Darras tome 22 p. 315
48. Cette exécution sauvage d'une province désarmée termina la campagne de 1078 par des horreurs telles que, si nous n'avions le témoignage précis d'un contemporain, il nous semblerait impossible d'admettre leur réalité. « A la tête de son ramas de brigands, dit Berthold, le roi parjure qui avait jusque-là par tant de pillages, d'incendies et de meurtres, donné la mesure de sa férocité, se surpassa lui-même. Jamais pareil oubli des lois divines et humaines ne s'était vu. Les châteaux, les villages, les fermes étaient livrés aux flammes. Rien ne fut respecté, nulle différence entre le sacré et le profane, le désastre fut au comble, une seule chose dépassa la misère des victimes, ce fut l'atrocité sans miséricorde des bourreaux. Les habitants se réfugiaient dans les églises; on les y brûlait vifs et quand le feu était amorti, les incendiaires venaient fouiller les ossements calcinés et les ruines fumantes pour y chercher des parcelles d'argent et d'or. Les prêtres étaient traqués comme des bêtes fauves, ceux qu'on parvenait à saisir étaient dépouillés de tous leurs vêtements, puis on les affublait par dérision d'une chasuble et on les flagellait jusqu'à ce que mort s'ensuivît. Les reliques des saints étaient jetées aux vents; sur les autels dépouillés les pillards gorgés de vin venaient tour à tour satisfaire aux plus vils besoins de la nature. D'autres fois, ils y établissaient leur boucherie et y détaillaient les viandes saignantes, ou bien encore par un raffinement de sacrilège dont les païens eux-mêmes ne s'étaient point avisés ils y outrageaient publiquement les malheureuses captives et dans leur brutalité insatiable se relayaient jusqu'à ce qu'elles eussent expiré sous la honte et l’ignominie. Celles qui survivaient devenaient le jouet d'une rage vraiment satanique. On les tonsurait comme des clercs, on les
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1. Bruno llsigdeburg, loc. cit. Cf. Berthold. col. 428,
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revêtait d'habits de moines ou d'ornements sacerdotaux, et on les traînait comme un vil troupeau à la suite de l'armée. A Altorf et dans plusieurs autres localités les crucifix furent outragés avec une fureur démoniaque, l'image du Sauveur était décapitée, les bras, les jambes, le buste coupés en morceaux et foulés aux pieds. Tout cela se passait sous les yeux des évêques que le roi parjure avait dans son escorte. On approchait de la fête de la Toussaint quand ces horreurs eurent lieu, et les évêques ne disaient rien. On ne compta guère moins d'une centaine d'églises ainsi souillées et dévastées dans le cours de cette expédition. Les bourreaux n'échappèrent cependant pas tous au châtiment. Quelques-uns tombèrent soudain en proie aux malins esprits et expirèrent dans d'atroces convulsions. D'autres saisis par les troupes de Welf duc de Bavière et du jeune duc Berthold expièrent leurs forfaits par les tortures et le dernier supplice 1. » Henri assistait impassible aux cris de ses victimes. Il voulut couronner tous ces exploits par le sac et l'incendie du château de Tubingen. L'archevêque Udo de Trêves qui l'avait suivi jusque-là mourut subitement. « On le trouva un matin mort dans son lit, dit Bruno de Magdebourg. C'était un prélat vraiment plein de piété, ajoute l'annaliste saxon, mais il n'eut pas le courage de s'opposer comme il l'eût fallu à la tyrannie de Henri. Son silence fut interprété comme un consentement et plusieurs pensèrent que sa mort foudroyante fut un châtiment du ciel ». »
49. Les écrivains modernes ont à peine fait allusion à l'égorge-
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1.Berthold. Constant. Annal, col. 420.— Aucun des historiens modernes n'a traduit cette page de Berthold, les uns parce que n'écrivant que de seconde ou de troisième main ils n'en connaissaient pas le texte original, d'autres comme les docteurs Voigt et Héfélé parce que le récit de pareilles horreurs effarouchait rétrospectivement leur patriotisme, d'autres comme Fleury et l'école gallicane par respect pour la majesté du roi Henri IV si injustement outragée par Grégoire VII, d'autres enfin comme M. Villemain et l'école rationaliste pour ne pas souiller la mémoire d'un persécuteur de l'Eglise. Le lecteur nous pardonnera d'avoir osé traduire pour la première fois cette page de véridique histoire.
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1. Brus. Magucburg. Bell. Szzonic. col. &4S.
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ment de la Souabe commis de sang-froid et exécuté avec une barbarie systématique par le Néron du onzième siècle. Les horreurs qu'ils ont voulu dissimuler se renouvelleront pourtant avec un éclat indéniable à l'époque du luthéranisme. La logique de l'erreur pousse invariablement aux mêmes crimes. C'était au nom du prétendu droit de clérogamie que Henri IV faisait outrager les femmes, souiller les autels, brûler les églises, disperser les reliques des saints, mutiler les images du Rédempteur. La clérogamie byzantine avait agi de même en Orient sous les empereurs iconoclastes. Le protestantisme n'aura rien à inventer quand il célébrera pour la première fois aux yeux de l'Europe épouvantée les noces de ses ministres. Mais il ne pourra plus comme le faisait Henri IV d'Allemagne étouffer le bruit des égorgements, les clameurs des victimes, et dissimuler au monde la lueur des flammes incendiaires. Autour de la tombe fumante où gisait la Souabe, comme autour de la plaine de Melrichstadt encombrée des cadavres de ses soldats vaincus, Henri IV disposa des gardes qui commandaient officiellement le silence. Le pape surtout ne devait rien savoir. Les Saxons essayèrent pourtant de rompre cette barrière et firent transmettre à Rome la lettre suivante: « Au seigneur vraiment apostolique Grégoire, les fidèles du bienheureux Pierre et les siens, dévouement et obéissance dans toute la mesure de leurs forces. — Votre sainteté connaît, et nul ne le peut ignorer, à travers quels obstacles et au prix de quels dangers nos messages parviennent jusqu'à vous. Le chemin de Rome qui avait en tout temps été ouvert à tout peuple, toute tribu, toute langue est maintenant fermé et interdit à ceux surtout qui ont le plus souffert pour l'honneur du prince des apôtres au tombeau duquel conduit ce chemin. Il serait donc de la plus haute importance et pour votre honneur et pour l'urgence de notre situation que des messages dont la transmission expose à tant de périls ne fussent pas sans nous rapporter quelque fruit et quelque consolation au milieu de nos affreuses misères. Mais à chaque question, à chaque plainte nouvelle adressée au siège qui fut toujours l'arbitre souverain de la doctrine et de la justice, nous ne recevons que des réponses dilatoires. Tout est
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ajourné, tout est réservé. En dernier lieu nous fîmes connaître à votre sainteté la sentence d'excommunication prononcée par le seigneur Bernard votre légat contre l'ennemi de Dieu Henri, et la confirmation solennelle faite par lui en votre nom des légitimes pouvoirs du roi Rodolphe. Mais après une longue attente notre envoyé enfin de retour nous rapporta pour toute consolation que vous refusiez d'ajouter foi à cette nouvelle. Et pourquoi, seigneur bien-aimé, ne voulez-vous pas le croire? Nos frères et coévêques Adalbero de Wurtzbourg et Altmann de Passaw1, ainsi que plusieurs autres vénérables personnages pourront vous attester le fait; ils assistaient à la diète de Goslar, ils ont tout vu, tout entendu. Nous ne sommes point des imposteurs, non certes! Nous ne fondons point notre espérance sur des paroles de mensonge, nous croyons fermement que la vérité nous délivrera. Le Dieu qui est vérité, lui qui seul prend en considération les douleurs et les efforts, ne nous a point abandonnés dans la confiance que nous mettons en lui, il nous a visités dans sa miséricorde et sa tendresse compatissante. Notre roi Rodolphe, fort par celui qui donne le salut aux rois, a puissamment triomphé des ennemis du Seigneur. Henri selon son habitude a pris la fuite avec ses complices échappés au glaive, en compagnie de ce traître dont vous avez inutilement essayé de vaincre la malice par vos bienfaits, l'apostat Robert de Bamberg, auteur et instigateur de toutes nos calamités. Et plût à Dieu que vous fussiez instruit de ses nouvelles ruses et de ses récentes cruautés ! Cessez désormais, bien-aimé seigneur, de ménager des hommes qui tournent en dérision votre auguste caractère. Après tant de refus humiliants ne vous abaissez plus à leur demander un sauf-conduit. Sans doute votre arrivée parmi nous serait aussi désirable que nécessaire, mais à moins que vous n'ayez pris l'engagement de leur être favorable jamais il ne la laisseront effectuer. La lutte ouverte par vous et entreprise par
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1. Ces illustres pèlerins devaient alors être en route pour Rome, où nous les verrons avec le diacre cardinal Bernard assister au concile quadragésimal de l'an 1079.
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vos ordres ne se terminera point par vos décrets; c'est l'épée qui la décidera. Ratifiez donc au plus tôt la décision prononcée par votre légat apostolique, et en même temps prenez des mesures efficaces pour faire exécuter les canons relatifs à la sépulture des excommuniés morts en flagrant délit de persécution contre l'Eglise. Ne permettez pas qu'ils soient enterrés dans les cimetières ni dans les parvis des temples, jetez l'interdit sur les lieux saints qu'on profanerait de la sorte. Grand nombre de ces profanations se sont commises à Augsbourg; vous pourrez par l'intermédiaire des pèlerins qui se rendent à Rome transmettre vos instructions au clergé de cette ville 1. »
§ IX. Second concile romain de l'an 1078.
50. Les Saxons ne pouvaient pas s'imaginer que l'élection de Rodolphe, faite sans l'intervention du pape, confirmée san son autorisation par le légat du saint-siége en Allemagne, loin d'être un élément de pacification constituait au contraire un nouveau sujet de discorde et créait pour le pape des embarras inextricables. Si les autres provinces du royaume teutonique tant en deçà qu'au delà des Alpes eussent adhéré à l'acte de Forcheim et reconnu la légitimité de Rodolphe, la reconnaissance officielle du souverain pontife eût été à la fois opportune et nécessaire. Mais telle n'était point la situation. « Les Latins en immense majorité, comme le disait Grégoire VII, avaient embrassé la cause de Henri; ils la soutenaient énergiquement; ils accusaient le pape d'user à l'égard de ce prince d'une rigueur excessive et d'une véritable impiété2. » Plus haut était placé dans l'opinion publique l'arbitrage du saint-siége, plus il importait que les esprits fussent préparés à
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1. Bruno Magdeburg., Bell. Saxon., col. 565.
2. Quotquot Lalini sunt omnes causam Henrici prseter admodum paucos laudant ac defendunt, et pernimise duritiœ ac impietatis circa eum me redarguwd. Greg. VII, Epist. vu, lib. VII, col. 547.)
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recevoir ses décisions. Grégoire VII ne pouvait espérer un revirement d'opinion en faveur de la justice et de la vérité qu'en multipliant les conciles romains où ces grands débats se produisaient en pleine lumière, loin du théâtre de la querelle et de la pression des partis. Ce fut le motif qui le détermina à convoquer pour le 19 novembre 1078 un nouveau synode à Saint-Jean-de-Latran. Nous avons encore la lettre d'invitation adressée en cette circonstance « à tous les archevêques, évêques et abbés constitués dans la Gaule en communion avec la sainte église romaine. » Elle est ainsi conçue : « Quelles tribulations, quelles angoisses, quelle tempête de persécutions et de périls votre mère la sainte église romaine a subies en ces derniers temps, vous l'ignorez ou du moins ne le savez que très-imparfaitement. Mais le peu qu'elle a reçu d'assistance, de secours et de compassion sincère de vous qui êtes ses fils, hélas ! vous le savez. Nous ne pouvons y songer sans la plus vive douleur ; la charité du grand nombre s'est refroidie à tel point qu'on croirait assister à l'époque prédite par l'Évangile : « Quand abondera l'iniquité, le cœur des multitudes se refroidira1.» Par insouciance vous avez négligé, par lâcheté vous avez eu peur de venir au secours de votre mère dans sa détresse. Puis-je dire autre chose sinon qu'en agissant de la sorte vous vous êtes montrés indignes du nom de fils, étrangers à tout sentiment de charité. Quelle honte ou plutôt quelle désolation pour un cœur fidèle de voir les persécuteurs de la religion chrétienne organiser leurs complots, recruter partout leurs séides, prodiguer leurs trésors, sacrifier leur vie même pour assouvir leurs atroces instincts, pendant que personne ne se lève pour défendre la cause de la justice! Nul ne veut faire pour elle le moindre effort, le plus léger sacrifice. Béni soit cependant le Dieu de toute consolation, Père de Jésus-Christ Notre Seigneur, qui nous a jusqu'à ce jour préservé des mains de nos ennemis, protégé contre leur violence, sans permettre que ni les séductions ni les menaces aient triomphé de notre faiblesse. Grâces immortelles lui soient rendues de nous
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1. Matth. xxiv, \%
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avoir conservé inébranlable au milieu des flots et des vents déchaînés, sans que notre propre conscience ni aucun témoignage sincère puisse nous reprocher un seul acte, une seule intention contraire à la justice. Dans l'intention de terminer enfin la discorde soulevée entre la royauté et le siège apostolique, nous vous invitons et par l'autorité du bienheureux Pierre prince des apôtres vous convoquons au synode qu'avec l'assistance du Seigneur nous tiendrons au milieu du mois de novembre. Nous pouvons donner à votre fraternité l'assurance que votre voyage soit pour l'aller soit pour le retour n'éprouvera aucun obstacle. Nos envoyés en ont obtenu la garantie sous la foi du serment de la part des seigneurs de la cour du soi-disant roi Henri. Nous nous réjouissons donc de pouvoir conférer avec vous sur les moyens à prendre pour rétablir la paix et ramener les schismatiques au sein de l'Eglise notre commune mère1. »
51. « Le grand synode, » comme l'appelle Berthold, s'ouvrit le XIII des calendes de décembre (19 novembre 1078) dans la basi- lique du Saint-Sauveur. Ce titre de grand s'applique bien moins au nombre des évêques présents, cinquante environ, qu'à la gravité et à l'importance exceptionnelle des objets proposés à l'examen et aux décisions synodales. Ce n'était plus seulement l'empire germanique avec sa querelle de deux rois rivaux qui sollicitait l'arbitrage du saint-siége. En dépit du schisme de Photius et de Dioscore, l'Orient recourait à la puissance du vicaire de Jésus-Christ ; les ambassadeurs byzantins de l'empereur Michel Ducas venaient implorer au nom de leur maître l'intervention de Grégoire VII non plus contre une invasion de Turcs Seldjoucides, mais contre un usurpateur qui venait de lui ravir la couronne. Secondé par les gardes prétoriennes, Nicéphore Botoniate s'était fait proclamer empereur. Le nouveau César se disait descendant de Phocas et prétendait rattacher l'origine de sa famille à l'antique maison romaine des Fabius. Fondée ou non, cette noblesse généalogique servit ses ambitieux desseins ; la ville de Constanti-
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1.Greg. VII, Extr. Registr. Epùt. xxxnc, col. 6$.
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nople insatiable de révolutions l'acclama avec enthousiasme : le pautriarche Cosmas qui venait de succéder à Xiphilin le sacra dans la basilique de Sainte-Sophie le mardi de la semaine sainte (3 avril 1078). En Orient, patrie par excellence du fait accompli, cette intrusion venant après tant d'autres n'était ni plus ni moins légitime que les précédentes. Depuis longtemps le pouvoir appartenait à qui savait s'en emparer, et il n'y avait pas là matière à un recours aux lois ecclésiastiques. Mais le Botoniate ne s'était pas contenté de dépouiller son maître de la pourpre impériale, il lui avait encore volé sa femme, l'impératrice Marie, et par un trait dont un byzantin seul était capable il venait de célébrer en grande pompe ses noces avec elle. Tels étaient les griefs dont les députés de Michel Ducas venaient demander le redressement au concile romain. Personnellement leur maître s'était toujours montré favorable à l'extinction du schisme ; il avait pris l'initiative d'un appel à l'Occident pour arrêter la marche victorieuse des Turcs. Ce grand projet qui contenait en germe l'idée féconde des Croisades eût abouti dès lors, sans la frénésie furieuse de Henri IV qui désola vingt ans l'Europe entière et paralysa toutes ses forces vives. Michel Ducas avait su se créer au sud de l'Italie de puissantes alliances. Chaque année il envoyait au Mont-Cassin de magnifiques offrandes et avait assuré par une bulle d'or au monastère un revenu de vingt-quatre livres pesant d'or pur à prendre sur son trésor impérial. Le mariage de son fils Constantin Ducas avec la jeune princesse Hélène fille de Robert Guiscard lui assurait l'appui des Normands d'Apulie et de Sicile. Nous n'avons malheureusement plus les actes du concile romain. Il serait du plus haut intérêt pour l'histoire des Croisades de connaître le langage tenu par les ambassadeurs de Michel, les propositions faites et les engagements souscrits par eux. Mais la notice sommaire qui nous a été conservée se borne à cette laconique mention: « L'empereur de Constantinople Nicéphore fut excommunié1. «Nul doute que le Botoniate entouré à Byzance des évêques schismatiques qui se
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1. Mansi, Concil. xx, p. 507. — Pair. Lat., tom. CXLTIII, col. 799
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prosternaient devant sa majesté de fraîche date n'ait accueilli avec le plus ironique dédain la nouvelle de l'impuissant anathème lancé contre lui par le pontife de la vieille Rome. Ainsi que d'autres ambitieux couronnés frappés dans la suite des âges par une sentence analogue, il dut trouver là un beau sujet de plaisanterie et dire peut-être à ses courtisans : « Le pape pense-t-il que son excommunication fera tomber les armes des mains de mes soldats1 ? » Mais la providence divine suscite toujours des hommes qui se chargent d'exécuter les décrets en apparence impuissante des vicaires de Jésus-Christ. Robert Guiscard dont le gendre et la fille se trouvaient spoliés par Nicéphore sut gré au souverain pontife de s'être déclaré contre l'usurpateur, et se montra disposé à renouer son alliance avec le saint-siége. Il conduisit une armée sur les côtes de l'Epiré, s'empara de Corfou, de Durazzo, envahit la Bulgarie et poussa ses avant-postes jusqu'à Constantinople. Le Botoniate fut honteusement chassé du trône et enfermé dans un monastère où il put méditer jusqu'à la fin de ses jours sur les terribles effets de l'excommunication 2. Son règne n'avait duré qu'un an et demi (1080). Le trône ne fut cependant point rendu à Michel Ducas ni à son fils Constantin gendre de l'impétueux Guiscard. Michel s'était engagé dans les ordres et avait été sacré en qualité de métropolitain d'Ephèse. Constantin trop jeune ou trop faible ne réussit point à triompher de compétiteurs plus puissants et la couronne passa au fameux Alexis Comnène dont la dynastie devait régner près d'un siècle en Orient.
52. Après la sentence d'excommunication solennellement prononcée contre Nicéphore III, la parole fut donnée aux ambassadeurs des deux rois rivaux de Germanie. Paul de Bernried et les autres chroniqueurs qui nous rapportent le fait ne donnent le nom
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1 Ce fut par ces paroles que Napoléon I" répondit en 1808 à l'excommunication prononcée contre lui par Pie VII.
2. Quand on lui demandait ce qu'il regrettait le plus de ses grandeurs passées: « La faculté de manger de la viande tous les jours, » répondait cet empereur détrôné. Le monastère dans lequel il était détenu suivait la règle da saint Basile, qui prescrit l'abstinence perpétuelle.
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d'aucun des ambassadeurs de Rodolphe, mais Berthold nous apprend qu'un des représentants de Henri était l'écolâtre de Passaw Egilbert, dont nous avons signalé précédemment la schismatique révolte contre son évêque saint Altmann 1. « Les uns et les autres au nom de leur maître, dit Berthold, donnaient les assurances les plus formelles. Ils protestaient par serment qu'aucun obstacle de leur part n'avait été mis à l'exécution des mesures prescrites par le dernier concile et que si les événements avaient empêché la tenue de la diète indiquée par le pape sous peine d'anathème contre le parti qui s'y opposerait, ils n'en étaient de part et d'autre nullement responsables. Cette déclaration était sincère dans la bouche des ambassadeurs de Rodolphe et les pères ne faisaient aucune difficulté de le reconnaître. Au contraire les députés de Henri étaient atteints et convaincus de parjure. Aussi quand ils eurent l'audace d'interpeller le seigneur apostolique en réclamant de lui une sentence d'excommunication contre Rodolphe, coupable, disaient-ils, d'usurpation et de félonie, un murmure d'indignation s'éleva dans l'assemblée. Tout ce qu'ils purent obtenir fut que le synode ne retournerait point la proposition contre Henri lui-même et ne procéderait pas encore à la condamnation judiciaire de ses révoltes, de ses cruautés, de ses infâmes mensonges. On lui fixa comme dernier délai de conversion et comme terme irrévocable pour présenter ses moyens de défense s'il en avait quelques-uns la date du 11 février suivant où se tiendrait un nouveau concile pour statuer avec plus ample connaissance de cause. Ses ambassadeurs durent garantir une seconde fois par serment au nom de leur maître la liberté pour les légats apostoliques de se rendre en Allemagne et d'y présider la diète nationale 2. Après quoi ils furent congédiés sans honneur, privés de la bénédiction apostolique et couverts de confusion3. » Ce résultat affirmé par un témoin contemporain et irrécusable justifie pleinement la sagesse du plan
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1.Cf. chapitre précédent, n"> 16.
2. Paul. Bernried. Vit. Greg. VII, Patr. Lai., tom. CXLVIII, col. 18
3. Berthold. Annal. Patr. Lat, tom. CXLVII, col. 421.
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suivi par Grégoire VII, méconnu alors par les Saxons trop impatients et calomnié depuis par des écrivains mal renseignés1. Avant de lancer contre Henri IV un anathème définitif, le grand pape voulait que la conscience publique fût éclairée sur les agissements tyranniques de ce prince non pas seulement en Saxe où ils étaient notoires mais dans les autres provinces du monde catholique, en France et en Italie surtout où la faction schismatique unie à Henri IV comptait de si nombreux adhérents. Un progrès énorme venait de s'accomplir d'un concile à l'autre et dans un intervalle de quelques mois. Le synode précédent avait de prime abord manifesté ses sympathies pour Henri IV et réclamé une sentence d'excommunication contre Rodolphe 2. La nouvelle assemblée s'inspirait d'un sentiment tout contraire, peu à peu la vérité se faisait jour dans les esprits ; le temps venait où le grand pontife pourrait enfin lever le glaive de la justice spirituelle sur la tête du roi coupable.