L’Origénisme et les Trois Chapitres 6

Darras tome 14 p. 554

 

   52. L'amour-propre de ce monarque devait être satisfait. Un concile venait d'anathématiser l’origénisme et de sanctionner ainsi la doctrine officielle d'un édit impérial. Les trois Chapitres étaient également condamnés. D'un autre côté, Vigilius pensait sur l'ori­génisme et les trois Chapitres exactement comme les pères de Cons­tantinople. Seulement le pape avait refusé de présider le concile en l'absence des évêques occidentaux. C'était là uniquement le grief que Justinien pouvait avoir contre le pape. Mince grief en vérité! mais l'empereur byzantin ne le prenait point ainsi. Le 14 juillet 553, ceux des évêques qui n'avaient point encore quitté Constantinople purent lire, affichée sur tous les murs delà ville, la lettre suivante : « Au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur, l'em­pereur César Flavius Justinien, alamannique, gothique, fran­cique3, etc., aux bienheureux patriarches, archevêques et évêques de nos diverses provinces, réunis dans cette impériale cité. — Le pape de l'antique Rome, Vigiiius, avait durant sept années à plu­sieurs reprises, de vive voix et par écrit, condamné les trois Cha-

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1 Evagr. Scbolast., Ilist. eccl., lib. IV., cap. xsxvril; Patr. grœc, t. LXXXVI, pars lla, col. 2718.

2. Cf. n° 30 de ce chapitre. — 3. Voir le reste des titres dans une autre lettre de Justinien, citée n° 32 de ce chapitre.

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pitres. II avait promis de présider le concile réuni à ce sujet; mais il a violé sa promesse. Pressé par nous-même, invité par votre re­ligieux synode, il a refusé de paraître. Bien plus, prêchant aujour­d'hui ce qu'il a si longtemps condamné, il soutient les doctrines impies de Nestorius et de Théodore de Mopsueste, il est devenu le champion des trois Chapitres. Par cette attitude sacrilège, il a rompu les liens qui l'attachaient à l'Église catholique et s'est retranché lui-même de votre communion. En conséquence, nous avons jugé qu'il fallait effacer son nom des sacrés diptyques, et ne pas souiller la célébration des divins mystères, en les associant à la mention d'un disciple de Nestorius et de Théodore de Mopsueste. Déjà nous vous l'avions dit de vive voix; aujourd'hui nous mandons à tous nos préfets de veiller à l'exécution de cet ordre et de vous le noti­fier en notre nom. Nous entendons toutefois conserver l'union avec le saint-siége apostolique, et nous sommes assuré que vous ferez de même. La perversion de Vigilius, pas plus que celle d'aucun autre évêque, ne saurait nuire à la paix des églises 1. » Ainsi parlait Justinien. Cet orgueilleux abus de pouvoir tenait de la démence; il y eut pourtant des évêques dont le servilisme n'en fut point révolté. Quelques-uns d'entre eux, dont l'histoire n'a pas conservé le nom, adhérèrent au rescrit impérial et envoyèrent par écrit une réponse conçue en ces termes : « La mesure ordonnée par le très-pieux empereur couronne glorieusement les efforts qu'il a faits jusqu'ici pour procurer la paix de l'Église. Conservons donc l'union avec le siège apostolique de l'ancienne Rome, et obéissons au décret impérial2. » Que signifiait cette chimérique alliance avec le siège apos­tolique, quand on se séparait du pape, légitime possesseur du siège apostolique? Justinien, qui eut l'honneur d'imaginer cette distinc­tion, et les évêques courtisans qui l'adoptèrent sans examen, ne

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1. Baluz., Concil. Nov. Collect., col. 1543.

2. M. l'abbé Rohrbacher est tombé dans une erreur chronologique en sup­posant que la lettre de Justinien déposant le pape Vigilius avait été lue dans la septième conférence du concile de Constantiuople, le 26 mai 553. {Hist. univ. de l'Église catholique, tom. IX, pag. 220.) La lettre de Justinien est datée du 14 juillet 553, et par conséquent ne put être lue ni à la septième confé­rence le 26 mai, ni à la huitième et dernière le 2 juin.

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nous ont pas expliqué leur théorie. Il faut retenir cependant cette origine schismatique d'une proposition qui sera reprise plus tard et deviendra, sous la plume d'autres docteurs courtisans, l'indéfectibilité du siège de Pierre avec la faillibilité dogmatique du successeur de Pierre 1.

 

33. Pour le moment, Justinien ne s'arrêta point à éclaircir ce problème. Il fit jeter en prison le successeur de Pierre. Durant plusieurs mois, la munificence impériale n'accorda pour toute nourriture à l'auguste prisonnier qu'un peu de pain et d'eau, modi-cum partis et aquœ, c'est l'expression même du Liber Pontificalis. Les évêques, prêtres et diacres demeurés fidèles à Vigilius, furent envoyés en exil et condamnés aux mines, ad incidenda metalla.

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1 Fleury glisse fort légèrement, dans son Uist.eccl.,\. XXXIII, t. VII, p. 457, édit. in-12, sur l'incident de l'excommunication du pape Vigilius par l'em­pereur Justinien. Il ne cite de la lettre impériale que la formule : « En nous séparant du pape Vigilius, nous conservons toutefois l'unité avec le saint-siége apostolique. » Et il ajoute : « Cette distinction entre le saint-siége et la per­sonne du pape est remarquable. » En effet, il est remarquable de voir pour la première fois apparaître en l'an 553, sous la plume d'un César byzantin qui se croyait le droit d'excommunier les papes, une proposition jusque-là inconnue dans l'Église, et qui devait, à onze siècles de distance, devenir le premier article du symbole gallican. La tradition unanime des docteurs et des pères avait dit avant Justinien, et continua depuis à dire : Ego beatiludini luœ, id est cathedrœ Pelri, communions consocior. Super illam petram œdificatam Ecclesiam scio. Qui-cumque extra hanc domum agnum comederit, profanus est. Si quis in Noe arca non fuerit, peribit régnante diluvio. Non novi Vitalem, Meleiium respuo, ignora Paulinum. Quicumque iecum non colligit, spargit : hoc est, qui Chrisii non est, aniiehristi est. (S. Hieron., Epist. xv, ad Damas, pap.; Patr. lat., tom. XXII, col. 355, 356.) Sacrosancta beati Pétri sedes per unïversum orbem papœ Zozimi sic ore loquitur. (S. Prosp. Aquitan., Contra Collatorem, cap. V; Patrol. lat., tom. LI, col. 228.) Etsi enim diversa nonnunquam suit mérita prœsulum, jura tamen permanent sedium. (S. Léo Slagn., Epist. exix; Jlaximo Antioch., Patr. lat., tom. L1V, col. 1043.) Ubi Petrus, ibi Ecclesia : ubi Ecclesia, ibi nulla mors, sed vita œterna. (S. Ambros., In psalm. XL; Patr. lat., tom. XIV, col. 1082.) Definimus sanctam apostolicam sedem et romanum pontificem in universum orbem tenere primatum, et ipsum pontificem romanum successorem este beati Petriprin-cipis Apostolorum et verum Christi vicarium, totiusque Ecclesiœ caput, et om­nium Christianorum patrem et doctorem existere, et ipsi in beato Petro pascendi, regeudi ac gubernandi universalem Ecclesiam a Domino nostro Jesu Christo plenam potestatem traditam esse, quemadmodum etiam in gestis œcumenicorum conciliorum et in sacris canonibus continetur. (Concil. œcumenic. Floreniinum, Labbc, t. XIII, col. 1167.)

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   Telle était la douce liberté dont le César byzantin, usurpateur de l'autorité pontificale, faisait jouir l'Église. Au point de vue humain, tout paraissait perdu. La situation rappelait celle qui pré­céda le dénoûment du concile d'Éphèse, avec la circonstance ag­gravante que cette fois ce n'était pas seulement Cyrille, légat du pape, mais le pape lui-même qui gémissait au fond d'un cachot. Cependant l'heure de la Providence allait sonner. Au printemps de l'année 532, Justinien, faisant trêve un instant à ses préoccupa­tions théologiques, avait chargé son favori, l'eunuque Narsès, de reprendre l'œuvre commencée par Bélisaire et d'aller soumettre l'Italie. Hommes, argent, vivres, munitions, navires de guerre, tout fut prodigué à Narsès. Six mille Lombards choisis par leur roi Alboin dans l'élite de ses guerriers, six mille cavaliers Hérules, cinq mille auxiliaires recrutés parmi les Huns et les transfuges persans, douze mille Thraces et Illyriens arrivèrent en Dalmatie, escortés sur l'Adriatique par une flotte de ravitaillement. Totila, occupé alors à soumettre les forteresses de l'Italie méridionale, eut à peine le temps de se porter au-devant de l'ennemi. Ravenne, Rimini, tombèrent sans coup férir au pouvoir de Narsès. Le nouveau général marchait sur Rome, lorsque Totila avec toutes ses forces l'arrêta au pied de l'Apennin, près de la petite bourgade de Taginas (Lentagio) déjà célèbre par la défaite de Brennus, et décorée à cette occasion du surnom de Busia-Gallorurn. Au premier choc, Totila reçut une blessure mortelle, et son armée fut taillée en pièces (novembre 552). La prédiction de saint Benoît était réalisée. Cependant les Goths ne désespérèrent point encore de leur monarchie. Une poignée de soldats échappés au désastre de Busta-Gallorum se réfugièrent à Pavie ; ils offrirent la couronne à leur général, nommé Téïas, caractère héroïque dans une stature colos­sale. Téïas accepta. Au printemps de l'année 553, il réussit en dé­robant sa marche à gagner la côte voisine de Naples, et s'établit dans les plaines de Nuccria. Narsès vint l'y attaquer. Téïas, domi­nant de sa taille gigantesque la foule des guerriers, combattait au premier rang. Le bouclier qu'il portait au bras gauche fut bientôt hérissé de flèches et de dards ; il en demanda un autre à son écuyer,

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mais à l'instant même il reçut en pleine poitrine un coup de lance qui le renversa mort. Avec lui tombait, pour ne plus se l'élever, la domination des Goths en Italie.

 

54. Le sénat, le clergé et le peuple de Rome accueillirent Narsès avec des transports d'enthousiasme. Ils saluaient dans sa victoire la restauration de l'empire d'Occident. Illusions éphémères, que les événements devaient bientôt dissiper, mais qui n'en étaient alors ni moins généreuses ni moins profondes. On supplia le généralissime de joindre à la dépêche qui devait informer Justinien de ce grand triomphe, une requête de tous les fidèles de Rome. « S'il vit en­core, disaient-ils, rendez-nous notre saint pape Vigilius. S'il n'est plus et que nous ne puissions le revoir en ce monde, renvoyez-nous du moins les clercs qui l'ont accompagné à Constantinople1. » En apprenant la conquête de l'Italie, Justinien éprouva une telle joie qu'il ordonna sur-le-champ de rappeler de l'exil les évêques et les clercs catholiques. Sa générosité pourtant n'alla point jusqu'à mettre Vigilius en liberté. Il espérait encore maintenir contre lui la sentence d'excommunication dont il l'avait frappé. Lorsque, des îles de la Proconnese et des autres lieux de bannissement d'où il les rappelait, les clercs romains furent admis en présence de l'empereur, il leur dit : « Est-ce que vous voulez reprendre Vigi­lius, votre ancien pape? Cela ne me plaît guère. » Et leur mon­trant l'archidiacre Pélage qui avait lui-même fait partie des exilés : « J'aimerais mieux, ajouta-t-il, vous voir élire celui-ci. » Mais tous, unanimement, lui répondirent : «Que votre piété daigne se soumettre à l'ordre de Dieu. Rendez-nous Vigilius; il est pape. Quand le Seigneur l'aura rappelé de ce monde, nous n'oublierons point vos recommandations, car autant que vous, nous aimons l'archidiacre Pélage. » Justinien se laissa fléchir, et Vigilius fut tiré du cachot où il languissait depuis six mois.

 

35. Il en sortit sans conditions, et dans la plénitude de son autorité apostolique. Sept années d'injustes persécutions héroïquement sou­tenues avaient effacé, devant Dieu et devant les hommes, les fautes de son ambition et les excès de sa jeunesse. Ce fut dans ces circons-

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1 Liber Ponlificalis, loc. cit.

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tances que, le VII des calendes de mars, «en la vingt-septième année du règne de Justinien toujours auguste » (23 février 554), il publia l'encyclique suivante1 : «Désormais, par la grâce de Dieu, il ne reste plus personne qui puisse douter que nous n'ayons toujours, avec la sainte Église catholique, maintenu et professé la foi du concile de Chalcédoine, celle du bienheureux Léon notre illustre prédécesseur, celle de Nicée, de Constantinople et d'Ephèse. Il était nécessaire de mettre en lumière ce point fondamental, et de maintenir la contro­verse soulevée à propos des trois Chapitres dans les limites d'un respect absolu pour les décisions du concile de Chalcédoine. Or, maintenant la lumière est faite ; il est devenu évident pour tous que le saint et auguste concile de Chalcédoine, en recevant à sa com­munion les évêques Ibas et Théodoret de Cyr, n'a nullement ap­prouvé les écrits compoés par eux à l'époque où ils étaient engagés dans l'erreur nestorienne. Il est prouvé de même par les actes du concile que ni la personne, ni les ouvrages de l'hérétique Théodore de Mopsueste, n'ont obtenu la moindre apparence d'approbation ou d'éloge. En conséquence, nous anathématisons et condamnons la lettre connue sous le nom d'Ibas au persan Maris. Quiconque en-

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1 La plupart des historiens modernes, tels que Fleury, Rohrbacher, Henrion, font précéder cette encyclique d'une lettre que le pape aurait adressée, le 8 décembre 553, au patriarche de Constantinople saint Eutychius. Cette lettre se trouve en effet reproduite au tom. LX1X de la Patr. lai,, col. 121-128, sous le titre : Epistola decretalis Vigilii papœ pro confirmatione quintœ synodi œcumenicœ. M. Rohrbacher ne semble pas avoir eu de doutes sur l'au­thenticité de cette pièce. II fait cependant remarquer que, dans le manuscrit qui nous l'a conservée, « elle ne se trouve qu'en grec. » (Rohrb., Hist. univ. de l'Egliie catholique, tom. IX, pag. 227.) Après que Vigilius nous a dit lui-même, en termes si exprès, qu'il ignorait complètement le grec, grœcœ lin­gues sumus ignari (cf. n° 48 de ce chapitre), cette observation aurait dû éveiller davantage les scrupules de l'historien. En effet, le savant P. Garnier, dans les Dissertations dont il accompagna son édition du Breviarium Liberati (Pair, lat., tom. LXVI1I, col. 1094), a démontré que la prétendue lettre pontificale à saint Eutychius était l'œuvre subreptice de quelque faussaire grec. En conséquence, nous avons cru devoir la passer sous silence. Afin, du reste, qu'on ne suppose pas que cette lettre, tout apocryphe qu'elle nous paraisse, soit de nature à compromettre l'honneur du pape Vigilius, nous nous empressons d'ajouter que M. Rohrbacher, qui la reproduit inté­gralement, la regarde « comme un modèle de dignité, de modestie et de prudence. » (Rohrb., Hist. univ. de l'Église catholique, tom. cit., pag. 223.)

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treprendrait de la défendre, ou de soutenir qu'elle fut doctrinalement approuvée par le concile de Chalcédoine, serait enveloppé dans le même anathème et dans la même condamnation. Nous anathématisons et condamnons Théodore de Mopsueste, ainsi que les œuvres impies dont il est l'auteur. Nous anathématisons et condamnons les écrits composés par Théodoret de Cyr pour la défense de Nestorius et en hostilité avec saint Cyrille d'Alexandrie. C'est vainement que les fauteurs du nestorianisme prétendent appuyer leurs erreurs sur l'au­torité d'un illustre évêque, admis depuis à la communion catholique et par le bienheureux Léon, notre prédécesseur de sainte mémoire, et par les pères de Chalcédoine. Il est constant en effet que Théodo­ret, au sein même du concile, rétracta, désavoua, condamna verba­lement et par écrit les ouvrages en question. À cette condition seu­lement il fut admis par les pères. L'anathème que nous prononçons aujourd'hui n'est pas donc nouveau. Nous condamnons en Théodo­ret ce que le concile de Chalcédoine avait déjà condamné, et ce que Théodoret avait rétracté. Ainsi anathème aux trois Chapitres, ana­thème à leurs défenseurs! Nous recevons à la communion catholique ceux qui les condamnent; nous en retranchons ceux qui les ap­prouvent. Nous déclarons nul et sans valeur tout ce qui aurait pu être publié sous notre nom et sous quelque nom que ce soit en leur faveur1. Anathème à ceux qui oseraient soutenir que ces trois Cha­pitres ont été approuvés par le concile de Chalcédoine, et essaie­raient sous ce prétexte de renouveler le désordre et le trouble dans l'Église catholique. Ils tomberaient sous la sentence de l'A­pôtre 2 Utinam et abscidaniur qui vos conturbant3

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1   Quœcumque vero sive meo nomine, sive quorumlibet pro defensione memoratorum irium Capitulorum prolata fuerint, vel uùicumgue reperla, pressentis nostri plenissimi constitua auctoritate vocuamus. Ces paroles mal interprétées ont fourni l'occasion d'un nouveau grief contre Vigilius. « Ce pontife, disait-on, reconnaît lui-même qu'il avait antérieurement soutenu l'orthodoxie des
trois Chapitres, puisqu'il prend soin d'annuler les ouvrages publiés en son nom dans ce sens. » Le raisonnement serait juste si les paroles du pape
s'appliquaient à quelque document authentique vraiment émané de lui, mais elles avaient
trait aux pièces apocryphes que les hérétiques faisaient circuler dans tout l'Orient, en Italie et jusque dans les Gaules, sous le nom de Vigilius.

2   Galat.,v, 12. — 3 Vigil., Damn. triumcapitul.;Patr.lat., t. LXlX,col. 143-178.

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   56. Cette définition du pape Vigilius, confirmant indirectement  et sans même en prononcer le nom, le concile qui venait de se  tenir à Constantinople, suffit pour imprimer à celui-ci le caractère  d'œcuménicité dont il n'a cessé de jouir depuis. Le fait est remarquable, mais il est incontestablement vrai. A partir de ce moment, un concile exclusivement composé d'orientaux, tenu en dehors du
pontife romain, sans être présidé par les légats du siège aposto­lique, un véritable concile provincial enfin, à partir de ce moment, dis-je, ce concile devenait œcuménique. Le successeur immédiat de 
Vigilius, Pélage, le reconnaissait comme tel. Saint Grégoire le Grand, trente années plus tard, déclarait qu'il révérait le cinquième concile général de Constantinople à l'égal des quatre premiers. Photius lui-même, convenait que la confirmation implicite de Vigilius avait seule donné le caractère d'œcuménicité au ve concile général. Le lecteur aura remarqué de plus, dans l'encyclique pontificale, l’insistance avec laquelle Vigilius, séparant la question des personnes de celle de la doctrine, sauvegardait l'autorité du concile de Chalcédoine. Là, en effet, pour les occidentaux était tout le nœud de la diffi­culté. Les ouvrages de Théodore de Mopsueste et de Théodoret, ainsi que la lettre d'Ibas, tous écrits en grec, étaient à peine con­nus de nom dans l'Église latine. Au contraire, les décrets du con­cile de Chalcédoine se trouvaient dans toutes les mains, comme l'expression de la foi orthodoxe opposée aux erreurs d'Eutychès.
Autant les évêques d'Orient mettaient d'ardeur à provoquer la condamnation des trois Chapitres, autant ceux d'Occident craignaient de voir sous ce prétexte affaiblir l'autorité d'un concile œcuménique. Les lois canoniques défendaient absolument de reve­nir d'un concile à l'autre sur une question jugée. Cette règle si sage est encore en vigueur de nos jours. C'est pour cela que le
pape Vigilius, chef de l'Église universelle, ne voulut point présider l'assemblée de Constantinople en l'absence des évêques d'Occi­dent. Justinien avait beau vouloir trancher de son épée les discus­sions théologiques. Ce n'était point à lui ni à ses prédécesseurs qu'il avait été dit : Pasce oves meas. L'entêtement du César byzan­tin troubla toute l'Église. Plusieurs évêques africains et un certain
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nombre d'autres en Germanie, dans les Gaules et jusque dans la Grande-Bretagne, refusèrent longtemps de recevoir les décrets du concile de Constantinople. Cette résistance se prolongea en Occi­dent, par groupes isolés, durant près d'un siècle. Est-il donc si difficile aux souverains de rester dans leur sphère, et de laisser aux vicaires de Jésus-Christ le soin de gouverner l'Église?

   57. Après sept années de luttes, de discordes et de violences, Justinien finit par où il aurait dû commencer. Il permit à Vigilius de retourner à Rome. Le pontife s'embarqua aussitôt, avec les fidèles compagnons que ni l'exil, ni les chaînes, n'avaient pu séparer de lui. Il aborda en Sicile vers le mois de novembre 544. La maladie dont il souffrait depuis si longtemps, la pierre, le retint à Syracuse. Il y mourut le 11 janvier 555, après dix-sept ans d'un pontificat irrégulier dans son début, malheureux dans son cours et glorieux dans sa fin.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon