Je vous partage des extraits de Darras concernant le césaro-papisme de la plupart des empereurs et évêques de Constantinople, la seconde Rome.
Darras tome 15 p. 110
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2.La notice officielle constate, on le voit, avec un soin particulier, l'absence de toute ratification préalable par l'empereur de Constantinople ou par l'exarque de Ravenne, dans l'ordination du nouveau pontife. Le blocus de Rome par les Lombards était tellement rigoureux, que toutes les voies de communication, soit avec le nord de l'Italie, soit avec la mer, étaient fermées. Il semble que l'occasion eût été favorable pour revendiquer le principe de la liberté d'élection; mais l'Église romaine avait dès lors et n'a jamais cessé de conserver une politique bien différente. Elle place le droit au-dessus des accidents humains, et n'estimerait pas digne d'elle
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de tirer profit au jour le jour, comme les diplomates vulgaires, de ce qu'on appelle les événements de force majeure. L'immixtion du pouvoir civil dans l'élection pontificale était une usurpation d'un roi goth, reprise par bénéfice de conquête à l'époque de Justinien, et jalousement maintenue comme un privilège inaliénable par les empereurs byzantins. L'heure devait venir où le pouvoir civil lui-même reconnaîtrait l'injustice de cet abus, et y renoncerait le premier. Jusque-là Rome, qui est patiente parce qu'elle a les promesses d'immortalité, sut attendre et respecter une sorte de concordat que la violence au début lui avait imposé, mais qui formait en définitive une garantie d'union entre les deux puissances………………
4. Au moment où Pélade II montait sur le trône pontifical, Justin le Jeune mourait à Constantinople (5 octobre 578), après un règne ou plutôt une démence de douze ans. L'ambitieuse Sophie
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avait impatiemment attendu la mort de cet époux tombé en idiotisme, dans l'espoir que Tibère Constantin, son fils adoptif, deviendrait son second mari et lui rendrait le titre d'impératrice régnante. Après les funérailles de Justin, Tibère se rendit au cirque, où le peuple l'attendait pour la cérémonie de la prise de possession. Dès que, ceint du diadème et revêtu de la pourpre, il eut pris place sur le trône, la foule s'écria : Vive l'empereur ! Vive l'impératrice ! Montrez-nous l'impératrice ! — Sophie crut toucher à la réalisation de ses rêves de seconde fortune. Son étonnement et sa consternation furent extrêmes, en voyant entrer dans le cirque la légitime épouse de Tibère, la nouvelle impératrice Anastasie, accompagnée de deux jeunes princesses ses filles, Constantina et Charito. Toutes trois étaient demeurées jusque-là inconnues à la veuve de Justin. Tibère les embrassa tendrement, mit la couronne sur la tête d'Anastasie et présenta au peuple la nouvelle famille impériale. Quelques mois après, une insurrection éclatait à Constantinople, en l'absence de Tibère. La vindicative Sophie avait offert le trône et sa main à un petit-neveu de Justinien, portant le même nom que son grand oncle. Toutes les mesures étaient prises par les conjurés, lorsque Tibère, informé du complot, reparut à la tête d'une troupe fidèle. Après avoir dispersé les séditieux, son premier soin fut de se rendre à la basilique, afin d'y rendre grâces à Dieu. Justinien et Sophie lui furent amenés pour qu'il prononçât sur leur sort. Il leur fit grâce et, à force de clémence, finit par désarmer leur haine. ……………
Le général Maurice venait de remporter en Arménie une série de victoires contre Chosroès I, et contre son fils Hormisdas. L'empereur Tibère l'en récompensa par la main de la princesse Constantina, sa fille aînée, et le désigna comme son futur successeur au trône de Byzance. Ces succès malheureusement trop éphémères raffermissaient, moralement du moins, en Italie l'autorité impériale. Il eût fallu y joindre l'appui effectif d'une armée : mais les Abares, maîtres de Sirmium, menaçaient Constantinople à l'ouest; les Turcs, alliés des Perses, tenaient en échec les provinces de l'extrême Orient, et ne permettaient point à l'empereur de dégarnir ses frontières. Tout semblait donc conjuré pour la ruine du nom romain. «Au milieu de tant d'agitations et de maux, disait Grégoire, je crois voir approcher la dernière heure du monde 2. »…….
10. Si l'empereur Tibère Constantin avait pu faire passer alors quelques troupes dans la Péninsule, peut-être des jours plus heureux se fussent-ils levés pour l'Italie. La bonne volonté ne manquait pas à ce prince, mais il n'avait pas trop de toutes ses troupes pour lutter contre la Perse……………
« L'évêque de Constantinople, Eutychius, professait, dit-il, (c'est l'apocrisiaire Grégoire que parle) un sentiment erroné sur le dogme de la résurrection. Il prétendait que nos corps, ressuscités dans la gloire, ne conserveront plus rien de leur ancienne nature; qu'ils seront impalpables, et d'une subtilité plus grande que celle de l'air le plus épuré. Il avait écrit sur ce sujet un traité fort répandu en Orient. Je crus devoir l'avertir de son erreur. Le type de notre résurrection future, lui dis-je, est celle de Notre-Seigneur lui-même. Rappelez-vous donc la parole de Jésus-Christ à ses disciples : « Touchez et voyez : un
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esprit n'a ni chair, ni os, ainsi que j'en ai 1. » — Cela ne prouve rien, répondait Eutychius. Notre-Seigneur en parlant ainsi voulait seulement dissiper le doute qui subsistait encore dans l'esprit des apôtres sur la réalité de sa résurrection. — Quoi! m'écriai-je. Vous trouvez pour nous un sujet de doute, dans le fait même qui dissipa le doute des apôtres ! Il serait étrange que notre foi périclitât précisément par la raison qui confirma la leur. — Nullement, répliqua-t-il. Le corps de Notre-Seigneur était encore palpable au moment où le touchèrent les apôtres, mais après cette confirmation de leur foi chancelante, il cessa de l'être, pour revêtir définitivement toutes les propriétés d'un corps ressuscité dans la gloire. — Mais, lui dis-je, vous oubliez le mot de saint Paul : «Le Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, la mort ne reprendra jamais sa domination sur lui2. » Si la transformation que vous supposez dans le corps de Notre-Seigneur a pu avoir lieu après la résurrection, cette parole de l'apôtre n'est plus vraie. La mort aurait une seconde fois agi sur le corps du Christ, en lui faisant perdre sa palpabilité. — Rappelez-vous, vous-même, objecta-t-il, qu'il est aussi écrit : «La chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu3. » Par conséquent la chair ne ressuscitera pas réellement dans l'état où elle est. — Et pourquoi? demandai-je. Autre chose est ressusciter avec la même nature; autre chose ressusciter avec la corruption, suite du péché. Saint Paul, en disant que « la chair et le sang ne posséderont point le royaume de Dieu,» entend parler de la chair telle que l'a faite le péché originel, et non de sa nature même. Il en donne la preuve et le motif, en ajoutant immédiatement que « la corruption ne saurait posséder l'incorruptible. » Donc, la chair sera glorifiée avec sa nature de chair, mais sans la concupiscence ni les infirmités de la mortalité déchue. — Eutychius ne fit pas difficulté de reconnaître qu'il était touché de mes raisons; cependant il persistait à soutenir l'impossibilité pour les corps ressuscités d'être palpables. Nous eûmes à ce sujet de longues discussions. La mutuelle harmonie qui avait régné jusque-là entre nous commençait à s'al-
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térer, lorsque l'empereur de pieuse mémoire, Tibère Constantin, daigna intervenir. Il nous ménagea en sa présence une conférence secrète à laquelle il voulut assister. Le prince comprit sur-le-champ la question, et comme il avait sous les yeux le traité composé par Eutychius, il en reprit tous les textes pour convaincre le patriarche par ses propres paroles. Après cet entretien, Tibère songeait à prendre des mesures pour faire brûler tous les exemplaires de ce livre. Mais Eutychius tomba malade peu de temps après; moi-même je fus pris d'une fièvre violente, et ne pus aller le visiter. Sur son lit d'agonie, il disait aux assistants, en leur montrant sa main amaigrie: « Je confesse que nous ressusciterons tous dans cette chair. » Ce fut dans ces sentiments qu'il mourut, complètement revenu à la foi orthodoxe 1. » (5 avril oS2.)………………
17. Jean le Jeûneur, patriarche de Constantinople, venait aussi de donner le scandale d'une révolte contre le saint-siége, et d'une usurpation de pouvoir. A propos d'une accusation, qui depuis fut trouvée calomnieuse, contre Grégoire d'Antioche, il s'était constitué juge, et s'arrogeant le titre d' «évêque universel, » avait convoqué à Constantinople un concile qu'il présida lui-même et qu'il qualifia de concile général. L'innocence du patriarche fut reconnue, mais Jean le Jeûneur maintint son titre et ses prétendus droits à la juridiction universelle. Informé de cette ambitieuse tentative, Pélage II (le pape) annula les actes du concile, excepté en ce qui concernait la sentence justificative prononcée en faveur de l'accusé. Il écrivit au diacre Laurent, son nouvel apocrisiaire à Constantinople, pour lui interdire toute communication in sacris avec Jean le Jeûneur. Enfin, il adressa la lettre suivante aux prélats qui avaient pris part au prétendu concile général : « A nos très-chers frères les évêques qui, en vertu d'une convocation illicite de Jean de Constantinople, se sont réunis en synode dans cette ville. Quelle n'est pas notre douleur, en voyant reparaître les germes d'un schisme condamné tant de fois, et que nous croyions étouffé pour jamais ! En présence de tentatives qui pourraient entraîner les conséquences les plus désastreuses, nous avons le devoir d'annuler des actes subversifs de tout ordre et de toute autorité ecclésiastique. Vous-mêmes, frères, vous déplorerez l'aveugle audace avec laquelle on s'est élevé contre les droits du siège apostolique, et contre la parole même du Sauveur, qui a dit au prince des apôtres : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église 1. » Nul d'entre vous, j'en ai la confiance, ne persistera à défendre un tel attentat. Nous avons été informé que Jean de Constantinople, dans des lettres souscrites de sa main et où il pre-
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nait le titre d'évêque universel, vous a convoqués, sous la présomption de ce titre usurpé, à un synode qu'il qualifiait de général. Or, le pouvoir de convoquer des synodes généraux appartient uniquement au siège apostolique du bienheureux Pierre, et il n'y a pas d'exemple qu'un seul concile ait été reconnu comme œcuménique, sans une confirmation venue de ce siège. Votre réunion n'a donc point été un synode, mais un conciliabule (conventiculum). C'est pourquoi, en vertu de l'autorité de saint Pierre, prince des apôtres, au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur et Sauveur, qui lui a donné la puissance de lier et de délier, puissance qu'il a indubitablement transmise à ses successeurs, je déclare nul et de nul effet tout ce que vous avez décrété dans cette réunion, en dehors de la cause de Grégoire d'Antioche. Si quelqu'un était assez audacieux pour prétendre maintenir la validité des actes que nous annulons, il serait séparé de la communion du siège apostolique. Les prédécesseurs de Jean, et Jean lui-même, nous ont souvent adressé, à nous et à nos saints prédécesseurs, des lettres et des rescrits où ils protestaient devant Dieu de leur ferme volonté de n'attenter jamais aux droits du siège apostolique, et de n'usurper aucun de ses privilèges. Ils s'engageaient, eux et leurs successeurs, sous peine d'anathème, à rester fidèles à ce serment. Ces lettres sont conservées, munies de leurs signatures et de leurs sceaux intacts, dans les archives de l'Église romaine. Il nous paraît donc inutile de procéder à une excommunication et à un anathème qui sont implicitement encourus ipso facto. Jean de Constantinople est averti que, s'il ne corrige au plus tôt son erreur, il sera solennellement exclu de la communion du siège apostolique. Ne tenez aucun compte du titre d'évêque universel qu'il a illicitement usurpé, n'assistez à aucun concile qu'il prétendrait convoquer sans l'autorité du siège apostolique. Que nul des patriarches n'use jamais d'un titre si profane ; celui qui le prendrait ne pourrait le faire qu'au préjudice des autres. Vous-mêmes, dans vos lettres, ne qualifiez qui que ce soit du titre d'évêque universel. Priez plutôt, frères, afin que l'honneur ecclésiastique ne subisse de nos jours aucune altération, et que jamais le siège de Rome qui, par l'institution de Notre-Seigneur, est le chef de toutes
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les Églises, ne soit dépouillé de ses privilèges 1.» Jean le Jeûneur ne se soumit pas immédiatement, et nous le verrons lutter bientôt avec saint Grégoire, devenu pape, pour le maintien de ces prétentions aussi étranges que ridicules…………….