Darras tome 31 p.462
21 Scanderberg, en agissant de la sorte, espérait faire sortir enfin les princes de leur apathie, et les députés qui accompagnèrent ces libéralités n'oublièrent aucun des arguments propres à soulever la Chrétienté contre les Infidèles. Amesa fut conduit à Naples et jeté dans une étroite prison1. Alphonse d'Aragon, à qui Scanderbeg confiait la garde de son neveu rebelle, était alors en guerre avec les Génois. Calixte avait tenté vainement l'année précédente, 1457, d'amener une réconciliation entre les belligérants : le doge et les siens s'étaient montrés dociles à la voix du Vicaire de Jésus-Christ; mais leur adversaire ne voulut rien entendre. Alors le doge Pierre de Campofregoso, se sentant incapable de soutenir la lutte plus longtemps, d'accord avec le sénat, mit la république de Gênes sous le protectorat de la France. Jean de Lorraine, fils de René d'Anjou, qui se prétendait injustement dépouillé de la couronne de Naples, fut envoyé par Charles VII comme gouverneur de la Ligurie. Débarqué à Savone au mois d'avril 1458, Jean était bientôt après à Gênes. Ce ne fut pas sans quelque trouble mêlé au redoublement de sa colère qu'Alphonse apprit l'arrivée de ce prince en Italie. Il jura l'anéantissement de la république ligurienne, et sa flotte, commandée par Bernard Villamarina, assiégea Gênes par terre, pendant que l'assiégeait par mer l'armée de ses partisans, aux ordres de Philippe Fieschi, de Pierre Spinula et de Barnabe Doria. Le duc de
---------------------
1Marin. Barlet., Vit Scanrterbeg., ix.
=========================================
p463 CHAP. V1U. — CONSTANTS OBSTACLES, NOUVEAUX PÉRILS.
Lorraine, ayant fait établir de solides ouvrages pour la défense du port, conduisit en héros la résistance de la ville. Des deux parts on était dans toute la fureur de la lutte, quand on apprit tout-à-coup la mort d'Alphonse d'Aragon. C’était la délivrance de Gènes : la flotte de Villamarina se retira précipitamment, et les exilés se virent contraints de licencier lenr armée. Alphonse expira le 27 juin 1458. Surnommé le Magnanime, il était loin d'avoir toujours mérité ce glorieux surnom.
22. Avide de gloire, il récompensa généreusemeut les écrivains qui firent son éloge, tels qu’AEneas Sylvius, Laurent Valla, Antoine de Palerme. On ne peut oublier cependant que, dans sa passion effrénée de domination, il foula maintes fois aux pieds la justice humaine et la loi divine, qu'il outragea, dans certaines occasions, d'une manière indigne la majesté du souverain Pontife, qu'il écrasa d'impôts les peuples et le clergé, qu'il déshonora sa vieillesse dans de coupables amours. Mais il faut ajouter aussi qu'à l'approche de sa dernière heure, il manifesta un sincère repentir de ses fautes passées, accepta la mort en chrétien et voulut être enseveli sans faste. Il léguait à son frère Jean, roi de Navarre, les royaumes de Palerme, de Sardaigne, de Valence et d'Aragon. Mais par ce même testament il maintenait une réelle iniquité à l'encontre des droits du Saint-Siège: il y déclarait le royaume de Naples dévolu légalement à son bâtard Ferdinand. Une telle injustice ne saurait être effacée par les sages instructions dont il fit suivre ce legs: éloigner de l'administration napolitaine les Aragonais et les Catalans, et s'entourer d'Italiens; relever les peuples de toutes les charges oppressives dont lui-même les avait accablés; se réconcilier et vivre en paix loyalement avec l'Eglise et les autres puissances catholiques ; verser au trésor pontifical soixante mille florins pour la croisade contre les Turcs1. Calixte ne pouvait laisser passer sans une énergique protes-
----------------------------
1Fouet-, x et xi. — Buar., xm. — Surit., Annal., xvil, 44-47. — AUbian., zxii, 18. — Paul. ..Emil., in Carol. vu, ana. 1458. — Mohstrelet., vol. ni, p. 75. — /Ex. Stlv., Hist. Bohem., 71. — Sabellic, ennend., 10, ]. TV. — Goiîelin., Comment. PU II, 1. I. — Jovian. Pont., rie bello Neapol., i. — Anton., m p. tit. un, 16 § 1.
==========================================
p464 PONTIFICATS DE CAL1XTE III ET DE PIE II.
lation cette violation des droits les plus inaliénables : il déclara par un édit, où n'était faite aucune mention, ni de Ferdinand, ni de Jean de Navarre, ni de René d'Anjou, que le royaume de Naples retournait à l'Église romaine après qu'Alphonse était mort sans postérité légitime ; il ordonnait aux Grands, aux magistrats, aux peuples de ce royaume de ne prêter serment à qui que ce fût, tant qu'il n'aurait pas lui-même désigné un successeur à ce trône vacant. Ferdinand en appela de cette sentence à la décision des barons qu'il réunit à Capoue, il obtint d'eux l'hommage qui consacrait son intrusion ; mais il y eut de nombreux dissidents : le prince de Tarente se souleva en faveur de Jean de Navarre, et les partisans de René d'Anjou relevèrent la tête. Le royaume allait redevenir la proie des factions1.
23. Les divisions au sujet de la couronne de Naples avaient leur pendant en Allemagne dans les prétentions diverses à la couronne de Bohême, qui s'étaient produites à la mort de Ladislas. Le roi de France, dont la fille était la fiancée du jeune défunt, réclamait ce trône, soit pour un de ses fils, soit pour le prince auquel il marierait Marguerite ; l'empereur Frédéric le réclamait pour lui-même à titre de suzerain, bien que le roi défunt n'eût jamais fait à son égard acte de vassalité ; Casimir de Pologne le revendiquait pour sa femme, sœur de Ladislas ; Guillaume de Saxe disait avoir un droit supérieur, puisque sa femme était l'aînée de celle de Casimir; Sigismond et Albert d'Autriche rappelaient aux Grands de Bohême qu'en vertu des anciens traités, lorsqu'un roi de Bohême mourait sans enfants, ils devaient lui choisir un successeur en Autriche. Georges Podiébrad, lui qui était régent du royaume, sans opposer à tous ces compétiteurs un droit précis, profitait de leur multiplicité même pour usurper par la force et la ruse cette couronne convoitée par tant de compétiteurs. Il avait un zélé champion de sa cause dans l'archevêque hérétique Hokyczana, qui poussait le peuple à choisir un roi parmi les Hussites, et, s'il ne se trouvait parmi eux aucun homme digne de cette élévation, à se donner des juges à la
---------------------------
1 S. Anton., i.i p. lit. xxu, 16 § ull. — Surit., Anna!., xvi, 50.
=========================================
p465 CHAP. VIII. — CONSTANTS OBSTACLES, NOUVEAUX PÉRILS.
manière des anciens Hébreux. Ces intrigues eurent un plein succès : une diète fut réunie pendant le carême de 1458, et Podiébrad y fut élu roi de Bohême 1. Calixte se plaignit de ce que les Bohémiens, clients du Saint-Siège, n'avaient laissé à celui-ci aucune part dans le choix d'une dynastie nouvelle. Mais Georges était un maître hypocrite : il feignit un retour sincère à la foi catholique ; comme Prague n'avait pas d'archevêque orthodoxe et que celui d'Olmutz n'était que désigné, il envoya des députés en Hongrie, pour obtenir de son gendre l'envoi d'évêques qui lui conféreraient l'onction royale selon le rit romain. Ainsi fut fait; avant la cérémonie il prêta régulièrement le serment d'obéir au Pape, de demeurer toujours fidèle à l'orthodoxie et de se consacrer à l'extirpation des hérésies. Ce serment, il l'avait fait en secret, le 6 mai, la veille du jour du sacre, afin, disait-il, de ne pas effrayer intempestivement les Hussites, qu'il s'engageait à ramener plus tard. Les catholiques du royaume, dont un bien petit nombre étaient au courant de ce qui s'était passé, remuèrent, croyant avoir affaire à un prince hérétique: plusieurs villes de la Bohême, et les provinces voisines de la Moravie, de la Lusace et de la Silésie refusèrent de se soumettre. Alors, recourant encore à la ruse, il obtint des Grands, qui l'avaient salué roi, des lettres exhortant les peuples à le reconnaître pour tel, attendu qu'il avait embrassé la vraie foi et qu'il promettait de demeurer toujours fidèle à l'Église Romaine. Ce mensonge ne réussissant pas autant qu'il l'eût voulu, il réunit tous les Hussites qu'il avait sous la main, les mena devant lglau en Moravie et força cette ville à se rendre. Les habitants qui s'étaient démontrés comme des adversaires, furent mis à mort ou jetés en exil.
24. Puis furent mises sous le joug Brünn et Olmutz, la capitale de la Moravie. Prolais, évêque désigné de cette ville, qui était pré- sent à la réunion secrète devant laquelle Georges avait condamné l'hérésie, lui fut d'un grand secours pour la réduire ; il le proclamait sincèrement orthodoxe, et déclarait qu'on ne pouvait sans
-----------------------
1 AEn. Sylv., Hist. Bohem., 62. — Pahens., in Comment. Cocl., xn. — Naucler.. vol. n, gen. 40. — Dobrav., Hist. Bohem., xxx.
==========================================
p466 P0NT1F CATS DE CALIXTE III ET DE PIE II.
crime le repousser comme roi. En même temps, il adressait au Pape une lettre pleine de protestations d'un dévouement filial à toute épreuve et de promesses sonores touchant la guerre contre les Turcs. Le loyal vieillard se laissa prendre à ce dernier piège, tant il avait à cœur l'abaissement des sectateurs de Mahomet : il répondit et reconnut à Georges le titre de roi de Bohème. L'intrigue était triomphante: devant la lettre pontificale les soupçons tombèrent : tous ceux du dedans qui avaient résisté jusque-là coururent au devant de l'obéissance ; et du dehors, tous les princes allemands, à leur tête l'empereur et les rois de Hongrie et de Pologne, recherchèrent à l'envi l'alliance et l'amitié du nouveau monarque. Circonspect dans le conseil, expéditif à la guerre, zélé pour l'application de la justice, modéré dans l'exercice du pouvoir, Georges eût été un des meilleurs rois, s'il n'eût fait jouer les ressorts les plus cachés de l'hypocrisie pour tromper le Vicaire de Jésus-Christ au profit de l'impie Rokiczana1. Un franciscain de Vérone, qui revenait de Bohème et qui connaissait à fond les hommes et les choses de ce pays, fit toucher du doigt à Calixte les pièges qu'on lui tendait. C'en était trop pour cette âme généreuse de s'être laissé tromper encore, comme elle l'avait été tant de fois quand on la flattait dans son zèle pour la défense de la foi contre les Mahométans ; elle brisa son enveloppe mortelle et s'envola vers Dieu, le huit des ides d'août 1458. Calixte avait plus de quatre vingts ans ; son pontificat si bien rempli avait duré quarante mois 2. Pendant que la dépouille mortelle du Pontife recevait les honneurs funèbres qui lui étaient dus, le Sacré-Gollége perdait, le 14 août, un de ses membres les plus éminents par sa science, ses vertus et les services rendus à la cause catholique, le cardinal Dominique de Capranica, que l'opinion générale désignait comme successeur du Pape défunt.
--------------------------------
' DuuiiAV., Hisl. Bohem., xxx. — Cocl., Hist. Hussit., xn ; et card. Papiens., in Comment. Cocl.
3 S. A.vtoïî., m p. tit. xxn,16 § ult.— Aîx. Sïlv., epjst. 38i. — Stepii. Ictissur., Ms. arck. l'a/., sign. num. 111. — N'icol. de Turcia, Ms. eod. num. 111. — Paul. Bex. Cola., Ms. ejusd. arch., signât, num 10. — Gobelin., Comment. PU
========================================
p467 CHAP. VIII. — PKS^ÉE TRADiriUSMCLLIi 1CTC.
§ IV. PENSEE TRADITIONNELLE DU PONTIFICAT ROMAIN
25. Dix jours après la mort de Galixte, les dix-huit cardinaux qui étaient à Rome entrèrent en conclave. Le 10 août, ils portèrent au Souverain-Pontificat, AEnéas Sylvius, évêque de Sienne et cardinal-prêtre du titre de Sainte-Sabine. Cette élection mérite d'être rapportée avec quelque détail. Le troisième jour seulement les Pères allèrent au scrutin, et ce vote donna cinq suffrages au cardinal de Sienne et cinq au cardinal de Bologne, aucun autre nom n'en ayant obtenu plus de trois. Le lendemain, un calice d'or fut placé sur l'autel pour recevoir les bulletins de vote, et trois cardinaux, dont l'un évêque, l'autre prêtre et l'autre diacre, en eurent la surveillance. Les autres cardinaux, se levant de leurs places par ordre de dignité et rang d'âge, s'approchaient de l'autel et mettaient leur bulletin dans le calice. Le vote fini, les trois cardinaux scrutateurs renversèrent le calice sur une table placée au milieu de la salle et lurent les noms écrits sur les bulletins. Chacun des autres cardinaux les écrivait au fur et à mesure du dépouillement. Chacun de sa propre main avait exprimé son vote. Le bulletin pouvait porter un seul nom, ou deux, ou trois, ou même un plus grand nombre, sous cette condition tacite que le premier inscrit avait la préférence de l'électeur ; au cas où ce nom ne réunissait pas un nombre suffisant de suffrages, la préférence passait au second ainsi de suite. On voulait par ce moyen faire qu'il y eût le moins de tours possible. Au dépouillement, AEnéas Sylvius se trouvait avoir réuni neuf suffrages ; six s'étaient portés sur le cardinal de Rouen ; les cinq autres s'étaient disséminés sur divers noms. Le cardinal de Sienne était donc encore de trois voix au dessous de la majorité nécessaire. Le conclave décida de continuer l'élection par voie d'accession, pour essayer d'en finir ce jour-là. Chacun reprit sa place. Dix cardinaux étaient allés déjà se ranger autour d'AEnéas, lorsque deux membres du Sacré-Collège, qui auraient voulu que la
-------------------------
II. 1. I. — Baptist. Platin., in Callisi. m, ann. 1458. — Pogcics, Vit. Ms. card. Firman., eod. auno.
========================================
p468 PONTIFICATS l)K CA1.IXTIC III ET DE l'IE li.
chose fût remise à un autre jour, se dirigèrent vers la porte de la salle; mais comme aucun autre ne les suivit, ils ne tardèrent pas à revenir. Alors le cardinal de Sainte-Anastasie s'approcha le onzième d'AEnéas. Il ne lui manquait maintenant qu'un seul adhérent. Ce que voyant Prosper Colonna, qui était un ami de vieille date de l'évèque de Sienne, «Et moi aussi, dit-il, j'accède au Siennois et je le fais Pape. » A ces mots tous les cardinaux sans plus tarder se jetant aux pieds d’AEnéas le saluèrent pontife, et, s'étant ensuite assis, furent unanimes à ratifier son élection.
26. Le nouveau Pontife prit le nom de Pie II 1. Il était de Sienne et de noble extraction; son pète s'appelait Sylvius Picolomini, sa mère Victoire Portiguerra. Elevé libéralement dès son jeune âge, il était à vingt-six ans déjà renommé pour ses connaissances en droit civil, lorsque la guerre survint et l'obligea de quitter sa patrie et ses chères études. Nous le trouvons ensuite au Concile de Bâle, où il tient une large place ; secrétaire du synode et rédacteur aux Actes, il est en même temps un des douze censeurs dont il fallait subir l'examen pour avoir voix consultative, et qui de plus avaient le droit d'en exclure quiconque leur paraissait incapable. Inscrit à la commission de la Foi, il fut souvent choisi comme président par ses collègues. A peu près toujours, il fit partie de celle de la collation des bénéfices. Il remplit également diverses légations conciliaires auprès de plusieurs princes. Amédée de Savoie, élu par les Pères de Bâle sous le nom de Félix V, le prit comme secrétaire. On peut se demander si la bonne foi suivit jusqu'au bout un homme éclairé comme l'était Sylvius, dans ses engagements avec le schisme; mais ce dont on ne saurait douter, c'est le zèle qu'il déploya pour arrêter la discorde et rétablir l'union. Du reste, s'il eut des torts à cette époque, il les répara plus tard comme les hommes supérieur savent et peuvent seuls les réparer. De la curie du pseudo-pontife, il passait à la Cour de l'empereur Frédéric en qualité de protonotaire. Les nombreuses missions diplomatiques dont le chargea son maître lui firent parcourir toute la Germanie. L'Allemagne à cette
------------------------------
1 Gobelin., Comment. Pii II, lib. I.
=========================================
p469 CQAP. VIII. — rENSftrj TRADITIONNELLE ETC.
époque s'était déclarée neutre entre les dissidents et le Saint-Siège. La question du rétablissement de l'unité dans l'Eglise fit l'objet de plusieurs diètes, et Sylvius y figura toujours au nom de César. Il se rendit deux fois auprès d'Eugène avec des projets de traité de paix; la troisième, il lui apporta le retour de l'Allemagne à l'obédience du Pontife Romain. Pris comme secrétaire et fait sous-diacre par Eugène, il fut un des gardiens du conclave qui élut Nicolas V : ce dernier lui continua les charges dont l'avait honoré son prédécesseur. Peu après, Nicolas le nommait évêque de Tergeste aujourd'hui Trieste ; quatre ansplus tard, il l'élevait au siège archiépiscopal de Sienne, sa ville natale. L'empereur l'admit alors au nombre des conseillers de sa couronne. A ce titre, il se rendit à Naples, et contracta par procuration mariage pour son maître avec Léonore de Portugal, nièce d'Alphonse d'Aragon. L'année suivante, il allait recevoir la future impératrice à son arrivée par mer à Pisé et la conduisait à Sienne, où l'attendait Frédéric. Il eut une part très active dans les Actes et cérémonies du couronnement de l'empereur et de l'impératrice, à Rome. Après son retour en Allemagne, le Saint-Siège le fit légat en Bohême et en Autriche. Il représenta Frédéric à la diète de Ratisbonne, où s'étaient réunis Philippe de Bourgogne, Louis de Bavière et plusieurs autres princes, pour se concerter au sujet de la croisade projetée contre les Turcs. Il prit part au même titre à l'Assemblée de Francfort, qui confirma les résolutions arrêtées à celle de Ratisbonne, résolutions qui furent dues, dans l'une comme dans l'autre, à son éloquence entraînante.
27. A la fin de 1456, Calixte lll lui donnait la pourpre cardinalice. Moins de deux ans après, il était élevé au Souverain Pontificat. Elu le 19 août 1458, il fut sacré et couronné à Saint-Pierre, le 3 des nones de septembre 1. Pie II,—il le déclarait dans sa première encyclique — s'asseyait sur le trône pontifical avec le désir d'être utile bien plus qu'avec l'ambition de commander, prodesse
-------------------------
1. S. A.vto.n., m p. tit. xxii, 17 in priricipio. — /Es. Stlv., epist. 188.— Go-belis., Comment. PU II, 1. II. — Stephen. Ikfisscr., el Nicol. e Tcrcia, Ms. bit,/. Val., sign. num. 1H : et alii.
=================================+++++
p470 P0HTIFICATS DE CALIXTE III ET DE PIE II.
potius quam prœesse. Cette belle et généreuse devise, il se mit aussitôt en devoir de la justifier. La grande affaire du moment était toujours, et plus que jamais, l'organisation de la croisade. La nécessité de vaincre les Turcs s'imposait non pas à tel ou tel royaume, mais à tout l'univers chrétien. Le nouveau Pontife estima qu'il lui était nécessaire de s'entourer des conseils de ceux dont il avait à requérir les secours. Il résolut de convoquer une assemblée générale, où les représentants des princes et des peuples libres arrêteraient un plan d'action commune, nécessitée par un intérêt de salut commun. Restait le choix de la ville où devaient se réunir et siéger ces grandes assises. Parmi les cardinaux, les uns désigneront Rome, d'autres parurent incliner pour une ville à choisir en Allemagne, d'autres encore pour une ville à choisir en France. Aucun de ces avis n'obtint l'agrément du Pape: appeler jusqu'à Rome les rois et les princes du Nord et d'au-delà des Alpes, ce serait pousser l'exigence trop loin ; fixer le congrès au Nord des Alpes, en Allemagne ou en France, ce serait s'exposer à le rendre inutile, puisque lui-même, affligé de la goutte, ne pourrait supporter un tel déplacement ; c'était priver la réunion de sa présence. Pourquoi ne pas choisir un terme moyen, une ville au pied des Alpes, entre Rome et les royaumes transalpins? Deux noms furent alors mis en avant, Udine chez les Vénitiens et Mantoue dans la Gaule cisalpine. Les Vénitiens, par crainte des Turcs, refusant de prêter Udine, le choix s'arrêta définitivement sur Mantoue. A la suite de cette décision eut lieu un consistoire public, où furent lues les lettres Apostoliques qui fixaient la réunion du congrès aux calendes de juin 1459 et qui convoquaient tous les princes catholiques 1.
28. La question de la succession à la couronne de Naples avait été laissée pendante par Calixte III. Dès que Ferdinand apprit l'élection de Pie II, il s'empressa de lui envoyer des ambassadeurs pour obtenir l'investiture. Il avait pleine confiance dans les liens d'amitié qui avaient uni le nouveau Pontife à son père Alphonse.
---------------------------
1 S. Anton., ni p. lit. xxii, 17 iu priudpio. — Gobklin., Comment. PU II, lib. II.
=========================================
p471 CHAP. VIII. — PENSÉE TRADITIONNELLE ETC.
Pie II se montra fort heureux de trouver la question soumise à son jugement dans un état qui lui permettait de la résoudre en faveur du fils de son ami ; mais il ne voulait le faire que sous des conditions qui sauvegarderaient pleinement les intérêts et la dignité de l'Eglise, telles que la restitution de Bénévent, le paiement d'un tribut annuel de huit mille florins, le rappel de Piccinini, qui avait envahi et détenait plusieurs places de l'Etat ecclésiastique, la paix pour Sigismond Malatesta sur des clauses qu'il dicterait lui-même. Ferdinand eut le démérite de regimber d'abord contre ces conditions et d'en demander l'adoucissement. Le Pape répondit toujours que c'était à prendre ou à laisser ; l'accord fut enfin conclu le 17 octobre 1458, et confirmé par diplôme apostolique le 4 des ides de novembre, malgré les protestations des envoyés de Charles VII et de René de Provence. La mission de donner l'investiture à Ferdinand et de le sacrer fut confiée au cardinal des Ursins ; le couronnement du jeune prince eut lieu le 11 janvier 14591. Vers ce même temps, avant de quitter Rome pour se rendre à Mantoue, Pie II prenait les mesures nécessaires pour empêcher l'éclosion d'un schisme, dans le cas où il adviendrait qu'il mourût pendant son voyage. Peu de jours après, le 15 des calendes de février, il instituait un nouvel ordre de chevaliers militaires, avec la mission spéciale de se fixer surtout à Lemnos et dans les îles voisines, afin d'empêcher les Turcs d'écraser les chrétiens d'Orient et les restes des Grecs, pendant que le congrès de Mantoue organiserait la croisade.
29. Le surlendemain 22 janvier, il se transportait du palais du Vatican à Sainte-Marie Majeure. La journée du 23 fut consacrée à la bénédiction du peuple, ainsi qu'aux adieux. Le 24, avant le lever du soleil, passant par les thermes de Dioclétien et la colline de la Suburra, il descendit à la porte du Peuple et de là au pont Milvius. Les cardinaux, les patriciens, une foule innombrable l'accompagnèrent jusqu'à cet endroit, où l'attendait le corps de cavalerie qui
----------------------------------
' Gobeli.n., Comment. PU lï, 1. II. — S. A>to.n., m p. lit. xm, 17 in principe. — Sdrit., Annal., xvi, 50. — Jovian. Pontan., de bello Neopol., i. — Maria*., de reb. Hispan., Ms. Cad. bibl. Gallic., XII, lf). — sign. lit. B. tuim. 19, p. 94 et 95. — Simon'et., xxvii.
========================================
p472 PONTIFICATS DE CAL1XTE III ET DE HE II.
devait lui rendre la route sûre. Le Souverain Pontife, après avoir pris congé des Romains, désigna six cardinaux pour être ses compagnons de voyage: Guillaume de Rouen, issu de race royale ; Alain d'Avignon, de la plus haute noblesse de Bretagne ; Philippe de Bologne, frère du pape Nicolas V ; Pierre de Saint-Marc, Prosper Colonna et le vice-chancelier Roderic, tous trois neveux de pape, le premier d'Eugène, le deuxième de Martin, le troisième de Calixte. Les autres cardinaux présents, valétudinaires pour la plupart, reçurent l'ordre de demeurer à Rome, ou tout au moins d'attendre le printemps. Pie II, si attentif pour la santé des autres, oubliait son propre état de maladie. Ses amis à ce moment firent un dernier effort pour le retenir: l'hiver sévissait dans toute sa rigueur, les Apennins étaient infranchissables, le trajet se présentait hérissé de mille autres dangers ; dès qu'il aurait passé le Pô, les loups ravisseurs se jetteraient de toutes parts sur le patrimoine de Saint-Pierre, en l'absence de son chef, et se disputeraient les lambeaux de cette proie exposée à toutes les convoitises. Rien ne put fléchir l'héroïque vieillard, digne Vicaire de Jésus-Christ pour qui le service de la cause de Dieu était au-dessus de toutes les considérations humaines ; il se mit en route au milieu des larmes de tous ceux qu'il quittait. Le premier soir, il fut magnifiquement reçu avec sa Cour au château de Campaniano, par l'archevêque de Trani, frère du cardinal Latin des Ursins. Dans le chemin de Campaniano à Tiferni, on lui annonça par lettre la restitution d'Assises, de Civita vetana, de Nucerie et de Gualdo à l'Église par Jacques Piccinini, suivant l'engagement pris par Ferdinand de Naples.