Grégoire VII 36

Darras tome 22 p. 101


§ 19. Effets de l’excommunication.


13. En dépit de toutes les barrières, cette parole apostolique pénétra jusqu'en Allemagne où elle eut un immense retentissement. « Tout l'univers trembla, dit Bonizo de Sutri, lorsque les peuples apprirent que le roi venait d'être mis au ban de la chrétienté. La fureur des schismatiques s'exalta jusqu'à la démence. Ceux d'Italie se réunirent vers les fêtes de Pâques à Pavie sous la présidence de Wibert de Ravenne. Là tous les évêques et abbés lombards, renouvelant les attentats de Dioscore et de Photius, excommunièrent le seigneur pape. Si leur audace n'était pas sans précédents, ce fut pourtant la première fois que l'ennemi du genre humain arma un si grand nombre d'évêques contre l'église romaine 2. » Cependant le comte Ebérard de Nellembourg, revenu de son ambassade, trouva le roi

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1. Greg. VII. Epist. i, lib. IV, Patr.  lat, tom. CXLVIII, col. 451, 2. Bonizo SuLr. Ad amie, lib. VIII,  Patr. Lat, tom. CL, col. 845.

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à Utrecht, où Henri s'était rendu pour célébrer la solennité pascale. Il lui apporta le premier la sentence d'excommunication. L'évêque d'Utrecht Guillaume, cet insolent ministre dont nous avons vu l'attitude sacrilège au conciliabule de Worms, rassura Henri IV contre ses premiers mouvements de terreur et lui conseilla d'afficher la plus profonde indifférence pour le décret apostolique. Il était loin cependant de partager la confiance qu'il voulait inspirer à son maître et craignait qu'à la première nouvelle de l'excommunication le peuple en masse ne s'éloignât du roi comme d'un pestiféré. Il se détermina à brusquer la situation par un coup d'éclat. Le jour de Pâques (27 mars 1076), du haut de l'ambon, en présence de la foule assemblée, il donna lecture de la lettre synodale de Worms, déclara que le prétendu pontife siégeant à Rome sous le nom de Grégoire était un «parjure, un adultère, un pseudoapôtre, » depuis longtemps retranché de la communion et déposé par tous les évêques. Il paraît, ajouta-t-il, que cet apostat vient de lancer contre le roi notre seigneur une excommunication dérisoire. « Mais au moment où il parlait ainsi, dit Bruno de Magdebourg, il fut soudain frappé d'un mal inconnu. Transporté dans sa demeure, en proie à d'horribles convulsions, il vécut quelques jours encore. Au dernier moment, voyant à son chevet un des serviteurs du roi : « Allez dire à votre maître, s'écria-t-il, que lui et moi et tous ses fauteurs, nous sommes pour jamais damnés ! » Les clercs de son entourage le suppliaient de ne point parler ainsi : « Je ne puis dire autre chose que ce que je vois, reprit le moribond. Voilà les démons qui entourent mon lit, prêts à emporter mon âme. Entendez-moi tous et dites-le aux fidèles. Quand j'aurai cessé de vivre, qu'on ne se fatigue point à prier pour moi1. » Et dans ce désespoir, il expira (28 avril 1076). On n'osa point lui donner la sépulture ecclésiastique ; un messager partit aussitôt pour Rome, afin de prendre à ce sujet les ordres du pape. La lettre dont il était porteur fut rédigée par l'évêque de Liège Henri, l'un des signataires de l'acte de Worms. Nous n'en avons plus le texte, mais la réponse de Grégoire VII a

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1 Bruno Magdeburg. Bell. Saxonic. Patr. Lat., tom. CXLVII. col. 555.

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été conservée. C'est un modèle de charité, de modération et de fermeté apostolique. « Vous nous demandez, dit-il, la conduite à tenir vis-à-vis des dépouilles mortelles de Guillaume d'Utrecht;: votre prudence n'ignore pas que sur ce point particulier comme pour tous les autres, elle aurait pu trouver la solution clairement exprimée dans les règles tracées par les saints pères. Ces règles, nous les maintenons, nous les observons scrupuleusement ; elles sont la base de toutes les décisions que nous avons prises jusqu'ici et que nous prenons encore. Nous n'innovons en rien, nous ne cherchons nullement à faire prévaloir nos idées personnelles, toute  notre attention se borne à suivre et à faire exécuter les lois canoniques posées par les pères avec l'assistance de l'Esprit-Saint. C'est donc à vous d'étudier attentivement ce que ces lois prescrivent à l'égard de ceux qui déchirant l'unité du corps de Jésus-Christ, c'est-à-dire l'Église, renouvelant toutes les ruses de l'hérésie et du schisme, se sont révoltés contre l'autorité paternelle du bienheureux Pierre et ligués avec ceux qu'il a retranchés de sa communion. Après un pareil examen, votre fraternité comprendra que pour la question spéciale qu'elle nous adresse, de même que pour toutes celles qui s'agitent en ce moment, notre réponse ne peut être douteuse. Si Guillaume d'Utrecht après avoir souscrit spontanément les actes schismatiques et sciemment communiqué avec le roi frappé d'excommunication est mort sans avoir fait pénitence, nous devons lui appliquer la règle canonique qui défend tout rapport avec les excommuniés morts ou vivants. Mais si en souscrivant il n'a cédé qu'à la contrainte ou à la force, si après l'excommunication portée contre le roi il a cessé tout rapport avec ce prince, si du moins à la dernière heure il s'est repenti, nous l'absolvons en vertu de notre autorité apostolique et non-seulement nous permettons mais nous désirons ardemment qu'on offre pour lui au Seigneur le sacrifice eucharistique avec les prières et aumônes accoutumées 1» Le vœu du saint pape ne put se réaliser. Guillaume d'Utrecht était mort sans avoir donné satisfaction aucune

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1. Grog. VII. Epist. vi, lib. IV, col. 460.

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ni reçu la communion. Il fut enterré sans les cérémonies ecclésiastiques. «Quelques jours après, ajoute le chroniqueur, il apparut au vénérable abbé de Cluny qui l'avait connu autrefois. « J'ai cessé de vivre sur la terre, lui dit-il, je suis doublement mort, car j'ai l'enfer pour sépulture 1. »

   14. L'impression produite par ce sinistre événement fut d'autant plus vive que d'autres morts tragiques frappèrent à la même époque comme des coups de foudre plusieurs des principaux partisans du roi excommunié. Le duc de Lorraine Godefroi le Bossu, l'époux nominal de la comtesse Mathilde, avait pris une part active au conciliabule de Worms. «Non-seulement il en avait approuvé les schismatiques délibérations, dit Berthold, mais il s'était audacieusement offert pour escorter à Rome l'antipape qu'on se proposait de créer 2. » Autant la pieuse comtesse Mathilde déployait de zèle et de dévouement pour le saint siège et pour la personne sacrée de Grégoire VII, autant Godefroi mettait d'ardeur à servir les vengeances de Henri IV. «Malgré la petitesse et la difformité de sa taille, disent les chroniqueurs, sa bravoure, ses talents civils et militaires non moins que la vaste étendue de ses états et le nombre des chevaliers rangés sous ses drapeaux lui avaient acquis la prééminence sur tous les princes du royaume. Il était le plus redoutable ennemi des Saxons. Après la diète de Worms, il s'était rendu dans sa ville d'Anvers sur les confins de la Lorraine et de la Flandre. Or une nuit, pendant que tous ses officiers dormaient, il eut à sortir de sa demeure pour une nécessité pressante. L'attitude qu'il fut obligé de prendre et l'obscurité profonde le livraient sans défense à un ennemi inconnu qui lui enfonça un poignard au bas-ventre et disparut, laissant le fer dans la plaie (26 février 1076). Le duc expira, sans avoir pu se confesser ni recevoir la communion. Son corps transporté à Verdun fut déposé dans le tombeau

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1. Sine   communione,  sine  vlla saiix faclione  expiravit. (Lambert. Pair. Lat , tom CXLVI, col. 1215.

2. Bruno Magdeburg., loc. cit., col. 51S.

3.Berthold. Annal. Pair. Lat., tom. CXLVII, col. 371

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de son père, Godefroi le Grand. On attribua cette mort, dit Lambert d'Hersfeld, à une vengeance particulière du comte Robert de Flandre1. Comme pour Guillaume d'Utrecht, des scrupules s'élevèrent au sujet de la sépulture chrétienne et des prières publiques pour le défunt. L'évêque de Metz Hérimann consulta le pape. Mais la situation n'était pas la même. Guillaume d'Utrecht était mort sans repentir après la promulgation des décrets d'anathème, tandis que la mort de Godefroi survenue le 26 février avait précédé de deux jours la fameuse séance du concile romain où fut prononcée l'excommunication du roi et de ses fauteurs. Grégoire VII répondit en ces termes à l'évêque de Metz : « Quant au duc Godefroi, c'est sans aucune hésitation que nous lui accordons les suffrages de l'Église, et moi-même, pécheur indigne, je ne cesse de faire mémoire de lui près du Seigneur. Nous avons oublié ses injures et l'inimitié qu'il nous portait en dernier lieu, pour nous souvenir uniquement de son ancienne affection, unissant nos prières et nos vœux aux larmes de la comtesse Mathilde pour le salut éternel de son âme2. » Le duché de Godefroi le Bossu aurait dû revenir tout entier à son neveu, le jeune et vaillant Godefroi de Bouillon, le futur roi de Jérusalem, le type du chevalier chrétien, le héros de la première croisade ; mais la cupidité du roi de Germanie ne respectait pas plus les droits féodaux des seigneurs laïques que les lois sacrées des églises. Il confisqua à son profit la province de Lorraine, dont il donna dérisoirement l'investiture à son fils Conrad, âgé à peine de deux ans, ne laissant à Godefroi de Bouillon que la marche d'Anvers, « encore, dit Berthold de Constance, la lui fit-il payer quarante livres pesant d'or 3. »

 

15. D'autres victimes devaient tomber autour du roi impie, sans éveiller dans son âme le sentiment du repentir. Mais leur mort n'arriva que plus tard. Les chroniquenrs ont recueilli

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1.Bruno    Magclebm-g., col.   546;   Lambert.   Hersfeld.  Annal.   Pair    lat. tom. CXLVII, col. 1212.

2. Greg. VII. Epist. iv, lib. IV, col. 456.

3. Berthold. Constant. Annal, l'atr. Lai.,  tom. CXLVII, col. 360.

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dans un même chapitre ces exemples tragiques sans les rapporter à leur date respective. C'est ainsi que l'annaliste saxon raconte en ces termes la catastrophe qui mit fin cinq ans après aux intrigues et à la vie d'un autre signataire des actes de Worms, Eppo de Zeitz, dont le dévouement au roi alla presque jusqu'à l'apostasie. « Il parcourait dans son diocèse les lieux autrefois habités par l'apôtre-missionnaire saint Kilien. En traversant à cheval un petit ruisseau qui n'eût pas même arrêté un piéton, il tomba la tête la première et se noya. Sans doute, saint Kilien dont il avait usurpé l'héritage voulut ainsi punir ses crimes; toujours est-il que cet Eppo, l'irréconciliable ennemi de la Saxe, mourut sans s'être réconcilié avec Dieu 1. » Imad évêque de Paderborn également signataire des actes de Worms mourut subitement à la même époque. Le roi malgré l'excommunication dont il était frappé trouvait encore des clercs avides disposés à lui acheter les bénéfices vacants. Ce fut ainsi que Conrad camérier de l'archevêque de Mayence reçut l'investiture de l'évêché d'Utrecht et Boppo cousin du misérable Guillaume le titre épiscopal de Paderborn2. Mais les morts tragiques se multiplièrent tellement que la terreur gagna les simoniaques les plus endurcis. « Un des favoris du roi, nommé Godebald, voulant un jour se servir d'un cheval nouvellement ferré, lui prit l'un des pieds de derrière pour examiner si l'opération avait été bien faite. L'animal récalcitrant fracassa le crâne de son maître. Burchard préfet de Misnie (Meissen), auquel Henri venait de donner par surcroît l'évêché de cette ville, se vit un jour assailli par une multitude furieuse dont sa tyrannie avait soulevé la colère. Il montait un cheval de guerre dont il avait vingt fois éprouvé la vigueur. Mais il eut beau lui labourer les flancs à coups d'éperon, le cheval resta immobile jusqu'à ce que Burchard fut tombé mort sous les coups de la populace. Un autre jour, le roi Henri chevauchait dans la campagne, s'entretenant avec un de ses favoris, nommé Luitpold. Celui-ci portait sur le

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1 Bruno Magdeburg., loc. cit., col. 546. 2. BerthoH, Constant., foc. cit., col. 370.

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poing gauche un faucon de chasse. Tout à coup l'oiseau battit des ailes comme s'il eût aperçu une proie. Luitpold se pencha pour le déchaîner, mais il tomba, lourdement de cheval ; dans sa chute, l'épée qu'il portait au côté se détacha du fourreau et la pointe traversa de part en part la poitrine du malheureux qui resta mort sur la place1. »

 

§ II  . Ardentes controverses sur les décrets du concile romain.

 

16. Tous ces coups redoublés de la justice divine épouvantaient l'Allemagne. La nouvelle de l'excommunication du roi, tenue d'abord secrète par ses fauteurs, fut bientôt solennellement portée à la connaissance du public par les évêques fidèles. Saint Altmann de Passaw et quelques-uns de ses collègues réunis en synode, donnèrent lecture de la bulle pontificale devant tout le peuple assemblé. « En ce moment, disent les Annales de Trêves, Egilbert, prévôt de la cathédrale de Passaw et chargé en même temps des fonctions d'écolâtre, se leva audacieusement pour protester contre le décret du pape. « Le roi, dit-il, ne saurait être retranché de la communion pour les faits qu'on lui reproche. Il a le droit de disposer à son gré des régales de l'Église ; il peut les donner gratuitement ou les vendre s'il lui plaît, puisqu'elles sont à lui.» Vainement saint Altmann et les autres évêques firent observer que les églises relevaient non de la juridiction des rois, mais de celle du bienheureux Pierre et du siège apostolique, Egilbert s'obstina dans sa résistance et le synode prononça contre lui la sentence d'excommunication majeure, avec ordre s'il voulait en être absous, de se rendre à Rome pour implorer la miséricorde du souverain pontife. » Egilbert s'en garda bien. Il se rendit à la cour du roi excommunié dont il venait de plaider si énergiquement la cause. Sigefrid de Mayence et le nouveau, titulaire, de Cologne Hidulphe lui firent le

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1.Bruno Magdeburg., loc. cit., col, 647.

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meilleur accueil, en attendant qu'on pût récompenser par l'investiture d'un évêché quelconque ses nobles services. « Une lutte acharnée s'engagea alors, de la part des henriciens ou césariens, contre les catholiques fidèles, reprend l'annaliste. Il suffisait qu'un prêtre se montrât fidèle aux devoirs du sacerdoce et portât, selon la coutume, la barbe longue, pour se voir traiter de clérical, ecclesianos, injurié, poursuivi et bafoué par les partisans du roi. De leur côté, les catholiques ne recevaient dans leurs assemblées que ceux qui avaient au préalable souscrit la déclaration suivante : J'anathématise l'hérésie du soi-disant roi Henri, de tous ses fauteurs et de tous ses complices1. »

   17. L'hérésie henricienne, dont parle le chroniqueur, cherchait en effet à se donner une formule dogmatique dont nous retrouvons les éléments épars dans plusieurs écrits contemporains. L’auteur anonyme de la Vita Henrici IV, plus connue sous le nom «d'Apologie de Henri IV,» partant du principe païen de l'absolutisme et de l'inviolabilité de César « dont le bon plaisir seul fait loi1, » soutenait que l'acte du pontife, nul de soi, ne pouvait produire d'effet tant que les grands du royaume demeureraient fidèles au prince comme ils en avaient le devoir3. Cette théorie, qui eût entraîné comme conséquence la séparation de l'Église et de l'État et la complète indépendance de l'un et de l'autre, ne pouvait guère s'allier avec les mœurs d'un temps où les rois prenaient officiellement le titre de défenseurs de l'Église et où celui de Germanie en particulier revendiquait comme un droit de sa couronne la nomination des évêques et même celle des papes. Quelques juristes, épris de la doctrine des Pandectes et des Institutes, récemment découvertes en Italie, purent seuls prendre au sérieux une idée si complètement opposée à la constitution de la république chrétienne

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1. Gest. Treveror., Pair. Lat., tom. CLIV.col. 1194-1195. 2. Quidijuid principi placuit, legis habet vigorem.

3. Ci. Christianus Urstisius, Germanise illustrais hUtoriarum librt  duo, Vita Henrici IV. Francofurt, 1670, in-folio.

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alors en vigueur. Les autres légistes se bornèrent à soutenir en thèse générale que le pape n'avait pas le droit d'excommunier les souverains ni de délier les sujets du serment de fidélité. Hugues de Flavigny consacre plusieurs pages à réfuter leurs arguments. «La royauté, disaient les henriciens, est de sa nature inaliénable; en droit, elle ne relève que de Dieu seul; en fait, jamais ni les papes ni les évêques n'ont avant Grégoire VII déposé aucun monarque. » Provoqués sur ce terrain, les catholiques du XIe siècle avaient des réponses victorieuses. « Parlez-vous, demandait Hugues de Flavigny, des royautés païennes dont saint Augustin a écrit : Remota justitia quid sunt régna nisi magna latrocinia? quia et latrocinia quid sunt nisi prava régna? Sans la justice que sont les royautés, sinon de grands brigandages ? qu'est-ce en effet que le brigandage sinon une royauté tyrannique? » Dans ce cas même, tous reconnaissent que la société a le droit de se soustraire à une pareille tyrannie, de même qu'un particulier a le droit de se défendre contre des brigands. Mais il s'agit ici d'un royaume chrétien, d'un prince qui a reçu l'onction royale des mains de l'Église, qui a prêté serment de fidélité à ses lois. Comment donc l'Église n'aurait-elle pas le droit de réprimer canoniquement ses excès ? Quand le roi des rois a dit au bienheureux Pierre : « Tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans le ciel, » a-t-il fait une exception pour les rois? Suivaient alors tous les exemples des rois chrétiens soumis aux censures de l'Église, depuis l'empereur Philippe l'Arabe excommunié en 249 par saint Babylas évêque d'Antioche. La liste en était longue. Saint Ambroise avait excommunié Théodose le Grand ; saint Léon avait excommunié Théodose le Jeune à la suite du brigandage d'Éphèse; le pape saint Hilaire avait excommunié l'empereur Anthémius. Le tyran Basilisque et l'empereur Zenon avaient été excommuniés par les papes Simplicius et Félix ; Arcadius par saint Innocent ; Hunéric roi arien des Vandales par l'archevêque de Carthage saint Eugène. Le pape Grégoire III avait délié du serment de fidélité prêté à l'empereur byzantin Léon l'Iconoclaste tous les sujets de ce prince à Rome, en Italie et en Espagne; un simple prêtre, Jean Damascène,

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avait au cœur même de l'Orient fulminé une sentence d'excommunication contre le César briseur d'images. Le pape Zacharie
avait déposé le dernier roi mérovingien; son successeur le pape
Etienne, déliant tous les Français du serment de fidélité prêté par
eux au représentant de la dernière monarchie, avait constitué roi
Pépin le Bref. La papauté seule avait restauré l'empire romain
 d'Occident en faveur de Charlemagne ; elle restait seule dépositaire du droit de constituer les empereurs, de même que ceux-ci
demeuraient soumis aux censures de l'Eglise. Les évêques français sans même recourir à l'intervention du pape avaient déposé
Louis le Débonnaire, et cet empereur avait accepté leur jugement.
Le roi Lothaire, Robert le Pieux et tant d'autres avaient notoirement été excommuniés par les papes. En fait, il était donc constant
que les souverains pontifes avant Grégoire VII avaient excommunié et déposé des monarques; en droit, puisque la féodalité
reposait sur le serment chrétien dont les papes seuls pouvaient
connaître comme juges suprêmes, il était incontestable que les
papes avaient le pouvoir de délier les sujets du serment de fidélité. « Sans cela, disait Hugues de Flavigny, quelle ressource
resterait-il à la chrétienté contre les tyrans? Que deviendrions-nous si la royauté était comme un huitième sacrement, si un roi ne
pouvait être arrêté dans la voie du crime, si les lois canoniques
ne pouvaient atteindre et punir ses forfaits1.? »


© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon