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2. « Léon, sicilien d'origine1, dit le Liber Pontificalis, était fils de Paul. Il siégea dix mois et dix-sept jours. On admirait en lui l'éloquence, la science des divines Écritures, une connaissance approfondie des langues grecque et latine, une merveilleuse aptitude au chant et à la psalmodie dont il possédait toutes les règles. Il avait, en qualité de scolastique et par une longue habitude de l'enseignement2, acquis l'élégance de la parole et la perfection du style. Ses exhortations aux bonnes œuvres n'en avaient que plus d'efficacité : il était à la fois un guide excellent dans le chemin de la science et dans celui de la vertu. Il se montrait surtout l'ami des pauvres, auxquels il prodiguait, avec les secours spirituels de la piété, toutes les ressources temporelles que son labeur personnel lui procurait. Ce pontife reçut le décret dogmatique écrit en grec du VIe concile œcuménique, récemment célébré avec la grâce de Dieu à Constantinople, à la requête et en présence du grand prince Constantin, dans la salle du dôme au palais impérial. Les légats du siège apostolique, deux patriarches, celui, de Constantinople et celui d'Antioche, y assistaient avec cent-cinquante évêques. Là furent condamnés Cyrus, Sergius, Honorius, Pyrrhus, Paul et Pierre, ainsi que Macaire avec son disciple Etienne, et Polychrone, nouveau Simon, lesquels ont dit ou enseigné, professé ou professent encore une seule volonté et une seule opération en Jésus-Christ. Au contraire le décret du concile, fidèlement traduit du grec en latin, déclare qu'il y a dans la personne du Christ notre Dieu et Sauveur deux volontés et deux opérations. Les hérétiques opiniâtres qui refusèrent d'abjurer l'erreur furent enfermés dans dif-
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1 Ainsi que nous l'avons déjà fait observer, on donnait alors le nom de Sicile à la province de Calabre. C'est dans ce sens qu'il faut entendre le natione siculus du Liber Pontificalis. Une tradition autorisée et constante fait naître saint Léon II à Rhegium, aujourd'hui Reggio. Cf. Thom. Aceti, ad Libr. Pontifie, adnotat. ; Pair. lat., tom. CXXV1II, col. 855. B.
2. Lingua quoque scholasticus eloquendi mojori lectione polita. Nous croyons qu'ici la qualité de scholasticus, donnée à saint Léon II, se rapporte au professorat qu'il avait exercé dans l'école cléricale fondée par saint Grégoire le Grand. On sait que, dans le latin du moyen âge, lector était synonyme de professeur, et lectio d'un cours public d'enseignement.
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férents monastères. Le très-saint pape Léon eut la joie de recevoir l'abjuration du prêtre Anastase et du diacre Leontius qui, le jour de la Tbéophanie (fête de l'Epiphanie, 6 janvier 683), remirent entre ses mains une profession de foi écrite conforme au décret du saint concile, anathématisant tous les monothélites et nommément ceux que le concile ou le siège apostolique a frappés d'anathème ; omnes hœreticos, sed et suprascriptos viros complices, quos sancta synodus vel sedes apostolica anathematisavit. Anastase et Leontius avaient été envoyés de Constantinople en cette ville de Rome avec Macaire et d'autres hérétiques byzantins. — Sous le pontificat de Léon, un édit du très-clément empereur rétablit pour les archevêques de Ravenne l'obligation traditionnelle de venir se faire ordonner à Rome. Le pape rendit, à cette occasion, un décret dont l'original est conservé aux archives de l'église romaine. Il y est stipulé que l'archevêque ainsi ordonné ne pourra être contraint, en vertu d'aucune prétendue coutume, à payer de taxe soit pour l'usage du pallium, soit pour l'exercice des autres fonctions ecclésiastiques. On ne devra plus faire mémoire de l'archevêque Maurus, auteur du schisme de Ravenne; enfin le type, ou édit de l'empereur Constant II, obtenu par le prélat schismatique pour sanctionner l'indépendance de son siège (typum autocephaliœ), fut remis en exemplaire original aux mains du pape, afin qu'à l'avenir il ne pût occasionner de nouveaux scandales. —Léon fit construire à Rome, près de Sainte-Bibiane 1, une église qu'il dédia sous le titre du bienheureux Paul apôtre ; il y déposa le corps des saints Simplicius, Faustin, Béatrix 2 et autres martyrs. C'est également par
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1 Nous avons, au tom. X de cette Histoire, pag. 148, relaté le martyre de sainte Bibiane sous le règne de Julien l'Apostat. Une église fut élevée en son honneur, dans les dernières années du Ve siècle, par une noble patricienne nommée Olympia, et consacrée par le pape Simplicius. (Cf. tom. XIII de cette Histoire, pag. 378.) Restaurée au XIIIe siècle par Honorius III, et au XVIIe par Urbain VIII sur les dessins du cavalier Bernin, l'église de sainte Bibiane subsiste encore non loin de la porte San-Lorenzo.
2. On lit au martyrologe romain, sous la date du 29 juillet, la mention suivante : Romœvia Portuensi sanctorum martyrum Simplicii, Faustini et Beatricis, temporibus Diocletiani imperatoris : quorum duo primi post multa et diversa
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l'ordre de ce vénérable pontife que fut élevée, près du Vélum aureum, l'église dédiée au bienheureux Sébastien et au martyr saint Georges 1. De son temps eut lieu la fameuse éclipse de lune, le 46 avril de l'indiction Xe (683). Elle dura presque tout la nuit de la cène du Seigneur (Jeudi saint). L'astre semblait tout couvert de sang. Ce ne fut qu'au chant du coq qu'il commença à s'éclaircir et à reprendre peu à peu son aspect habituel2. —En une ordination, le 27 juin (682), Léon imposa les mains à neuf prêtres, trois diacres, et vingt-trois évêques destinés à diverses églises. Il fut enseveli à Saint-Pierre le IV des calendes de juillet (27 juin 683). Après lui, le siège demeura vacant onze mois et vingt-deux jours. Le très-saint homme avait été sacré par les trois évoques André d'Ostie, Jean de Porto, et Placentinus de Veliternum, ce dernier suppléant de l'église d'Albano dont le siège était alors vacant3. »
3. Ces dernières paroles établissent l'antiquité du privilège traditionnellement dévolu aux évêques suburbicaires d'Ostie, de Porto et d'Albano qui, de nos jours encore, président aux cérémonies du sacre ou de l'installation des papes. A un autre point de vue, la mention est intéressante, parce qu'elle replace sous nos yeux un personnage avec lequel nous avons déjà fait connaissance, Jean de Porto, l'un des évêques représentants du synode romain au VIe concile général. La députation italienne était donc de retour de Constantinople à la date du 17 août 682, puisqu'un de ses membres figurait comme officiant au sacre du nouveau pontife. Les moindres détails historiques, sur chacun de ces personnages qui avaient vu
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supplicia jussi sunt capitalem subire sententiam : Beatrix vero eorum soror in confessione Chrisii prcefocata est in carcere.
1 Telle est l'origine du titre cardinalice encore existant de Saint-Georges-in velabro. On sait que saint Georges, tribun militaire dans les armées de Dioclétien, fut martyrisé durant la Xe persécution générale. Le 23 avril, jour de sa fête, on expose dans la basilique la lance et l'étendard de soie rouge du généreux soldat mort pour la foi de Jésus-Christ.
2. L'art de vérifier les dates, mentionne cette éclipse comme totale, à la date indiquée par le Liber Pontificalis.
3. Liber Pontifical., Notit. lxxxii; Pair, lat., tom. CXXV1II, col. 847.
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de si près les intrigues byzantines, ont une importance considérable. Ainsi la mention de l'évêgue de Porto, faite incidemment par le Liber Pontificalis, établit d'une manière certaine la vraie chronologie du pontificat de saint Léon II : elle fixe irrévocablement à l'année 682 le sacre de ce pontife. Une autre notice du Liber Pontificalis, celle du pape Jean V, que nous aurons bientôt à reproduire intégralement, nous apporte sur le fond même de la question un rayon de lumière que nous voulons fixer d'avance. Voici comme elle s'exprime : «N'étant encore que diacre, Jean fut envoyé par le pontife Agathon de sainte mémoire auVIe concile général, avec le titre de représentant du siège apostolique. Après le concile, ayant enfin été relâché par le très-clément prince, expleta autem, exinde a clementissimo principe relaxatus, il revint à Rome, et son retour causa une grande joie à l’Église )magnum gaudium Ecclesiœ secum intulit; il était en effet porteur du décret synodique du VIe concile général et de l'édit de l'empereur, condamnant tous deux le monotbélisme 1. » Si le lecteur veut bien se reporter par le souvenir à l'indication du patriarche d'Alexandrie, Eutychius, lequel nous a appris que les trois légats du saint-siége avaient été, dans le cours du VIe concile œcuménique, rejetés par les byzantins, rejectis tribus diaconis a patriarcha Romano missis, il comprendra le véritable sens du mot relaxatus employé ici. Il devinera facilement les terribles anxiétés qu'un pareil traitement infligé aux légats dut causer à Rome, et la joie universelle quand on les vit enfin «relâchés par le très-clément empereur, » et apportant à leur retour avec la condamnation synodique du monothélisme l'édit impérial de confirmation.
4. Dès le lendemain de son sacre, le nouveau pape se trouva donc en présence de la plus grosse question à résoudre. Confirmerait-il purement et simplement le décret de foi du VIe concile général, ou lui refuserait-il la sanction apostolique ? Dans le premier cas, celui d'une confirmation pure et simple, il couvrait de son autorité pontificale des irrégularités monstrueuses, la séquestration des légats,
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1 Lib. Pontifie, Notit. LXXXIV, Joannes v; Pair, lat., tom. CXXVIII, col. 875.
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les décisions contradictoires de séances acéphales où l'inconséquence le disputait au ridicule. Par-dessus tout, il sanctionnait la condamnation comme hérétique d'un pape, et d'un pape tel qu'Honorius, dont la mémoire vénérée en Occident avait été déclarée irréprochable par saint Agathon et par les cent vingt-cinq évêques du synode de Latran. Dans le second cas, s'il refusait absolument sa ratification, tout était à recommencer; le schisme si heureusement terminé reprenait avec une ardeur nouvelle ; Pogonat, dont les dispositions bienveillantes avaient seules triomphé des préjugés monothélites de l'épiscopat oriental, devenait à son tour un implacable ennemi; les persécutions sanglantes pouvaient renaître, comme au temps des martyrs de l'orthodoxie saint Martin I et saint Maxime. Dans cette perplexité, le pontife sut, avec une admirable sagesse et une prudence inspirée par l'Esprit de Dieu, trouver un tempérament qui sauvegardait tous les droits de l'orthodoxie et ménageait l'honneur du saint-siége sans réveiller les susceptibilités byzantines. Ce sera l'éternel honneur de saint Léon II d'avoir, en dix mois de pontificat, accompli cette grande œuvre, dont nous allons retracer pas à pas le développement.
5. Les légats, à leur retour de Constantinople au mois de juin 682, étaient porteurs de cinq documents officiels dont nous connaissons déjà les trois premiers, savoir : le décret de foi promulgué dans la session XVIIIe et finale, la lettre synodique au défunt pape saint Agathon, l'édit impérial confirmant et adoptant comme loi de l'État la condamnation du monothélisme. Dans ces trois documents, le nom d'Honorius était inscrit parmi les fauteurs ou inventeurs du monothélisme fautores au adinventores, mais avec des nuances diverses dont nous avons déjà pris note. Outre ces trois premières pièces, les légats étaient chargés de remettre à saint Léon II une lettre individuelle de Constantin Pogonat. Enfin, une autre lettre était adressée par ce prince au synode romain, en réponse à celle qui lui avait été collectivement transmise par les cent vingt-cinq évêques réunis au concile de Rome sous la présidence du dernier pape. Dans ces deux nouveaux documents, le nom d'Honorius était complètement passé sous silence : il ne s'y trouvait pas prononcé une
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seule fois. Dans le message « au très-saint et très-bienheureux Léon archevêque de l'antique Rome et pape oecuménique, » l'empereur commence par s'applaudir du rétablissement de la concorde entre les deux églises grecque et latine. Il rappelle ses constants efforts pour obtenir une paix tant désirée, pour éteindre un schisme «qui nous rendait, dit-il, la fable et la risée des infidèles. » Dans ce but il s'était adressé au pape Agathon « dont la mémoire est aujourd'hui avec les saints; » il l'avait prié de se faire représenter par des légats à une assemblée conciliaire des évêques d'Orient où la foi orthodoxe devrait être définie. Le très-bienheureux Agathon y avait consenti, et ses légats se rendirent en effet à Constantinople. Ici la lettre impériale fait l'énumération des légats du saint-siége, dans un ordre absolument faux. Ce passage, que nous n'avons vu signalé nulle part, mérite toute l'attention du lecteur. « Le rescrit d'Agathon de sainte mémoire, dit Pogonat, fut remis à notre puissance par les personnages chargés d'être près du concile ses vicaires, savoir : les très-saints évêques Abundantius(de Paterno), Jean (de Rhegium) et Jean (de Porto), ensuite les révérends prêtres Théodore et Georges, le révérend archidiacre Jean, le vénérable sous-diacre Constantin, et le révérend Théodore prêtre de l'église de Ravenne1. » Ainsi parle l'empereur; il se trompe ou il ment. Les trois évêques de Paterno, de Rhegium et de Porto n'étaient point légats du saint-siége; ils étaient délégués du synode romain. Les vrais légats apostoliques avaient été choisis exclusivement par saint Agathon dans l'ordre inférieur de la cléricature, afin qu'on ne pût se méprendre sur leur qualité exceptionnelle. C'étaient les deux prêtres Théodore et Georges avec l'archidiacre Jean, celui qui fut plus tard le pape Jean Ve du nom. Le sous-diacre Constantin leur avait été adjoint comme secrétaire, et n'était nullement revêtu des pouvoirs de légat. Pourquoi l'empereur, dans sa lettre à Léon II, renverse-t-il un ordre que tous les procès-verbaux du VIe concile œcuménique avaient respecté ? Pourquoi les prêtres Théodore et Georges, avec le sous-diacre Jean, invariablement nommés les
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1 Léon II, Epist. l, Constantin, ad papam ; Pair, lat., tom. XÇVI, col. 390. D.
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premiers comme légats du saint-siége dans la liste officielle des séances même acéphales du VIe concile œcuménique, passent-ils au second rang dans la lettre impériale, et sont-ils primés par trois évêques qui ne furent jamais légats de la chaire apostolique? Il n'y a pas d'autre raison possible à donner de cette étrange interversion, que le tribus rejectis diaconis a patriarcha Romano missis des Annales d'Eutychius, corroboré par le relaxatus de la notice de Jean V au Liber Pontificalis. La vérité se fait ainsi jour de toutes parts, dans une question si longtemps obscurcie par l'esprit de système et de parti-pris. II devenait nécessaire, après un fait matériel aussi caractérisé, de racheter ce mauvais cas par une retentissante protestation de dévouement au saint-siége. L'empereur n'y manqua point. « Dès que les légats eurent remis à notre sérénité la lettre d'Agathon, dit-il, nous la fîmes lire en présence de tout le concile : on reconnut unanimement en elle les caractères de la foi pure, intègre, immaculée. Mise en regard des textes de l'Évangile et des apôtres, comparée avec les définitions des conciles, avec les témoignages des saints pères, elle fut trouvée entièrement conforme à la notion véritable de la foi, sans aucune dissonnance. Des yeux de l'âme, nous contemplions le prince des apôtres, le pontife du premier siège, Pierre lui-même en la personne de son successeur; nous l'entendions divinement expliquer le mystère de l'Incarnation. Il semblait que, dans cette lettre, Pierre redit une seconde fois sa fameuse confession faite au Seigneur : « Vous êtes le Christ Fils du Dieu vivant 1. » Le Christ tout entier revivait pour nous dans la lettre sacrée du pontife ; nous ouvrions nos cœurs et nos bras, comme pour embrasser notre père. Seul, trompant l'espoir de son nom, Macaire (Maxâpios, étymologiquement felix, heureux), l'ex-patriarche d'Antioche aujourd'hui déposé, s'obstina avec quelques-uns de ses disciples à répudier la doctrine du saint-siége et se sépara ouvertement du concile. Sur la demande de ces hérétiques opiniâtres, nous les renvoyons à votre béatitude, remettant tout ce qui les concerne à son jugement paternel2. » L'empereur
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1 Matth., xvi, 16. — 2. Patr. lat., tom. XCVI, col. 390-391.
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terminait en priant Léon II d'envoyer au plus tôt à Constantinople des apocrisiaires porteurs de la ratification solennelle du concile, et chargés de représenter le saint-siége dans les affaires ecclésiastiques. La lettre adressée au synode romain reproduisait les mêmes idées sur le rétablissement de l'union entre les deux églises, sans aucun détail caractéristique 1. 6. Telles étaient les données écrites sur lesquelles saint Léon II avait à formuler une sentence. Les informations verbales ne lui manquaient pas, puisqu'il pouvait consulter les légats apostoliques relâchés enfin par la clémence de Pogonat, et les hérétiques byzantins Macaire et Etienne, Constantin et Leontius. Ces deux derniers, ainsi que le Liber Pontificalis nous l'a déjà appris, firent leur abjuration solennelle entre les mains du pape, le jour de l'Epiphanie (683). Macaire et l'archimandrite Etienne, son disciple, ne se soumirent jamais. Léon II mourut sans avoir pu fléchir leur obstination. Son successeur Benoit II ne réussit pas davantage. Macaire et Etienne terminèrent leur vie dans l'impénitence finale. Ce fait nous est attesté par un témoignage irréfragable. Lors du VIIe concile œcuménique, tenu à Nicée sous le pontificat d'Adrien I (787), l'un des légats du saint-siége, le diacre Pierre, s'exprimait ainsi : « L'hérétique Macaire, déposé par le VIe concile général, avait été envoyé en exil à Rome. Longtemps il s'obstina dans son erreur. Enfin le vénérable pape Benoit II, de sainte mémoire, lui fixa un terme de quarante jours, après lequel il devrait se déterminer d'une manière définitive. Durant cet intervalle, le bienheureux pape envoya chaque jour l'un de ses théologiens, Bonifacius, pour conférer avec le patriarche et mettre sous ses yeux les textes des divines Écritures confirmant la vérité du dogme catholique. Macaire ne consentit jamais à se rétracter : tous les efforts pour le convertir échouèrent l'un après l'autre 2.» Certes nul plus que nous ne déplore l'aveuglement de cet hérésiarque, mais au point de vue particulier qui nous occupe, son obstination est une garan-
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1 Léon II, Epùt. il, Constantin, ad synod. roman.; Patr. lat., tom. XCVI, col. 394-400. —
2. Labbe, Concil., tom. VII, col. 82.
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tie de plus en faveur des renseignements qu'il put fournir au pape saint Léon II. Le récit des légats avait sa contre-partie et une sorte de contrôle perpétuel dans celui que les hérétiques byzantins, exilés à Rome, pouvaient présenter sur les mêmes événements. Saint Léon II fut donc aussi complètement renseigné que possible. II est certain qu'il n'eut pas sous les yeux le texte intégral des actes, cet énorme volume dont nous avons analysé la substance ; lui-même le déclarera bientôt, mais il en connut très-certainement les principaux détails. La ratification pontificale ne fut point donnée à ces actes, et c'est là une circonstance essentielle qu'il importe de mettre en pleine lumière.
7. Dans la récente discussion dont Honorius fut l'objet, à l'époque du concile du Vatican, tous les pamphlétaires sans exception raisonnaient de la manière suivante : On lit dans les actes du VIe concile œcuménique, session XVIe Anathema Honorio hœretico1. On lit dans la session XIIIe : « Nous avons anathématisé Honorius, jadis pape de l'ancienne Rome, parce que nous avons reconnu dans ses lettres à Sergius qu'il a suivi en toute chose la même doctrine et qu'il a confirmé tous ses dogmes impies2. » Or, les actes du VIe concile œcuménique ont été intégralement, absolument, universellement sanctionnés par les papes. Donc Honorius a été, est, demeure et restera jusqu'à la fin des siècles hérétique déclaré, notoire, flétri, anathématisé, rejeté de la communion de l'Église, effacé des diptyques, etc. Donc subsidiairement le pape n'est pas, n'a jamais été, ne peut pas être, ne sera jamais le docteur infaillible de la foi orthodoxe, le dépositaire fidèle, toujours inerrant, de la vérité révélée et de la morale chrétienne. — Telle était l'objection dans toute sa force, car nous n'en retranchons rien, et pour ne pas encourir le reproche d'une dissimulation quelconque, nous nous empressons d'ajouter qu'en vertu des lois canoniques mal à propos invoquées, on rappelait que les défenseurs d'Honorius encouraient ipso facto l'excommunication latœ sentenliœ depuis longtemps ins-
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1 Labbe, Concil., tom. VI, col. 1009.
2. Labbe, Concil., tom. VI, col. 914. Trad. du P. Gratry. Première lettre à Msr Decharnps. Paris, Douniol et Lecoffre, 1870, in-18, pag. 15.
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crite au droit canon contre tous les fauteurs de l'hérésie 1. Nos modernes Polychrone ne proposaient point au public le spectacle de la résurrection d'un mort ; ils réussirent cependant, au pied de la lettre, à galvaniser des milliers d'intelligences d'ordinaire indifférentes aux choses de l'Église, en les passionnant contre la mémoire d'Honorius depuis si longtemps oubliée, et contre le vicaire de Jésus-Christ si obstinément persécuté de nos jours. Leur procédé fut purement académique : il consistait en un syllogisme, un seul ; mais ce syllogisme fort simple, obtenu sans beaucoup d'érudition ni de lecture, à très-peu de frais, emportait tout : il triompha d'un bout de l'Europe à l'autre, des rives de la Seine aux bords de la Tamise, du Borysthène au Dnieper et au Volga. La majeure historiquement défiait la négation la plus audacieuse. Incontestablement les pères de Constantinople, dans leur session XVIe, ont prononcé cette acclamation si flatteuse pour des oreilles indépendantes : Anathema Honorio hœretico. Nous l'avons nous-même enregistrée soigneusement à sa date. Incontestablement les mêmes pères, dans la xXIIIe session, ont déclaré qu'ils « anathématisaient Honorius jadis pape de l'ancienne Rome, parce qu'ils reconnaissaient dans ses lettres à Sergius que ce pape avait suivi en toutes choses la même doctrine, et qu'il avait confirmé tous ses dogmes impies. » La majeure donc ne pouvait même pas se discuter. La mineure ne paraissait pas moins invulnérable. Le VIe concile général n'est-il pas œcuménique? demandaient ces athlètes du syllogisme. Dès que vous lui donnez le titre de concile général, vous le reconnaissez pour œcuménique. « A moins de rejeter le VIe concile, écrivaient-ils encore, il faut dire qu'Honorius est condamné comme hérétique2. » On nous pardonnera d'insister sur cette controverse naguère si retentissante, maintenant couverte par un désaveu formel, par une rétractation aussi glorieuse que consolante. Nous écrivons pour mettre en relief la vérité telle que nous croyons la comprendre, telle que nous la cherchons humblement par une étude obstinée et d'incessants labeurs. Jamais un sentiment d'aigreur contre les per-
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1 Gratry, Première lettre à Mgr Bechamps, pag. 11. — 2. Id., ibid., pag. 21.
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sonnes n'envenimera notre pensée ni notre plume, jamais non plus les considérations personnelles ne nous feront trahir ou taire la vérité. Suivant la belle expression d'un père des premiers siècles, nous redirons sans cesse que l'Église catholique, apostolique, romaine ne demande qu'une chose, la lumière : elle ne réclame des hommes qu'un seul privilège, celui d'être connue.
8. Mais encore faut-il se donner la peine de la connaître. A première vue donc, les auteurs du fameux syllogisme auraient dû se défier de sa simplicité même. Un argument de ce genre, si peu compliqué qu'un enfant le saisirait au vol, si péremptoire que toute âme raisonnable est contrainte de lui donner son adhésion, ne pouvait pas avoir échappé durant douze siècles à la sagacité des docteurs, des pères de l'Église, des théologiens, des canonistes, des conciles œcuméniques. En fait de théologie, on n'invente rien ; en fait de dogmes, il n'y a point de découvertes. L'Église est une société surnaturelle qui vit du dépôt de la foi apportée au monde par Jésus-Christ. Ce dépôt est aujourd'hui ce qu'il était au Cénacle. Chaque point du symbole a été tour à tour et sera jusqu'à la fin des siècles, avec l'assistance de l'Esprit-Saint, défini, élucidé, fixé ; mais les plus grands génies n'y trouveront que ce qui dès le principe y repose en germe. Et voilà précisément la plus grande, la plus saisissante, la plus admirable preuve de la divinité de notre foi catholique. Les plus hautes intelligences s'épuiseront à l'étudier sans en pénétrer jamais toutes les profondeurs ; les plus superbes talents s'useront à la combattre sans pouvoir détacher un seul grain de ce bloc éternel. Le syllogisme moderne eut donc le sort de Polychrone aux bains de Zeuxippe. Il échoua complètement. Par où péchait-il ? Par la mineure. Les actes du VIe concile œcuménique n'ont jamais été approuvés par le saint-siége. L'histoire y découvre jusqu'à six sessions notoirement acéphales, depuis la XIIe jusqu'à la XVIIe inclusivement. L'approbation du saint-siége ne fut donnée uniquement qu'au décret de foi, avec les réserves dont nous parlerons bientôt. Quant aux textes de la XIIIe eet de la XVI session, toutes deux acéphales, ils n'ont canoniquement, théologiquement aucune valeur. Pour prévenir, en cas d'éventualité
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désormais improbable, le retour de pareilles méprises, disons une fois pour toutes que, dans les actes d'un concile œcuménique, le décret de foi ou les canons sont seuls et exclusivement la règle absolue, obligatoire pour la conscience. Tous les théologiens savent cela ; les auteurs du fameux syllogisme ne l'ignoraient pas eux-mêmes. Hélas ! pourquoi se sont-ils joués de la crédulité publique en semant comme un poison sur le monde leurs aniles fabulas, leurs aphorismes de salon à l'usage des ignorants, des dupes, des opposants de tout âge et de tout sexe?