la présence des martyrs. Le luxe de saint Damase nous est aujourd'hui connu. Il éclate à nos regards dans la magnificence des caractères paléographiques qui portent son nom. Damase, dit encore M. de Rossi, ne se borna point à composer les éloges et les inscriptions tumulaires des catacombes. Il voulut qu'à la pompe du langage répondît la beauté de la calligraphie. Les archéologues ont déjà remarqué depuis longtemps que les poëmes de ce pape sont gravés sur le marbre en caractères admirables, connus aujourd'hui sous la désignation spéciale de Damasiens. M. de Rossi a retrouvé le nom du calligraphe lapidaire qui exécutait ces chefs-d'œuvre, sous les ordres du saint pape. L'humble et habile sculpteur nous a révélé sa personnalité maintenant glorieuse, par une souscription en menus caractères disposés, ou plutôt dissimulés 2, à la marge d'une inscription monumentale. Elle est ainsi conçue :

SCRIBSIT  FVRIVS  DIOINYSIVS FILOCALYS  DAMASI SVI   PAPAE  CVLTOR  ATQUE  AMATOR  3.


Le nom de Furius Dionysius Philocalus, ainsi restitué à l'histoire, demeurera désormais inséparable de celui de Damase que le pieux artiste appelle son pape, et pour lequel il proclame une si haute vénération. A un autre titre, le calligraphe du IVe siècle nous inté-

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1 Rom. Sott., p. 121 ; Bullet. cTarch. chrét., 1" année, pag. 18.

2. Pour ne pas trop attirer l'attention du lecteur sur son nom, le calligraphe a disposé l'inscription d'une manière si iugénieuse qu'elle pouvait passer inaperçus aux regards d'un observateur superficiel. Toutes les lettres sont isolées et superposées l'une à l'autre, sur une seule ligne, en sorte qu'à moins de réuuir chacune d'elles pour en former un sens, il était impossible d'y rien deviner. C'est peut-être à cette circonstance que le nom de Furius Dionysius Philocalus doit d'être resté inconnu jusqu'à ce que M. Rossi l'ait remis si heureusemeut eu lumière.

3. Rossi, Rom. Sott., tom. 1, pag. 120.

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p252 PONTIFICAT de saint damase (360-38 i).

 

resse encore. M. de Rossi a en effet acquis la preuve que Philocalus rédigea le catalogue des souverains pontifes, connu jusqu'ici sous le titre de Libérien, parce qu'il s'arrête à la mention du pape Liberius, Cette importante découverte confirme, d'une part, l'authenticité des notices du Liber Pontificalis; de l'autre, elle corrobore la tradition qui attribuait à saint Damase une vie aujourd'hui perdue des papes ses prédécesseurs 1. C'est donc à juste titre, ajoute M. de Rossi, que le nom de Damase domine toute l'histoire monumentale de l'Église romaine, pendant le premier âge de la paix 2. Son pontificat clôt réellement l'ère des catacombes. On sait que, par un sentiment d'admirable humilité, ce grand pontife ne voulut point choisir sa sépulture au milieu des tombes de martyrs dont il avait si religieusement fait décorer les monuments. « Je l'avoue, dit-il, j'aurais ardemment souhaité ce bonheur; mais j'ai craint de profaner le lieu auguste où reposent les saints. »

Hic faieor Damasus volui mea condere membra Sed cineres tirnui sanctos vexare piorum 3.

 

   Après un tel scrupule, si modestement exprimé par un grand pape, par un thaumaturge et un saint, on comprend que les sépultures dans les catacombes devinrent fort rares. Elles ne furent plus autorisées que dans des circonstances exceptionnelles. C'est ce que nous apprend une inscription de l'an 381, gravée sur un tombeau inconnu et qui s'exprime ainsi :

ACCEPIT  SEPVLCRVM   INTRA   LIMINA   SANCTORVM QVOD  MVLTI  CVPIVNT  ET  RARI  ACCIPIVNT 4.

« Il trouva un sépulcre dans les galeries des saints, honneur que beaucoup ambitionnent et que très-peu obtiennent. »

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1. OffUt*... S. Damas., Patr. lat., tom. XIII, col. 418. — 2. But/et. archéoU, l'v-jnniSe, p*g. 93. — 3.Carm. Damas.; Patr. lat,, tout. XIII, col. 408. — 4. Rossi. Rom. Sotter., pag. 214.

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