Grégoire VII 38

Darras tome 22 p. 124

 

23. Telle est la magnifique exposition faite par le grand pape de la théorie du pouvoir chrétien. Nos modernes  rationalistes trouvent dans cette lettre un thème aux plus étranges interprétations. « Peut-être vous étonnerez-vous, s'écrie l'un d'eux, si je vous dis que Grégoire VII, l'homme de Dieu, vir Dei, est un ancêtre de la révolution française; néanmoins cela est évident. Dans son effort contre les pouvoirs politiques, dans ses instructions à ses soldats spirituels, espèces de proclamations qui précèdent la bataille, il ne donne pas aux royautés de la terre un autre fondement que la violence, le crime, le mensonge. Ce sont mot pour mot  les expressions dont les montagnards se servaient en 93 pour monter à l'assaut de la royauté absolue2. » — « Est-ce un austère et saint pontife, ou plutôt n'est-ce pas un démocrate moderne qui prononce, demande M. Villemain,  ce terrible  anathème contre toutes les dignités de la terre, dénoncées comme autant d'inventions diaboliques, dont quelques hommes se sont servis pour marcher sur la tête des autres hommes que la nature avait créés leurs égaux 3 ? » Entre la doctrine de Grégoire VII et les aberrations sanglantes de

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1. Greg. VII. Epist. xxi, lib. VIII, col. 594-601. 2. Edg. Quinet, Cathol. et Rèvol. franc, p. 145. 3. Villemain, Histoire de Grégoire VII, t. II, p. 75.

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la démocratie, il y a un abîme. Le grand pape remonte au premier établissement des royaumes et des principautés créés par le paganisme, au sein d'une société qui ignorait le vrai Dieu, dignitas a saecularibus Deum ignorantibus inventa. Il constate, et c'est un fait démontré par l'histoire, que ces premiers rois ou princes, « ignorant le vrai Dieu, ignorantes Deum, livrés à un orgueil, à une cupidité sans frein, ont à l'instigation du démon, prince de ce monde, établi leur domination sur les hommes leurs égaux par l'insolence, les rapines, la perfidie, les homicides et tous les genres de scélératesse. » Ce n'est pas seulement Grégoire VII qui tient ce langage, mais toute l'antiquité profane dont les annales ne sauraient être suspectes de cléricalisme. La tyrannie païenne était véritablement l’opus diabolicum, le règne de Satan sur le monde, et saint Augustin le proclamait avec la double autorité du génie et de la tradition universelle, par cette parole fameuse : Remota justitia, quid sunt régna nisi magna latrocinia? Les démocrates modernes, fort enclins à flatter les empereurs et les rois , dans l'espoir de les égorger impunément à l'occasion, affectent de dénoncer à la vindicte des têtes couronnées un pape qui aurait pris l'initiative d'outrager aussi grossièrement leur dignité et leur puissance. En réalité, Grégoire VII a dit, et nul ne saurait méconnaître la rigoureuse exactitude de sa parole, que les premiers rois païens, ignorantes Deum, n'établirent leur domination que par la violence. Ne sait-on plus ce que furent Nemrod, ce grand chasseur d'hommes et de fauves, et Romulus le fratricide ? Mais au milieu des générations courbées sous la verge et les chaînes des tyrans païens, assises dans les régions ténébreuses de l'esclavage, parmi les ombres de la mort, la grande rédemption du Fils de Dieu Sauveur mort sur une croix vient illuminer le monde et constituer avec le sacerdoce éternel du pontificat la royauté chrétienne. Quel admirable tableau des devoirs du roi chrétien nous a tracé Grégoire VII! Le grand pape, il est vrai, n'hésite point à déclarer qu'un roi chrétien doit être le premier à donner l'exemple de la soumission à l'Eglise, sous peine d'être retranché de la communion ecclésiastique; mais cette conclusion, au point de vue du sens

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commun le plus vulgaire, est d'une évidence qu'on pourrait appeler banale. Qui veut faire partie d'une société quelconque doit en accepter et suivre les statuts, sinon il n'y est point admis ou il en est exclu. Grégoire VII déclare en outre que l'Eglise a le droit d'appeler spontanément, après mûre délibération, à la dignité de l'empire, le prince de son choix :  Sancta Ecclesia sua sponte ad imperium deliberato consilio advocat. «Evidemment, dit ici M. Villemain,   l'impérieux pontife, poussé par l'ardeur du   combat, confondait un peu les deux royaumes que le Christ avait si formellement séparés1. » Sous la plume de l'éminent professeur rationaliste, cette observation ne surprendra personne ; mais il en est autrement d'une assertion analogue formulée par des écrivains catholiques, lesquels se croient autorisés à dire : « On ne peut nier que le système de Grégoire n'ait été excessif et exclusif2. Son plan était précisément le  contraire de celui de Charlemagne3. » Or Grégoire VII, loin de confondre les deux pouvoirs spirituel et temporel, comme le lui reproche assez timidement d'ailleurs l'écrivain rationaliste, les distingue nettement l'un de l'autre en établissant la diversité de leur origine et de leur but. Le grand fait de la transformation par l'Evangile des tyrannies du paganisme en royautés chrétiennes, loin d'affaiblir le pouvoir temporel l'avait grandi dans une magnifique proportion. L'opus diabolicum, le règne de Satan, prince de ce monde, avait fait place à l'œuvre  divine des royautés sacrées par la croix de Jésus-Christ. Mais au point de vue plus strictement juridique du droit de l'Eglise par rapport à l'élection  des   empereurs  chrétiens   d'Occident, Grégoire VII n'inventait absolument rien et ne faisait  aucune confusion de pouvoirs. L'empire romain d'Occident restauré  par la papauté en faveur de Charlemagne était une institution dont la papaulé seule pouvait disposer. Nul ne pouvait être empereur s'il n'avait été élu et sacré en cette qualité par le vicaire de Jésus-Christ.

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1.ViHemain. Hist. de Grég. VU, tom. II, p. 74. 2.Dict. de Théologie catholique, Goschler, tom. X, p. 82. Paris, 1868. 3.Ibid., p. 73.

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Henri IV lui-même le reconnaissait. Tant qu'il n'eut pas trouvé un antipape qui lui donna sacrilégement l'onction impériale, il ne prit dans toutes ses lettres, dans tous ses actes publics, et ne reçut ni de ses sujets ni même de ses plus intimes favoris d'autre titre que celui de roi. C'est donc en toute rigueur de justice, au double point de vue du droit et du fait, sans la moindre innovation, sans l'ombre d'une confusion quelconque de pouvoirs,  que Grégoire VII disait de l'empire d'Occident, tel   qu'il existait alors:  Sancta Ecclesia sua sponte ad imperium deliberato consilio advocat. Quand on parle d'un « système, » d'un «plan» spécial à ce grand pape, et qu'on le veut désigner sous le nom « de  système, de plan de Grégoire VII, » on fait à sa mémoire l'injure la plus gratuite, et l'on commet en même temps l'erreur historique la plus grossière. Ainsi qu'il l'écrivait  à l'évêque Henri de Liège, l'un des signataires repentants des actes schismatiques de Worms, sa règle de conduite, sa maxime  constante, sa devise immuable fut celle-ci :  «Nous n'innovons rien, nous n'inventons rien, nous suivons et appliquons les lois canoniques posées par les pères avec l'assistance du Saint-Esprit: » Non nova aut nostra proferimus, sed a patribus per Spiritum Sanctum prolata sequimur et exercemus1. La pensée de Grégoire VII ne diffère en rien de celle de Charlemagne : celui-ci s'était appelé «le bouclier et l'épée de l'Eglise romaine2, » celui-là ne fit rien autre chose que de rappeler ce programme au tyran qui prétendait se faire l'héritier de Charlemagne. Grégoire VII n'eut  donc aucun système ni plan qui lui fut personnel.  «Depuis des siècles, dit fort judicieusement le docteur Héfélé, on avait coutume de désigner sous le titre de respublica christiana l'ensemble du règne de Dieu sur la terre, c'est-à-dire, sous deux formes visibles, l'Église catholique et l'Etat chrétien; à partir de Charlemagne, les empereurs aussi bien que les papes reconnaissaient pour un axiome fondamendal que la Respublica christiana était régie de concert

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1. S. Greg. VII. Eptst. vr, lib. IV, col. 460. ' Cf. tom. XIX de cette Histoire, p. 101.

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par le double pouvoir du sacerdoce et de l'empire1. » Grégoire VII n'inventa donc rien. Que si l'on trouve « excessif ou exclusif» le système d'une constitution chrétienne où le pouvoir royal avait pour contre-poids l'excommunication pontificale, on est libre de lui préférer le système démagogique actuel où les souverains relèvent de la juridiction des barricades, quand ils peuvent se soustraire à celle de l'échafaud. Les peuples en sont-ils plus heureux et les rois plus solides sur leur trône? C'est leur affaire. Mais de même que Grégoire VII ne fut nullement un « ancêtre de la révolution française, » il ne fut pas davantage le créateur de la constitution chrétienne en vigueur au moyen âge. Pour trouver la véritable origine de cette constitution que le monde semble condamné à ne plus revoir, il faut remonter à la période évangélique, lorsque Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, dit à ses apôtres : «Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre 2. Comme mon Père m'a envoyé, je vous envoie3. Allez et enseignez toutes les nations4

 

24. On a conservé sous le nom de Dictatus papae un recueil de vingt-sept propositions attribuées à Grégoire VII et dont le texte se trouve dans le Registrum de ses lettres, au livre second, entre un rescrit adressé aux clercs de Lodi et un autre à l'archevêque de Reims Manassès. C'est une sorte de syllabus renfermant en abrégé toute la doctrine canonique sur laquelle était basée la grande institution de la république chrétienne. On a longtemps agité la question de savoir si dans leur forme parfois trop brève et dès lors susceptible d'interprétations erronées, ces maximes avaient réellement été dictées par Grégoire VII lui-même. Il paraît assez vraisemblable qu'elles furent recueillies soit de ses écrits, soit de ses conversations, au courant de la polémique engagée entre les défenseurs du saint-siége et les partisans du roi excommunié. Telles

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1. Héfélé. Hisl. des Conciles, tom. VI, p. 277.

2. Data est mihi omnis pôtestas in cœlo et in terra. (Matth., xxviu, 18.)

3. Sicut misit me Pater et ego mitto vos. (Joann.,xx, 21.)

4. Emîtes ergo docete omnes génies. (Matth., xxviu, 19.)

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que l'histoire nous les a transmises et en les éclairant par des textes authentiques de Grégoire VII, elles résument toute la législation canonique qui réglait dans l'Europe chrétienne les rapports de l'Église avec l'État. Voici ce code que les légistes de Henri IV auraient voulu remplacer par la formule païenne : « Il n'y a d'autre loi que le bon plaisir de César. »—I. « L'église romaine ne reconnaît d'autre fondateur que Notre-Seigheur Jésus-Christ. » Il est évident que ni l'empereur Tibère, ni ses successeurs Claude et Néron n'eurent rien à voir à l'institution de l'Église, laquelle est d'origine essentiellement divine. C'est là ce que voulait faire entendre Grégoire VII, sans songer le moins du monde, comme certains critiques le lui ont reproché1, à nier que, comme choix d'un siège définitif, l'apôtre saint Pierre eût pris l'initiative de fixer à Rome le centre de l'Église fondée par Jésus-Christ. — II. «Le pontife romain seul a le droit d'être appelé pontife universel. » Aucun catholique ne saurait contester cette maxime. — III. « Le pontife romain seul peut déposer les évêques et les réconcilier avec l'Église. » C’est l'application à la déposition ou à la réhabilitation des évêques de l'axiome canonique qui fait relever du saint-siége en dernier ressort toutes les causes dites majeures. Dès lors, une déposition ou une réhabilitation d'évêque prononcée par un concile provincial n'est définitive qu'autant que le pape l'aurait confirmée. Tous les canonistes en conviennent. — IV. « Le légat du pontife romain a la présidence sur tous les évêques dans un concile, lors même qu'il serait d'un rang inférieur à eux dans la hiérarchie ecclésiastique ; il peut prononcer des sentences de déposition contre les évêques eux-mêmes. » Depuis le concile œcuménique de Nicée présidé par les légats du pape saint Sylvestre, jusqu'à celui de Trente présidé par les légats des papes Paul III, Jules III et Pie IV, il en fut toujours ainsi. Lorsque les papes assistent à un concile, ils en ont personnellement la présidence, comme nous l'avons vu naguère au XIXe concile général du Vatican. — V. « Le pape peut déposer

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1. Ci'. Noël Alexandre. Hislor. Ecclesiastic, tom. XV, p. 110.

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les absents. » Cette maxime est commune à la discipline canonique ainsi qu'à la jurisprudence civile. Le juge suprême a le droit de condamner par contumace. Dans l'espèce, elle répondait aux récriminations des évêques simoniaques qui, malgré toutes les citations préalables, avaient refusé de comparaître au tribunal du saint-siége et aux synodes romains. — VI. « On ne doit communiquer en rien avec les personnes excommuniées par le pape, ni demeurer dans la même maison. » C'est en d'autres termes la formule si connue, renfermant en un seul vers tous les effets de l'excommunication : Os, orare, vale, communia, mensa1 negatur : « On leur refuse la conversation, la prière, le salut, la communion, la table. » — VII. « Au pape seul il est permis d'établir selon la nécessité des temps de nouvelles lois (canoniques), de former de nouvelles congrégations, de transformer une maison canoniale en abbaye, de diviser en deux un évêché trop considérable ou de réunir ceux qui se trouvent trop exigus. » Noël Alexandre et les canonistes de son école trouvent cette maxime en contradiction avec le droit commun des conciles provinciaux. Grégoire VII qui avait provoqué dans tout l'Occident la reprise de ces assemblées si utiles et si saintes était loin de leur refuser la faculté de faire des canons et des décrets appropriés aux besoins du temps ; mais il affirmait, ce qui est admis par tous les théologiens catholiques, que le pouvoir législatif dans l'Eglise appartient souverainement au pontife romain; en telle sorte que les décrets et canons des conciles provinciaux ne deviennent obligatoires qu'après sa ratification. — VIII. La rédaction du huitième dictatus est conçue en ces termes : Quod solus papa possit uti imperialibus insigniis. En traduisant mot à mot cette formule latine évidemment incomplète, les critiques de toute nuance eurent sujet d'exercer leur verve sati-

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1 Le dictatus porte au lieu de mensa le mot domus: Nec in eadem domo manere. Nous serions porté à croire qu'on aura ici confondu la « mense » (table) avec la « manse » (mansio) ou demeure. Nous verrons d'ailleurs que Grégoire VII lui-même donna dans le concile romain de l'an 1077 des instructions spéciales sur la manière dont l'excommunication fulminée contre Henri IV et ses fauteurs devait être observée au point de vue des détails matériels.

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rique. « Quoi ! disaient-ils, le pape seul peut se servir des insignes impériaux ! Ni Charlemagne, ni Louis le Débonnaire, ni Saint Henri d'Allemagne n'eurent le droit de porter le diadème, le glaive bénit, le globe d'or! » Le sens du dictatus est bien différent. Il signifie que le pape seul a le droit de « disposer des insignes impériaux » pour en investir le prince que « la sainte Église, ainsi que Grégoire VII le dit lui-même, appelle spontanément et après mûre délibération à l'honneur et à la charge de l'empire. » Dans le sens plus restreint du mot-à-mot strict, il signifie encore que seul, à l'exclusion de tous les patriarches et évêques, le pape ayant une souveraineté temporelle peut porter comme les empereurs et les rois le diadème. — IX. «Ce n'est qu'au pape seul que tous les princes baisent le pied. » Nous avons précédemment expliqué l'origine de cet hommage rendu à saint Pierre dans la personne de ses successeurs, en souvenir de l'humilité du prince des apôtres qui, le jour de la Cène, refusait de se laisser laver et baiser les pieds par son divin Maître, le Christ fils du Dieu vivant. Les rois chrétiens baisent les pieds du pape ; les persécuteurs les chargent de chaînes ; Néron crucifiait saint Pierre dont le sénateur Pudens baisait les pieds. Il en sera ainsi jusqu'à la fin du monde. — X. «Le pape est le seul dont le nom soit récité dans toutes les églises. » — XI. « Et ainsi son nom est unique dans le monde. » Ces deux dictatus, dont le sens est connexe et que pour cette raison nous ne séparons pas l'un de l'autre, expriment sous une forme saisissante un fait qui subsiste encore de nos jours et qui durera jusqu'à la consommation des siècles. Bien que le nom de l'évêque diocésain et celui du souverain catholique soient récités au canon de la messe dans le diocèse du premier et dans les états du second, le nom du pape est le seul qui soit prononcé universellement dans toutes les églises du monde, partout où un prêtre catholique célèbre le sacrifice eucharistique. Le nom d'un souverain tout-puissant en Europe ou en Asie peut être parfaitement inconnu chez les tribus de l'Océanie ou de l'intérieur de l'Afrique. Mais partout où sur la pierre du rocher, sous les lianes des solitudes et jusqu'au fond des îles les plus lointaines, la voix d'un prêtre fait descendre, sous les espèces

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du sacrement auguste, Jésus-Christ roi de la terre et des cieux, le nom du pape son vicaire ici-bas est prononcé, et ainsi très-véritablement « le nom du pape est unique en ce monde, » unicum est nomen in mundo. — XII. « Le pape a le droit de déposer les empereurs. » Cela était de toute évidence à une époque où les empereurs étaient faits uniquement et exclusivement par les papes.--XIII. « Il a le droit de transférer, quand les circonstances l'exigent, un évêque d'un siège à un autre. » — XIV. « Il a le droit d'ordonner un clerc appartenant à n'importe quel diocèse.»—XV. « Un clerc ordonné par lui est apte à exercer le ministère et à être promu à un siège épiscopal partout où il y serait appelé. Mais il lui est interdit de porter les armes, il reste sous la juridiction du pontife romain et aucun évêque n'a le droit de l'élever sans l'assentiment du pape à un ordre supérieur. » — XVI. « Nul concile ne peut être considéré comme oecuménique si le pape ne l'a point déclaré tel. » — XVII. « Aucun décret, aucun livre, ne peut avoir le caractère canonique sans l'autorisation du pape. » Toutes ces maximes sont reconnues par quiconque admet la primauté de pouvoir et l'universalité de juridiction des vicaires de Jésus-Christ.---XVIII. « La sentence du pape ne peut être cassée par personne, et seul il peut casser les sentences de tous. » — XIX. « Il ne peut être mis en jugement par personne. » Ces deux maximes de l'infaillibilité doctrinale du pontife romain et de son inviolabilité canonique ne sauraient, depuis le concile du Vatican, être niées par aucun catholique. — XX. « Que personne n'ait l'audace de prononcer une sentence de condamnation contre un accusé qui en appelle au siège apostolique. » Cet appel a toujours été de droit dans l'Église, il l'est encore ; son effet est suspensif et la cause de l'appelant est dévolue au siège apostolique. — XXI. « Les causes majeures de toutes les églises particulières doivent être référées au saint-siége. » Ce sont les paroles mêmes du concile de Sardique.

--XXII. « L'Église romaine n'a jamais erré et comme l'atteste l'Ecriture elle ne tombera jamais dans une erreur contre la foi. » C'est la traduction des promesses faites par Jésus-Christ à saint Pierre : Tu es Petrus. Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua.

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Le XXIIIe dictatus offre une rédaction incorrecte d'une maxime parfaitement vraie, que nous avons rencontrée plus haut dans la lettre de Grégoire VII à l'évêque de Metz Hérimann. Le grand pontife, on se le rappelle, en s'appuyant sur le Libellus apologeticus pro synodo de saint Ennodius évêque de Pavie, canoniquement approuvé par un synode romain de plus de cent évêques tenu sous le pontificat de saint Symmaque, avait dit que «les papes canoniquement ordonnés deviennent meilleurs en vertu des mérites du bienheureux Pierre prince des apôtres, » rite ordinati meritis benti Pétri apostoli meliores efficiuntur. Cette maxime qui rend très-exactement la pensée de saint Ennodius dont Grégoire VII lui-même rapportait textuellement la parole, est à la fois une vérité d'expérience, puisque la liste des papes renferme un si grand nombre de saints, et une doctrine traditionnelle reçue dans l'Église où l'on n'a jamais douté de l'assistance spéciale exercée par le prince des apôtres sur les papes ses successeurs. Le dictatus ne reste point dans la mesure exacte ni dans la précision rigoureusement théologique. Voici ses paroles : « Le pontife romain, lorsqu'il a été canoniquement ordonné, devient certainement saint par les mérites du bienheureux Pierre, meritis beati Pétri indubitanter efficitur sanctus, ainsi que l'atteste saint Ennodius évêque de Pavie, d'accord avec une multitude de saints pères nommés dans les actes du bienheureux pape Symmaque. » Jamais aucun pape, Grégoire VII pas plus que les autres1, n'a revendiqué le privilège de l'impeccabilité personnelle. L'une des premières charges dans le palais apostolique est celle de confesseur du pape ; le texte du dictatus est donc fautif. La véritable formule de Grégoire VII, la seule dont il ait usé, dont l'authenticité soit incontestable est celle que nous trouvons sous sa

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1. « Il se croyait si peu à l'abri du péché, dit le savant abbé Gorini, il songeait si peu à se faire passer pour impeccable qu'il se nommait souvent dans ses lettres « pécheur », miser peccator, indignus peccator. « Ce qui m'excite surtout, dit-il à l'évêque de Magdebourg et à ses suffragants, c'est la crainte d'être accusé devant le souverain juge pour mes négligences dans l'administration qui m'a été confiée. » (Greg. VII. Epist. xxxix, lib. I, col. 321.) «  C'est  à cause de nos péchés,  écrivait-il à Humbert archevêque de Lyon,

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sa plume et qui est ainsi conçue : « En vertu des mérites du bienheureux Pierre les papes canoniquement ordonnés deviennent meilleurs en montant sur le siège apostolique.» II nous sera permis, après avoir rétabli le fait, de déplorer la mauvaise foi avec laquelle, exagérant encore l'exagération du dictatus et faisant retomber la responsabilité de cette double erreur sur la mémoire de saint Grégoire VII, l'école gallicane, faisait cette déclaration solennelle : « Grégoire VII enseignait que ceux qui sont canoniquement ordonnés sur le siège apostolique deviennent par les mérites du bienheureux Pierre tout à fait saints, omnino sanctos1. » Cet omnino n'appartient pas plus au dictatus que le sanctos au texte authentique de Grégoire VIL — XXIV. « D'après l'ordre et avec l'autorisation du pape, les inférieurs peuvent formuler des accusations juridique contre leurs supérieurs. » C'était la réponse aux prétentions des évêques simoniaques qui se couvraient du prétexte même de leur dignité vénale pour étouffer les protestations indignées des fidèles, clercs ou laïques.—XXV. « Le pape peut, sans l'intervention d'un synode, déposer les évêques ou les réhabiliter. » Les clérogames et toute la faction schismatique soutenaient au contraire qu'une sentence de déposition ou de réhabilitation devait, sous peine de nullité, être rendue par le pape, siégeant en concile. — XXVI. « Quiconque n'est point en communion avec l'église romaine ne saurait être regardé comme catholique. » Ceci est une vérité de foi. — XXVII. « Le pape peut délier les sujets du serment de fidélité prêté par eux à des princes iniques 2. » Nous avons précédemment expliqué, comment en vertu du pouvoir des clefs le pape, chef de la respublica

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que l'Eglise est en ce moment livrée à une si funeste tempête. » (Epist. lxxvi, lib. I, col. 349.) Ailleurs il s’écrit: « Je dis souvent à Dieu : Hâtez-vous, hâtez-vous; pour l'amour de la bienheureuse Marie et de saint Pierre, délivrez-moi. Mais parce que sur les lèvres d’un pécheur il n'y a pas d'oraison sainte et digne d'être promptement accueillie,  je vous prie, je vous conjure de presser sans cesse ceux dont la vie sainte mérite d'être exaucée pour qu'ils prient pour moi. » (Epist. xlix, lib. II, col. 400. Cf. Gorini, Défense de l'Église, tom. IL, p. 415.)

1. Bossuet. Dépens, déclarât., lib. I, sect. I, cap. n.

2. Dictatus. papx ; Patr. Lat., *«m. GXLVIII, col. 107.

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thristiana basée tout entière sur la double religion de la foi et du serment, se trouvait investi sinon par une puissance directe, comme parlent les théologiens, du moins par une puissance indirecte du privilège de déposer les princes infidèles et injustes.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon