Darras tome 15 p. 498
§ VII. Correspondance d’Honorius avec le patriarche Sergius.
52.Telles furent les premières relations officielles d'IIonorius avec l'Orient. Elles sont assez honorables pour qu'on puisse s'étonner que la plupart des historiens les aient passées sous silence. Celles qui vont suivre ont été au contraire minutieusement étudiées, soit par les adversaires, soit par les défenseurs de ce pape. A notre tour nous essaierons de les faire connaître, sans autre parti pris que celui de démêler la vérité, et de la mettre dans tout son jour. Depuis l'an 629 jusqu'en 633, Héraclius ne revint plus à Constantinople. La nécessité de réparer les désastres causés en Syrie par la dernière guerre le retint dans cette province, où il séjourna successivement à Hiérapolis, à Emèse, à Damas et à Edesse. Son absence laissait à peu près la toute-puissance au patriarche Sergius dont nous avons vu la belle conduite dans les derniers événements. Jusque-là, nul n'avait élevé l'ombre d'un soupçon sur la foi du patriarche, sur sa probité, sur sa vertu. En communion avec l'église romaine, il passait pour le plus orthodoxe des évêques qui se fussent, depuis deux siècles, assis sur le siège de Byzance, et peut-être l'était-il encore réellement, car, suivant la remarque de Baronius, les soubresauts de son caractère le portaient rapidement d'un extrême à l'autre, et admettaient la possibilité des plus étranges
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1 Constant. I'orphyrogen, De administrant!. Imper.; Pair, rjrœc, toin. CX1II, col. 283.
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contrastes. Il en fournit bientôt une preuve d'un genre tout à fait inattendu. Sa réputation d'intégrité jusqu'alors irréprochable, fit place à des accusations formelles de péculat. On prétendait qu'abusant de son pouvoir à peu près illimité, il s'était frauduleusement approprié, et avait, pour nous servir de l'expression même de Suidas, « entièrement dévoré » les richesses sans nombre, or, argent, pierreries, expédiées par Héraclius à Constantinople. Ce sont là des griefs, que la malignité publique prodigue souvent à la légère aux hommes les plus intègres : il serait impossible aujourd'hui de contrôler ceux dont le patriarche de Constantinople fut l'objet. En tout cas, ils ne s'étaient point encore produits en 634, lorsque Sergius adressa au pape la lettre suivante 1 :
62. I. « Nous sommes si étroitement uni à votre sainteté, par liens de l'unité, que nous désirons et recherchons avec ardeur l'aide de vos conseils pour tous les actes de notre ministère. Si nous n'étions empêché par une aussi grande distance, tous les jours nous nous fortifierions par la sagesse solide et sûre de votre très-vénérable fraternité. Aujourd'hui que nous pouvons facilement atteindre l'objet de nos vœux par la voie de la correspondance, nous vous exposerons d'abord le but spécial de cette lettre.
II. « Lorsque, à une époque récente encore, notre grand, puissant et illustre empereur, que Dieu protège, allant attaquer les Perses, pour l'avantage de l'empire chrétien confié à sa garde, arriva en Arménie, Paul, un des chefs de la faction dirigée par l'exécrable et impie Sévère, s'approcha du pieux souverain et lui parla de l'hérésie dominante, en prenant la défense de Sévère. Cet empereur, d'un grand et religieux esprit, à qui Dieu a daigné accorder, entre autres dons, une ample science des dogmes chrétiens, réfuta et confondit la perverse impiété de Paul, opposant à ses détestables artifices la doctrine droite et pure dont il est le vrai défenseur.
III. « Dans cet entretien sur les dogmes de l'Eglise, il toucha la
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1 Nous empruntons cette traduction fort exacte des lettres de Sergius et d’Honorius, à l'ouvrage de MM. Lotli et Weil, intitulé : La cause d'Honorius, Documents originaux, in-i", Paris, Palmé. 1870.
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question d'une seule opération dans le Christ notre Seigneur. Quelque temps après, notre empereur, protégé de Dieu, étant dans le pays des Lazes et s'entretenant avec le très-saint et vénérable Cyrus, alors métropolitain de cette contrée, et actuellement pasteur du troupeau de la grande Alexandrie, lui fit part de la conférence qu'il avait eue avec l'hérétique Paul. Le saint évêque lui répondit à ce propos qu'il ne savait pas exactement s'il fallait soutenir une ou deux opérations dans le Christ notre vrai Dieu. C'est pourquoi, sur l'ordre du pieux empereur, le saint évêque nous adressa une lettre pour nous demander si l'on devait professer une seule ou deux opérations dans le Christ, et si, à notre connaissance, quelques-uns des saints pères ont parlé d'une seule opération.
« Nous lui avons répondu en lui faisant part de tout ce que nous savions à ce sujet, et nous lui avons communiqué notamment la lettre de Mennas, vénérable patriarche de cette ville impériale protégée de Dieu. Mennas avait adressé et envoyé cette lettre au saint pape Vigilius, votre prédécesseur, qui était alors à Constantinople. Dans cette lettre sont cités différents passages des pères sur une seule opération et volonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
«Dans notre réponse à Cyrus, nous n'avons rien ajouté de notre propre fond, ni manifesté en aucune sorte notre manière de voir, comme votre sainteté pourra s'en convaincre elle-même en prenant lecture de la copie que nous lui envoyons. Dès lors, on garda le silence sur cette importante question.
IV. «Mais naguère le saint patriarche de la grande ville d'Alexandrie, notre frère et collègue dans le saint ministère, Cyrus, poussé par la grâce et l'assistance de Dieu qui veut le salut de tous les hommes, et encouragé par le pieux zèle de notre puissant et sublime empereur, a exhorté, avec une religieuse modération, à se réunir à l'Eglise catholique ceux qui, dans la ville d'Alexandrie, partageaient les folles erreurs des ennemis de Dieu, tels qu'Eutychès, Dioscore, Sévère et Julien.
« Après de nombreuses et pénibles conférences, conduites avec une intelligence parfaite et les plus sages ménagements, il réussit, avec le secours d'en haut, dans l'objet de ses vœux et de ses
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efforts. On s'accorda sur plusieurs points dogmatiques, à l'occasion desquels on s'était auparavant divisé en différents partis, qui tous invoquaient pour maîtres les impies Dioscore et Sévère. Dès ce moment, tous rentrèrent dans l'union avec la sainte Église catholique ; toute la population chrétienne d'Alexandrie est devenue un seul troupeau du Christ notre vrai Dieu, et avec elle l'Egypte presque toute entière, la Thébaïde, la Lybie et les autres provinces dépendantes de l'Egypte. Ainsi, tous ceux qui auparavant étaient partagés entre une foule d'innombrables hérésies ne sout plus maintenant, grâce à l'assistance divine et au pieux zèle du saint patriarche d'Alexandrie, que les membres d'un seul et même corps, confessant unanimement de cœur et de bouche la pure doctrine de l'Église. L'un des principaux points dont on était convenu, avait trait à une seule opération dans le Christ notre divin Sauveur.
V. « Les choses se passèrent ainsi. Le saint moine Sophronius, actuellement archevêque de Jérusalem (c'est du moins ce que nous avons entendu dire, car nous n'avons pas encore reçu de lui les lettres synodiques d'usage), se trouvait à Alexandrie, auprès du saint patriarche Cyrus, au moment où celui-ci venait, d'une manière si merveilleuse et avec le secours de Dieu, de faire rentrer les hérétiques dans l'unité de croyance. Après avoir conféré ensemble sur les articles en question, Sophronius combattit celui qui se rapportait à l'unité d'opération, et soutint qu'on devait absolument admettre comme un dogme deux opérations dans le Christ notre Dieu. Le patriarche lui objecta que plusieurs pères, en divers passages de leurs écrits, parlent d'une seule opération. Il ajouta que souvent, pour gagner plus d'âmes à Dieu, les pères eux-mêmes ont (avoir) usé de pieux ménagements et de certaines condescendances sur des questions semblables, sans toutefois s'écarter en rien de la véritable doctrine de l'Église. De même, dans la conjoncture actuelle, où il s'agit du salut de tant de milliers d'âmes, il ne fallait pas maintenir la division des esprits au sujet d'une expression employée par quelques pères, et qui d'ailleurs ne blesse pas l'orthodoxie. Sophronius repoussa ces ménagements.
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VI. « S'étant rendu ensuite pour cette affaire à Constantinople, avec une lettre de notre très-saint confrère, il traita aussi avec nous la question pendante, et demanda énergiquement que le terme d'une seule opération fût rayé des articles. Cette réclamation nous parut trop sévère. Ne l'était-elle pas en effet, en présence de cette union admirable établie dans la ville d'Alexandrie et dans toutes les provinces soumises à l'Egypte qui, jusqu'à ce jour, n'avaient jamais pu souffrir ni le nom même de notre célèbre et divin père Léon, ni le souvenir du grand et saint concile œcuménique de Chalcédoine, tandis qu'à cette heure elles proclament d’une voix éclatante ce même concile dans la célébration des divins mystères ?
« Après un long entretien sur cette matière, nous avons enfin exigé du vénérable Sophronius qu'il nous montrât, dans les ouvrages des pères les plus célèbres, chez ceux que nous nommons nos maîtres dans la foi, et dont toutes les églises chrétiennes reconnaissent comme lois les enseignements, des passages affirmant d'une manière formelle et explicite deux volontés dans le Christ. Cette proposition le jeta dans un grand embarras.
VII. «
Pour nous, voyant que cette querelle inutile de mots commençait à s'étendre
chez quelques-uns de nos concitoyens, et sachant que ces sortes de discussions
engendrent toujours les discordes inhérentes à l'hérésie, nous avons cru
nécessaire d’employer tout notre zèle pour comprimer et étouffer le mal dans son germe. Nous avons
donc écrit au saint patriarche d'Alexandrie, lui recommandant de ne plus
permettre désormais à personne de parler d'une ni de deux opérations dans le
Christ notre Dieu, mais d'exiger qu'on s'en tînt à la croyance transmise parles saints conciles,
savoir que Jésus-Christ, fils unique de Dieu, opère et les
choses divines et les choses humaines, et qu'en lui, toute opération soit
divine soit humaine procède indivisément d'un seul et
même Verbe incarné, et ne doit être attribuée qu'à lui seul. On doit éviter le terme d'une seule opération, bien que cette expression soit employée par quelques pères, parce que sa nouveauté a pour plusieurs quelque chose d'étrange, et qu'elle jette le trouble
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dans les âmes en laissant présumer qu'elle supprime, ce qu'à Dieu ne plaise, les deux natures distinctes quoique unies hypostati-queincnt dans la personne de Jésus-Christ. D'un autre cûté, les mots « deux opérations » sont pour un grand nombre un sujet de scandale, parce qu'ils ne se trouvent chez aucun des divins et illustres docteurs de l'Eglise, et qu'on en déduirait nécessairement deux volontés contraires l'une à l'autre. Ainsi, le Verbe de Dieu aurait voulu accomplir le mystère de sa passion pour le salut des hommes, tandis que son humanité aurait combattu sa volonté divine ; or, ce serait admettre deux personnes d'une volonté contraire, ce qui serait une impiété. Il est impossible en effet qu'un seul et même sujet ait en même temps et sur le même objet deux volontés opposées. C'est l'enseignement des saints pères inspirés de Dieu, que la chair de Notre-Seigneur, intellectuellement animée, n'a jamais fait un acte naturel séparément, sans l'assentiment et le concours du Verbe hypostatiquement uni à l'humanité, mais qu'elle a toujours agi de la manière, selon la mesure, et dans le temps voulu par le Verbe divin.
« Pour me faire bien comprendre, de même que notre corps est dirigé, réglé, gouverné par notre âme intelligente et raisonnable; ainsi, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, toute son humanité était en toutes choses et toujours mue et dirigée par la volonté du Verbe. Telle est la doctrine de Grégoire de Nysse qui, dans son écrit contre Eunomius, dit : « En tant que Dieu, le Fils n'est sujet ni à la souffrance, ni à la mort; si l'Evangile lui attribue quelque souffrance, il la subissait par sa nature humaine capable de souffrir. Car sa divinité a vraiment opéré le salut de l'univers par le corps dont elle s'était revêtue, de manière que c'est la chair qui a souffert, mais c'est Dieu qui a opéré. »
VIII. « Voyant donc que cette querelle commençait à s'échauffer, nous avons cru nécessaire d'adopter en tout les expressions usitées par les saints pères, fixées par les conciles, et non les termes exceptionnellement employés par quelques-uns d'entre eux, sans intention de donner une définition décisive et dogmatique (ce qu'ils ont dit d'une seule opération est de ce genre) : et conséquemment aussi
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de ne pas employer l'expression inusitée chez les saints pères et mise en avant aujourd'hui de deux opérations. Enfin il fut convenu et décidé qu'à l'avenir le très-vénérable Sophronius ne parlerait plus du tout ni d'une seule ni de deux opérations, mais qu'il se contenterait de la tradition autorisée par les pères, et de leur enseignement sûr et reconnu. Or, ce très-saint homme agréa la décision, nous promit de s'y conformer, et nous pria de la lui donner aussi par écrit, afin de pouvoir la montrer, disait-il, à ceux qui ne manqueraient pas de le consulter sur cette question, ce que nous avons fait avec plaisir. Il s'embarqua ensuite et retourna on Palestine.
IX. « Sur ces entrefaites, notre très-pieux empereur, que Dieu protège, étant à Edesse, nous pria de faire transcrire à son usage les passages des pères contenus dans la lettre dogmatique du vénérable Mennas au très-saint pape Vigilius, sur la question d'une opération et d'une volonté, et de les envoyer à sa sérénité qui est profondément instruite dans les choses divines : ce que nous avons fait aussitôt. Toutefois, nous rappelant aussi les anciens débats et connaissant le trouble qui naissait déjà d'une telle agitation, nous avons adressé en même temps sur ce sujet un humble rapport à sa très-pieuse sérénité et une lettre à l'illustre secrétaire impérial i. Dans ces écrits, nous avons représenté toute la délicatesse de cette matière importante, sur laquelle il valait mieux ne pas susciter de controverse et s'en tenir à la doctrine avérée et unanimement professée des pères, que le Fils unique de Dieu, vraiment Dieu et homme tout ensemble, opère les choses divines et les choses humaines, et que du seul et même Verbe incarné, comme il est dit plus haut, procède sans division et sans séparation toute opération divine et humaine. C'est ce que le divin Léon nous enseigne par ces paroles : «Chaque nature opère, avec la participation de l'autre, ce qui lui est propre. »
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1 Cet « illustre secrétaire impérial » dont parle Sergius était alors Maxime, qui, cinq ans plus tard, révolté des intrigues monothélites, renonça au monde, entra dans le monastère de Chrysopolis, et sacrifia sa vie pour attester l'orthodoxie du pape Honorius et la vérité du dogme catholique.
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Sur quoi, nous avons reçu, en réponse, de sa très-puissante sérénité, un très-pieux rescrit digne d'elle.
X. « Les choses s'étant ainsi passées, nous avons cru bon et nécessaire de donner connaissance à votre fraternelle et universelle béatitude, de ce que nous venons de rapporter sommairement, en vous envoyant copie des pièces. Nous prions votre sainteté de les lire toutes, de suppléer par votre parfaite charité, très-agréable à Dieu, et avec la grâce d'en-haut, à ce qui pourrait y manquer, et de nous communiquer votre avis sur ce sujet, par une lettre accompagnée de votre bénédiction apostolique, si enviée par nous 1. »
53.De cette longue épître, nous n'avons pas voulu, au risque de fatiguer le lecteur, retrancher un seul mot. Elle est le point de dé- part d'une controverse tellement retentissante que l'écho s'en est prolongé depuis douze siècles jusqu'à nos jours, tellement passionnée que les ouvrages écrits pour et contre formeraient à eux seuls une vaste bibliothèque. Il faut donc non-seulement lire la lettre de Sergius, mais l'étudier avec soin, en peser les expressions, se faire une idée nette de ce qu'elle dit et de ce qu'elle ne dit pas : car les sous-entendus ont ici une valeur extrême. L'histoire nous fournira le moyen de les signaler; mais Honorius ne put en aucune façon soupçonner ces réticences. Le mémoire qu'il recevait, accompagné de pièces justificatives dont le patriarche avait soin de lui transmettre «copie 2, » avait toutes les apparences de la plus entière bonne foi. Le retour des sectes orientales à l'unité catholique était un événement de nature à réjouir le cœur du pontife qui venait déjà de conquérir à la foi chrétienne les païens de la Croatie, ceux de l'Irlande, de la Grande-Bretagne, des Ardennes et des Gaules septentrionales. Un si heureux succès était présenté comme le fruit de la piété d'Héraclius. Le vainqueur des Perses venait de triompher d'une obstination plus persévérante que celle de Chosroès lui-même, et d'abattre aux pieds de la croix l'orgueil
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1. Labbc, Cûllect. Concilior., tom. VI, col. 918-928. — 2 § x de la lettre rie Sereins.
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de l'hérésie. Pour obtenir un si grand résultat, aucune atteinte n'avait été portée aux définitions dogmatiques des conciles et des papes. Seulement, le zèle exagéré d'un pieux moine, Sophronius, récemment promu au siège de Jérusalem, avait failli tout compromettre. Il avait soulevé une discussion nouvelle à propos des opergeiai opérations en Jésus-Christ ; mais enfin, cédant aux conseils de la prudence et de la sagesse, il avait reconnu l'inopportunité d'un pareil débat. Renonçant donc à le prolonger, il avait promis à Sergius de ne plus articuler même le nom de une ou de deux opérations. L'empereur lui-même, dans son zèle pour la foi, avait paru désireux d'obtenir des renseignements positifs sur le fond même de la question. Il écrivait d'Edesse à Sergius, lui demandant de recueillir à ce sujet « les passages des pères contenus dans la lettre de Mennas au très-saint pape Vigilius; » mais Sergius lui avait « humblement répondu » qu'en s'engageant dans cette voie, on allait se replonger dans les troubles que l'eutychianisme et le nestorianisme avaient jadis excités. Il fallait donc écarter ces dangereuses controverses, et s'en tenir à la parole du divin Léon : « Chaque nature opère, avec la participation de l'autre, ce qui lui est propre. » Quant à décider qu'on dût dogmatiquement dire une ou deux opérations, Sergius ne le voulait pas faire. Il s'était refusé sur ce point à donner une solution et «à manifester en aucune sorte sa manière de voir, » ainsi que le pape pouvait s'en convaincre par la lecture des pièces annexées. Tout se réduisait donc à une question d'opportunité, et c'était là l'objet précis de la consultation. Fallait-il ou non engager la controverse? N'était-il pas plus expédient de conserver la paix religieuse si heureusement rendue aux églises d’Orient?
64. L'exposé de Sergius n'avait que l'apparence de la bonne foi. Au point de vue des faits, il est plein de réticences, et on peut le dire maintenant, de mensonges. Tout d’ abord il rattache l’origine de la question à l'époque où l'empereur Héraclius, pendant la seconde campagne en Arménie (G22) et dans le pays des Lazs (623), eut occasion de s'entretenir avec un évêque de la secte des sévériens, nommé Paul, et avec Cyrus, alors évêque de Phase, plus
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tard patriarche d'Alexandrie. C'est là pour la première fois qu'aurait été posée et discutée la question d'une opération (énergeia) en Jésus-Christ. Or, la vérité complètement dissimulée par Sergius était que, dès l'an 615, Théodore, évêque de Pharan, ou du Sinaï, avait, non pas seulement agité la querelle au point de vue de l'emploi légitime de telle ou telle expression, mais qu'il avait positivement formulé dans un écrit spécial, communiqué à Sergius lui-même, un système dogmatique complètement erroné, soutenant que l'on devait attribuer à la personne du Verbe tout ce qui se faisait par les deux natures, en sorte que c'était le Verbe qui agissait dans la nature humaine, qui lui donnait le mouvement, qui souffrait; la nature humaine n'étant pour le Verbe qu'un instrument dont il se servait pour opérer. Dans cette théorie, la liberté de l'âme humaine n'existait plus en Jésus-Christ, la rédemption avait été une œuvre contrainte de la part de l'humanité sacrée du Rédempteur. C'était le serf arbitre dans le chef de l'humanité rachetée ; et par une conséquence éloignée mais nécessaire le serf arbitre dans les membres, c'est-à-dire dans l'ame de chacun de nous. Sergius ne prononçait pas même le nom de Théodore de Pharan, il se gardait bien de transmettre au pape les écrits de ce sectaire arabe, et nous ne saurions trop le regretter, car, s'il les eût communiqués à Rome, il est probable que nous les aurions encore, tandis que le nom seul de Théodore de Pharan nous est aujourd'hui connu. Pas une ligne de ses ouvrages ne nous a été conservée. Cette première et capitale réticence de Sergius était suivie d'un mensonge formel. Le patriarche affirme que l'évêque de Phase, Cyrus, l'ayant consulté pour avoir son opinion personnelle sur le fond même du débat, il s'est bien gardé de la lui faire connaître, et qu'il s'est contenté de lui adresser purement et simplement la lettre de Mennas au pape Vigilius. Or la vérité est, que non-seulement Sergius avait fait connaître son opinion personnelle à l'évêque de Phase, et que cette opinion personnelle était la reproduction exacte du système erroné de Théodore de Pharan, mais que Cyrus, lequel est représenté dans la lettre au pape comme « ne sachant pas s'il fallait soutenir une ou deux opérations en Jésus-Christ,» s'était engagé à soutenir l'erreur
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dogmatique d'une seule opération. Cet engagement lui avait valu d'abord la faveur de Sergius, et bientôt après le siège d'Alexandrie, auquel le crédit du patriarche le fit promouvoir. Ajoutons que la fameuse lettre de Mennas au pape Vigilius, examinée plus tard par le VIe concile général, fut déclarée apocryphe, et qu'il y a tout lieu de croire qu'elle fut sinon complètement fabriquée, du moins gravement interpolée par Sergius lui-même. La propagande occulte du patriarche en faveur du système de Théodore de Pha-ran ne s'était pas bornée au seul évêque de Phase. Il avait entretenu une active correspondance à ce sujet avec deux autres évêques, Paul le Borgne et Georges Arsas ; il avait tenu à Constantinople même des réunions clandestines où il professait les mêmes erreurs. De tout cela, pas un mot dans la lettre au pape.