Pie IX 5 et les Libéraux 1

Darras tome 41 p. 124

 

III.  LA CONSPIRATION OURDIE CONTRE PIE IX

 

Julien l'Apostat fut, sans contredit, l'un des plus terribles enne­mis de l'Église catholique. Mais il ne découvrit pas d'abord son dessein : il se servit d'un double artifice pour arriver à l'empire : de grandes démonstrations de respect et d'amour pour le prince régnant, et une affectation extraordinaire de piété. Nous avons la preuve de ces démonstrations dans un de ses discours, modèle d'adulation et de flatterie, où, après avoir égalé Constance à Alexandre, il arrive à cette ridicule conclusion : « Supprimes dans Homère les noms propres de ses héros, remplacez-les par celui de Constance, et le poète vous paraîtra plus véridique. Quant à l'affectation de piété, nous savons par Saint-Grégoire de Nazianze que Julien fréquentait les églises, qu'il participait aux divins mystères, qu'il encourait par de grandes largesses à la magnificence du culte, et qu'il protégeait les évêques catholiques, comme on le voit à l'égard de Saint-Hilaire. « Pour se concilier tout le monde, écrit Ammien Marcellin, il feignait d'adhérer au culte des chrétiens, quoiqu'il y eut déjà renoncé (1) ».

 

Quand le moment fut venu, l'Apostat montra par ses actes, quel genre d'affection il ressentait pour le prince, et quel était son respect pour le christianisme. Comme les soldats murmu­raient contre Constance, Julien eut soin d'augmenter encore leur mécontentement ; il se fit proclamer empereur, et il accepta l'em­pire pour se soumettre à l’expresse volonté des dieux. Et puis, quand il eut pris la couronne et le sceptre, il ne tarda pas un instant à professer ouvertement l'impiété. C'est ce qu'atteste Saint-Grégoire de Nazianze : Vix imperii haereditatem adire cœperat, cum impietatem palam libereque profitetur (2) ».

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(1)Amm. Marcell. cap. II. Libanius, Ep. 5t.

(2)Grég. Naz. Advenus Julianum, oral. 3.

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10.    Admirateurs constants de Julien, les libéraux l'imitèrent fidèlement lorsqu'éclata la révolution italienne ; l'hypocrisie politique et l'hypocrisie religieuse furent aussi les deux perfides moyens employés par eux pour donner, en 1847 et 1848, le premier assaut à l'Église. Ceux qui avaient fait une guerre crimi­nelle à Grégoire XVI par leurs écrits en prose ou en vers, par leurs conspirations et par leurs révoltes, changèrent tout à coup leurs batteries et ils se mirent à attaquer Pie IX par les flatteries et par les applaudissements ; ils cherchèrent à l'enivrer de louan­ges, ils le couronnèrent de roses, ils le portèrent en triomphe, pour en faire si cela eut été possible, un instrument de leurs dessins.

 

Le cardinal Mastaï avait été à peine proclamé pontife, qu'on les vit sortir des antres des sociétés secrètes, où ils avaient juré la mort de la monarchie et de la religion, et entonner des hymnes en l'honneur du trône et de l'autel. Tous se déclarent pour le Pape. Voici qu'ils démontrent que la triple couronne des sou­verains-pontifes a été la source de tous les biens pour l'Italie, que l'Europe doit aux papes la liberté et la paix, la gloire et la puis­sance, la civilisation et la sagesse. C'est de la tiare qu'a rayonné cette lumière des sciences divines et humaines qui a chassé les ténèbres de la barbarie ; c'est dans les papes que les rois ont trouvé à la fois le bras et le conseil, mais aussi le frein et la verge ; c'est d'eux que les nations ont dû leur félicité, tant que les gouvernements respectèrent l'autorité pontificale. En un mot, le changement était complet, la vérité était reconnue de tous.

 

Et ces hommes joignaient les faits aux paroles. Ils étaient devenus pieux comme par miracle, ils croyaient, ils priaient, ils fréquentaient les églises, se nourrissant du pain des anges, et juraient sur la croix du Pape qu'ils mourraient plutôt que de permettre le moindre outrage, la plus légère offense contre lui; ils voulaient enfin s'abstenir de toute querelle, de tout péché, même véniel, dans la crainte de causer le moindre chagrin à l'angélique Pie IX. Entrons dans quelques détails.

 

11.    Vincenzo Gioberti donna le signal de cette nouvelle guerre dont l'hypocrisie était l'arme favorite. Il fit imprimer au chapitre

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p126          PONTIFICAT DE PIE IX  (1846-1878)

 

XII de son Gesuita moderne une allocution à Pie toute remplie d'amour pour la religion et pour la papauté. Cette allocution fut aussitôt extraite de l'énorme volume ; le Contemporaneo la fit imprimer à Rome ; elle fut aussi reproduite à Turin et dans les autres principales villes de l'Italie par les soins du même parti. Ces paroles dont on peut suspecter la sincérité n'en con­tenaient pas moins de véritables prophéties sur les gloires futures du pontife romain. Gioberti était prêtre, et cum esset Pontifex anni illius prophetavit.

 

Gioberti disait au Pape :

«Combien ne devez-vous pas être heureux de (voir que déjà refieurissent la foi catholique et ses éternelles espérances? Que, du moment fortuné où vous montâtes sur le Saint-Siège jusqu'à présent, des clartés nouvelles brillent aux yeux de l'intelligence : que les anciennes ténèbres se dissipent, et que la lumière va de jour en Jour s'agrandissant et croissant en force et en éclat? N'êtes-vous pas heureux de voir qu'en peu de mois vous avez fait pour le bien de la religion plus que tant d'autres de vos prédécesseurs d'ailleurs pleins de mérites, n'ont fait en un grand nombre d'années ? Que de catholiques, qui naguère paraissaient à peine se souvenir de leur religion, édifient maintenant le monde par l'exact accomplissement de tous leurs devoirs. Combien qui naguère répudiaient ces croyances qu'ils avaient sucées, pour ainsi dire, avec le lait de leurs mères, qui maintenant retournent avec empressement à la source du salut, et qui, s'ils ne croient pas encore, sont bien près de croire, puisqu'ils commencent d'aimer : Que de difficultés aplanies! que de préjugés vaincus ! que de vieilles et funestes habitudes de cœur et d'esprit sont déjà changées ou rompues, ou du moins bien ébranlés par vous !...

 

« Vous êtes, bienheureux Père, le plus puissant des princes, parce que vous êtes le maître des cœurs, l'arbitre des volontés, le modérateur des intelligences. A quoi sert l'étendue des domai­nes et la multitude des canons, quand on ne règne pas sur les cœurs ? Que peuvent les empereurs et les despotes avec leurs armes brutales et leur diplomatie perfide? Une de vos paroles

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p127.   — CONSPIRATION  OURDIE CONTRE PIE IX   

 

fait plus qu'une armée ; le son de votre voix est plus puissant pour exciter dans les âmes l'espérance ou la crainte, que la force des armes ou le tumulte des batailles.

 

« Et ce n'est pas le nom seul de votre dignité qui est puissant, c'est aussi celui de votre personne parce qu'il rappelle d'antiques  gloires que vous vous préparez non seulement à égaler, mais à surpasser. C'est un pape du nom de Pie qui conçut le magnifique dessein de délivrer l'Italie de la crainte des Turcs, et ce dessein aurait réussi si la lâcheté d'autrui ne l'avait entravé, si la mort du pontife ne l'avait fait abandonner. Un autre Pie suggéra, excita et aida de ses efforts, cette fois plus heureux, une ligue des puis­sances chrétiennes contre le même ennemi ; une mémorable victoire couronna l'entreprise, et la France moderne vit se renou­veler les triomphes de l'ancienne. Ce fut encore un pape du nom de Pie qui dessécha les marais dont une partie des États de l’Église était couverte, et ces landes inhospitalières et sauvages vinrent accroître le territoire et agrandir le domaine temporel de l'Église. Enfin c'est un pape du même nom qui montra, par son exemple, la toute puissance morale du pontificat, puisqu'il vain­quit sans soldats et désarma l'homme qui enchaînait et écrasait le monde avec les artifices de sa politique et le poids de ses armes.

 

« Mais vous, très Saint-Père, vous serez plus heureux que Sylvius et plus grand que Ghisléri, en délivrant l'Italie d'un ennemi pire que les Turcs ; vous mériterez mieux des hommes que Braschi en semant les fleurs de la générosité et les fruits des vertus civiles dans le sol amélioré et préparé par votre illustre prédécesseur ; vous serez plus puissant que Chiaramonti, puisque vous délivrerez la société et l'Église, non pas de l'oppression d'un homme, qui, tout formidable qu'il «oit, passe et disparait bientôt, mais de la tyrannie tenace et toujours vivante des barbares et des factions. La gloire que le-ciel vous  prépare est donc unique, et de même qu'aujourd'hui nous disons Grégoire, Jules, Innocent, Léon, sans avoir besoin de rien ajouter pour désigner celui qui illustra le plus chacun de ces noms, ainsi un temps viendra où, pour vous

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p128          PONTIFICAT DE PIB IX  (1846-1878)

 

rappeler à la pensée des peuples reconnaissants, il suffira de pro­noncer le nom de Pie (1) ».

 

Lorsqu'on était aux jours d'hypocrisie Gioberti écrivait: Le pape fut le créateur du génie italien (2) ; aux jours de l'impiété il écrit; La souveraineté temporelle du pape est nuisible à l'Italie (3). A l'époque où la révolution donnait pour mot d'ordre de combattre par les révolutions, Gioberti déclarait qu'il «n'avait manqué aux papes que d'être les chefs politiques de la nation italienne comme ils sont les princes de Rome (4) ». Et peu d'années après il pronon­çait que la souveraineté temporelle des papes «est un obstacle aux progrès civils des États qui y sont soumis (5) ». En 1848, selon Gioberti, « la souveraineté temporelle du pape contribuait puissamment à protéger l'indépendance du Saint-Siège dans les affaires religieuses (6) ». En 1853, selon le même Gioberti, le pouvoir temporel « faisait obstacle à la sollicitude du pape pour les affaires de l'Église (7) ».

 

12. Joseph Mazzini parlait comme Gioberti: Le 8 septembre 1847, il adressait à Pie IX une lettre remplie d'éloges et de con­seils : « J'étudie, disait-il au Saint-Père, j'étudie vos démarches avec une espérance immense, et je vous écris avec tant d'amour, avec un ébranlement de toute mon âme et... permettez-moi de vous adresser une parole profondément sincère ». La parole adressée par Mazzini à Pie IX était celle-ci : Soyez confiant ; et pour être confiant, le pape devait, d'après le démagogue, « éle­ver un temple à la vérité, à la justice, à la foi, en annonçant une ère nouvelle ». Il l'engageait à ne pas craindre d'excès de la part du peuple : « Fiez-vous à nous pour le reste. Nous fonde-

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(1) On afficha, à Rome, ce discours, sons le titre : Gioberti, Parlamento à Pio Nono. Un plaisant fit disparaître le t et le placard dit : Gioberti parla mena à Pio IX : Gioberti parle moins à Pie IX. C'était spirituel et vrai.

(2)Primato, Milan, 1848, page 85.

(3)De la réforme catholique de l'Église, fragments de Gioberti, publiés par Massari, Turin, 1856, page 90.

(4)Primato, page 88.

(6) De la Réforme, page 31.

(6)Gioberti, Opérette politichs,

(7)De la Réforme, page 31.

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p129  §3.   — LA CONSPIRATION  OURDIE CONTRE PIB IX  

 

rons pour vous  un gouvernement unique en Europe ; nous saurons traduire en un fait puissant l'instinct qui frémit d'un bout à l'au­tre de la terre italienne ; nous vous susciterons d'actifs appuis au milieu des peuples de l'Europe ; nous vous trouverons des amis même dans les rangs autrichiens; nous seuls, parce que seuls sous avons une unité de but, et que nous croyons à la vérité de notre principe ». La lettre de Mazzini se terminait ainsi: «Je vous écris, parce que je vous crois digne d'être l'initiateur de cette vaste entreprise. Si j'étais auprès de vous, je prierais Dieu de me donner la puissance de vous convaincre par le geste, par l'accent et par les larmes... Croyez, très Saint-Père, aux senti­ments de vénération et de très haute espérance avec lesquels je suis, etc ». Les faits ont abondamment prouvé, observe, à cette occasion, Jules de Bréval, la bonne foi de ces protestations, dece grand amour et de ces larmes de tendresse (1).

 

13. Les autres membres de la secte tenaient le même langage que Gioberti et Mazzini. Tous s'accordaient dans leurs livres et dans leurs journaux, à feindre un grand amour pour le Pape et un grand respect pour la religion. Voici, par exemple, ce que disait le P. Gavazzi dans un panégyrique de S. François de Paul : « Fran­çois, François, tu es la gloire de Paul, l'amour de l’Italie, la paix de la France, le sourire du monde ; écoute, écoute, François, et exauce la prière que je vais te faire au nom de tous les honnêtes gens, de tous les gens de bien. Ah ! qu'il vive de longues années, qu'il vive pendant des années de tranquillité, qu'il vive digne d'être envié de tons, le pontife de l'amnistie, ce cœur généreux ! le pontife de le réforme, cet esprit d'élite ! le pontife de la clémence, cet espoir du monde ! Qu'il vive, le pontife qui a ramené parmi nous la concorde, la prospérité et le bonheur, le pontife qui nous a donné un nom, un état, un avenir ; le pontife, modèle et augure de la véri­table primauté italienne ! Oh ! François, prononce pour moi son nom que les saints sont seuls dignes de redire : Vive Pie IX (2) ! ».

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(1) V. Jnle» de Brév»l, Uazuni jugé par kd-mêms «f te «te». Pana, 1S6B, Me 158, chap. IX : Loyauté, fnmcMu Mmmmmmt, Ci) Vis apoitoliqu», p. ISS, Battia, 1847.

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p130          PONTIFICAT  DE PIB IX  (1816-1878)

 

— Quelques années plus tard, ce moine apostat excitait à la guerre les républicains ; et à Rome même, il proclamait, du haut de la chaire, que les citoyens tués sur les barricades de Saint-Pancrace étaient plus grands que « les saints martyrs Etienne et Lauurent ; et, en 1831, les journaux anglais qui nous apprenaient les conver­sions de Byron, Nelson, Norris, Delaware, ajoutaient que Gavazzi avait prêché à Londres dans un sens tout à fait protestant, tout en déclarant qu'il appartenait à la nouvelle Église catholique ita­lienne, fondée par Achilli.

 

14. En 1848, Bianchi-Giovini traduisit en italien le pamphlet de Cormenin sur l'Indépendance de l'Italie, en y ajoutant quelques notes dans lesquelles il accusait l'Autriche d'attenter à la souve­raineté temporelle du Pape. « Il y a longtemps, disait-il, qu'elle fait ses efforts pour renvoyer le grand-prêtre à ses filets. Elle avait ce dessein en 1793, elle l'eut en 1814, en 1817, elle l'a repris en 1830, en 1831, etc (1). » Quelques pages plus loin, il soutenait que le pouvoir temporel prouve l'exercice de son pouvoir spirituel. « Le pape, écrivait-il, est le chef de la religion et le chef d'un État politique : chef de la religion, il ne peut transiger sur ce point ; l'autre est secondaire ; mais il ne peut remplir son devoir comme chef de la religion, s'il n'est pas libre, et s'il ne vit dans un pays libre de toute influence intérieure. » Laissons passer quelques années, et nous voyons Bianchi-Giovini non-seulement combattre le pape, le dénigrer et le maudire, mais attaquer même l'Évan­gile et blasphémer contre Jésus-Christ dans des volumes où il prend le parti de Judas Iscariote contre le Nazaréen (2).

 

Les journaux suivaient ces exemples. Que dire des hymnes composés à cette époque? On chantait l'hymne populaire à Pie IX, l'Amnistie donnée par le grand Pie IX, le Chant des amnistiés, l’Hymne de la garde nationale de Rome, le premier jour de l’An, « hymne chanté la première fois à Rome par le peuple le 1er jan­vier 1847; la Naissance de Rome, « hymne chanté la première

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(1) Bianchi-Giovini, sur l'Indépendance de l'Italie de Cormenin. Turin, 1848, page 8. (En Italien.) fi| Critique des Évangiles, par A. Bianchi-Giovini. Zurich, 1853.

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fois à Rome le 21 avril 1847 au grand banquet national des Ther­mes de Titus ; » le Drapeau offert par les Bolonais aux Romains, « hymne chanté pour la première fois par le peuple le 17 juin 1847, jour anniversaire de l'exaltation de Sa Sainteté, en se ren­dant au Monte-Cavallo pour recevoir la bénédiction du souverain pontife Pie IX ; » l'Hommage des gardes nationales lombardes à l'immortel Pie IX, régénérateur de l’Italie ; l'Hymne populaire, souhait de félicité au souverain pontife Pie IX: Chant pour les pau­vres jeunes gens recueillis par l'immortel Pie IX dans l'Institut agri­cole de Rome, etc. Nous ne pouvons faire une énumération com­plète. Eh bien ! tous ces hymnes à la louange de Pie IX, ces chants qui célébraient la bénédiction donnée au peuple par Pie IX, étaient l'œuvre d'hommes qui se moquaient du pape et de ses bénédictions.

 

15. Il y avait longtemps que les sociétés secrètes travaillaient l'Italie et poursuivaient, sous divers noms et par divers moyens, la ruine des gouvernements et le renversement de l'Église. Mais elles ne purent jamais acquérir de l'influence sur le peuple, parce que les Italiens, à la vue de l'impiété des chefs et de leur horreur de la religion catholique, reculaient d'effroi et refusaient de pren­dre part à ces criminels projets. « L'indifférence politique du peu­ple, écrit Montanelli, était l'écueil contre lequel allaient échouer les tentatives les plus audacieuses des révolutionnaires italiens. » L'Italie des ouvriers et des paysans, c'est-à-dire l'Italie du peuple, voyait passer les révolutions, apparaître et disparaître le drapeau tricolore sans s'émouvoir le moins du monde. Et pourquoi? Mon­tanelli le dit sans détour : Parce que le peuple se confessait. « Sans le cri: Vive Pie IX! ajoute le même auteur, qui peut dire quand les multitudes italiennes se seraient agitées, pour la première foi», dans le sentiment enthousiaste de la vie nationale ? Ce souvenir, qu'on le veuille ou non, est resté gravé dans tous les cœurs ; tôt ou tard il engendrera la réalité triomphante. Nous tournions dans un cercle vicieux, sans savoir comment en sortir. Nous avions besoin de la liberté pour faire l'éducation des multitudes ; nous avions besoin des multitudes pour conquérir la liberté. Pour créer

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le sentiment de la nationalité, il fallait mêler, de nouveau ces peuples divisés, et les fondre en une grande unité italienne ; et pour produire cette unité italienne, il fallait que les peuples fus­sent attirés entre eux, par le sentiment préexistant de la nationa­lité. Comment se soulever sans le peuple ? Et comment entraîner le peuple sans se soulever? Les faiseurs de proclamations qui, de la terre d'exil, perdaient leur temps à répéter : — Si vous voulez être libres, insurgez-vous, — ressemblaient au docteur qui aurait dit au malade : — Si vous ne voulez plus avoir de mal, guérissez-vous. — La difficulté, c'était de trouver le moyen ; la Providence le fournit : ce fut l'enthousiasme pour Pie IX. (1) »

 

   16. Comment donc pousser le peuple dans la carrière des révolutions ? Deux voies seulement se présentaient : rendre le peuple athée ou faire croire à la foi et à la piété du parti révolutionnaire. Il n'était pas possible de s'engager dans la première : le peuple italien est trop ardent dans sa foi ; le catholicisme coule, pour ainsi dire avec son sang, dans ses veines, et des milliers de prêtres veillent à ce que le troupeau fidèle ne soit pas entraîné dans de mauvais pâturages. Il ne restait donc que la seconde voie ; les révolutionnaires s'y jetteront aussitôt.

 

Au dix-huitième siècle, la doctrine janséniste avait poussé quel­ques rejetons dans le clergé italien et elle avait produit les Tamburini, les Palmiéri, les Zola. Le jansénisme, hérésie religieuse, avait cependant un côté politique et quoiqu'il s'appuyât sur le pouvoir royal dans sa lutte contre Rome, « il penchait vers la démocratie, comme Montanelli le fait observer, par la nature des réformes essentiellement démocratiques qu'il répandait dans l'Église ». La révolution française chassa d'Italie le jansénisme qui n'avait exercé aucune sorte d'influence sur la multitude. Le clergé italien était essentiellement romain, et attaché de cœur à la papauté. « Un appel au clergé pour l'indépendance nationale ne pouvait donc avoir de chance de succès qu'en se renfermant dans les termes de la rigoureuse orthodoxie papale. Gioberti le comprit à merveille, et dans son livre du   Primato, il se sépara de toutes

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(1) Hontanelu, Mémoire» tur l'Italie, t. I, p. 178 de la trad. française.

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les traditions qui auraient pu le rendre suspect d'opinions hétéro­doxes ; il ne parla des jésuites que pour les présenter sous quel­ques aspects honorables; il se déclara sans restriction l'ennemi des philosophes modernes et des jansénistes ; il fut plus papiste que le Pape ».

 

Le Primato était donc destiné à gagner le clergé en se servant pour cela d'un prétexte religieux. « Que de prêtres, que de moi­nes qui avaient rejeté la liberté couverte du bonnet phrygien, lui ouvrirent les bras quant ils la virent apparaître avec l'encensoir à la main ! » Alors parurent les Prolégomènes; « avec le Primato, c'est toujours Montanelli qui parle, Gioberti avait introduit la révolution parmi les prêtres ; avec les Prolégomènes, il introduisit le catholicisme parmi les révolutionnaires ». A partir de ce moment, on rejeta les anciens expédients du carbonarisme et de la jeune Italie ; c'est au moyen de la religion qu'on essaya d'intro­duire la révolution. De là ces vivats en l'honneur du Pape et du clergé, et toutes les hypocrisies dont nous avons parlé.

 

El c'est ainsi que l'Italie fut mise en révolution.

 

17. Pie IX donna, lorsque le temps fut venu, les réformes qu'il jugea utiles à l'Etat pontifical. Le monde les accueillit avec d'u­nanimes applaudissements ; le cardinal de Bonald, l'archevêque de Paris, les évêques d'Orléans, d'Angoulême, de la Rochelle, Beauvais, Angers, Dijon, Valence, entre autres, les acclamèrent au nom des églises de France. Quelques-uns gardèrent un silence improbateur ; que ceux qui blâmèrent alors le pape jugent aujourd'hui son œuvre. Si Pie IX n'avait rien fait ; s'il n'avait pas accordé l'amnistie, institué la Consulte, fait toutes les conces­sions compatibles avec le gouvernement ecclésiastique, nous n'aurions pas vu le masque enlevé au faux libéralisme, les sinistres projets de la révolution n'auraient pas été mis à découvert. On aurait continué à dire que l'Italie était agitée par la trop grande sévérité du pontife, tandis qu'il est manifeste aujourd'hui que, pour une certaine classe, aucune réforme n'était suffisante. Ainsi éclatèrent d'un côté, la clémence, la générosité, la bonne

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p134             PONTIFICAT  DE PIE IX   (1846-1878)

 

volonté du pape ; de l'autre,  l'ingratitude, les mensonges, la violence des révolutionnaires.

 

Un furieux démagogne, Joseph Ferrari, sentait dès les premiers jours de 1848 que l'œuvre de Pie IX était antirévolutionnaire, et qu'elle tendait à prendre, comme on dit, les mouches avec du miel. Dans un article écrit en français, qui parut dans la Revue indépendante, il le déclarait sans détour : « Depuis deux ans, disait-il, Pie IX est toujours l'homme du conclave, le pontife qui combat la révolution par les réformes, pour rendre au gouverne­ment pontifical la sécurité des autres provinces italiennes ». Les améliorations que Pie IX avait introduites dans ses états étaient exemptes de tout alliage démocratique. La loi sur la presse, ainsi que l'a fait remanquer Montanelli, n'accordait pas la liberté de discussion, c'est-à-dire qu'elle n'accordait pas la liberté de l'erreur. La garde civique devait conserver le gouvernement dans sa forme actuelle. La Consulte était appelée à donner son avis sur les affai­res de l'État. Le statut du 14 mars contenait la clause que les droits et les libertés du Saint-Siège ne souffriraient aucune diminu­tion ; il soumettait au Sacré-Collège l'examen des lois (art. 1 et 52); il conservait la censure ecclésiastique (art. 11) ; il déclarait qu'il fallait professer la religion catholique pour jouir des droits politi­ques (art. 25) ; il interdisait aux chambres de proposer aucune loi relative aux ecclésiastiques et aux affaires mixtes (art. 36). Toutes les théories modernes, depuis le communisme jusqu'au constitu-tionalisme, renferment quelque partie de vérité, mais elles sont remplies d'immenses erreurs. Pie IX avec une sûreté de vue mer­veilleuse, avait adopté le peu de vrai et de bien qu'elles contien­nent, et en avait fait présent à son peuple.

 

Ce n'étaient ni l'amélioration du sort du peuple, ni des conces­sions purement politiques, ni le bonheur de l'Italie que les révolu­tionnaires voulaient obtenir de Pie IX, mais bien la sécularisation du ponlificat, la sécularisation du catholicisme et un schisme dans l'Église. En d'autres termes, leur plan était d'amener le chef visisible de la religion ici-bas à s'en déclarer le plus ardent ennemi. Pie IX ne tarda pas à s'apercevoir de leurs artifices, et il sut les

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p135    3.     LA CONSPIRATION  OURDIE  CONTRE PIB IX 

 

vaincre au grand  avantage de la doctrine catholique, et à la gloire de son pontificat.

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