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b) L'immortalité essentielle de l'homme
Les réflexions précédentes auront fait apparaître dans une certaine mesure de quoi il est question exactement dans le message biblique de la reésurrection: le contenu essentiel de ce message n'est pas la représentation d'une restitution des corps aux âmes après une longue période intermédiaire; son sens, c'est de dire aux hommes que ce sont eux, eux‑mêmes, qui continueront à vivre; non pas par leurs propres forces, mais parce que Dieu les connaît et les aime, d'une manière telle qu'ils ne peuvent plus périr.
Contrairement à la
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p256 L'ESPRIT ET L'ÉGLISE
conception dualiste de l'immortalité, telle qu'elle s'exprime dans le schéma grec corps‑âme, la formule biblique de l'immortalité par résurrection cherche à donner une idée de l'immortalité qui englobe l'homme tout entier et se fonde sur un dialogue: ce qui est essentiel dans l'homme, la personne, demeure; ce qui a mûri au cours de cette existence terrestre de « spiritualité » corporelle et de corporalité pénétrée d'esprit, continue à exister d'une autre manière.
Cette réalité demeure, parce qu'elle vit dans la mémoire de Dieu. Et parce que c'est l'homme lui‑même qui vivra et non pas seulement une âme isolée, l'élément de solidarité communautaire appartient aussi à l'avenir; c'est pour cela que l'avenir de l'homme particulier ne sera accompli que lorsque l'avenir de l'humanité le sera également.
Ici toute une série de questions se posent. La première pourrait s'exprimer ainsi : Dans ce cas, l'immortalité ne devient‑elle pas pure grâce, alors qu'en réalité elle est une exigence de l'essence de l'homme en tant qu'homme? Ou en d'autres termes: Est‑ce qu'on n'aboutit pas ainsi à une immortalité réservée aux seuls gens pieux, et donc à une discrimination de la destinée humaine qui est inadmissible ?
Pour parler théologiquement, l'immortalité naturelle de l'être humain n'est‑elle pas confondue ici avec le don surnaturel de l'amour éternel qui apporte à l'homme la béatitude ? Ne faut‑il pas, pour garder à la foi même son caractère humain, maintenir fermement l'immortalité naturelle, parce qu'une survie de l'homme conçue de façon purement christologique glisserait nécessairement dans le merveilleux et le mythologique ?
A cette dernière question l'on peut répondre sans hésiter par l'affirmative. Mais cela ne contredit nullement notre point de vue. Même en partant de celui‑ci, il faudra affirmer nettement : cette immortalité que nous avons appelée « résurrection » en raison de son caractère « dialogique », revient à l'homme en tant qu'homme, à chaque homme, et ce n'est pas du «surnaturel” surajouté secondairement.
Mais ne faut‑il pas aller plus loin et demander : qu'est‑ce qui fait que l'homme est véritablement homme? et qu'est‑ce qui en définitive est spécifique de l'homme?
Nous devons sans doute répondre : ce qui distingue l'homme, c'est, en prenant les choses par en haut, le fait d'être interpellé par Dieu, d'être le partenaire du dialogue avec Dieu, l'être appelé par Dieu.
En prenant les choses par en bas, cela signifie que l'homme est cet être qui peut penser Dieu, qui est ouvert au
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p257 « LA RESURRECTION DE LA CHAIR »
transcendant.
La question n'est pas de savoir si de fait il pense Dieu, si de fait il s'ouvre à lui; il s'agit de dire qu'il est fondamentalement l'être capable de cela, même si effectivement, pour une raison ou pour une autre, il n'arrive jamais à réaliser cette capacité.
On pourrait alors dire : mais n'est‑il pas plus simple de voir le signe distinctif de l'homme dans le fait qu'il a une âme spirituelle, immortelle? Cela est juste, mais nous essayons précisément de mettre en lumière le sens concret de ce fait.
Les deux ne s'opposent pas, mais expriment la même chose en des formes de pensée différentes. Car avoir une « âme spirituelle » signifie justement : être voulu spécialement, être connu et aimé spécialement par Dieu; avoir une âme spirituelle, cela revient à dire : être appelé par Dieu à un dialogue éternel, et être par le fait même capable, de son côté, de reconnaître Dieu et de lui répondre.
Ce que nous appelons dans un langage plus «substantialiste» : « avoir une âme », nous l'exprimons en un langage plus historique et plus actualiste : « être partenaire du dialogue avec Dieu ».
Cela ne signifie pas que cette façon de parler de l'âme soit fausse (comme le prétend parfois aujourd'hui un certain biblicisme unilatéral et peu critique); elle est même nécessaire à certains égards pour exprimer la totalité de ce dont il s'agit ici.
Mais, d'autre part, elle a besoin aussi d'être complétée si l'on ne veut pas retomber dans une conception dualiste, qui ne saurait rendre justice à la vision «dialogique» et personnaliste propre à la Bible.