Darwin 1

Darras tome 42 p. 289

 

   15. Le positivisme, en rejetant la théologie et la philosophie, ne pouvait éviter les terribles problèmes de cosmologie, de géologie et d'anthropologie que posent la raison et la conscience de l'homme, et il ne pouvait les résoudre que de deux façons: en alléguant une ignorance invincible ou en cherchant, dans la matière seule, des éléments de solution. Le premier parti était, pour de si grands esprits, difficile à accepter; le second fut embrassé par un certain nombre d'esprits téméraires, dont le
principal fut le parrain de la nouvelle doctrine, Darwin. Déjà, dans l'antiquité, les poêtes s'étaient plu aux fictions. Ovide parle de fleurs écloses sans que la main du jardinier ait répandu la semence; et de rats nés de la terre après le déluge, la tête déjà formée, quand les corps restaient confondus dans le limon. Dans la fable d'Aristée, Virgile fait naître un essaim d'abeilles, des flancs pourris d'un taureau. Paracelse, au XVI° siècle, ima­ginait de créer des souris avec du linge sale, et Voltaire, au XVIIIe, pensait pouvoir créer des anguilles, comme des petits patés, avec de la farine. Telliamed, ou plutôt De Maillet, disait l'homme sorti d'un poisson-volant tombé dans des roseaux, qui s'était fendu la queue dans sa chute; un autre le faisait venir du singe, qui se serait créé un nez en soignant un rhume de cerveau. « L'homme, avait conclu Lamarck, n'est que la der-
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p290    PONTIFICAT  DE  PIE IN  (1810-1878)

 

nière expression de changements survenus par degrés chez les espèces animales, à commencer par les plus humbles. » De nos jours, ces affirmations ridicules et ces fictions poéliques, furent reprises par l'anglais Darwin,  par l'allemand  Haeckel, et par leurs disciples français,   Broca, Sée, Vulpian, Axenfeld, gens qui se disent médecins, mais qui ne seraient, si l'homme est une bête, que des vétérinaires. Le père et le parrain de cette incom­mensurable erreur était Charles Darwin, naturaliste anglais, né à Schrewbury, en 1809. Dans sa jeunesse, fidèle aux habitudes voyageuses de ses compatriotes, il avait fait le tour du monde, visité en particulier la Terre de feu et l'archipel indien. De retour, avec une santé affaiblie, le savant se confina à Down, village voisin de Londres et y vécut quarante ans: il est mort en 1882 et a été inhumé à Westminster. En 1859, Darwin avait publié l'Origine des espèces; en 1871, il publiait la Descendance de l'homme. Nous ne contestons ni les talents, ni les vertus de l'auteur; il avait placé, dans ses livres, des témoignages de sa foi, témoignages qui ont été effacés par le fanatisme des traduc­teurs, et ses hypothèses, discutables sur les apparences qui le rendent plausibles, pouvaient même s'admettre, si l'on admet préalablement le Dieu créateur et organisateur de  l'univers. Mais,  pour les  exploiteurs du Darwinisme, les ouvrages de Darwin doivent se dresser comme des cartouches de dynamite pour faire sauter le ciel et évincer l'idée même de Dieu.  Mais enfin s'il n'y a pas de Dieu, comme vous l'affirmez, pourquoi donc vous échauffer et vous irriter sans cesse à rejeter cette affirmation, comme si Dieu était le bourreau de vos consciences et le cauchemar de vos âmes? On ne s'irrite pas ainsi contre le néant; vos fureurs ne sont que la charité retournée; et l'amour, comme la haine, ne supposent pas le néant de leur objet.

 

De son vivant, Darwin avait été acclamé par toutes les Aca­démies; il avait été loué chaudement par tous les coryphées de l'impiété contemporaine; on le saluait comme le Messie de la science nouvelle. Après avoir secoué tous les jougs, le monde actuel voudrait secouer le  joug deDieu, et pour s'y

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p291  §   I.   — LES  ERREURS  ET LES  HÉRÉSIES  A  L EPOQUE  CONTEMPORAINE 

 

enhardir, acclame tous les rebelles. Darwin fut savant, cela est hors de doute ; qu'il fut un puissant logicien, cela est plus que facile à contester. Son roman se réduit à des affirmations gra­tuites et toutes convaincues d'impossibilité. Voici, en deux mots, sa genèse fantastique. Au commencement, il n'existait rien, que l'inerte matière. Cette matière passa, on ne dit pas comment, de l'état terreux à l'état de gélatine. Ensuite la géla­tine s'anima et devint petit ver. Le ver devint poisson; le pois­son devint singe; le singe devint homme. L'homme ne descend pas d'en haut, il est sorti d'en bas; ce n'est pas Dieu qui l'a créé à son image et à sa ressemblance; c'est le limon des temps primitifs qui l'a engendré par une série graduelle de perfection­nements. La création, qui a préoccupé et fatigué l'esprit des plus grands philosophes, n'est plus un si profond mystère; c'est chose aussi simple qu'un conte de fées ou une métamorphose d'Ovide.

 

En voyant émettre de si étranges idées, le lecteur ne peut croire qu'un homme de bon sens, un savant surtout, ait pu émet­tre une si folle théorie. Instinctivement on demande la preuve. La preuve se déduit en répétant par le détail, avec force descrip­tions pittoresques, ce qui s'énonçait d'abord en propositions gé­nérales. D'abord l'Amphioxus est, après la gélatine et l'asticot, le chef de notre race. L'amphioxus est un poisson rudimentaire, pas plus gros que l'anchois; il possède à peine un cerveau, un cœur, une colonne vertébrale. « Comme il pullulait, dit Darwin, dans les premières périodes géologiques, on est en droit de conclure que tous les membres du règne vertébré, y compris l'homme, en descendent. C'est donc grâce à l'amphioxus que nous avons pu mettre la main sur le fil qui devra nous conduire pour remonter la chaîne des êtres. » Vous ne saisissez pas très bien la ressemblance entre l'amphioxus et l'homme. Comment les branchies ont-elles été remplacées par les poumons; com­ment le cœur, le cerveau et l'épine dorsale ont-ils pu sortir de rien; et qu'a-t-on fait des écailles? Mais pas de difficultés : il faut croire d'abord à l'homme-poisson. Voici maintemant l'homme-

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p292       pontificat ne pif ix (1850-1878)

 

singe. « Les premiers ancêtres de l'homme étaient couverts de poils ; les deux sexes  portaient la  barbe; leurs oreilles étaient pointues et mobiles; ils avaient une queue  desservie par des muscles propres; leurs pieds, à en juger par l'état du gros orteil, devaient être préhensibles; ils vivaient habituellement sur les arbres, dans quelque pays chaud, couvert de forêts; les mâles avaient de grandes canines qui leur servaient d'armes formidables. » Nous descendons donc du singe, mais de quelle espèce? Darwin avait à choisir entre le singe commun, le ba­bouin et le chimpanzé. Darwin écarta le gorille, comme trop féroce, et opta pour le chimpanzé, d'humeur plus douce, dont la femelle, en se pommadant, pouvait hâter le progrès de l'espè­ce. Comment le chimpanzé est devenu un homme, Darwin, qui ne doute de rien, parce qu'il ne se doute pas de grand'chose, explique sérieusement la transformation des dents, des oreil­les, du nez, des mains, la chute du poil et la disparition de la queue. Ces fantaisies ne peuvent pas se prendre au sérieux, et quand elles se prendraient au sérieux, elles ne renverseraient pas des doctrines autrement lumineuses que ces folles imagi­nations.

 

   Avant d'admettre ces hypothèses, il fallait en démontrer le principe, l'organisation spontanée de la matière morte. Ce pro­fesseur Pouchel, de Rouen, avait prétendu en fournir la preuve scientifique. Les chimistes Claude Bernard, Dumas, de Quatrefages, Payen s'inscrivirent en faux contre sa thèse et le chimiste Pasteur fournit, de son néant, d'indiscutables preuves. Devant l'Académie française, Pasteur put délarer très haut que le néant n'engendre pas l'être, que la nature morte n'engendre pas la vie, que la série progressive des êtres ne peut ni se produire ni s'expliquer par les seules forces de la matière, qu'enfin rien de physique ne peut procurer dans l'homme la puissance de l'es­prit. Chose remarquable! le socialiste Proudhon mis en présence des expériences de Pouchet, lui écrivit : « Vos expériences m'é­pouvantent; vous m'avez fait assister à la création ex nihilo.. Il y a un abîme entre vos macérations et vos fourmilières d'infusoires.

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p293   1.   —  LES ERREURS  ET  LES HÉRÉSIES  A  LÉP0QUE CONTEMPORAINE

 

   Vous nous faites voir la vie, l'animalité naissant à même la ma­tière : c'est votre expression. La préexistence des germes était une hypothèse bien séduisante; vous niez et détruisez cette hypothèse. Je prêtais à la matière une sorte d'idée obscure, de rêve, de conception métaphysique; vous me forcez de renon­cer à cette chimère; d'après vous, Bactrions, Vibrions, Monades, naissent comme la lumière nait dans la Genèse; comme nait le cristal dans le précipité chimique, d'un coup, par une sorte de fulguration, de décharge électrique. Sans doute, il y a progrès d'une espèce à l'autre; l'échelle animale est infinie. Mais le pied de cette échelle n'en repose pas moins sur le néant; et, si vous aimez mieux, sur l'action immédiate d'une force inconnue, qu'il ne nous reste plus qu'à appeler le créateur ou Dieu. Voilà, je le répète, ce qui me foudroie; je vous aurais vu ressusciter un mort que mon étonnement ne serait pas moindre... Ah! monsieur, ceux qui vous traitent de matérialiste, d'impie, sont bien sots. Quel parti je tirerais de vos expériences, si j'avais à défendre la cause du mysticisme! J'ai été peu touché, dans ma jeunesse, des prétendues démonstrations de l'existence de Dieu; mais, en vous lisant, vous, je ne m'en cache pas, j'ai été trou­blé comme si j'avais assisté à un miracle » (1).

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