Scanderbeg 5

Darras tome 31 p. 440


§ I. APPEL PONTIFICAL A LA CROISADE


1. Après avoir rendu les derniers devoirs à la dépouille mortelle de Nicolas V, les quinze cardinaux présents à Rome entrèrent en conclave selon les lois établies. Le choix du successeur à lui don­ner fut des plus laborieux: les deux premiers tours de scrutin de­meurèrent sans résultat. Alors quelques membres du Sacré-Collège se concertèrent hors du lieu du vote, et résolurent d'élire le cardinal Bessarion de Nicée. Il leur paraissait le plus apte au gouvernement de la République chrétienne, son nom était porté par un nombre respectable de voix. Son élection ne paraissait donc point douteuse ; au prochain tour de scrutin, il réunirait les deux partis qui divi­saient le conclave. Les choses en étaient à ce point, qu'il fut dès ce moment le centre de toutes les suppliques. Mais le parti contraire, informé de l'intrigue qui s'était ourdie, mit aussitôt tout en œuvre

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pour l'empêcher de réussir. Alain, cardinal d'Avignon, se montra le plus ardent à la combattre : « Eh quoi ! disait-il en allant de l'un à l'autre de ses collègues, à l'Église latine nous donnerions un pontife grec? au frontispice du livre nous inscririons un néophyte? Bessarion n'a pas encore fait tomber sa barbe sous le rasoir, et nous le mettrions à notre tête? L'Église latine est-elle donc si pau­vre, qu'elle ne puisse trouver un homme digne du suprême Aposto­lat sans aller chercher chez les Grecs? Agissez donc selon votre caprice, mes Pères. Quant à moi et à ceux qui voudront me croire, nous ne consentirons jamais à pareille élection. » Ce langage trouva des esprits qui se laissèrent ébranler : il suffit à rendre impossible l'accord qui semblait près de se faire. Bessarion, après avoir été regardé par l'opinion générale comme Pontife pendant une nuit, se retrouva, le matin venu, cardinal comme devant, ou plutôt avec un renom fort amoindri, ainsi qu'il arrive à ceux qui ont été pré­cipités du faîte d'une haute espérance. On se réunit de nouveau pour le vote, et l'on essaya du procédé dit par accession. Les deux partis s'accordèrent par ce moyen, et ce fut sur celui des membres du Sacré-Collège au choix duquel le peuple s'attendait le moins, — le cardinal espagnol Alphonse Borgia. Il prit le nom de Calixte III. Il avait alors plus de soixante-dix ans, soixante dix-sept, disent la plupart des auteurs. 2. Né à Valence, d'une des plus nobles familles de l'Aragon, il avait été  envoyé dès l'âge de 14 ans à l'académie d'Herda ou  Lérida. Il y fit de brillantes études, et surtout acquit une science si parfaite du droit qu'on le choisit pour le professer. Il fut alors agrégé au collège des chanoines d'Herda même par Pierre de Luna, que les Espagnols appelaient toujours Benoît XIII. En peu de temps, sa réputation de juriste fut universelle. Alphonse d'Aragon l'appe­lait au nombre de ses conseillers et des confidents de sa politique. Il refusa d'abord l'administration de l'Église de Majorque offerte par le pape Martin V, qui lui donna bientôt après l'évêché de Valence. C'est lui qui fut le principal auteur de la soumission de l'antipape Gilles Munos, ce posthume continuateur du schisme. Vers ce temps, il négociait la conclusion de la paix entre l'Ara-

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gon et la Castille qui couraient aux armes. Envoyé par Alphonse à Eugène IV, il déclinait l'honneur du cardinalat sans hésitation aucune, ne pouvant, disait-il, l'accepter honorablement, puisqu'il avait échoué dans la mission qu'il venait remplir à Rome. Plus tard cependant il consentit à recevoir le chapeau des mains de ce même pontife. Dans cette haute dignité, il ne montra pas moins de modestie que lorsqu'il était simple évêque, restant toujours ennemi de tout faste et de toute vaine gloire. Enfin, il s'était fait remar­quer dans le Sacré-Collège par son incorruptible sincérité1. Aussi­tôt après son avènement, Calixte III reprit énergiquement l'œuvre de son prédécesseur contre les Turcs. Il renouvela le décret qui appelait tous les rois et princes chrétiens à cette sainte expédition, envoya des légats de toutes parts, répandit dans le monde entier des prédicateurs pour souffler sur les peuples le vent de la croi­sade, pressa l'armement d'une flotte sous ses yeux. Florence par la voix de saint Antonin, l'empereur Frédéric par celle d'AEnéas Sylvius, les princes et les puissances catholiques par l'entremise de leurs ambassadeurs, en félicitant le nouveau Pontife au sujet de son avènement, l'encouragèrent à l'envi dans ses généreux desseins contre les Infidèles2.

 

    3. A son tour, il prodigua les exhortations auprès d'Etienne Thomas, roi de Bosnie, qui lui faisait manifester par son ambassadeur Jacques Testa sa ferme résolution d'entrer en campagne con­tre les Ottomans : il le conjurait de ne souffrir aucun retard à ce louable dessein, et prenait sous le patronage de l'Église ses Etats et ceux du comte son fils. Jean Hunyade et le roi de Hongrie Ladislas avaient des différends avec la couronne de Bosnie ; l'évêque de Fano fut envoyé dans ces contrées pour éteindre la querelle. Peu de temps après, le cardinal Denis de Saint-Cyriaque partait pour la Hongrie, avec   mission de  réconcilier ou tout au moins

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1 Stcth. Tsfissub., Ms. bibl. Vat. sign. num. 111. — Gobklix, Comment. PU. Il, 1. I. /En. Sylv., de Europ., 58. — S. Anton., m p. tit xxn, 14 in prin-cipio. — Bartdol. Platin., in Callist., m.

2. Platis., in Callist. m. — Cou,., Hist. Hussit., xi. — Phileph., nu, epist. 1 ad Callist. pagam. — j£n. Sylv., de Europ., S8. — S. Aston., ut p. tit. vm, 44 et 16 in principio ; aliique omnes ubi supra.

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d'amener à une trêve les Grands dont les déplorables divisions dé­chiraient ce royaume; il devait en outre s'opposer à toute conclu­sion d'une suspension d'armes avec Mahomet, puis obtenir du roi Ladislas et de son conseil que l'armée fût prête à marcher contre les Infidèles au printemps prochain. Le cardinal Jean Carvajal fut plus particulièrement chargé de l'enrôlement et de l'organisation des croisés dans toute la Germanie1. Il y avait une nécessité du mo­ment, qui ne pouvait pas attendre, pour qu'on y donnât satisfac­tion, jusqu'au jour où les cardinaux-légats auraient mené à bonne fin l'œuvre de la réconciliation des princes et des peuples catholi­ques, organisé la croisade, recueilli les sommes indispensables pour soutenir les dépenses de l'expédition : il était urgent d'envoyer une flotte dans les eaux du Levant, où les vaisseaux de Mahomet dé­vastaient les îles de la mer Egée, et vomissaient sur le littoral du con­tinent des troupes qui portaient le ravage tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Calixte lll ne se berçant point d'illusions, avait lui-même réuni cette flotte; il en donna le commandement à l'archevêque de Tarragone. Cependant, les nouvelles qui arrivaient de la Grèce aux Occidentaux prenaient de jour en jour un caractère plus alar­mant. On avait maintenant la douloureuse certitude de l'alliance des Turcs avec les Tartares ; aucun vaisseau d'Europe ne pouvait plus pénétrer dans la mer Noire, et, s'il restait encore dans ces pa­rages des colonies chrétiennes qui n'eussent point succombé, la résistance ne pouvait plus être longue. La puissance de Gênes sur­tout était atteinte par ce coup.

 

4. Pour comble de disgrâce, les Génois ne pouvaient rien tenter pour les secourir, impliqués qu'ils étaient dans des dissensions intestines, qu'Alphonse d'Aragon nourrit et accrut en dirigeant des forces de terre et de mer contre le doge Pierre Fregosio. Malgré cela, le doge parvint à remporter un triomphe complet sur ses ad­versaires. Il ne s'en prévalut vis-à-vis d'Alphonse que pour le con­jurer de confirmer la pacification de l'Italie. Mais la conduite dé­loyale de ce prince, qui avait tourné contre Gênes les armes et

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1 Cocl. Hist.  Hussit.,  xi.  — S. Anton.,  m p. tit.  mi, 14  in   principio. — Wadding., Annal. Minorit., tom. VI, aun. 1455, Dum. 43.

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tous les subsides avec  lesquels il  avait promis de combattre les Turcs, trouva moins d'indulgence auprès du Souverain Pontife, et fit surgir un premier nuage entre les cours de Naples et de Rome. Il y eut une autre cause de dissentiment. Alphonse disait à qui voulait l'entendre que Calixte, autrefois son sujet, un des serviteurs les plus dévoués à sa puissance, et qui lui avait dû même le cardi­nalat, ne saurait lui rien refuser, juste ou injuste.  Comme pour donner une preuve manifeste à ces imprudentes assertions, il osa demander que le royaume de Naples lui fût livré à titre fiduciaire avec  dévolution à son fils adultérin Ferdinand, que le Pape leur fît don du Picénum et d'autres terres appartenant à l'Eglise. Ces demandes iniques reçurent l'accueil qu'elles méritaient. Pour le royaume  de Naples, Calixte décida qu'à la mort d'Alphonse il retournerait au Saint-Siège.   L'autre demande était encore plus inadmissible, et, comme Jacques Piccinini laissait voir l'intention d'entreprendre quelque coup de main avec l'aide des Aragonais, le Pape donna l'éveil aux Grands  et aux magistrats de l'État ecclé­siastique 1. II ne faut pas perdre de vue cette impossibilité absolue où la justice mettait le Souverain Pontife de contenter le roi d'Ara­gon et des Deux-Siciles : par la position de ses États et le dévelop­pement de sa puissance maritime, ce monarque pouvait décider du succès ou de l'insuccès de la guerre d'Orient. L'indisposer, c'était risquer de compromettre une entreprise pour laquelle le Saint-Siège avait fait et continuait à faire tant d'efforts. A chacun  donc ses responsabilités devant l'histoire, et l'année 1456 en fera peser de bien lourdes sur les princes catholiques de ce temps-là.

 

   5. La mission de recueillir en France la dîme  des revenus, d'y prêcher la croisade et d'obtenir de Charles VII qu'il contrihuât à la défense de la cause catholique contre les Ottomans, fut confiée au cardinal Alain d'Avignon. Contre l'attente du Souverain Pontife, Charles VII, au lieu de la seconder, défendit dans ses États la pu­blication des lettres apostoliques qui appelaient ses peuples à la guerre sainte. Cédant aux inspirations d'une politique toute terres-

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1 Fouet., x. — S. Anton., m ]>. til. ixn, 1G § l. — Gobelix., Comment. PU II, lib. I.

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tre, il ne voulait pas dégarnir le royaume de ses forces, en prévi­sion des attaques éventuelles des Anglais. Pour l'honneur de la fille ainée de l'Église, et, malgré l'attitude déplorable de quelque prélats, l'altitude du roi ne trouva pas que des imitateurs serviles. Le légat obtint le plus chaleureux appui auprès du duc d'Orléans, chancelier du royaume, du comte de Saint-Martin, et de plusieurs autres barons. Alors Charles VII, revenant à moitié sur sa décision première, consentit à la levée de la dîme ecclésiastique ; mais il maintint la défense d'enrôler des soldats pour la guerre du Levant. Ce fut une nouvelle cause de dissentiment avec son fils le dauphin Louis, dont le pieux désir semblait être, ou même était de conduire une armée contre les Infidèles. Il y avait, entre le père et le fils, d'autres motifs de désaccord : Un adultère amour tenait Charles éloigné de la reine, mère du Dauphin ; les richesses et l'autorité de quelques favoris portaient ombrage à ce dernier. Depuis quatre ans il avait quitté la Cour et s'était retiré dans le Dauphiné, son apanage. Un mécontent passe bientôt pour un conspirateur. Il ap­prit tout à coup que le roi son père réunissait une armée contre lui, pour le contraindre à implorer son pardon et à rentrer dans le devoir. Cette circonstance le décida à chercher asile auprès de Philippe de Bourgogne, qui avait pris la croix. Charles VII éprouva de cette retraite de son fils le plus grand déplaisir : il fit prier le Pape d'intervenir et de mettre fin au différend. Galixte répondit qu'il donnerait volontiers son entremise en cette affaire, comme aussi pour aplanir les difficultés pendantes avec les Anglais ; mais il exigeait que ses instructions relatives à la croisade fussent ponc­tuellement exécutées, et, par conséquent, qu'il n'y eût plus opposi­tion aux enrôlements des troupes. Or, sur ce dernier point, Char­les VII éprouvait une répugnance invincible : il lui semblait que permettre aux forces vives du royaume de s'en éloigner, c'eût été comme une invitation aux Anglais de se jeter de nouveau sur la Normandie et l'Aquitaine, pour tâcher de ressaisir leurs possessions continentales d'autrefois1.  Le remède à cette situation aurait été

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1 S. Anton., m p. lit. xxu, 1-4 in  principio. — Monstkelet., Rist., vol. m, p. 65. — Pacl. /Emil., Citron., anno 1450. — Gaguin., Chron., eod. anno.

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qu'Henri VI d'Angleterre tournât aussi contre les Turcs les forces de son royaume. Calixte III le sentait bien ; il prodiguait les exhor­tations pour l'amener à ce noble dessein. Le doge de Gênes lui adressait aussi à ce sujet une lettre pressante 1. Mais Henri nourris­sait en effet la secrète intention de recommencer les campagnes de France.


   6. Le Saint-Siège, ne pouvant arracher ces deux rois à l'attitude expectante qu'ils gardaient l'un vis-à-vis de l'autre, dut renoncer à leur secours. Comme il s'appliquait à réussir auprès des autres puissances, et principalement à consolider la pacification de l'Italie, Alphonse, roi d'Aragon et de Naples, plutôt avide de vengeance que de dévouement à la Foi, suscita de nouveaux troubles dans la Pé­ninsule. Il était fort irrité contre Sienne, et n'attendait qu'une oc­casion pour le lui faire sentir: elle se présenta. Jacques Piccinini, qui dans la précédente guerre avait porté les armes à la solde des Vénitiens et qui maintenant était en quête de moyens pour ali­menter ses hommes, n'ayant pas réussi dans un coup de main sur la Flaminie, grâce à la vigilance des pontificaux, se jeta sur le terri­toire Siennois, et la cour de Naples n'hésita pas à violer les traités pour le soutenir. Les ducs de Milan et de Venise, fidèles aux engage­ments pris, se levèrent contre l'envahisseur d'une république amie et lui infligèrent une grande défaite. Piccinini néanmoins réunit les débris de ses troupes, occupa Orbitello par trahison, et reprit les hostilités avec une fureur nouvelle, se sentant appuyé sur la côte par les vaisseaux aragonais. Il alla plus loin : par des sicaires grassement soudoyés il essaya de faire incendier la flotte que le Pape formait pour l'envoyer contre les Infidèles. Heureusement il échoua dans cette criminelle tentative ; elle attira sur sa tête les foudres de l'excommunication. Comme il se riait des censures, Ca­lixte unit ses troupes à celles des Siennois, des Vénitiens et de Mi­lan confédérées, puis fit mettre le siège devant Orbitello. C'en était fait du redoutable agitateur, s'il n'avait réussi à changer en déserteurs les soldats  que ses adversaires   avaient pris à leur solde. Ces

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1.Hiérox. JJokzell., Eptet. procer. mundi collecl., p. 322,

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hommes trahirent la cause dont ils avaient accepté la défense, parce qu'on leur fit entendre que la pacification de l'Italie les met­trait dans la nécessité de retourner à la glèbe, aux rudes travaux des champs. Les Siennois, reconnaissant qu'il leur était impossible de continuer la guerre, envoyèrent comme négociateur à la cour de Naples leur évêque, le cardinal AEnéas Sylvius, auquel se joi­gnirent les députés du Pape, des Florentins et de Philippe Visconti. Le cardinal réussit pleinement dans sa mission : une nou­velle paix générale des États italiens fut promulguée le 4 juin 1456.

 

   7. Il y avait là un puissant motif d'espérer que le mouvement  de la croisade, un instant arrêté par la guerre de Sienne, pourrait  promptement se rétablir 1. Alphonse de Portugal était un de ceux que les troubles en Italie avaient détourné de l'expédition contre les Turcs. L'oncle du roi et l'infant don Fernand avaient pris la croix; le roi lui-même avait déclaré qu'il se mettrait à la tête des croisés portugais et qu'il irait à Constantinople pour en expulser les Turcs et la rendre aux catholiques. Or, il s'était annoncé comme devant passer à Rome en traversant l'Etrurie, et le Pape avait ob­tenu pour lui des Florentins et des Siennois le libre passage sur leurs territoires. Mais, en apprenant que ces contrées étaient en état de guerre, le roi de Portugal jugea prudent de ne point quitter ses Etats. Néanmoins, il avait envoyé une escadre de quinze vaisseaux, avec ordre de se joindre à la flotte pontificale. Ces forces étant ar­rivées dans les eaux d'Italie au moment où la guerre de Sienne sé­vissait dans toute sa fureur, les chefs, impatientés des retards qui leur firent considérer l'expédition dans le Levant comme fort com­promise, donnèrent l'ordre de mettre à la voile et retournèrent dans leur pays 5. Alphonse d'Aragon avait également promis l'en­voi de quinze vaisseaux ; aussitôt après la conclusion de la paix avec Sienne, le Souverain Pontife lui rappela son engagement. Mais de nouveaux empêchements ne tardèrent pas à surgir. La paix définitive, négociée par le cardinal Dominique Capranica en-

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1 Gobeli*., Comment. PU II, ]. I. Malavolt., /iist. Senens,, m, p. 3.

2. Marian., de reb. Hispan., xxu, 17.

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tre les Génois et l'Aragonais, était à la veille d'être signée, lors­qu'on fut arrêté de nouveau par une misérable querelle. C'était au sujet d'un vaisseau marchand, que les uns réclamaient et que l'autre refusait de rendre. Pourtant, une trêve fut conclue. Mais elle était rompue bientôt après, par suite de troubles, survenus en Corse. Alphonse accusa les Génois d'en être les instigateurs, ajoutant qu'il n'enverrait pas un soldat contre Mahomet avant d'avoir dompté leur République. En réalité, il ne cherchait, ainsi que les Génois lui en firent le juste reproche, qu'un mau­vais prétexte pour manquer à son serment d'aller combattre les Turcs. Aussi la flotte que l'archevêque de Tarragone, en sa qualité de légat du Saint-Siège, avait équipée au moyen de la dîme sainte, fut-elle tournée contre la Ligurie, dont elle ravagea le littoral, malgré les protestations indignées de Calixte contre la conduite d'Alphonse, de l'archevêque de Tarragone et de l'amiral Olzina de Monte-Albano.

 

§ II. L'EUROPE SAUVÉE PAR L'HÉROÏSME RELIGIEUX

 

   8. Le roi d'Aragon et des Deux-Siciles demeura sourd aux remontrances du Pontife : il oubliait le soin de son honneur, il endormait les remords qui poursuivent le parjure, dans le tourbillon des plaisirs. Calixte ne se découragea point pour cette déconvenue: il mit tout ce que son trésor avait de ressources à l'équipement d'une flotte, qui partit pour l'Orient sous les ordres du cardinal Louis de Saint-Laurent. Les Génois de leur côté ne faillirent point à leur devoir: quoique tourmentés par les attaques d'Alphonse, ils envoyèrent des vaisseaux au secours de Lesbos, de Lemnos et de Caffa. Arrivé à Naples avec la flotte pontificale, le cardinal lé­gal y trouva le roi peu disposé à tenir ses engagements, et ne put réussir à le ramener à des résolutions meilleures. Pour ne pas per­dre en négociations vaines un temps précieux, il mita la voile vers la Sicile, puis cingla vers les mers du Levant1. Pendant ce temps

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1 Biz.ut., m. — Fouet.,  s. Goiielin.,   Comment.,  î.   —  Hier.  Do.xzelin., p. 319.

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Mahomet II lançait sur la Hongrie cinquante mille hommes, pour s'ouvrir une voie à la conquête du reste de l'Occident. «Puisqu'il n'y a, disait-il, qu'un seul Dieu qui règne dans le ciel, il ne doit y avoir qu'un seul prince qui règne sur la terre. » Les Barbares por­tèrent leurs premières fureurs contre Belgrade, cette Nandor des Hongrois que les Latins appelaient Albe-la-Grecque, et qui est si admirablement située au confluent du Danube et de la Save. Amurât s'était déjà laissé tenter par cette riche proie ou plutôt de cette magnifique position ; il n'y avait renoncé qu'après sept mois d'un siège inutile. Lorsqu'ils apprirent la nouvelle irruption des soldats de Mahomet, le roi Ladislas et le comte Ulric, comme s'ils désespéraient de pouvoir défendre la Hongrie, se retirèrent préci­pitamment en Autriche jusqu'à Vienne. Plus soucieux de l'honneur du nom chrétien, le cardinal-légat de Saint-Ange ne quitta pas Bude, et fit des prodiges de zèle pour obtenir de prompts secours. L'immortel franciscain Jean de Capistrano, se mettant à la tête des troupes que sa parole ardente avait enrôlées sous l'étendard de la Croix, se portait résolument aux approches de Belgrade pour es­sayer d'en faire lever le siège.

 

9. La place était défendue par Jean Hunyade. Pour Mahomet, pendant que ses canons battaient en brèche les murs de la ville,  ses vaisseaux sur le Danube interceptaient toute communication du dehors avec les assiégés, et ses fourrageurs dévastaient la cam­pagne environnante. Le légat cependant avait pu envoyer une flotte au secours d'Hunyade. Les vaisseaux des deux flottes s'enche­vêtrèrent si bien les uns parmi les autres que tout espoir de retraite dut être abandonné. Le combat se soutint longtemps avec un acharnement indescriptible ; le sang rougit le fleuve sur un long parcours. Tout à coup, dans un suprême effort, les Hongrois par­vinrent à rompre les chaînes de fer qui tenaient les vaisseaux ennemis l'un à l'autre, et réussirent à mettre le feu à la flotte turque. Vingt-sept navires de Mahomet, qui ne furent pas la proie des flammes, tombèrent en leur pouvoir. Leur victoire fut si com­plète que le moindre empressement des puissances catholiques après un tel succès aurait suffi pour en faire le premier pas vers
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l'écroulement de l'empire turc en Europe. Mais aucun des princes occidentaux, sans en excepter même Frédéric et les princes alle­mands, ne sortit de son immobilité coupable ; aucun n'entendait les exhortations et les appels réitérés du Souverain Pontife1. Mal­gré la défaite navale qu'il venait d'essuyer, Mahomet II ne voulait pas avoir la honte d'abandonner son entreprise, avec une grande armée, devant une poignée d'hommes.

 

   10. Quinze jours après, ses canons avaient abattu les tours de la ville, ouvert sur plusieurs points de larges trouées dans les   murailles, comblé les fossés. Il semblait que rien désormais ne put faire obstacle à l'irruplion de ses troupes. Le lendemain, dès l'au­rore, tous ses bataillons lancés à sa voix s'ébranlèrent au bruit des trompettes et des tambours. Dans la fureur du premier élan, en se frayant un chemin à travers des monceaux de cadavres, ils arri­vèrent au cœur de la ville. Les Hongrois, malgré la disproportion du nombre, se défendaient comme des lions. Sur les places, aux carrefours, dans les rues, partout où deux hommes pouvaient se mouvoir l'un contre l'autre, on combattait, on luttait avec achar­nement. Le sol se jonchait de morts et de blessés. L'horrible con­fusion de la mêlée se répercutait dans l'air en un grondement si­nistre fait des clameurs des combattants, des plaintes déchirantes des blessés, du bruit mat des épées heurtant les épées. Là le Turc était contraint de lâcher pied et de prendre la fuite, ici c'était le chrétien. Jean de Capistrano, entouré des frères ses compagnons, à genoux avec eux et comme en extase, les mains levés au ciel, les yeux humides de larmes, invoquait pour les soldats de la Croix le secours du Très-haut. Jean Hunyade excitait les siens au combat, qui par les exhortations, qui par la menace. Michel Zilagy et Ladislas de Kanisa, à la tête des bataillons que leur avait amenés le hé­ros hongrois et des croisés de Capistrano, continuaient vaillamment la résistance sur les remparts en ruine. Plusieurs fois expulsés de la ville, les Turcs étaient rentrés plusieurs fois, à la suite d'engage-

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' Ms. Sylv., Ilisi. Bohem., 6!>. — S. Autos., m p. til. xxn, i4 §1. — Tiiunos. C/iron., 55. — Diibrav., xxix. — Caiciiosdïl., Hist. Turc, vin. — Cocl., Hist. Hvssit., xi.

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ments meurtriers de part et d'autre. La victoire semblait pencher en leur faveur. Un grand nombre de maisons étaient la proie des flammes. Le drapeau de Mahomet flottait déjà sur plusieurs points. Les Hongrois, réduits à l'impuissance de résister, se sentaient ac­culés à une mort imminente. La retraite ou la fuite leur étaient fermées de toutes parts ; ils ne voulurent pas se laisser égorger ou prendre comme des agneaux sans défense. Apprêtant leurs armes et serrant leurs boucliers, ils se ruèrent en désespérés contre l'en­nemi. Le choc fut si terrible que les Turcs ne purent le soutenir, les premiers tournèrent le dos entraînant les autres dans leur fuite. Ce succès inespéré décupla les forces des chrétiens : ils poursuivi­rent les Infidèles jusqu'à ce qu'ils leur eussent pris la dernière ma­chine de siège. Les canons furent encloués, le reste fut livré aux flammes. Au déclin du jour, le théâtre de la bataille, commencée aux remparts et dans les rues de la ville, était en rase campagne. Les ténèbres de la nuit purent seules arrêter les Hongrois dans leur élan victorieux.

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