Arius (St Athanase) 32


Darras tome 10 p. 257


§ V. Persécution Arienne de Valens.

 

17. Rentré dans sa capitale, Valens ne songea plus qu'à reprendre en sous-œuvre le plan de son prédécesseur Constance. Il défendit dans tout l'Orient la promulgation des lettres des souverains pontifes, et rendit un décret pour obliger, sous peine d'exil, les évêques et les prêtres à souscrire la formule de Rimini. La persécution contre les catholiques recommença avec de nouvelles fureurs. On se rappelle que, deux ans auparavant (365), un concile réuni à Lampsaque avait proclamé la foi catholique sur la divinité du Verbe. Les pères de Lampsaque avaient ordonné le rétablissement des évêques déposés par suite de leur attachement à cette doctrine; ils avaient déclaré à Eudoxius de Constantinople qu'ils étaient prêts à le recevoir à la communion de l'Église, s'il voulait renoncer à ses erreurs. Les Anoméens en appelèrent à Valens, et celui-ci se déclara publiquement leur protecteur et le fauteur de l'arianisme. Il commença son rôle de persécuteur en exilant les

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pèes de Lampsaqne, et en donnant leurs sièges aux Eudoxiens. Dans son zèle de prosélytisme, il fit venir à sa cour Eleusiusévêque de Cysique, dont la foi était orthodoxe, et le pressa de souscrire une formule arienne. Ses menaces ébranlèrent le courage du prélat, qui finit par donner son adhésion. De retour à Cysique, Eleusius déplora sa faute, en présence du peuple et du clergé. Se déclarant indigne de l'épiscopat, il voulait se retirer dans une solitude. Mais les larmes des fidèles le déterminèrent à conserver le gouvernement de son église. Valens ne le lui laissa pas longtemps ; il envoya le généreux confesseur en exil. Vétranion, évêque de Tomi, capitale de la Scythie romaine, sur l'embouchure du Danube, refusant d'abjurer la foi orthodoxe, eut le même sort. Dès l'an 367, le préfet d'Alexandrie avait fait envahir l'église principale, où résidait ordinairement saint Athanase, dans l'intention de s'emparer de sa personne. Mais le patriarche avait prévu la tempête : il se tint caché quatre mois dans le tombeau de son père, seul asile qui restât à sa vertu persécutée. Le peuple l'Alexandrie réclama son pasteur avec tant d'insistance que Valens, craignant les plus graves désordres, permit à Athanase de reparaître à Alexandrie. Ce prince se faisait, on le voit, le suc-cesseur de Constance dans sa haine contre le catholicisme. Mais l'esprit de l'Orient avait changé. L’arianisme, réduit à un petit nombre de sectateurs opiniâtres, avait perdu sa puissance dans l'opinion. La plupart des évêques orientaux enviaient l'unité de foi, qui faisait jouir l'Occident d'une profonde paix, sous le gouvernement de l'évêque de Rome. Ce mouvement de retour vers l'orthodoxie se prononça bientôt avec une énergie nouvelle, quand il se trouva représenté par un chef éloquent, habile, persuasif, dont tous les partis respectaient la sainteté. Ce chef fut saint Basile, 

 

   18. Nous avons dit que le vieil évêque de Césarée, Eusèbe, cédant un instant à des sentiments de défiance contre saint Basile, l'avait tenu à l'écart de son administration. Ce ne fut qu'un nuage passager: Eusèbe revint bientôt de ses injustes préventions. Il le rappela du fond de sa retraite, et voulut qu'il consacrât au service de l'Eglise les efforts  de son  zèle sacer-

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dotal. Basile avait résisté quelque temps, mais vaincu enfin par les supplications du vénérable pontife et par les vœux unanimes du clergé et du peuple, il s'était rendu à tant d'instances. Depuis ce jour, Ëusèbe s'était déchargé sur l'humble prêtre du fardeau de l'administration et des sollicitudes de la charge pastorale. La confiance du saint vieillard ne pouvait être mieux placée. Durant une famine qui sévit l'année suivante dans l'Asie-Mineure, Basile réalisa de véritables prodiges de dévouement et de charité. « Il prêchait à la fois de l'exemple et de la parole, dit M. de Broglie. Le matin, il réunissait dans un même lieu les malheureux affamés de tout sexe et de tout âge, pour leur distribuer, de sa propre main, dans de vastes marmites, un potage fait de légumes, d'herbes cuites, de graisse et de sel dont il avait surveillé lui-même la composition. Les reins ceints d'un linge, à l'exemple de Jésus-Christ, il s'agenouillait devant eux pour leur laver les pieds. L'après-midi et les jours de fête, malgré la faiblesse de sa poitrine atteinte d'un mal qui le minait lentement, il prêchait sans relâche avec une éloquence pleine d'âme et intarissable, aux riches la miséricorde, aux pauvres la résignation, à tous la pénitence 1» Eusèbe de Césarée bénissait le Seigneur d'avoir donné à sa vieillesse un auxiliaire si puissant en paroles et en œuvres. Le saint évêque s'endormit doucement du sommeil des justes, et expira dans les bras de Basile. Le siège métropolitain de la Cappadoce était vacant. Tous les évêques de la province furent convoqués pour le choix d’un successeur. Clergé et peuple demandaient à grands cris la promotion de l'illustre prêtre; on aurait donc pu croire son élection assurée ; mais les magistrats de la ville, créatures de Valens, et dévoués comme leur maître à l'hérésie, travaillèrent l'esprit des patritciens, mandèrent tous les évêques de la secte et organisèrent une opposition formidable au vœu populaire. Cependant Basile, souffrant à la fois, dans son corps, des cruelles atteintes de sa maladie ordinaire, dans son âme, du chagrin que lui causait la mort du pontife, son pasteur et son père, se tenait à l'écart et laissait le

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1 M. de Broglie, L'Église et l'Emp. rom., tom. Y, pag. 88.

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champ libre aux intrigues et aux manœuvres de ses ennemis 1. Il eût souhaité cependant que son condisciple Grégoire pût se rendra à l'assemblée, d'autant plus que le vieil évêque de Nazianze se trouvait, par son grand âge, dans la presque impossibilité d'y paraître. Mais Grégoire, aussi soucieux de la réputation de son ami que de la sienne propre, et mettant dans cette affaire une délicatesse de conscience telle qu'en ont les saints, lui répondait: « En me faisant venir au moment où tous les évêques se rassemblent à Césarée, tu ne songes pas à l'effet que cela pourrait produire sur tant d'envieux et de jaloux. Comme tu es exempt toi-même de toute espèce de mal, tu ne le soupçonnes jamais chez autrui 2. » L'élection eut lieu dans ces circonstances. Les magistrats, renouvelant la menace employée sous Julien l'Apostat, quelques années auparavant, répandaient le bruit que l'empereur Valens se dirigeait en personne vers Césarée et qu'il ferait cruellement expier leur vote à ceux qui auraient la témérité de le porter sur Basile. Un pareil système d'intimidation eut pour effet de partager les suffrages. La moitié des évêques se déclarèrent pour Basile, l'autre moitié pour un candidat impérial dont le nom ne nous est point parvenu. «Ce fut alors, dit Grégoire de Nazianze, que l'Esprit-Saint, renversant tous ces artifices de la haine, de la passion et de la violence, se choisit des auxiliaires inattendus. Des plus lointaines régions de l'Asie accoururent des évêques qui avaient jadis confessé la foi dans les tourments. Ils venaient apporter leur témoignage en faveur de Basile. Comme un autre Abraham, mon père, ce patriarche chargé d'années et de bonnes œuvres, voulut descendre lui aussi en Egypte, et se joindre à cette légion de confesseurs. Au moment où il quittait Nazianze pour son pénible voyage, il était dans un tel état de faiblesse et de maladie qu'à chaque instant nous craignions de lui voir rendre l'âme. Mais l’Esprit-Saint le conduisait visiblement. Au départ nous le plaçâmes, comme un cadavre, sur le char qui devait l'emporter; il s'y

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1.          Verisimile est Basilium lalebras quœsisse dum clectio perageretur. {Vita S. Basil. ; Patr. grac, tom. XXIX, col. 55.) — ' Gregor. Naz., Epist. XL ; Pair, grœc, tom. XXXVII, col. 82-83.

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tint sans mouvement, ne pouvant articuler une parole. Mais quand il eut, par son suffrage, assuré l'élection de Basile; quand surtout il eut fait couler sur cette tête chère et sacrée l'huile de l'onction épiscopale, sa maladie disparut complètement. Il revint à son église de Nazianze, plein de vigueur et de force, retrempé par l'Esprit-Sainl dans une jeunesse nouvelle 1. » L'accession du vieil évêque de Nazianze et des autres prélats, parmi lesquels on comptait le confesseur de la foi Eusèbe de Samosate, détermina donc l'élection de saint Basile sur le siège métropolitain de Gésarée, et déjoua toutes les manœuvres de Valens.

 

19. Avant d'entrer dans le récit des luttes que le nouveau pontife allait avoir à soutenir pour la cause de l'Église, on nous permettra de nous arrêter un instant sur la correspondance qui s'échangea alors entre les deux amis. Basile, aussitôt sa promotion, écrivit à Grégoire pour le supplier de se rendre près de lui. Voici la réponse de Grégoire : « Quelle n'est pas la joie dont mon cœur est inondé ! Je ne la dissimule point. Vous voilà donc élevé sur ce trône sublime! L'Esprit vainqueur a enfin pris le flambeau jusque-là obscur, pour le porter sur le chandelier, d'où il resplendit à tous les regards! Et comment ne serais-je pas tout entier à ce sentiment d'allégresse, quand Dieu donne à son Église affligée un pareil défenseur? Cependant je n'ai pas cédé au désir qui me pressait de voler dans vos bras; et je vous supplie de ne pas insister sur ce point. Non, ne me le demandez pas encore, parce que, si vous l'exigiez, j'obéirais à votre autorité pour moi si vénérable et si chère ; mais aussi vos ennemis ne manqueraient pas de dire, avec leur malveillance habituelle, que vous cherchez à vous entourer de flatteurs et de courtisans. Permettez-moi aussi de songer un peu à moi-même et de ne pas m'exposer à tant de haines. Mais quand viendras-tu? me demanderez-vous peut-être. Jusques à quand différeras-tu ta visite? Je vous réponds : Dieu en disposera. J'attendrai que les inimitiés actuelles aient disparu, comme l'ombre devant la lumière; et j'ai la confiance que la résistance des lépreux

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1.S. Greg. Nai., Oral, xliii, cap. xxxvn ; Patr. grœc, tom. XXXVI, col. 546.

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ne retiendra pas longtemps David loin de Jérusalem1 ! » — Basile ne se montra pas satisfait des raisons de son ami. Il lui écrivit pour se plaindre qu'il le délaissait. « Moi, répondait Grégoire, moi, vous délaisser, ô tête sacrée et chère! Comment cette parole a-t-elle pu échapper à vos lèvres? Comment, si une telle audace m'est permise à moi-même, comment avez-vous osé l'écrire? Votre âme ne s'est pas révoltée, l'encre ne s'est pas figée dans votre plume, le papier ne s'est pas déchiré sous votre main, quand vous avez écrit cette parole! O souvenirs de notre jeunesse, école d'Athènes, labeurs, vertus, études communes, qu'êtes-vous devenus? Pardon. Voilà que je me laisse entraîner au style tragique. Mais en vérité, est-ce que vous ne me connaissez plus? Ou bien est-ce que vous vous méconnaissez vous-même à ce point, vous la lumière du monde, la grande voix de la vérité, le sanctuaire de la doctrine! Est-ce qu'il se pourra jamais que Grégoire soit indifférent à ce qui vous touche! Et qu'est-ce donc que Grégoire admire et aime, de toutes les choses de la terre, si ce n'est vous? L'année a quatre saisons, mais elle n'a qu'un printemps; il y a des multitudes d'étoiles, mais un seul soleil; l'horizon est immense, mais il n'y a qu'un ciel pour le dominer. Vous êtes mon printemps, mon soleil, mon ciel. Votre voix domine tout dans mon âme. Si c'est de ma part une illusion, je la confesse; si mon amitié me trompe et me séduit, j'avoue mon erreur. Si vous pouviez jamais croire que je vous aime, ou vous admire, moins que vous ne le méritez, il vous faut renoncer à être compris par qui que ce soit en ce monde. Pour rendre hommage à votre vertu mieux que je ne le fais, et que je ne le ferai, si Dieu me prête vie, il faudrait être vous-même ;

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1.S. Greg. Xaz., Epist. xlv; Patr. grœc, tom. XXXVII, col. 03. — Le trait d'histoire biblique auquel S. Grégoire fait allusion, en terminant sa lettre, est ainsi raconté au IIe livre des Rois (cap. v, vers. 6) : Et abiit rex, et omnes vir' gui ernnt cum eo in Jérusalem, ad JeljUsoeuKi habilatorem terra ; dictunu-ne est David ab eis : Non ingredieris hue, nisi abstuleris cœcos et claudns dicenles : Non ingredic.'-i" David hue Nous avons raconté cet épisode eu détail, tom. Il de cette Histoire, pag. 357. S. Grégoire de Nazianze substitue par extension aux aveugles et aux boiteux du texte sacré l’épithèle de lépreux, qui symbolisait plus énergiquement les coupables ennemis de l'évêque de Césarée. 

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il faudrait qu'avec la sublimité du génie qui vous appartient,il vous fût permis un jour de vous louer vous-même. On pourra vous dire que j'ai perdu l'esprit, on ne vous dira jamais que je vous oublie ou vous délaisse. Il n'y a qu'un point qui nous divise. Je préfère ma retraite et mon obscurité laborieuse à tout l'éclat qui vous environne. Eh bien! pardonnez-le moi; mes humbles trésors valent mieux, s'il est possible, que votre gloire et votre éloquence 1. » Dans ce rayonnement réciproque de deux génies et de deux saints l'un sur l'autre, on remarque des différences profondes de caractères, de tendances et d'aptitudes. Dans le commerce délicieux d'une intimité que les événements n'altérèrent jamais, saint Grégoire nous apparaît comme subjugué par l'influence supérieure et dominante de son ami. C'est qu'en effet Basile était par excellence l'homme de l'action. Sous ce rapport, il n'y a guère que saint Bernard qui puisse lui être comparé. Dans le moine de Clairvaux, comme dans l'archevêque de Césarée, c'est la même vigueur dans un corps maladif; le même charme et la même séduction sur tout ce qui les entoure. Grégoire avait résisté longtemps aux attraits de la solitude, où l'appelait son ami, mais une lois qu'il les eut goûtés, son âme y demeura prise pour jamais. Basile, législateur de la solitude, porta dans la sphère active une énergie que doublaient les vertus acquises dans le cloître. Sur ce terrain, nouveau de forme, mais au fond le même, l'athlète de Jésus-Christ retrouvait le combat; il se retrempait dans la lutte extérieure, comme jadis dans les silencieuses épreuves du désert. Basile parvint à entraîner son ami sur cet autre champ de bataille. Les événements étaient en effet si graves que l'Église avait besoin de l'appui de tous ses plus nobles enfants.

 

20. Valens venait de terminer heureusement une campagne contre les Goths (370), où ses lieutenants avaient seuls tiré l'épée, en lui laissant toutefois l'honneur de la victoire. Athanaric, le roi barbare, avait été contraint de solliciter humblement la paix. L'entrevue entre les deux souverains avait eu lieu sur un 

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1. S. Gregor. Naz., Epist. xlvi ; Pair, grœc, tom. XXXVII, col. 98,

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vaisseau magnifiquement décoré, au milieu du Danube. Enorgueilli de ce succès militaire auquel il n'avait cependant qu'une part bien médiocre, Valens revint triomphant à Constantinople ; il y reçut les félicitations de l'orateur officiel du sénat. Thémistius. Dans cette société avilie de Byzance, le litre de panégyriste n'était pas une sinécure. En veine de lauriers, Valens annonça l'intention d'aller en personne combattre Sapor. On applaudit à outrance cette résolution héroïque, et l'empereur se mit en marche pour Antioche, quartier général prédestiné à toutes les expéditions de ce genre. Il était à peine arrivé à Nicomédie, qu'on lui apporta la nouvelle de la mort subite d'Eudoxius, l'évêque arien de Constantinople, qui lui avait conféré le baptême et lui avait en même temps inoculé le poison de l'hérésie. C'était déjà pour Valens un chagrin profond que la perte de ce prélat intrigant, auquel le faible prince avait accordé une confiance d'autant plus entière qu'elle était moins méritée. Mais le messager qui apportait cette triste nouvelle fut bientôt suivi d'une députation de quatre-vingts ecclésiastiques, les plus distingués de Constantinople, lesquels annonçaient qu'une élection unanime venait d'appeler au siège vacant le prêtre Evagrius, catholique sincère et dévoué à la foi de Nicée. Les députés byzantins étaient chargés de porter cette nomination à la connaissance de l'empereur. Ils s'acquittèrent de leur mission avec toute la déférence possible; mais ils n'obtinrent qu'une réponse dédaigneuse et pleine de mépris. Valens les congédia brusquement, et donna tout bas au préfet du prétoire, Modeste, qui l'accompagnait, l'ordre de les faire décapiter. Tout habitué qu'il fût à servir les caprices d'un tyran, Modeste recula devant la responsabilité d'une pareille boucherie, non pas certes qu'il se permit de contrôler la sentence, mais il craignait en l'exécutant de soulever l'indignation populaire. En conséquence, pour accorder son devoir de bourreau avec sa conscience politique, il fit embarquer les quatre-vingts députés de Consîantinople sur un navire, auquel les matelots eurent ordre de mettre le feu durant la nuit. Ce stratagème réussit à merveille; les marins se sauvèrent dans une chaloupe et laissèrent brûler, puis noyer, les

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malheureux ecclésiastiques byzantins. Évagrius, l'évêque élu, fut envoyé en exil; et Démophile de Bérée, ce fougueux arien qui avait déjà donné tant de scandales sous le règne de Constance, fut transplanté par ordre de Valens sur le siège de Constantinople. On essaya de faire régulariser cette intrusion par un simulacre d'élection canonique. Mais les prêtres et les laïques fidèles, au lieu d'accueillir le nom de Démophile par l'acclamation consacrée : Placet! firent entendre les cris d'une réprobation énergique. Nous n'en voulons point! disaient-ils. A bas l'évêque indigne! — Rien ne put vaincre leur résistance, cependant on passa outre et le schisme fut consommé.

 

21. Saint Basile suivait, avec une anxiété indicible et une sollicitude infatigable, les progrès de l'hérésie triomphante. Il comprit que l'unique moyen d'y mettre un terme était d'en appeler à l'Église de Rome. Dans ce but, il entra en rapports avec Athanase pour concerter ensemble la démarche solennelle qu'il méditait. « Je pleure nuit et jour sur les désastres de notre infortunée patrie, écrivait-il au grand patriarche. Faut-il qu'elle soit le centre et la victime de tant d'erreurs! Le mot de l'Ecclésiaste n'est que trop vrai : Malheur à la cité gouvernée par un prince sans expérience ! Hélas ! nous avons pire encore. La cruauté, les instincts féroces de la bête fauve se trouvent unis à l'incapacité la plus notoire. Je ne vois pas encore les châtiments célestes frapper le nouveau Pharaon, mais il n'échappera certainement pas, soit dans le temps, soit dans l'éternité, à la vengeance divine 1. — Nul plus que Votre Excellence ne connaît mieux et ne déplore davantage la situation lamentable de nos églises d'Orient. Vous qui joignez l'expérience du passé à la connaissance profonde du présent, vous devez encore mieux par comparaison sentir la différence. N'est-il pas à craindre que si le mal continue avec la même progression, nous n'ayions bientôt la douleur d'assister au bouleversement complet de l'Église? Je me dis souvent à moi-même que, si le péril me paraît aussi imminent, il doit vous le sembler encore davantage, à vous qui avez traversé des temps meilleurs où la concorde et la

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1 S, Basil., Epist. lx; Pair, greee, tom. XXXII, col. 416, 417.

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paix, dans l'unité de foi, régnaient sur le monde chrétien. C'est donc à vous, qui partagez nos douleurs, que je m'adresse, pour y chercher quelque soulagement. Autant que je puis en juger, il me semble que l'unique voie de salut serait d'en appeler à l'Église d'Occident pour la prier de venir à notre aide. Que n'ont pas fait les chefs de cette Église, pour extirper dans toutes les régions occidentales jusqu'aux germes de l'Arianisme? Ils ont réussi. Supplions-les de faire de même chez nous. L'unanimité de l'Occident dans la foi de Nicée frappera peut-être l'esprit de l'empereur ; en tout cas, elle aura une immense portée sur l'esprit des peuples. Or, quel autre que vous saurait ménager un tel concert? Où trouver réunies ailleurs et la sûreté du coup d'œil, et la prudence dans le choix des moyens, et la fermeté dans l'exécution? Tout l'Occident s'incline devant la couronne de vos vertus et de vos cheveux blancs. C'est maintenant qu'il faut mettre le sceau à votre gloire, en assurant le bonheur de l'Eglise et la paix du monde. Père saint et vénérable, il vous faut couronner, par cette dernière œuvre, tant de travaux et de combats soutenus pour Jésus-Christ. Daignez choisir, parmi le clergé de votre sainte Église, quelques hommes puissants en paroles et en œuvres. Envoyez-les aux évêques d'Occident pour leur exposer notre situation lamentable. Indiquez-leur les moyens qu'ils devront proposer pour obtenir un soulagement à tant de calamités. Soyez le Samuel de nos églises; prenez en pitié nos troupeaux dévastés; offrez l'hostie pacifique; priez le Seigneur et obtenez-nous la paix 1. »

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon