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25. «Jules, aux prêtres, diacres et fidèles d'Alexandrie, salut. Enfin, bien-aimés frères, tous vos vœux sont comblés; je m'associe à votre allégresse et vous félicite de la joie qui vous est enfin accordée, en récompense de votre foi persévérante. Notre frère Athanase, votre évêque, cet illustre confesseur dont l'innocence égale l'héroïsme, va vous être rendu. Dieu a daigné exaucer vos prières. Soyez bénis de n'avoir pas désespéré de la miséricorde de notre Dieu! Fermes dans votre foi, confiants dans l’accomplissse-
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1. St. Athanas., ApoUg. contra Arianos cap. U; Pétrel, fret., tore. XXV,
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ment des promesses célestes, vous avez persisté dans la doctrine que notre vénérable frère vous a toujours enseignée; vous avez prouvé que, s'il était possible de l'arracher de force à son Église, nulle puissance humaine n'était capable de le bannir de vos cœurs. Recevez donc encore une fois mes félicitations. Vous avez conservé dans vos âmes, comme dans un inexpugnable sanctuaire, l'inté- grité de notre foi sainte. En ce moment, je partage les sentiments de joie qui remplissent le cœur d'Athanase, notre bien-aimé frère. Absent de corps, son esprit n'a jamais cessé d'être au milieu de vous. Il vous revient aujourd'hui plus grand, plus glorieux, plus illustre qu'avant son exil. Si l'argent et l'or se purifient à la flamme du creuset, combien davantage la vertu de ce grand homme ne s'est-elle pas illustrée parmi tant d'épreuves, de persécutions et de calamités, jusqu'au jour où son innocence, déjà proclamée par notre sentence personnelle, fut reconnue dans le grand et immortel concile de Sardique ! Accueillez donc, bien-aimés frères, votre évêque Athanase et tous ceux qui ont partagé ses labeurs, avec toute l'allégresse, la pompe et la solennité dont vous êtes capables selon Dieu. Réjouissez-vous de revoir ce pasteur qui avait soif de vous dans son exil, et n'éprouvait d'autre soulagement dans ses souffrances que de recevoir vos lettres et vos protestations de fidélité. Ce fut là son unique consolation sur la terre étrangère. Votre amour le soutenait au milieu des périls et des persécutions. Mon cœur tressaille d'allégresse, quand je me représente par la pensée le retour de notre vénérable frère au milieu de vous, la piété du peuple fidèle se portant à sa rencontre, la joie qui éclatera sur son passage, les transports de la multitude accourant de toutes parts. Quel jour de triomphe ce sera pour vous, et si j'ose le dire, pour nous-même à qui Dieu a fait la grâce de connaître personnellement ce grand et saint évêque ! Maintenant, frères bien-aimés, que le Dieu Tout-Puissant et son Fils, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, vous comble de bénédictions; qu'il récompense l’admirable fidélité dont vous avez donné tant de témoignages à votre illustre pasteur; que sur vous et sur votre postérité, d'âge en âge, il répande le trésor de ses grâces, afin que tous vous soyiez un jour
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admis à ce royaume d'éternelles délices, dont l'œil humain ne saurait contempler, ni l'oreille entendre, ni l'intelligence concevoir les splendeurs réservées par notre Dieu à ceux qu'il aime ! » Ainsi parlait saint Jules, dans l'effusion de sa charité pastorale. En comparant le style du pontife romain à celui de la cour byzantine, on se rendra facilement compte de la supériorité sociale des papes et de la rapide décadence du Bas-Empire.
26. Tels étaient les sentiments d'universelle charité qui embrasaient l'âme des pontifes romains: telle était aussi la vénération qu'inspiraient les vertus et le génie d'Athanase le Grand. Saint Jules Ier le laissa partir, comblé de bénédictions, pour Antioche où était Constance. L'empereur reçut le saint patriarche avec des démonstrations amicales auxquelles ni l'un ni l'autre n'étaient accoutumés. Il fit effacer des actes publics, renfermés dans les archives de l'empire, tout ce qui avait été écrit contre Athanase, et lui jura solennellement de ne jamais prêter l'oreille à ses calomniateurs. Cette bienveillance impériale n'était cependant ni aussi désintéressée ni aussi sincère qu'elle affectait de le paraître. Plus que jamais Constance était le jouet des Ariens. Il prétendait, en retour de ses avances, obtenir d'Athanase une faveur à laquelle il attachait le plus grand prix. « Vous voyez, lui dit-il un jour, tout ce que je fais pour vous. A votre tour vous ferez quelque chose pour moi. J'attends cette marque de votre reconnaissance. Alexandrie compte une infinité d'églises. Parmi elles, je vous en demande une, une seule, que je vous prie de laisser à la disposition des Ariens. —Auguste empereur, répondit Athanase, vous avez le droit de commander. Mais puisque vous voulez bien me demander une grâce, serais-je téméraire d'en solliciter une autre de vous? — Je l'accorde d'avance, dit le prince. — Eh bien ! répliqua Athanase, il y a ici, à Antioche. un grand nombre de catholiques, que l'évêque Léonce refuse d'admettre à sa communion. Il est de votre justice que la balance soit exacte des deux côtés. Puisque vous demandez une église pour les Ariens d'Alexandrie, commencez par en donner une aux catholiques d'Antioche. » Constance n'insista plus; il fit écrire aux chrétientés d'Egypte, pour les informer «qu'être uni de
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communion avec le vénérable Athanase serait une preuve suffisante des bonnes dispositions de chacun. » Enfin il mandait aux magistrats et au peuple d'Alexandrie de recevoir le saint patriarche avec les honneurs qu'ils rendraient à la personne même de leur souverain. Précédé de ces éclatants témoignages de la faveur impériale, saint Athanase parut en vue d'Alexandrie (347). Tous les évêques d'Egypte et des deux Libyes s'y étaient rendus pour le recevoir; les magistrats, le peuple, l'attendaient en habits de fête; la ville était tendue de tapisseries, de guirlandes de fleurs; la multitude agitait des rameaux de verdure sur le passage de l'illustre exilé; aucune trace des anciennes discordes ne troublait ce jour d'allégresse universelle. Grégoire de Cappadoce, l'intrus, avait péri quelques mois auparavant dans une émeute populaire. La joie que le retour du patriarche légitime répandait à Alexandrie, se traduisit dans les œuvres par un redoublement de ferveur et de piété chrétiennes. La charité des fidèles s'appliquait à nourrir, à vêtir les pauvres et les orphelins : chaque maison semblait être devenue une église destinée à la prière et à la pratique des vertus. Ceux qui s'étaient montrés jusque-là les plus ardents persécuteurs de saint Athanase, s'empressaient de lui écrire pour rentrer dans sa communion. Ursace et Valens eux-mêmes présentèrent au pape saint Jules Ier une rétractation formelle de leur conduite. « Tout ce que nous avons précédemment écrit contre Athanase, disaient-ils, toutes les accusations formulées contre lui et reproduites par nous, nous les déclarons d'affreuses calomnies : nous en demandons pardon à Votre Sainteté et à lui. De plus, nous anathématisons l'hérétique Arius et ses sectateurs, et vous supplions de nous recevoir à la communion de l'Eglise. »— Les autres prélats exilés remontaient en même temps sur leurs sièges : saint Paul à Constantinople; Asclépas à Gaza; Marcel, à Ancyre; et l'on put croire que l'Arianisme était à jamais vaincu.
27. Ls joie fut grande, dans les solitudes de Nitrie et de la Thébaïde, au retour de saint Athanase dans sa ville patriarcale d'Alexandrie. Mais aucun des religieux ne la ressentit plus vive-
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ment que saint Antoine, dont l'âme avait partagé toutes les tribulations de l'illustre proscrit. L'année précédente, saint Antoine, guidé par l'esprit de Dieu, s'était enfoncé seul, appuyé sur le bâton qui soutenait sa vieillesse, dans les profondeurs du désert. Une grotte, fermée par une pierre que la main de l'homme avait dû apporter, s'offrit à ses regards. «Ouvrez, dit Antoine en heurtant à la pierre. Vous savez qui je suis, d'où je viens et pourquoi. Je ne suis pas digne de contempler votre face ; mais, pour l'amour de Jésus-Christ, ouvrez-moi, ou je mourrai à votre porte. » Un vieillard, dont les cheveux blancs retombaient sur un corps amaigri par l'âge et les austérités de la pénitence, ressemblant plutôt à un squelette qu'à un homme, couvert de feuilles de palmier tressées en natte, vint ouvrir à cette voix. C'était saint Paul, le premier des ermites, qui vivait, depuis l'an 230, inconnu à tous les hommes, nourri par la moitié d'un pain qu'un corbeau déposait chaque matin à sa porte. Les deux saints se saluèrent par leur nom sans avoir jamais entendu parler l'un de l'autre. S'étant assis sur un rocher, au bord de la fontaine qui donnait depuis près de cent ans son eau limpide à ce vétéran de la solitude, Paul dit à son hôte : « Que font en ce moment les hommes? Construisent-ils encore de nouvelles demeures dans leurs vieilles cités? A quel maître obéissent-ils? Persécutent-ils toujours les chrétiens?» — Antoine répondit à toutes ces questions et quitta l'ermite pour aller à son monastère chercher le manteau que saint Athanase lui avait donné, et dans lequel saint Paul désirait être enseveli. Saint Antoine mit à ce trajet toute la diligence que lui permettaient ses forces épuisées. Mais au retour il ne trouva plus que les restes inanimés du saint vieillard. Il l'ensevelit avec respect. Un lion vint creuser à ses pieds, dans le sable, une fosse où le corps de saint Paul fut déposé dans l'attente de la bienheureuse résurrection. — Ces touchants détails, racontés par saint Athanase lui-même dans la Vie de saint Antoine qu'il écrivit pour les frères de la Thébaïde, allaient au loin réveiller dans les âmes l'amour de la solitude, la sainte ardeur de la perfectien érémitique. Séduite par l'attrait puissant de cette vie mystérieusement écoulée dans la contempla-
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tion et la prière, une foule de jeunes hommes, de vierges pieuses, s'arrachaient au tumulte du monde pour confier au cloître le secret de leurs espérances et de leurs destinées.
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V. Premier Formulaire de Sirmium
47. Les discussions théologiques lui convenaient mieux que les batailles rangées. Simple catéchumène, il avait la prétention de s'entendre parfaitement aux matières dogmatiques. Il était convaincu que la divinité de Jésus-Christ n'avait rien à perdre de l'interprétation injurieuse que lui donnaient les Ariens. Cette opinion se fortifiait chez lui de la popularité dont l'Arianisme jouissait en Orient, cette terre si longtemps et si opiniâtrement païenne, qui se rattachait à tous les subterfuges pour conserver, même au sein du christianisme, une ombre des erreurs polythéistes. Là se trouvait effectivement la véritable raison du succès de la secte arienne. A ce motif principal, il en faut joindre un autre qui, tout secondaire qu'il fût, compta cependant pour beaucoup dans la pratique. Les évêques ariens n'étaient jamais arrêtés par aucun scrupule de conscience. La devise catholique : Est, est ; non, non;
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cette formule évangélique de la foi chrétienne, ne fut jamais à leur usage. Cédant toujours aux événements et à la pression des pouvoirs extérieurs, ils avaient, aux yeux d'un prince faible, le mérite de ne jamais résister. Cette souplesse apparente qui se prêtait aux actes les plus contradictoires passait pour une intelligence supérieure des besoins du temps, et valait aux prélats ariens toutes les faveurs de la cour. Dans la réalité, ce système du laisser-faire, qui s'est reproduit vingt fois aux diverses époques de l'histoire de l'Eglise, a toujours abouti à des complications civiles et religieuses, à des catastrophes politiques, ou à des persécutions sanglantes. Le domaine sacré de la foi veut être gardé par des défenseurs héroïques. La condescendance pour les personnes ne doit jamais aller jusqu'à l'abandon des principes. Le jour où, avec les meilleures intentions du monde, un évêque se laisse entraîner à ces tristes compromis, il a préparé plus de maux pour l'avenir qu'il n'en a évités pour le présent. L'histoire de l'Arianisme n'est rien autre chose que la démonstration par les faits de cette vérité historique. Après le retour de saint Athanase à Alexandrie, Valens, cet évêque de Mursia dont nous venons de voir l'attitude hypocritement sacrilège durant la bataille contre Magnence, avait été, de concert avec Ursace de Singidunum, l'instigateur des calomnies absurdes dirigées contre Athanase. Ensemble, ces deux indignes prélats avaient procédé dans la Maréotide à l'enquête qui devait établir le prétendu meurtre d'Arsène, et le bris des vases sacrés d'Ischyras par le patriarche d'Alexandrie. Le concile de Sardique avait mis à jour toutes ces misérables intrigues. L'opinion publique en avait fait justice; les acclamations de l'Orient, au retour de saint Athanase, retombaient comme le poids d'un anathème sur la conscience des deux coupables. Ils ne se déconcertèrent pas. La faveur revenait à Athanase; ils firent comme elle. Dans une lettre collective, ils implorèrent bassement le pardon de l'illustre patriarche, et s'excusèrent de leurs démarches contre lui. Les saints n'ont jamais de peine à pardonner les injures personnelles; Athanase leur répondit en ce sens. Cela ne suffisait point encore aux deux intrigants. Ils craignaient que saint Jules I, dont relevaient
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leurs sièges épiscopaux situés en Occident, ne prît contre eux des mesures plus sévères, et ne procédât à leur déposition canonique. Ils se rendirent à Rome pour conjurer le péril. Au moment où ils y arrivaient, le pape venait de réunir le concile de Milan (349), pour la confirmation des actes de Sardique. Ursace et Valens se présentèrent à l'assemblée dans l'attitude de suppliants, pleins de repentir pour le passé, affichant les meilleures résolutions pour l'avenir. On admit leurs protestations. Ce fut un tort. L'historien a droit de le dire, parce qu'il juge à la fois l'acte et le résultat. Mais saint Jules Ier et les pères du concile de Milan ne pouvaient deviner l'avenir. Ils crurent à la sincérité des deux suppliants, dont les démonstrations semblaient avoir tous les caractères de la plus entière bonne foi. D'ailleurs, et c'est une remarque qui trouvera son application à toutes les époques de l'histoire, si l'on pouvait dire que le Siège apostolique pèche en quelque chose, ce serait uniquement par un excès de miséricorde. La chute de saint Pierre a appris la condescendance à ses successeurs. Ursace et Valens présentèrent au concile un acte souscrit de leur main, où ils anathématisaient Arius et sa doctrine. Saint Jules I leur fit grâce et les rétablit dans sa communion. Il espérait ainsi les séparer des Ariens et en faire de zélés défenseurs du catholicisme. Toutefois avant de les absoudre, il exigea une rétractation solennelle de leurs démarches antérieures contre saint Athanase. Nous avons encore cette pièce. Elle est ainsi conçue : «Au seigneur et très- bienheureux pape Jules, Ursace et Valens. Il n'est que trop notoire que nous avons précédemment formulé contre l'évêque Athanase des accusations qui n'ont point été justifiées. Interpellés à plusieurs reprises par diverses lettres de Votre Sainteté, nous avons refusé de répondre. Aujourd'hui nous déclarons à Votre Sainteté, en présence de tous les évêques, nos frères, que les griefs qui ont été articulés contre Athanase étaient des invensions fausses, mises en avant par nous sans aucune espèce de fondement. Nous déclarons que ce nous sera un grand honneur d’être admis à la communion d'Athanase. Nous supplions Votre Sainteté de daigner, avec son indulgence accoutumée, nous pardonner nos erreurs et nos fautes.
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Nous promettons en outre, si les Orientaux voulaient nous inquiéter, nous, ou Athanase, pour le fait de cette déclaration, de ne point nous présenter à leur concile sans votre consentement. Enfin nous condamnons, comme nous l'avons déjà fait dans l'acte signé de nous que nous vous avons remis à Milan, Arius, ses adhérents, et sa doctrine. Nous anathématisons les propositions suivantes : Il y eut un temps où le Fils n'existait pas; le Fils a été créé, le Fils n'existait pas de toute éternité. Telles sont les attestations et les promesses que nous avons voulu revêtir da notre signature 1. »
48. On aurait pu croire qu'un engagement si explicite rendait impossible dans l'avenir toute démarche arienne, de la part d'Ursace et de Valens. C'était une illusion. Deux ans après, sans aucune espèce de consentement du pape, sans même la précaution de lui demander son avis, ils réunissaient à Sirmium, un concile où les prélats les plus favorables à l'Arianisme furent seuls appelés (251). C'était l'époque où Constance venait de déposer Vétranion et se reposait, durant l'hiver, des fatigues de la fameuse harangue militaire de Naïsse. Vingt-deux évêques orientaux se rendirent à cette assemblée. Les plus célèbres étaient Narcisse de Néroniade, Théodore d'Héraclée, Basile d'Ancyre, Eudoxius de Germanicie, Demophile de Bérée, Cecrops de Nicomédie, Sylvain de Tarse, Macedonius de Mopsueste et Marc d'Aréthuse. Le prétexte de cette réunion synodale était l'examen doctrinal de la cause de Photin, évêque de Sirmium, accusé de sabellianisme. Photin avait déjà été déposé par la concile de Milan; mais la sentence n'avait pu recevoir son exécution, parce que la populace de la ville, habilement soulevée, ne permit pas l'éloignement du prélat hérétique. Ursace et Valens étaient charmés de trouver l'occasion de confirmer la sentence de Milan. Cela leur donnait crédit près des églises occidentales; ils avaient de la sorte le moyen de formuler une définition de foi nouvelle, où, grâce à leur science des expédients, ils pourraient réagir contre le symbole de Nicée. Leur plan n'était pas
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1 Epislola Ursicii el Valentit ad Julium papam. COl. 012-914. Patr. lot., tom. VIII,
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de professer ouvertement l'erreur; ils voulaient simplement voiler la vérité, en l'enveloppant sous des réticences étudiées dont ils pussent profiter dans l'avenir. Un seul mot les blessait dans le symbole catholique, c'était celui de consubstantiel. A tout prix, il leur fallait une formule qui ne le contînt pas et qui eût d'ailleurs toutes les apparences de l'orthodoxie. Telles étaient les conventions arrêtées d'avance; elles furent remplies avec un art et une habileté merveilleuses. Dès la première séance du concile, Photin fut déposé, et comme cette fois Constance avec son armée était à Sirmium, la condamnation reçut son plein effet. Le lendemain, on lut la profession de foi préparée d'avance, elle fut acceptée. Réellement elle était irréprochable en ce qu'elle disait, et n'était défectueuse qu'en ce qu'elle ne disait point, savoir par l'omission calculée du mot de consubstantiel. Voici cette profession de foi qui a reçu le nom de premier formulaire de Sirmium. «Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur, de qui découle toute paternité sur la terre et aux cieux; et en son Fils unique, Jésus-Christ Notre-Seigneur, qui est né du Père avant tous les siècles, Dieu de Dieu, lumière de lumière; par qui toutes choses, visibles et invisibles, ont été faites au ciel et sur la terre; qui est Verbe et Sagesse, vertu et vie, vraie lumière; qui, dans les derniers temps, s'est incarné pour nous, dans le sein de la vierge Marie, a été crucifié, est mort, a été enseveli, est ressuscité le troisième jour d'entre les morts, est monté au ciel, où il est assis à la droite du Père et d'où il viendra juger les vivants et les morts, pour rendre à chacun selon ses œuvres. Son règne n'ayant point de fin subsiste dans les siècles éternels, car ce n'est pas seulement pour le temps présent mais pour l'avenir qu'il demeure assis à la droite de son Père. Nous croyons au Saint-Esprit, le Paraclet, promis par Jésus-Christ aux apôtres et envoyé après l'Ascension pour enseigner, soutenir et diriger l'Église. C'est par lui que les âmes qui ont la foi sincère reçoivent le bienfait de la sanctification 1. »
49. La profession de foi de Sirmium était suivie de vingt-sept
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1. Athana»., lib. de Synodis ; Socrat., Hist ecclesiast-, lib. II, cap. xsx.
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athématismes ainsi conçus : I. Anathème à qui dira que le Fils est tiré du néant; qu'il est d'une autre substance et non pas de Dieu, qu'il y eut un temps, un siècle, un âge, où il n'était point. II. Si quelqu'un dit que le Père et le Fils sont deux divinités; qu'il soit anathème. III. Si quelqu'un, confessant un seul Dieu, ne reconnaît pas un Christ, Dieu avant les siècles, lequel en qualité de Fils de Dieu a concouru avec son Père à la création du monde; qu'il soit anathème. IV. Si quelqu'un ose dire que le Dieu innascible, ou une partie de lui-même, est né de Marie; qu'il soit anathème. V. Si quelqu'un dit que le Fils est avant Marie seulement selon la prescience et la prédestination, mais qu'il n'est pas né du Père avant les siècles, niant que toutes choses aient été faites par lui; qu'il soit anathème. VI. Si quelqu'un dit que la substance en Dieu est susceptible d'accroissement ou de diminution; qu'il soit anathème. VII. Si quelqu'un dit que l'extension de la substance divine a produit le Fils; qu'il soit anathème. VIII. Si quelqu'un dit que le Verbe interne devint Fils par sa prolation extérieure; qu'il soit anathème. IX. Si quelqu'un dit que le Fils né de Marie était seulement homme; qu'il soit anathème. X. Si quelqu'un entend par le Fils né de Marie le Dieu innascible; qu'il soit anathème. XI. Si quelqu'un interprète les paroles de l'Évangile: « Le Verbe a été fait chair, » dans le sens que le Verbe eût été converti en un corps humain, ou que par son incarnation il ait souffert quelque changement; qu'il soit anathème. XII. Si quelqu'un interprète la passion du Fils de Dieu en ce sens que la divinité ait été sujette à la corruption, aux souffrances ou à la mort; qu'elle ait pu subir une diminution, un changement, une perte quelconque; qu'il soit anathème. XIII. Si quelqu'un refuse de reconnaître dans ces paroles de la Genèse : «Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance » le discours adressé par le Fils au Père; qu'il soit anathème. XIV. Si quelqu'un dit que ce ne fut point le Fils qui apparut à Abraham, mais le Dieu innascible ou une partie quelconque de lui-même; qu'il soit anathème. XV. Si quelqu'un dit que ce ne fut point le Fils, mais le Dieu innascible, qui lutta contre Jacob; qu'il soit anathème. XVI. Si quelqu'un distingue entre les opéra-
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lions du Père et celles du Fils, comme si elles ne procédaient pas d'une volonté et d'une puissance identiques; qu'il soit anathème. XVII. En confessant un seul Dieu, un seul Seigneur, nous distinguons cependant les personnes du Père et du Fils, et nous anathématisons celui qui prendrait de là occasion de dire que le Père et le Fils sont deux divinités distinctes. Cependant nous n'égalons pas le Fils au Père, mais nous reconnaissons le Fils comme sujet. Si quelqu'un soutient le contraire ; qu'il soit anathème. XVIII. Si quelqu'un dit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont une seule personne ; qu'il soit anathème. XIX. Si quelqu'un, confondant les personnes, dit que le Paraclet, Esprit consolateur, est le Dieu innascible ; qu'il soit anathème. XX. Si quelqu'un dit que l'Esprit-Saint est la même personne que le Fils; qu'il soit anathème. XXI. Si quelqu'un dit que le Saint-Esprit est une partie du Père ou du Fils; qu'il soit anathème. XXII. Si quelqu'un dit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois dieux; qu'il soit anathème. XXIII. On lit dans l'Écriture: « Je suis l'Alpha et l'Oméga; il n'y a point d'autre Dieu que moi. » Ces paroles étaient destinées à combattre l'erreur du polythéisme. Si quelqu'un les entend à la manière des Juifs, dans le sens que le Verbe ne soit pas Dieu ; qu'il soit anathème. XXIV. Si quelqu'un dit que le Fils de Dieu a été, comme les autres créatures, un produit de la volonté divine; qu'il soit anathème. XXV. Si quelqu'un dit que le Fils est né du Père, sans la volonté de celui-ci, et d'une manière en quelque sorte fatale ; qu'îl soit anathème. XXVI. Si quelqu'un dit que le Fils est innascible et qu'il n'a point de principe ; qu'il soit anathème. Le Fils est le principe de toute créature, mais lui-même a Dieu le Père pour principe. XXVII. Si quelqu'un ne confesse point un seul Christ, Dieu, Fils de Dieu, subsistant avant les siècles, instrument de Dieu son Père pour la création du monde; s'il soutient que ce Christ n'existe que depuis son incarnation au sein de la Vierge Marie, et que seulement alors il a commencé d'être Dieu; qu'il soit anathème 1. »
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1. S. Athanas. et Socrat., loc. Cit.
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