La foi chrétienne hier et aujourd’hui 111

p233 LES ARTICLES CHRISTOLOGIQUES DE LA PROFESSION DE FOI

 

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   Il est vrai qu'il faut se garder aussi de l'extrême opposé. On ne peut nier que l'article du jugement a pris parfois dans la conscience chrétienne une forme qui l'amenait pratiquement à ruiner la foi plénière en la rédemption et la promesse de la grâce. On rappelle toujours à ce propos le profond contraste entre Maran atha et dies irae.

 

Dans l'invocation « Notre Seigneur, viens! » (Maran atha), la chrétienté primitive a interprété le retour du Christ comme un événement chargé d'espérance et de joie; elle y a exprimé son attente fervente d'un retour qui était pour elle le moment de l'accomplissement définitif.

 

Le chrétien du Moyen Age, par contre, voit dans cet événement le terrible “jour de colère» (dies irae), devant lequel l'homme défaille de douleur et de frayeur, et qu'il envisage avec crainte et tremblement. Le retour du Christ n'est plus que le jugement, le jour de la reddition des comptes, qui menace un chacun.

 

Dans une telle perspective, on oublie quelque chose d'essentiel; le christianisme apparaît pratiquement réduit à un moralisme et se trouve privé de ce souffle d'espérance et de joie, qui est l'expression la plus authentique de sa vie.

 

   Peut‑être faudra‑t‑il dire qu'une première amorce d'une telle déviation, qui voit uniquement les risques de la responsabilité et non plus la liberté de l'amour, se trouve déjà dans notre article de foi; l'idée du retour du Christ y apparaît entièrement réduite, du moins d'après les termes, à l'idée de jugement “d'où il viendra juger les vivants et les morts».

 

Il est vrai que dans le milieu où le Symbole a pris naissance, l'héritage chrétien primitif était encore très vivant; le mot de jugement était encore compris tout naturellement dans son unité avec le message de la grace: dire que c'est Jésus qui juge, c'était revêtir le jugement de l'aspect de l'espérance.

 

Je voudrais simplement mentionner ici un passage d'un document ancien connu sous le nom de deuxième lettre de Clément, où cela apparaît très clairement : “Frères, nous devons considérer Jésus-­

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p234 JESUS‑CHRIST

 

Christ comme Dieu, comme le juge des vivants et des morts.

 

Nous ne devons pas minimiser notre rédemption, car si nous n'avons de Jésus‑Christ qu'une pauvre idée, nous nous faisons une pauvre idée aussi de notre espérance57 . »

 

   Nous découvrons ici la véritable portée de notre texte : celui qui juge, ce n'est pas simplement, comme on devrait s'y attendre, Dieu, l'infini, l'Inconnu, l'Éternel. Non, Dieu a remis le jugement à quelqu'un qui, en tant qu'homme, est notre frère.

 

Ce n'est pas un étranger qui nous juge, mais celui que nous connaissons dans la foi. Le juge ne se présentera pas à nous comme le Tout autre, mais comme l'un des nôtres, qui connaît la condition humaine du dedans et qui l'a vécue.

 

   Ainsi, au‑dessus du jugement se lève naturellement l'aurore de l'espérance; ce n'est pas seulement le jour de colère, mais le retour du Seigneur. On pense à la grandiose vision du Christ au début de l'Apocalypse (1, 9‑19): le voyant tombe comme mort devant cet être à la puissance redoutable.

 

Mais le Seigneur le touche de sa main et lui dit, comme aux jours où ils traversèrent, au milieu de la tempête, le lac de Génésareth : “Ne crains rien, c'est moi” (1, 17). Le Seigneur tout‑puissant est ce Jésus dont le voyant était devenu jadis, dans la foi, le compagnon de route.

 

 L'article du Jugement, dans le Symbole, reprend cette idée pour l'appliquer à notre rencontre avec le Juge de l'univers. Le chrétien, en ce jour d'angoisse, pourra constater avec un étonnement ravi que celui «à qui tout pouvoir a été donné au ciel et sur terre» (Mt 28, 18), était dans la foi le compagnon de route de ses jours terrestres; et c'est comme si maintenant déjà, grâce aux paroles du Symbole, Jésus le touchait de sa main en lui disant : ne crains rien, c'est Moi.

 

Peut‑être ne saurait‑on trouver une plus belle réponse au problème du rapport de la grâce et du jugement, que cette pensée qui est à l'arrière‑plan de notre Credo.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon