Hussites

 

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22. Il était donc permis dès maintenant au Souverain Pontife de tourner ses regards vers la Grèce, dont les calamités touchaient son cœur d'autant plus que plusieurs conférences avec les ambas­sadeurs de l'empereur Emmanuel lui faisaient entrevoir comme pos­sible la réunion de cette Eglise dissidente à l'Eglise Romaine. Le patriarche Joseph appelait également cette union de tous ses vœux, parce qu'il était évident que la Grèce entière ne tarderait pas à tomber au pouvoir des Turcs, à moins que, les antiques dissenti­ments religieux étant dissipés entre Latins et Grecs, les armes des Occidentaux ne fussent opposées à la conquête musulmane. Em­manuel, qui ne se faisait pas illusion sur le danger, conçut le des­sein d'allier ses fils par des mariages avec les rois et les princes catholiques, afin de rendre plus facile le retour à l'ancienne unité. Le Pape, consulté sur ce point, donna son assentiment sans peine, à condition qu'il serait permis aux femmes latines de vivre chez les Grecs selon le rit latin. Wladislas, roi de Pologne, con­courut activement à ces négociations, et Martin l'en remercia en lui confirmant les privilèges qui lui avaient été concédés par les Pontifes Romains, avant l'extinction du schisme d'Avignon. Ce prince, dont la solide piété faisait un des auxiliaires les plus zélés du Saint-Siège, se fit une gloire d'obtenir le nom et de remplir les devoirs de vicaire de l'Eglise Romaine dans son propre empire. Il pensait avec raison que ce titre lui donnait plus d'autorité pour ramener à l'orthodoxie les Grecs infestés de schisme, dont il trou­vait un certain nombre parmi ses sujets des provinces récemment annexées du Midi et de l'Est, avec lesquels d'ailleurs le mettaient en contact continuel les relations de frontière ; il y puisait en ou­tre un aliment pour son zèle infatigable à porter la lumière de l'Evangile chez les Barbares du Nord. Ces deux questions du re­tour des Grecs au rit latin et de la conversion des idolâtres à la foi catholique se confondaient en Russie ; c'est à raison de cette connexité que Martin confirmait au duc de Lithuanie Alexandre Witold ses  anciennes prérogatives, accordées comme récompense

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des services rendus à la cause de la Religion, et le nommait égale­ment son vicaire dans les provinces russes limitrophes de ses Etats. Afin de pouvoir unir et tourner leurs armes contre les Infidèles et porter plus au loin leurs victoires, Alexandre et Wladislas avaient besoin d'être délivrés du souci de toute autre guerre.

 

   23. Dans ce but, le Souverain Pontife et l'empereur s'appliquèrent à réconcilier avec les chevaliers Teutoniques la Pologne et la Lithuanie. Une trêve d'un an, du 19 juillet 1418 à pareil jour de l'année suivante, fut imposée par autorité apostolique, en atten­dant l'arrivée des légats qui seraient chargés de mettre fin à la querelle. Sur ces entrefaites, l'empereur des Tartares russes, Zélodin, ami de la race polonaise, étant mort, son fils et succes­seur Kéremberden mit ses armées en campagne contre la Lithua­nie. Le duc Alexandre, pour parer ce coup inattendu, suscita comme empereur des Tartares, à Vilna, le prince Bethsubul, unit les forces de son duché à celles du prétendant, et déchaîna cette armée contre Kéremberden pour le renverser du trône. L'issue du combat demeura incertaine ; mais Bethsubul fut fait prisonnier et son rival lui fit trancher la tête. Les choses en étaient là, lorsque peu de jours après, Kéremberden fut mis à mort par son frère Jéremferden, qui s'empara du pouvoir, et, revenant à la politique de son père, renouvela l'ancienne alliance de l'empire tartare avec la Lithuanie; dès ce moment il devint le compagnon d'armes inséparable du duc Alexandre1. Contenir ou combattre les Tartares en Russie, les Turcs en Orient et les Maures en Afrique, c'était, mal­gré la distance des lieux et le défaut apparent de lien dans l'action, continuer la même grande idée, celle des croisades. Dans le même temps où la Papauté unissait contre les Infidèles du Nord Alexan­dre et Wladislas, et travaillait avec Emmanuel et le patriarche Jo­seph à la conversion des Grecs, dans la pensée d'opposer aux Turcs les forces de l'Italie, de l'Allemagne, de l'Angleterre et de la France, elle favorisait les expéditions de Jean, roi de Portugal, contre les Maures du Maroc, auxquels ce vaillant prince  venait d'enlever

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1 CntMiEn., 'le reti. Polon., xviii. — Micnov., îv, 51.

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l'importante position de Ceuta. Mais de tous les obstacles au ré­veil des croisades, un surtout offrait de grandes difficultés, — la guerre qui se perpétuait entre l'Angleterre et la France. Rien d'aussi triste que l'état de la France à ce moment : un roi frappé de folie, dont les princes du sang se disputent la tutelle, les Arma­gnacs et les Bourguignons épuisant les forces du royaume dans les excès d'une guerre civile sans précédent, les Anglais envahis­sant ce même royaume avec un appareil de guerre et une âpreté qui sembleraient devoir suffire à la conquête de l’univers.


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§ VI. HUSSITES, TURCS ET SARRASINS

 

 

   44. L'histoire générale des peuples occidentaux offre à ce moment deux constatations d'un haut intérêt. Jacques d'Ecosse obtenait des Anglais sa mise en liberté moyennant une rançon de cent mille livres sterling, rentrait dans ses Etats au  milieu des acclamations

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1. Lkoiaiu). Aiieti.n., "isi. rer. Uni., anuo I12J et 112t. —S. Antox , ni p. lit. xxn, 8 5 l. 3 et i. — iïiar. Ms. *>'cntt., anno l i23 et H2i. — Sigox., de e/isc. Uonon.. m, iu Nicol. Albergat. — Ax-o.xïx., Citron, Ilonon., ami. 1123 et l!2i; aptul .Mibatcu., de reb. Indic, loin. XVIII. — Maurru. de Cmwox.. Mémorial. Iiistor.; npuil Murator. de rcb. Italie., loin. XVIU. — IIieboxïm. de Buis».., Annal. Donon ; apiul MmiATon., de reb. Italie, tom. XXIII.

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populaires, en compagnie de la reine Jeanne, fille du comte de Sommerset, était couronné avec elle le 21 mai, réunissait les Etats du royaume, entrait dans la voie des représailles contre Mordac duc d'Albany et ceux qui avaient en son absence lésé les intérêts de la patrie1. En France, Charles VII luttait toujours contre les Anglais pour reconquérir les provinces perdues, et cherchait à se maintenir dans les bonnes grâces du Saint-Siège, en se faisant le défenseur des libertés du clergé. Ses affaires fort compromises jusqu'à cette époque, entrent en voie d'amélioration cette année-là : Philippe de Bourgogne se brouille avec Humfroy de Glocester, qui avait l'administration du royaume anglais. Humfroy avait envahi le Hanovre les armes à la main, du prétendu droit qu'il tenait de son épouse Jacquelle de Bavière ; il s'intitulait dans ses lettres et dans les do­cuments publics comte de Hanovre, de Hollande, de Zélande et de Pennebourg, seigneur de la Frise. Le duc de Bourgogne, pour qui l'accroissement trop grand de la puissance anglaise n'avait rien de sûr, s'éleva de toutes ses forées contre de telles prétentions. Il se fit fort d'établir juridiquement la supériorité des droits de Jean de Brabant, et porta l'affaire au tribunal du Souverain Pontife, di­sant qu'ii n'était pas juste qu'Humtroy lût juge dans sa propre cause, alors surtout que l'opinion générale regardait son mariage avec Jacquette comme vicieux. Jacquette, à qui son père Jean de Ba­vière avait laissé en héritage le Hanovre, la Hollande et la Zélande, après avoir été mariée au duc de Brabant, l'avait quitté par un mouvement de légèreté féminine, auquel elle donnait pour excuse des liens de parenté au degré prohibé. Puis, ajoutant le crime à l'imprudence, elle s'était du vivant de son mari et sans attendre la décision du Souverain Pontife, remariée à Humfroy de Glocester: elle avait à cette occasion protesté contre la violence qui lui aurait été faite lors de son premier mariage. On produisit une lettre fausse au nom de Martin V qui l'affranchissait des liens de cette union ; mais plus tard au contraire le Pape la déclara légitime, et ordonna de rechercher les auteurs du faux. Or, c'était à la suite  de ce ma-

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1 Hecioh. b ietu., ivu. — Polïdju. Viegil., llut. Anyl,, auno 142i.

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riage adultère avec Jacquette qu'Humfroy, à la tête de troupes an­glaises, s'était jeté sur les provinces dotales de Hanovre, de Hol­lande et de Zélande, dont le duc de Brabant, avec l'aide des sol­dats du duc de Bourgogne, lui disputait la possession. Au cours de ces opérations militaires, Martin V prononça la légitimité du premier mariage de Jacquette. La guerre continua néanmoins ; mais Glocester, mal servi par les événements, en conçut une colère et une haine irréconciliables contre Philippe. II l'accusa de perfidie, disant qu'il avait violé l'alliance qui l'unissait à l'Angleterre. Le Bourguignon, exaspéré de l'insulte, répliqua qu'il en avait menti, et, prenant l'empereur Sigismond à témoin, lui lança une provocation en combat singulier. Martin V s'entremit activement pour empê­cher cette querelle d'avoir d'autres suites1. Le Saint-Siège travail­lait avec non moins de zèle au rétablissement de la paix entre la France et l'Angleterre. En 1425, Martin écrivait à ce sujet une let­tre pressante au duc de Bedford, oncle du roi d'Angleterre et ré­gent de ses possessions sur le continent. Mais les Anglais étaient alors à l'apogée de leur puissance ; ils foulèrent aux pieds, non seule­ment les exhortations à la paix, mais les salutaires remontrances que leur adressait le Souverain Pontife pour les rappeler au res­pect des libertés ecclésiastiques. Charles VIl mieux inspiré suivait une toute autre politique, dont il ne tarda pas à recueillir les fruits. En 1426 s'annonce pour lui cette période de succès qui devait abou­tir à l'expulsion de la domination anglaise2.

 

45. Le Souverain Pontife, par l'entremise de l'évêque de Lubeck et de l'archevêque de Brème, ne négligea rien pour apaiser la que­relle qui s'était élevée entre Eric, roi de Danemark, de Suède et de Norwège, et les trois frères Henri, Adolphe et Gérard, ducs de Sléwik. Eric en 1324 avait entrepris le pèlerinage de Jérusalem. Il retournait dans les premiers jours de 1423, après l'avoir heureuse­ment accompli, et venait de débarquer à Kaguse, lorsqu'il reçut avis des graves complications survenues en son absence  dans ses

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1 Monstrelet., llist., vol. il, ann. 1424 et 142a. — Meyeh, Itist. Flaud., xv. — .Egid. n lloïA., Annal., amio 142.4.

2.  MOHSTKELXT., HtSt., vol. Il, p.   32.

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Etats. Dès lors, au lieu de passer par Venise, comme il l'avait d'a­bord projeté, il prit la voie de terre et rentra directement en Dane­mark. Avant d'entreprendre ce pèlerinage il avait réuni des trou­pes destinées à combattre les hérétiques de Bohème ; il les eût mises en campagne, si les Allemands, fidèles aux conventions faites, avaient à cette époque fait irruption contre les sectaires. A son re­tour, il réunit une nouvelle armée, et se joignit aux croisés de Pierre de Portugal. Mais ils échouèrent au siège d'Intemberg, et furent obligés de se retirer devant les hordes fanatiques de Procope le Tondu1. Sigismond Koribut, neveu du roi de Pologne, affermissait dans leur audace les hérétiques, dont il avait accepté la couronne de Bohême, si vertueusement repoussée par ses oncles, Wladislas de Pologne et Witold de Lithuanie. Pour l'arracher de la Bohême, le Pape suscita Wladislas, le conjurant d'exécuter le pro­jet qu'il avait formé d'écraser l'hérésie, pour laver la tache faite à sa famille par l'apostasie d'un de ses membres. Le roi de Pologne obtem­péra sans hésiter aux désirs du Vicaire de Jésus-Christ. Il défendit aux Polonais de fournir des secours à Sigismond, et donna l'ordre à tous ceux qui étaient enrôlés sous les drapeaux du rebelle, de les abandonner sans retard, s'ils ne voulaient pas s'exposer à la confis­cation de tous leurs biens. Puis il résolut de lui déclarer la guerre, et Martin V pour cette expédition lui fit remettre un subside de vingt mille florins pris sur les revenus ecclésiastiques. D'actives démarches furent faites auprès de Witold, duc de Lithuanie, pour l'amener à partager cette croisade2.

 

46. Conrad, archevêque de Prague, était passé clandestinement au camp des Hussites. Cité  une première fois devant le Concile de Constance comme suspect d'hérésie, il avait éludé le jugement. Cité de nouveau par le Pape, non seulement il ne se lava pas des accusations portées contre lui, mais il fit ouvertement alliance avec les rebelles,

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1   Macs., vxii, 3. — Diar. Ms. Venet., ann. 1425. — IIerhax. Corner., Chron., eod. anno. — Cocl., Hist. Hussit., v. — Procopo ùtait un moine défroque, surnommé le Tondu à cause de sa tonsure. Ses coreligionuaires lui donnèrent aussi le surnom de Grand, parce qu'il remporta plusieurs victoires sur les catholiques.

2 MlCBOV., IV, 4.                

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leur livra des forteresses, et réunit un pseudo-synode, dont les dé­cisions servirent à propager l'erreur. Il fut donc, comme contumace, frappé d'excommunication et de déchéance. Peu  de temps après, Conrad mourait dans l'impénitence, au  château d'Helfenbourg1. Cependant la guerre sacrée se poursuivait contre les Hussites. Le Sou­verain Pontife pour arriver à l'énervement de leurs forces avait pré­cédemment interdit aux catholiques tout trafic avec eux. Mais l'ap­pât de l'or eut plus d'empire que cette défense sur les marchands des contrées voisines: ils entretenaient avec la Bohême un échange actif de poudre et de balles, de vin, d'aromates, de sel et d'autres appro­visionnements de guerre ou de bouche, avec des croix, des missels, des calices, des cloches, et d'autres objets sacrés enlevés aux églises et aux monastères.  Martin frappa ces trafiquants d'anathème, pro­nonça la confiscation de leurs biens, les nota d'infamie, exposa leurs corps  à la  servitude, les soumit à toutes les peines  encourues par les ennemis de la foi et leurs sectateurs. A ce moment, au com­mencement de 1426, Jean duc de Bavière prit la croix, et, à la prière de  l'empereur Sigismond,  le cardinal des Ursins fut envoyé à la cour de Pologne pour presser le roi de prendre part à la campa­gne projetée  contre  les  Hussites. Les  mêmes démarches furent renouvelées auprès du grand-duc de Lithuanie. Sur ces entrefaites, plusieurs engagements meurtriers avaient lieu près de la ville d'Aussig, assise sur la rive de  l'Elbe.  L'empereur avait chargé Frédé­ric, margrave de Misnie et landgrave de Thuringe, de réparer les fortifications de cette place, de la ravitailler et d'y établir une gar­nison suffisante. Ziska résolut d'empêcher ces opérations et courut mettre le siège devant la ville. Les catholiques accoururent à leur tour pour le contraindre à s'éloigner. La rencontre qui eut lieu à la lin de juillet 1526 fut terrible. La victoire,  longtemps douteuse, finit par demeurer à Ziska. Les pertes des croisés s'élevèrent au chiffre énorme de neuf mille morts, la plupart appartenant à la noblesse ; la seule Famille des seigneurs de Gokeritz perdit dans cette néfaste journée soixante-cinq de ses membres. Les hérétiques

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l. Cocx., Ilist. Hussil.  v.

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poussèrent l'ardeur du carnage jusqu'à la férocité : il n'y eut même pas de quartier pour ceux qui, jetant leurs armes, leur demandaient à genoux grâce de la vie. Aussig fut prise, livrée aux flammes et réduite en cendres, renversée de fond en comble 1.

 

   47. Fier de ce succès, Ziska se tourna contre les catholiques de Prague. Cette fois, la fortune se déclara contre lui : il fut défait et contraint de prendre la fuite. C'en était fait de lui, si le père de Georges Podiébrat, l'un de ses fanatiques séides, n'était accouru à son secours. Parvenu dans les gorges des montagnes, où ses adver­saires ne pouvaient déployer leurs bataillons, il fit arrêter le dra­peau, ramena ses troupes contre ceux qui le poursuivaient et les mit à son tour en pleine déroute. Bientôt, il fit de Prague l'objectif de ses opérations. Puis, par l'entremise de Jean Rokycsana, il con­clut la paix, avec les habitants de cette ville. Il fit alors avec son armée irruption en Lusace et mit cette province à feu et à sang. Au commencement de 1427, il continuait le siège de Lubana, dont les habitants lui oppoaient une héroïque résistance. Un jour, animés d'une noble audace, ils osent faire une sortie et fondent sur les assiégeants. Au premier choc, ils en font un grand carnage; mais bientôt les Hussites reforment leurs rangs, leur tiennent tête, puis, les repoussant vers la ville l’épée dans les reins, franchissent les portes avec eux. La place prise, les vainqueurs font un horrible massacre du reste de la population. Le premier pasteur de Lubana, pendant qu'on leur disputait les rues pied à pied et les maisons une à une, s'était tenu sur un lieu élevé, excitant d'une voix re­tentissante les fidèles à combattre jusqu'au dernier souffle, promet­tant le paradis à ceux qui mourraient en champions de Jésus-Christ ; il lut pris, attaché à quatre chevaux, lancés en sens divers, impi­toyablement écarlelé. Le clergé, les vieillards, les infirmes, les femmes, les jeunes filles, les enfants étaient demeurés en prières dans les églises ; surviennent les soldats de Ziska, qui saisissent  et

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1 .Es. Svlv., Hist. Bohem., 4t.Cocl., Rist. Russit., v. — IIerman. Corner., Ohron., anD. 112G. Herman Corner, auteur contemporain, appelle la ville d'Ausca « Vohzeuse oppidum, » château de Vohz. Quant à la ville même, comment ne pas y voir Aussig sur le cours de l'Elbe?

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massacrent tout ce peuple inoffensif, emplissent les temples de ca­davres, font couler le sang de tous côtés, incendient les temples, dé­truisent les monastères, violent les tombeaux, ajoutent à la mort la dérision et l'outrage. Après le sac et l'incendie de Lubana les hérétiques se ruent contre Goltberg et lui l'ont subir le même sort. Dix villes moraves entourées de murs furent ruinées de fond en comble pendant cette campagne de brigands 1.

 

48. Le zèle apostolique des deux cardinaux Jean Dominici et Branda n'avait pu vaincre l'obstination des Hussites ; Martin V, en 1427, résolut de confier cette importante mission à l'un des douze cardinaux qu'il venait de créer le 24 mai de l'année précédente. Voici les noms de ces cardinaux : Jean de Rochescisse archevêque de Rouen, Louis Alaman archevêque d'Arles, Henri de Beaufort évoque de Windchester, oncle du roi d'Angleterre, Jean de Prague évêque d'Olmutz, Antoine Casini évêque de Sienne, Nicolas Albergati évêque de Bologne, Raymond Marrosio évêque de Castro, An­toine Cervantes archidiacre de Séville, Ardicin de la Porte avocat consistorial, Hugues frère du roi de Chypre, Prosper Colonna, Ju­lien Cesarini, Dominique Ram évêque d'Herda et Dominique Capranica évêque désigné de Firmini2. Pour le choix du légat en Bohème, Martin V fut d'abord indécis entre Jean de Prague, à qui précisément son zèle contre les hérétiques avait mérité l'élévation au cardinalat, et Henri de Beaufort, qui pouvait, grâce à ses liens de parenté avec le roi d'Angleterre, obtenir la formation dans ce royaume d'une armée pour la soumission des Bohémiens. Cette dernière considération le décida: le 13 mars 1427, il investit le cardinal de Beaufort de l'autorité nécessaire. Se rendant aux ins­tances du Pape, le nouveau légat prit la croix et se rendit en Bel­gique. Aussitôt Martin V fit publier la croisade contre les Hussites ; il apprenait bientôt, par les évêques d'Herbipolis et de Bamberg et par le margrave de Brandebourg, que cette prédication obte­nait un grand succès. On forma trois corps d'armée : celui des Sa­xons aux ordres de leur duc ;  celui des Franconiens commandés

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1   Albert. Krantz., Wandal., xi, 0.

2   Fel. Conteloii., Eknch. card. — Sicox., de episç. Bonon., m.

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par le margrave de Brandebourg; et celui des Rhénans que con­duisait l'archevêque de Trêves. Ils pénétrèrent en Bohême sur trois points différents ; à travers les forêts, ils opérèrent leur jonc­tion et campèrent devant Mies, patrie de Jacobellus. Prichitz d'Elenot, que sa science et sa faconde rendaient un des plus redouta­bles lieutenants de Ziska, avait enlevé la nuit précédente cette ville aux mains des catholiques. Les croisés tinrent conseil et décidèrent qu'on reprendrait cette place avant d'aller plus avant. Sur ces en­trefaites, on annonce que les hérétiques, qui ont réuni toutes leurs forces, font irruption sur le camp. On croit à une surprise, la pani­que s'en mêle, et toute l'armée prend la fuite avant de les avoir même aperçus. Le cardinal de Beaufort, qui arrivait à ce moment pour se joindre à la croisade, la trouvait en pleine déroute du côté de Thacovie. Grand et douloureux fut son étonnement de voir que tant de chevaliers, tant de guerriers de renom n'avaient pu maî­triser un mouvement de panique; il essaya de changer cette dé­route honteuse en un retour offensif, auquel certainement eût souri la victoire. Vains efforts ! l'élan de la fuite avait acquis l'irrésisti­ble puissance des eaux débordées : le cardinal lui-même fut en­traîné, sans qu'on eût voulu l'entendre, sous les premières futaies de la forêt. La tête de l'ennemi atteignait alors les traînards de la croisade et dès lors la fuite affolée des Teutons ne s'arrêta qu'après que les Hussites, las de tuer et de poursuivre, se furent d'eux-mêmes repliés vers leur pays1.

 

   19. Effrayés de ce lamentable événement,  les habitants de Pilnitz, qui étaient jusqu'à ce jour demeurés fermes dans l'orthodoxie, consentirent à la réunion d'un congrès de docteurs dans lequel se­raient discutées les questions de dogme que les Hussites mettaient en controverse. Cette convention de Pilnitz prouvait la nécessité d'une nouvelle intervention armée aussi prochaine que possible, pour relever les esprits abattus des orthodoxes. L'organisation d'une croisade générale ne pouvant se faire cette année, Martin V fit procéder contre la Bohême par irruptions fréquentes et succes-

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1 .F.s. Sylv., Hist. Bohem., 44.

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sives. Bien que souvent vainqueurs, les hérétiques continuellement harcelés sentirent leurs forces s'épuiser dans ces luttes de détail, qui avaient fini par leur coûter plus de monde peut-être qu'ils n'en auraient perdu dans une grande défaite. Pour se soustraire à cette guerre périlleuse et meurtrière, ils manifestèrent des velléités de conversion; Sigismond Koribut fit auprès du Saint-Siège les ouver­tures nécessaires. Cette démarche du neveu du roi de Pologne et du grand duc de Lithuanie inspira des craintes à l'empereur, mal­gré les assurances que lui donna le Pape. Il intrigua de son côté pour amener un rapprochement avec Ziska, prince des Thaborites, de qui dépendait évidemment la solution de la question de Bohème. Il lui fit promettre le gouvernement de tout le royaume, la direc­tion des armées et des émoluments annuels considérables, à la con­dition qu'il le reconnaîtrait pour roi et lui obtiendrait le serment de fidélité des villes. Ziska, ébloui de cette grande fortune, lui de naissance obscure, aveugle, vieux et cassé, s'empressa d'accepter de telles offres. Mais, comme il se rendait auprès de Sigismond pour signer le traité, la peste l'atteignit ; il mourut en route, au châ­teau de Priscov. Un trait qui montrera l'énergie indomptable de ce caractère de fer : il ordonna qu'après sa mort on jetât ses chairs en pâture aux oiseaux de proie, après qu'on aurait ôté sa peau, pour la tanner et en faire un tambour, qui devait servir à mener ses coreligionnaires à la victoire contre les catholiques. Nous n'i­gnorons pas que plusieurs historiens ont traité ce fait de pure lé­gende ; mais ce dédain ne saurait prévaloir, à nos yeux, contre les documents qui le mentionnent et la tradition qui le maintient. La minorité des Thaborites lui donna Procope pour successeur : mais le plus grand nombre jugea que nul n'était digne de le remplacer et forma une secte acéphale qui prit le nom d'Orphelins1.

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