Darras tome 27
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CHAPITRE X.
Attributs donnés par saint Hilaire à chacune des trois personnes, dans son livre II De la Trinité.
11. Un auteur voulant insinuer en peu de mots ce qui est propre à chacune des personnes de la Trinité a dit : « L'éternité est dans le Père, la ressemblance dans l'image, et l'usage dans le don. » (HILAR., liv. II de la Trinité.) Et comme c'est un homme qui ne jouit pas d'une mince autorité dans l'explication des Ecritures, et dans les assertions de foi, car c'est Hilaire qui a écrit cela dans ses livres, j'ai recherché autant que je l'ai pu, le sens caché de ces expressions, Père, image, don, éternité, ressemblance et usage, et je crois ne m'être pas éloigné de sa pensée, dans le mot éternité, en comprenant que le Père n'a point de père de qui il soit, tandis que le Fils a, du Père, qu'il est, et de plus qu'il est coéternel avec lui. En effet, si l'image rend parfaitement l'objet dont elle est l'image, c'est elle qui est comparée à lui, non pas lui qui est comparée à elle. Dans cette image il parle de la ressemblance, je crois, à cause de sa beauté, elle est en effet si bien proportionnée, c'est la première égalité, la première similitude, elle ne s'écarte en rien de son modèle, elle ne lui est inégale en rien, dissemblable en rien, au contraire elle répond trait pour trait à Celui dont elle est l'image. Là se trouve la première vie, la vie suprême, car, pour elle, ce n'est pas une chose de vivre et une autre chose d'être, mais c'est une seule et même chose d'être et de vivre; là aussi est la première et suprême intelligence, en effet, pour elle, être intelligente et vivre ne font pas deux,
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mais compréndre, c’est vivre, c'est être; c'est tout un. Comme le Verbe parfait, à qui ne manquerait rien, c'est une citadelle du Dieu tout-puissant et sage, remplie de toutes les raisons vivantes et intellectuelles, qui toutes ne font qu'un en elle, comme elle est elle‑même un de un avec qui elle est un. C'est en elle que Dieu connaît toutes les choses qu'il a faites par elle, aussi, quand les temps passent et se succèdent, rien ne passe, rien ne succède dans la science de Dieu. Car si les choses que Dieu a créées sont connues de lui, ce n'est pas parce qu'il les a créées, on pourrait plutôt dire qu'elles ont été faites par lui, même susceptibles de changer, parce qu'il les connaît d'une manière immuable. Cet embrassement ineffable du Père et de son image, n'existe donc point sans une certaine jouissance, sans charité, sans joie, cette dilection, cette délectation, cette félicité ou béatitude, si toutefois on peut trouver dans la langue humaine une expression pour la rendre dignement, a été appelée l'usage par notre auteur, et, dans la Trinité, c'est le Saint‑Esprit qui n'a point été engendré, mais qui est la douceur de Celui qui engendre, et de Celui qui est engendré, et qui inonde de l'abondance de ses grâces toutes les créatures, à proportion de leur aptitude à les recevoir, pour qu'elles tiennent leur rang et demeurent en repos à leur place.
12. Toutes les choses créées par l'art divin montrent en elles une certaine unité, une certaine beauté, un certain ordre. En effet, quelles que soient ces choses, elles font chacune un tout, telles sont les natures de corps et celles d'âmes; elles sont formées avec une certaine apparence, telles sont les figures et les propriétés des corps, telles sont aussi les sciences et les arts propres aux âmes; elles demandent ou tiennent un certain ordre, tels sont le poids et la place des corps, les amours ou les délectations des âmes. Il faut donc que, apercevant et comprenant le Créateur par la vue des choses créées, nous comprenions la Trinité, dont les traces apparaissent dans les créatures, selon qu'il est convenable. En effet, c'est dans cette Trinité suprême que se trouve l'origine, la plus parfaite beauté et bienheureuse félicité de toutes choses. Ainsi, ces trois choses semblent être déterminées réciproquement l'une par rapport aux autres, et sont infinies en elles‑mêmes. Mais ici‑bas, dans les choses corporelles, une seule chose n'est point autant que deux ensemble, et deux sont plus qu'une seule. Au reste, dans cette suprême Trinité, une seule personne est autant que les trois ensemble, et deux ne sont pas plus qu'une. Elles sont infinies en elles‑mêmes. Chacune des trois personnes est dans chacune des trois personnes, et chacune est dans toutes les trois, et toutes
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sont dans toutes, et toutes ne font qu'un. Que celui qui voit cela, même en partie ou dans un miroir et en énigme, se réjouisse de connaître Dieu (I Cor., XIII, 12), qu'il l'honore comme Dieu, et lui rende grâce. Que celui qui ne le voit point s'efforce par la piété d'arriver à le voir, au lieu de le calomnier dans son aveuglement. Car il n'y a qu'un seul Dieu, et cependant ce Dieu est Trinité. Il ne faut pas non plus admettre d'une manière confuse ces paroles : « De qui, par qui, en qui sont toutes choses, » (Rom., XI, 36) et ce n'est point à plusieurs Dieux, mais « à lui seul que doit revenir la gloire, dans les siècles des siècles. Amen. »
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LIVRE SEPTIÉME
Saint Augustin expose, dans ce livre, la question qui avait été différée dans le livre précédent, à savoir que Dieu le Père qui a engendré un Fils qui est vertu et sagesse, non‑seulement est le Père de la vertu et de la sagesse, mais est lui‑même vertu et sagesse. Il en est de même de l'Esprit saint. Il montre que néanmoins il n'y a pas trois vertus, ni trois sagesses, mais une seule vertu et une seule sagesse, comme il n'y a qu'un seul Dieu et une seule essence. Ensuite en quel sens les Latins disent qu'il y a en Dieu une seule essence et trois personnes, et les Grecs, qu'il y a une seule essence et trois substances ou hypostases; il fait voir que cette manière de parler est dans ces deux langues le résultat d'une nécessité de répondre à cette question : que sont ces trois que nous confessons, avec, vérité, en les appelant Père, Fils et Saint‑Esprit.
CHAPITRE PREMIER.
Retour à cette question : chacune des trois personnes de la sainte Trinité est‑elle sagesse par elle‑même ?
1. Et maintenant, recherchons avec le plus de soin possible, autant que Dieu nous en fera la grâce, si, dans la Trinité, chaque personne, peut, en elle‑même et indépendamment des deux autres, être appelée Dieu grand, sage, vrai, tout‑puissant, juste, ou de tout autre nom qui puisse se dire de Dieu, non pas d'une manière relative, mais absolue, ou bien si ces attributs ne sont affirmés que lorsqu'il est entendu qu'on parle de la Trinité. En effet, il y a lieu, à cause de ces paroles de l'Ecriture :« Le Christ vertu et sagesse de Dieu, » (1 Cor., I, 24) de demander si Dieu le Père est tellement Père de sa sagesse et de sa vertu, qu'il ne soit sage que par la sagesse qu'il a engendrée, et puissant par la vertu dont il est Père, et si, étant toujours puissant
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et sage, il a toujours engendré la vertu et la sagesse. Nous avons déjà dit, s'il en est ainsi, pourquoi il n'est point le Père de la grandeur par laquelle il est grand, de la bonté par laquelle il est bon, de la justice par laquelle il est juste, et des autres attributs qu'on peut lui donner. Ou bien si tous ces attributs exprimés par des mots différents sont compris dans la même sagesse et la même vertu, en sorte que grandeur soit la même chose que vertu, bonté la même chose que sagesse, et, réciproquement, sagesse la même chose que vertu, comme nous l'avons déjà recherché, si j'ai bonne mémoire, en sorte que lorsque je cite un de ces attributs, on doive l'entendre comme si je les énumérais tous, on demande donc si le Père en particulier est sage, et s'il est lui‑même sa propre sagesse, et s'il est sage comme il est disant; car il est disant par rapport au Verbe qu'il a engendré, non point par rapport au verbe qui se prononce, qui sonne à nos oreilles et qui passe; mais par rapport au Verbe qui était en Dieu, et qui était Dieu, et par qui tout a été fait (Jean, I, 1); par rapport au Verbe égal à lui, et par lequel il se dit lui‑même toujours, et d'une manière immuable. Car il n'est pas lui‑même Verbe, non plus que Fils ni image. Mais le disant, si j'excepte les sons temporels du nom de Dieu qui se produisent dans les créatures, car ils sonnent et ils passent, le disant donc qui s'adresse au Verbe coéternel, n'est point compris comme étant seul avec lui-même, mais comme étant avec le Verbe même, sans qui il ne saurait être disant. En est‑il de sage comme de disant, en sorte qu'il en soit aussi de la sagesse comme du Verbe, et que ce soit tout un d'être le Verbe et d'être la sagesse; en est‑il de même également du Verbe et de la vertu, en sorte que Verbe et vertu soient tout un, et ne soit dit que d'une manière relative, comme Fils et image, en sorte que le Fils ne soit point puissant ou sage seul avec lui seul, mais avec la vertu et la sagesse qu'il a engendrées; de même que le Père n'est point disant seul à seul avec lui seul, mais par et avec le Verbe qu'il a engendré; et de même grand de la grandeur qu'il a engendrée ? Et s'il n'est pas grand par une chose, et Dieu par une autre chose, mais s'il est grand parce qu'il est Dieu, attendu que, pour lui, être grand et être Dieu ne sont pas deux choses différentes, il s'ensuit qu'il n'est pas non plus Dieu seul à seul avec lui‑même, mais qu'il l'est par et avec la déité qu'il a engendrée, en sorte que le Fils est la déité du Père, comme il est la sagesse et la vertu du Père, le Verbe et l'image du Père. Et comme pour lui ce ne sont pas deux choses différentes, d'être et d'être Dieu, le Fils serait ainsi l'essence du Père, comme il est son Verbe et son image. Par suite, si on en excepte ce par quoi il est Père, le Père ne serait quelque chose que parce qu'il a un Fils. En sorte que non-
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seulement il est ce qu'on entend par Père, titre qui manifestement n'a point rapport à lui, mais ne lui est donné que, relativement au Fils, puisqu’il n'est Père que parce qu'il a un Fils, mais que, ce qu'il est par rapport à lui‑même il ne l'est que parce qu'il a en- gendré son essence. Car, comme il n'est grand que par la grandeur qu'il a engendrée, ainsi n'est‑il que par l’essence qu'il a engendrée, attendu que pour lui, être n’est pas une chose, et être grand une autre chose. Serait‑il donc ainsi le Père de sa propre essence, comme il l'est de sa propre grandeur, comme il l'est de sa propre vertu, de sa propre sagesse? car en lui, grandeur c'est vertu, et essence c'est grandeur.
2. Cette dispute est née de ce qu'il est écrit que «le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu.» (I Cor., I, 24.) Nous nous trouvons donc, quand nous voulons parler de choses ineffables, dans l'étroite alternative, ou de dire que le Christ n'est point la vertu et la sagesse de Dieu, et d'aller ainsi avec autant d’impiété que d'impudence, contre la parole de l'Apôtre, ou de reconnaître qu'en effet le Christ est la vertu et la sagesse de Dieu, mais que son Père n'est point le Père de sa propre Vertu et de sa propre sagesse, ce qui n'est pas moins impie, attendu que de cette manière il ne serait pas non plus le père du Christ, puisque le Christ est la vertu et la sagesse du Père, ou que le Père ne serait plus ni fort ni sage de sa vertu et de sa sagesse, chose que personne n'oserait avancer. Ou bien, il faudrait comprendre que dans le Père autre chose est d'être, et autre chose d'être sage, en sorte qu'il ne s'ensuit point qu'il est sage par le seul fait qu'il est, comme on l'entend ordinairement de notre âme, qui tantôt est dépourvue de sagesse, et tantôt en est douée, ainsi qu'il convient à une nature muable, à une nature qui n’est ni souverainement ni parfaitement simple, ou bien que le Père n'est point quelque chose par rapport à soi, et que toute affirmation le concernant non seulement en tant qu'il est Père, mais même en tant qu'il est simplement, n’est qu'une affirmation relative au Fils. Comment donc le Fils serat‑il de la même essence que le Père, puisque non‑seulement il n'est pas même une essence, mais encore il n'est pas du tout relativement à soi, et que l’être en lui n'a de rapport qu'au Fils? En effet, le Père et le Fils sont d'autant plus d'une seule et même substance, que Père et Fils sont une seule et même substance, attendu que, pour le Père, l'être même ne se rapporte point à lui, mais au Fils qu'il a engendré essence, et par laquelle essence il est lui‑même tout ce qu’il est. Ni l’un ni l'autre n'est donc par rapport à soi, mais tant l'un que l'autre n'est affirmé que relativement à l'autre. Est‑ce que le Père seul, non‑seulement en tant qu'il est appelé Père, mais en tant qu'il est dit quoique ce soit, ne l’est que
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p323 LIVRE VII. ‑ CHAPITRE
relativement au Fils, tandis que ce dernier l'est dit aussi relativement à lui‑même? Et s'il en est ainsi, qu'est‑il dit relativement à lui‑même? Est-il dit essence même? Mais l'essence du Père c'est le Fils, de même qu'il est la vertu et la sagesse du Père, le Verbe du Père et l'image du Père. Ou bien, si c'est par rapport à lui‑même que le Fils est appelé essence, le Père n'est plus une essence, mais seulement le Père de l'essence, il n'est plus par rapport à lui‑même, mais il est par l'essence même qu'il a engendrée, de même que c'est par la grandeur qu'il a engendrée qu'il est grand. C'est donc par rapport à lui‑même que le Fils est appelé la grandeur, il en est de même des appellations vertu, sagesse, Verbe et image. Or, qu’y a‑t‑il de plus absurde que de prétendre que c’est par rapport à elle‑même qu'une image est appelée image? Si le Verbe et l'image ne sont pas le même que la vertu et la sagesse, mais que les deux premiers termes ne soient employés que d'une manière relative, et les deux derniers par rapport à soi, non à autre chose, le Père commence à ne plus être sage par la sagesse qu'il a engendrée, attendu qu'il ne peut être dit lui‑même d'une manière relative à cette sagesse, non plus que celle‑ci ne peut être dite relativement à lui, car tout ce qui est relatif est corrélatif. Il ne reste donc plus à dire qu'une chose, c'est que le Fils est appelé essence par rapport au Père. Mais il naîtrait de là le sens le plus inopiné, c'est que l'essence même ne serait plus essence et que lorsqu’on dirait essence, ce ne serait plus l'essence, mais une relation qui serait indiquée. De même que quand on dit maître, on ne parle point d'une essence, mais d'un relatif qui se rapporte à esclave; mais quand on dit homme ou quelque chose de semblable, qui se dit par rapport à soi, non point relativement à autre chose, c'est de l'essence qu'on veut parler. Lors donc qu'en parlant d'un homme on dit maître, le mot homme indique l'essence, le mot maître la relation, car l'homme se dit par rapport à soi, le maître par rapport à l'esclave, et pour en revenir à ce que nous disions si le mot essence ne s'emploie que dans le sens relatif, l'essence n'est plus essence. Ajoutez à cela que toute essence employée au sens relatif, est de plus quelque chose encore, indépendamment du relatif, tels sont l'homme appelé maître, et l'homme appelé esclave, le cheval dit de somme, et la pièce de monnaie appelée arrhes. Les mots homme, cheval, pièce de monnaie, se disent des êtres en eux-mêmes, et expriment des substances ou des essences; les mots maître, esclave, bête de somme et arrhes ne s'emploient que dans un sens relatif. Mais s'il n'y avait point d'homme, c'est‑à‑dire s'il n'existait point une certaine substance, il n'y aurait point possibilité d'appliquer le relatif maître; si le cheval n'était point une substance on ne pourrait lui appliquer l'expression relative de bête de somme. De même, si la pièce de monnaie n'était point une substance,
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on ne pourrait pas non plus lui appliquer l'expression relative d'arrhes. Par conséquent, si le mot Père ne désigne pas aussi quelque chose en soi, il n'y a absolument pas moyen de l'employer d'une manière relative. En effet, il n'en est pas de lui comme de la couleur qui se rapporte à l'objet coloré, et qui n'est point appelée couleur en soi, mais toujours par rapport à l'objet coloré ; mais quant à cet objet dont la couleur est la couleur, quand bien même en tant que désigné comme un objet coloré, il se rapporterait à la couleur, cependant en tant qu'il est appelé corps, c'est par rapport à lui‑même qu'il est appelé ainsi. On doit donc penser, d'une certaine manière, que le Père n'est pas appelé Père par rapport à soi, et que tout ce qui est affirmé de lui ne l'est que par rapport au Fils, tandis que le Fils c'est par rapport à lui‑même et par rapport au Père, qu'il est appelé une grandeur grande, une vertu puissante, et que ce n'est que par rapport à lui seulement qu'il est appelé grandeur et vertu du Père qui est grand et puissant, grandeur et vertu par lesquelles le Père est grand et puissant. Il n'en est donc pas ainsi, mais l'un et l'autre sont une substance et une seule et même substance. Mais de même qu'il est absurde de dire que la blancheur n'est pas blanche, ainsi l'est‑il de prétendre que la sagesse n'est point sage, et de même que c'est par rapport à elle‑même que la blancheur est dite blanche, ainsi est‑ce également par rapport à elle‑même que la sagesse est dite sage. Mais la blancheur du corps n'est pas une essence, c'est le corps même qui est une essence, tandis que la blancheur est une qualité du corps, aussi est‑ce de la blancheur que le corps est appelé blanc; mais pour le corps ce n’est pas une seule et même chose d'être et d'être blanc. Car en lui autre chose est la forme, autre chose la couleur, et l'une et l'autre se trouvent non en soi, mais dans une certaine masse de matière qui n'est elle-même ni la forme ni la couleur, mais qui est formée et colorée. Au contraire, la sagesse est sage, et c'est par elle‑même quelle l'est, et comme toute âme n'est sage que par sa participation à la sagesse, lorsqu'elle vient à cesser d'être sage, la sagesse ne laisse point de demeurer sagesse en elle‑même, et ne change point parce que l'âme change dans le sens de la folie. Il n'en est pas pour celui qui est fait sage par elle, de la même manière que pour la blancheur dans le corps qui est blanc par elle. En effet, quand le corps vient à changer en une autre couleur, sa blancheur bien loin de continuer à subsister, disparait tout à fait. Si le Père qui a engendré la sagesse n'est sage que par elle, et si, pour lui, ce n'est pas une seule et même chose d'être et d'être sage, son Fils est une qualité pour lui, ce n'est plus sa race, et on ne voit plus là la souveraine simplicité. Mais bien s'en
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faut qu’il en soit ainsi; car il y a véritablement là une essence au suprême degré de simplicité, c’est donc là une seule et même chose d'être et d'être sage. Mais si là, c'est une seule et même chose d'être et, d'être sage, le Père n'est pas sage par la sagesse qu'il a engendrée, autrement ce n'est pas lui qui aurait engendré la sagesse, mais la sagesse qui aurait engendré le Père. Car que disons‑nous autre chose, quand nous disons que pour lui, être et être sage c'est tout un, sinon qu'il est sage dès lors qu'il est? En conséquence, la cause qui fait qu'il est sage est la même qui fait qu'il est. Aussi, si la sagesse qu'il a engendrée est cause qu'il est sage, elle est cause également que la sagesse existe. Ce qui ne peut être qu'en l'engendrant ou en le faisant. Mais il n'y a personne pour dire jamais que la sagesse est la nourrice et la créatrice du Père. En effet, que peut‑il se dire de plus insensé? Donc, le Père aussi est lui‑même sagesse, et le Fils n'est appelé la sagesse du Père, que de la même manière qu'il est appelé la lumière du Père; en d'autres termes, de même qu'il est lumière de lumière, et que l'un et l'autre sont lumière, ainsi doit‑on entendre qu'il est sagesse de sagesse, et que l'un et l'autre sont sagesse; d'où il suit que l'un et l'autre ne font qu'une seule et même essence, attendu que, pour lui, être et être sage c'est tout un; car ce que le sage est à la sagesse, le puissant à la puissance, l'éternel à l'éternité, le juste à la justice, le grand à la grandeur, l'être l'est par rapport à l'essence. Et comme pour cette simplicité ce ne sont pas deux choses d'être et d'être sage, la sagesse se confond en elle avec l'essence.
CHAPITRE Il.
Le Père et le Fils ne font ensemble qu'une seule et même sagesse, comme ils ne font qu'une seule et même essence, sans toutefois ne faire ensemble qu'un seul et même Verbe.
3. Le Père et le Fils ne font donc ensemble qu'une seule et même essence, une seule et même grandeur, une seule et même vérité, une seule et même sagesse; mais le Père et le Fils ne font pas tous deux ensemble un seul et même Verbe, parce qu'ils ne font pas non plus tous deux ensemble un seul et même Fils; car de même que Fils se repporte à Père, et ne se dit pas par rapport à soi, ainsi Verbe, quand le Fils est appelé ainsi, se rapporte à celui dont il est Verbe, attendu qu'il est Verbe par cela même qu'il est Fils, et Fils par cela même qu'il est Verbe. Puis donc que le Père et le Fils ensemble ne font point un seul Fils, il s'ensuit que le Père et le Fils ensemble ne font point non plus un seul et unique Verbe, d'eux deux à la fois. Voilà pourquoi aussi il n'est pas le Verbe par cela qu'il est sagesse, attendu que Verbe ne se dit point par rapport à soi, mais seulement par
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rapport à celui dont il est Verbe, de même que Fils se dit par rapport à Père; mais il est sagesse par le fait qu'il est essence, et comme il n'y a qu'une essence, il n'y a aussi qu'une sagesse. Mais comme le Verbe aussi est sagesse, mais n'est pas sagesse par ce qui fait qu'il est Verbe, attendu que Verbe s'entend dans un sens relatif, tandis que sagesse s'entend dans le sens d'essence; nous devons comprendre quand on dit le Verbe, comme si on disait la sagesse née pour être en même temps Fils et image. Et quand on prononce ces deux mots : « la sagesse née, » l'un deux, «née, » donne à entendre qu'il s'agit du Verbe, de l'image, du Fils de Dieu; or, dans tous ces noms il n'est point question d'essence, attendu qu'ils ne s'emploient que dans un sens relatif; mais l'autre mot «sagesse, » se disant aussi par rapport à elle‑même, attendu que c'est par elle que le sage est sage, donne à entendre qu'il s'agit de l'essence, et dans ce cas être est synonyme d'être sage. Si donc le Père et le Fils ne font ensemble qu'une seule et même sagesse, c'est parce qu'ils ne font qu'une seule et même essence, et que chacun d'eux est sagesse de sagesse, comme il est essence d'essence. Ainsi ce n'est point parce que le Père n'est pas le Fils, et que le Fils n’est pas le Père, ou parce que l'un est non‑engendré, tandis que l'autre a été engendré, qu'ils ne font pas une seule et même essence, attendu que ces différents noms ne désignent en eux que des choses relatives. Mais l'un et l'autre ne font ensemble qu'une seule et même sagesse, une seule et même essence, parce que en eux, être et être sage ne font qu'un. Mais ils ne sont point tous les deux à la fois Verbe ou Fils, parce que être et être le Verbe ou le Fils ne font pas qu'un, comme nous l'avons déjà fait assez voir, en disant que ces expressions ne présentent qu'un sens relatif.