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TROISIÈME THÈSE:
« Una essentia tres personae » se rapporte au problème de l'absolu et du relatif, et met en relief le caractère absolu du relatif, du relationnel.
a) Le dogme comme réglementation du langage.
Essayons de nous introduire au sens de cette thèse par la réflexion suivante. Si la foi, pour affirmer l'unité et la trinité de Dieu, se sert depuis le IVe siècle de la formule « une essence en trois personnes », cette répartition des concepts constitue d'abord une simple «réglementation du langage 26».
La seule chose sûre au départ, c'est qu'il fallait trouver une expression à la fois pour l'élément unité et pour l'élément trinité ainsi que pour la totale simultanéité des deux, dans la prédominance englobante de l'unité.
Que l'on ait réparti, comme cela s'est produit, les deux éléments entre les concepts de substance et de personne, cela, en un certain sens, est accidentel; car, en fin de compte, il importe seulement que les deux choses soient formulées, pour ne pas les laisser à l'appréciation arbitraire du particulier.
Celui‑ci risquerait de volatiliser et de ruiner à nouveau avec le mot, la chose elle‑même. Il ne faut donc pas aller jusqu'à considérer ces formules comme les seules possibles, jusqu'à déduire que c'est là l'unique manière d'exprimer la réalité: ce serait méconnaître le caractère négatif du langage théologique, son caractère approximatif.
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p115 LA FOI AU DIEU UN ET TRINE
b) Le concept de la personne.
Il est certain, d'autre part, que cette réglementation du langage représente plus que le simple choix de telle ou telle lettre, à laquelle on s'arrête finalement : en luttant pour le langage de la profession de foi, on luttait pour la chose elle‑même, de sorte que, dans ce langage, si inadéquat soit‑il, la réalité est quand même touchée.
Du point de vue de l'histoire de la pensée, nous pouvons dire que la réalité de la «personne » a été examinée ici vraiment pour la première fois; le concept et l'idée de «personne)) sont nés dans l'esprit humain à travers la lutte pour l'image chrétienne de Dieu et pour l'interprétation de la figure de Jésus de Nazareth.
Ces réserves étant faites, si nous essayons maintenant d'expliquer notre formule sous le rapport de sa convenance interne, nous pouvons constater qu'elle s'imposait à deux points de vue.
Tout d'abord, il était évident que Dieu, pris absolument, est unique; il ne saurait exister plusieurs principes divins. Cela admis, il était clair, en outre, que cette unité doit se situer sur le plan de la substance;
en conséquence, la trinité, dont il faut parler également, ne saurait être cherchée sur ce plan. Elle se situera donc forcément sur un autre plan, celui de la relation, du « relatif».
La même conclusion s'imposait à la lecture de la Bible. On y trouvait un Dieu, qui semble entretenir un dialogue avec lui‑même. Il y a un « Nous » en Dieu; les Pères le découvrirent déjà à la première page de la Bible :
« Faisons l'homme » (Ge 1, 26); il y a un «Je» et un « Tu » en Dieu, que les Pères trouvèrent dans les psaumes: ( Le Seigneur a dit à mon Seigneur » Ps 110, 1), sans oublier le dialogue de Jésus avec le Père.
La découverte du dialogue en Dieu même, conduisit naturellement à admettre en Dieu un « Je » et un « Tu », un élément de relation, de distinction, de réciprocité, pour lequel le concept de « personne » s'imposait formellement;
par là ce concept acquit, au‑delà de sa signification théâtrale et littéraire, un nouveau degré de réalité et de profondeur, sans perdre son caractère indéterminé, qui le rendait propre à une telle utilisation 27.