Darras tome 35 p. 596
74. Ici reviennent ces fameuses lettres à Bothwell et ces dépositions qui accusent la folle passion de Marie Stuart. Ces lettres, qu'on produit, sont écrites, suivant l'accusation, les unes de Glascow, les autres de Stirling. Or, en comparant ces lettres avec le journal de son voyage, on constate trois choses : la première, c'est que la reine n'a pas eu le temps de les écrire ; la seconde, qu'elle n'avait aucune raison pour le faire; et la troisième, aucun moyen de les faire parvenir et de recevoir des réponses. A ces impossibilités matérielles s'ajoutent les impossibilités morales. Pour être faussaire, il faut avoir une mémoire sûre et un esprit bien d'accord
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(1) La vérité sur Marie Stuart, p. 204.
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avec lui-même: toujours par quelques points, Renard se laisse prendre : a dit Lafontaine. Or, en examinant le contenu de ces lettres, on y relève, à chaque ligne, des contradictions ; la présence de domestiques absents, le titre de secrétaire à un homme qui ne sait pas lire; des professions d'idolâtrie absolument bêtes; des aveux impossibles ; un langage grossier, qui n'était point dans le vocabulaire usuel de Marie; des erreurs certaines ou des mensonges absurdes ; des anachronismes puérils, enfin une multitude de choses qui découvrent la fraude. « Quant aux lettres et aux sonnets, dit Cambden, comme ils étaient dépourvus d'adresse, de signature et de date, et qu'il ne manquait pas de faussaires tellement habiles qu'ils imitaient et contrefaisaient les écritures d'autrui au point de ne pas reconnaître le vrai du faux, Elisabeth y ajouta à peine foi, bien que la jalousie de femme, qui rend ce sexe si hargneux, l'y eût poussée. Elle se contenta de voir que ces accusations jetaient un certain discrédit sur la reine d'Ecosse.» « Marie, dit Strada, fut déclarée innocente du meurtre dont on l'accusait par tous ceux qui étaient présents au jugement ; bien plus, dans une autre séance tenue à cet effet, le crime fut rejeté sur les accusateurs, notamment sur Morton et Murray, et ceux qui avaient demandé le supplice y furent plus exposés (1). » Les faits viennent à l'appui des paroles pour proclamer l'innocence de la reine : Norfolk, le premier des juges, s'attache à Marie Stuart et meurt pour sa cause ; Lethington, le premier des accusateurs, va mourir en Ecosse en combattant pour sa défense; J. Balfour, rédacteur du Bond, longtemps traître à la reine, revient à elle en 1570; Morton expie sur le billot le crime dont il la chargeait; et Buchanan, auteur de calomnies atroces contre la reine, souhaite en mourant que ses libellés deviennent la proie des flammes (2).
75. L'Ecosse n'était nullement disposée à reconnaître, pour chef, un homme tel que Bothwell. Les amis de Murray, qui avaient encouragé le comte à assassiner Darnley et lui avaient vendu sa
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(1) Cambden, I, lit, Stmda, flans Zehb, II, 10S.
(2) Cambden, 105 ; — Zebb, préface et II, (îi; Hilarion de Coste, II, 520; — JIackensie, III 173.
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veuve, n'ayant plus d'avantage à le soutenir après la perpétration de tous ces crimes s'étaient retournés contre lui et employaient pour le perdre les moyens qu'ils avaient pris pour l'élever. Par son mariage, la reine avait encouru des apparences de responsabilité ; ses ennemis n'avaient qu'à faire vibrer cette corde pour la rendre odieuse et mettre Murray à sa place. Ce dénouement était le but prévu de leurs longues trames ; tous les crimes commis avec une perversité si logique, n'étaient que des acheminements vers ce but caché. A Slirling, des nobles signent un troisième bond, par lequel, ils s'engagent à poursuivre par les armes : 1° Ce qu'ils appèlent la délivrance de la reine ; 2° La sûreté du prince royal qu'ils tiennent entre leurs mains ; 3° Le châtiment de Bothwell qu'ils viennent d'acclamer. D'abord ils essayèrent de s'emparer, par un coup de main, de Marie Stuart et de Bothwell. Bothwell, expert en conspirations, avait deviné ce coup et sut s'y dérober. L'affaire devait se décider par les armes. Le 3 juin 1307, l'armée des conspirateurs et celle du comte se trouvèrent en présence à Carherry-Hill. Plusieurs lords, avant la bataille, provoquèrent Bothvrell à des combats singuliers qu'il n'accepta point. Durant ces pourparlers, un mouvement de cavalerie prit ses soldats entre deux feux; l'armée de Bollnvell se débanda : personne ne voulait mourir pour sa cause. Bothwell, voyant la haine générale à laquelle il était en butte, se sépara de la reine un mois après leur union, gagna Dunbar à franc étrier et de là s'évada par mer. Si Marie l'eût aimé, comme on le prétend, elle l'eût suivi avec la plus grande facilité; elle aima mieux empêcher l'effusion du sang et se rendit au laird de Grange. On la reçut d'abord avec respect ; mais elle eut bientôt à souffrir, de la populace, les plus grossières insultes. Des gens sans pitié portaient un bannière faite exprès pour l'insurrection, représentant, d'un côté, le cadavre de Darnley, étendu sous un arbre dans le verger fatal, avec ces mots pour légende : « Seigneur, juge et venge ma cause. » A l'autre le portrait du petit prince à genoux, les mains jointes, comme s'il priait Dieu de punir les meurtriers de son père. Pendant que Marie traversait les rues d'Edimbourg, cette odieuse bannière ne cessa de flotter
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sous ses yeux. Toutefois lant d'infortunes rangèrent au parti de cette malheureuse reine les citoyens les plus respectables, et, dès le lendemain, 26 juin 1567, les barons crurent prudent de l'emmener de la capitale et de l'enfermer au château de Lochleven, situé sur une petite île au milieu du lac de ce nom. Quant à Bothwell, dépourvu de tout moyen de subsistance, il se prit à écumer les mers du Mord ; bientôt le pirate fut pris par les Danois et enfermé au château de Malmoœ, sur le Sund, où il mourut en 1570.
76. Une nouvelle existence commençait pour Marie. Dans sa prison, elle croyait que les murs de Lochleven la défendraient contre les outrages; elle se trompait; les injures de la populace ne sont rien en comparaison des injures de la noblesse et des violences criminelles de la royauté. Pendant que sa gardienne, ancienne maîtresse de son père, l'accablait de grossièretés, les nobles songèrent à l'étrangler et à la suspendre à la flèche de son lit pour lui imputer un suicide. Cette proposition fut rejelée par quelques-uns, assez lâches pour maltraiter la reine, trop prudents pour commettre un tel attentat. On se rabattit sur l'idée d'une abdication. La France n'était pas insensible aux malheurs de la reine. Elisabeth menaçait de la venger. Pour se mettre à l'abri de représailles et sauver leurs intérêts, les nobles dépêchèrent d'abord à la reine le serpent tentateur, Melvil : il lui remit un anneau et protesta du dévouement des confédérés, pourvu qu'elle consentît à leurs propositions. Vint ensuite Lindsay, l'homme brutal, qui réitéra les demandes : « Vous aurez ma vie, répondit la reine; ma signature, jamais. » Lindsay l'interrompit avec des blasphèmes et des horribles imprécations. Marie n'avait qu'à choisir entre la mort et la déchéance. Lindsay, furieux, lui prit la main et la fît signer tout ce qu'il présentait. Marie se résigna avec peine, tout en protestant que cette signature, arrachée par la violence, était nulle de fait. Ces pièces portaient l'abdication de Marie, la collation de la régence à Murray et la nomination d'un conseil de gouvernement, au cas ou Murray refuserait la régence. Murray accepta et avança, par son habileté administrative, les affaires de son parti. Le laird de Lochleven, gardien de Marie, servait ses intérêts avec ardeur; mais son plus
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jeune frère, plus sensible aux malheurs de la reine qu'aux intérêts du régent, conçut un plan d'évasio. Un soir, pendant que la famille était à souper, le petit Douglas conduisit Marie hors de la tour, ferma les portes du château pour empêcher qu'on les poursuivît, jeta dans le lac les clefs de la forteresse et rama vigoureusement jusqu'à l'autre bord. Huit jours après, Marie était à la tête d'une puissante confédération ; mais il est écrit que rien ne devait lui réussir. Le 13 mai 1568, Murray et Morton, par une habile manœuvre, mirent en déroute, près de Langside, l'avant-garde de Marie. La reine n'eut que le temps de chercher un refuge dans l'abbaye de Dundrennan. De là, elle pouvait également se rendre en France ou en Angleterre : en France, elle eût été bien reçue ; l'Angleterre, plus rapprochée, lui offrait un asile qu'elle croyait sûr. Oublieuse des rivalités antérieures entre elle et Elisabeth, sensible aux paroles aimables qu'elle en avait recues, elle ne songea pas un seul instant qu'elle pût courir le moindre péril en se confiant à l'hospitalité de l'Angleterre. En vain, ses amis se jetèrent à ses genoux et lui dénoncèrent les noires pensées d'Elisabeth; elle entra dans la barque fatale, traversa la Sohvay et se remit aux mains d'un gentilhomme, gardien de la frontière anglaise.
77. Nous entrons dans la voie douloureuse de la reine d'Ecosse. Jusqu'ici elle n'y a guère essuyé que des catastrophes ; désormais elle n'éprouvera plus que des crucifiements. Pour bien marquer à quelles doctrines revient la responsabilité de la mort, c'est par des puritains qu'elle est livrée, par une reine protestante qu'elle est mise à mort. Ce régicide est l'un des fruits du protestantisme : cela est écrit dans l'histoire. Elisabeth ordonna immédiatement que sa bonne sœur fût traitée en captive; dans la crainte qu'elle ne fût délivrée par ses amis d'Ecosse, elle la fît même conduire du château de Carlisle à celui de Bolton. Toutefois une conduite si manifestement injuste avait besoin de prétexte pour se colorer: voici celui qu'inventa Elisabeth. Le régent Murray avait essayé de justifier son usurpation en alléguant que Marie Stuart avait trempé dans le meurtre de Darnley et entretenu, avec Bothwell, un commerce déshonorant. En supposant que cette inculpation fût fondée,
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Elisabeth n'avait nul droit de se constituer juge entre la reine d'Ecosse et son peuple. Pour se donner les apparences de ce droit, elle eut recours aux artifices de la perfidie. Des messagers exprimèrent, en son nom à Marie le regret qu'Elisabeth éprouvait de ne pouvoir l'admettre en sa présence, avant qu'elle ne se fût disculpée, aux yeux du monde, des accusations portées contre sa personne. Marie s'offrit de prouver son innocence; la reine d'Angleterre affecta de prendre celle offre pour une demande d'arbitrage entre Marie et les presbytériens. Par là, elle activait entre les deux partis, les feux de la haine. En présence des commissaires anglais, Murray déclara que Morton lui avait remis une cassette renfermant huit lettres et douze sonnets de Marie au comte de Bothwell. Murray ajoutait que cette cassette avait été, le 20 juin de l'année précédente, saisie fortuitement par Morton sur un certain Dalgleish, serviteur de Bothwell. Il s'était écoulé, depuis cette capture, plus de quinze mois, et ni Morton, ni Murray n'en avaient soufflé mot, bien qu'elle fût en leurs mains une arme terrible. Au moment où il la dénonçait, il était naturel de produire le prétendu porteur, mais Dalgleish fut pendu comme complice dans l'assassinat du roi, sans qu'on ait dit, dans l'interrogatoire, un mot de ces papiers. Sur l'assertion des calomniateurs qui mettaient en avant le nom du pauvre valet de chambre, Nicolas Hubert, dit Paris, comme intermédiaire entre Marie el Bothwell, Elisabeth voulut le voir : Murray le fit pendre le jour où Elisabeth le réclamait avec le plus d'instance. Nous avons déjà dit que ces lettres n'étaient pas des originaux, mais des copies ; qu'elles étaient dépourvues de tous les signes d'authenticité légale et naturelle; qu'elles se heurtaient à des impossibilités matérielles et à des invraisemblances morales. La force de ces réflexions n'échappera à personne. Dans une accusation si grave, il ne suffit pas de produire des écrits, il faut qu'ils soient véritablement de la personne à qui on les attribue et qu'ils aient vraiment un caractère délictueux. Marie se raidit contre l'accusation, elle ne se contenta pas de relever les fourberies de la procédure, elle donna un démenti formel aux calomniateurs et porta la guerre au camp ennemi. Les lords l'accusaient d'avoir connu à
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lions.
l'avance le meurtre de Darnley, et tous sans exception l'avaient comploté, plusieurs même en avaient été les auteurs directs; ils lui reprochaient d'avoir épousé l'assassin de son mari, et c'étaient eux qui l'avaient livrée par écrit à Bothwell; ils assuraient que Marie voulait la mort de son fils, et ce fils était confié à l'homme le plus sûr de toute l'Ecosse (1). Les accusateurs intentaient à Marie un procès sur un crime dont ils étaient les auteurs. Les défenseurs de la reine produisaient le bond d'Anslie, les lettres de Murray, témoignages accablants pour les assassins. Elisabeth n'avait voulu que mettre Marie sur le banc des accusés, la bafouer à son aise et s'ériger en juge souverain, mais elle n'entendait pas que le procès pût tourner contre ses amis secrets, les ennemis de Marie Stuart. Dans sa partiale justice, après cinq mois d'enquête, elle rendit donc cette sentence : D'une part, elle n'avait rien découvert qui mit en doute l'honneur de Murray; de l'autre, Murray n'avait prouvé aucun des crimes dont il accusait la souveraine. Sentence inique, cauteleuse, mais dont l'injustice suffit pour condamner le juge. Cependant Murray, que les avocats de Marie accusaient avec preuves d'avoir été l'un des principaux complices du meurtre de Darnley, reparlait pour l'Ecosse avec une somme considérable prêtée par Elisabeth, et Marie, qui avait été accusée sans preuve, déclarée non convaincue, c'est-à-dire non coupable au for extérieur, Marie était retenue dans une captivité qui ne devait finir qu'avec son existence. Deux poids et deux mesures, parce que la balance était aux mains de la politique. Quant aux Stuarts, impuissants jusque-là contre la féodalité écossaise, ils ne devaient pas être désormais plus heureux contre la démocratie presbytérienne, enfantement de Knox.
78. La captivité de Marie Sluart était, pour l'Europe chrétienne, un fait bien étrange. Depuis que l'Église avait sacré les rois, au culte du vrai Dieu s'était joint le culte de l'autorité. Un roi paraissait un demi-Dieu. Entre eux, les rois se respectaient et, si la fortune des combats venait à les trahir, ils se traitaient toujours en rois. On cite, au moyen âge, un roi prisonnier ; la poésie avait
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(1) LaMothe Féxei.ox, Correspondance diplomatique I, 92.
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environné son cachot d'un éclat légendaire. Une fois que nous sommes entrés dans l'ère du protestantisme, commence le martyrologe des rois, et pour qu'on sache bien d'où vient leur disgrâce, c ‘est une reine protestante et ce sont des factions protestantes qui inaugurent le régicide. Avant d'assister aux abominables exécutions de l'échafaud, nous voyons détenir Marie Stuart en prison. C'est la peut-être l'acte par lequel, Elisabeth, si jalouse de sa prérogative royale et si ombrageuse pour sa couronne, montre mieux le peu de cas qu'elle fait des couronnes d'autrui. Son indigne conduite envers la reine d'Ecosse, qui n'était point sujette à sa juridiction et qu'elle venait d'ailleurs d'innocenter, souleva contre elle, même les protestants. La commission chargée par Elisabeth de prononcer entre Marie Stuart et Murray, était présidée par le duc de Norfolk, premier sujet du royaume. Quoique protestant, il était favorable aux catholiques et ne fut pas insensible aux souffrances de Marie. On dit même qu'il prêta l'oreille à un projet de rendre à cette reine infortunée, la liberté et même la couronne en épousant Norfolk, Elisabeth le fil enfermer en 1569; l'élargit ensuite avec défense de se marier sans la permission de la reine d'Angleterre; puis l'incarcéra de nouveau et le fit décapiter. Une autre conspiration, ourdie par Northumberland et Westmoreland souleva les comtés du Nord, mais fut battue, dispersée par les soldats d'Elisabeth. Cependant ses jours elcyoniens, comme disent ses historiens, étaient passés; elle entrait dans cette saison où l'on descend toujours, pour arriver aux rivages glacés de la mort. Les choses n'allaient pas mieux en Ecosse; là comme ailleurs, le protestantisme produisait ses fruits de mort, et les lords ambitieux qui l'avaient favorisé par ambition, ne recueillaient plus que les fruits amers de l'anarchie. Murray fut assassiné en 1570; Lennox, décapité en 1575. Mar, abreuvé d'amertumes, mourut en 1572 ; Morton, meurtrier de Maitland, dut se retirer en 1578. La couronne allait descendre sur la tête du faible Jacques VI.
79. Tandis que l'Ecosse, après six régences malheureuses, passait sous le sceptre d'un jeune roi, de grands événements s'accomplissaient. La Ligue se formait en France pour exclure du trône le
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roi de Navarre et Philippe se montrait de plus en plus le zélé défenseur du catholicisme. Elisabeth, de son côté, s'alliait avec les Pays-Bas révoltés, donnait la main à Henri de Navarre, et concluait avec l'Ecosse un traité d'alliance. Cette situation l'amena au dessein caressé, peut-être depuis longtemps, de se débarrasser de Marie Stuart. Afin de préparer l'opinion à ce régicide, on répandit un discours pour démontrer que ce crime était une action conforme aux lois. La proposition en fut même faite par le Parlement et appuyée, près d'Elisabeth, par les ministres. La difficulté d'exécution n'était pas grande. Marie Stuart, vieillie avant le temps et maladive, était transférée successivement aux châteaux de Tulbury, de Tixall et de Chartley ; elle était confiée d'abord à un Shrewsbury, puis à Sadler, enfin à Amyas Paulet, puritain rigide qui avait juré de la voir avant lui au tombeau. La réclusion était stricte ; aucune avanie ne fut épargnée à la malheureuse reine ; on la soumit à une série d'indignités, froidement préparées pour la tuer à coup d'épingles. Mais enfin, pour colorer le crime, il fallait au moins quelque apparence de raison d'État, Cécil, devenu lord Burghley, sceptique au fond, s'entendait peu à ces roueries; Walsingham, puritain fanatique, avait poussé l'art de l'espionnage et des machinations de police à un degré de perversion inouï jusque là. Pour aller droit au but, il avait proposé, à Paulet, d'assassiner secrètement la reine. Leicester, l'un des sept maris de la main gauche d'Elisabeth, plus grand seigneur, opinait pour le poison. Sur le refus de Paulet de perpétrer ce crime par le poison ou par le couteau, Walsingham tissa une trame de monstrueuse hypocrisie et de noire scélératesse. Parmi les suppôts vendus corps et âme à Walsingham étaient deux hommes de basse condition, Maude et Poley, et deux jeunes prêtres sortis du séminaire de Reims, Grently et Gifford. Gitford s'insinua fort avant dans la confiance des plus intimes amis de Marie Stuart et servit d'intermédiaire pour leur correspondance. Cette correspondance était livrée par lui à Walsingham, qui la transmettait à Phélipps, son déchiffreur de papier d'Élat, homme très habile à contrefaire les écritures et à fabriquer des lettres supposées. A ce faussaire était adjoint un sieur Grégory, homme expert
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à prendre l'empreinte des sceaux et à décacheter les lettres sans que l'œil le plus exerce pût découvrir la fraude. « Le but de cette savante organisation, dit Jules Gauthier, était d'entraîner Marie dans quelque entreprise contre Elisabeth, afin d'en prendre prétexte pour l'exécuter. Le complot pour faire mourir Marie Stuart est un fait avéré, celui qu'on va voir s'ourdir contre la vie d'Elisabeth n'est pas moins certain. La seule question difficile à résoudre, c'est si le second complot ne fut pas inventé pour masquer le premier et le faire réussir; si la conspiration contre la reine d'Angleterre ne fut pas provoquée par Walsingham pour la faire servir à l'accomplissement de son projet sanguinaire contre la reine d'Ecosse. Les faits ne semblent laisser aucun doute (1). » C'est en effet l'opinion de Gauthier, de Petit, de Chantelauze, que la conspiration de Babington fut l'œuvre de Walsingham, qui tendit habilement des pièges, y fit tomber des conspirateurs sans expérience et prit par là, dans ses rets, Marie Stuart.
80. La réclusion de la reine avait été assez rigoureuse pour empêcher toute correspondance; dès que les agents de Walsingham furent rentrés dans la confiance de ses amis, la surveillance se relâcha et les correspondances reprirent, pour être livrées à Walsingham. Immédiatement deux desseins furent menés de pair : l'un qui avait pour objet la délivrance de Marie; l'autre, l'assassinat d'Elisabeth, soi-disant. Marie, dans ces lettres s'occupa de son évasion; elle en avait le droit, puisque Elisabeth n'avait, pour la détenir, aucun titre. Ses lettres étaient déchiffrés par Phélipps, copiées, puis recachetés par Grégory. Quand elles avaient subi ces opérations, l'original ou la copie, et quelquefois une copie falsifiée, étaient envoyés au destinataire. Avec un système aussi savamment combiné de falsification, Marie était à la discrétion de ses ennemis; ils pouvaient, comme dit Titler, la faire, à leur gré, paraître coupable, fût-elle la plus innocente du monde. Après avoir organisé ce plan diabolique, Gifford partit en France pour pousser à l'invasion en faveur de la reine d'Ecosse; puis revint à Londres, pousser (à) un certain Babington à l'assassinat d'Elisabeth. Antony Babington.
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(1) Gauthier, UUlolre de ilarie Stuart, t. II, p. 338.
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était un jeune gentilhomme, nature enthousiaste, ardente et simple. Gifford, espion de Walsinghnm, s'ouvrit à lui du meurtre d'Elisabeth, qu'il représentait comme nécessaire à la délivrance de Marie Stuart. Apres avoir semé, dans cette âme hésitante, les premiers germes du complot, Gilford retourna en France et recruta comme principaux complices, le soldat Savage et le séminariste Ballard. Cette conspiration en partie double fut ainsi ourdie par Walsingham; il faisait agir les conspirateurs, interceptait toutes les correspondances et les remettait en circulation après y avoir ajouté, par la plume de Phélipps, tout ce qui servait à ses desseins homicides. En particulier, il ajouta, dans une lettre de Babington à Marie, le projet de tuer Elisabeth; et fit mettre, dans une réponse supposée de Marie Stuart, des encouragements positifs à cet assassinat. « A la prochaine lettre, disait Phélipps, nous la louchons au cœur. » En effet, quand l'intrigue fut à point, Walsinghain donna l'ordre d'arrêter Babington et tous ses complices, et publia une proclamation portant les noms des conspirateurs. Personne, en Angleterre, n'avait encore entendu parler de la conspiration ; aussi la proclamation produisit-elle un effet immense. L'inquiétude était à son comble: on prétendait que la capitale allait être brûlée, la reine assassinée, l'Angleterre envahie, que les papistes étaient maîtres de la situation, que les troupes françaises et espagnoles tenaient la haute mer, et, comme il arrive toujours en pareilles circonstances, il se rencontrait des gens qui précisaient les choses, citaient les seigneurs engagés, les provinces prêtes à la rébellion(l). Les conspirateurs furent bientôt arrêtés, mis en jugement et condamnés à mort. Dans son interrogatoire, Babington, qui ne soupçonnait pas la fraude de Walsingham reconnut l'authenticité des lettres de Marie. On les mit à mort avec des raffinements de cruauté dont on ne trouve pas d'échantillon même chez les Peaux-Bouges, et qu'on ne voit que dans l'histoire du peuple anglais. On les pendit, on leur arracha les entrailles et le cœur, on leur coupa la tête et les membres pour les exposer. Le prêtre Ballard fut exécuté le premier: « Courage, disait-il à ses compagnons; nous sommes
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(1) Goodjiax, The Courl of knirj James, I, 131.
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catholiques! Mourons en catholiques. » Tous furent victimes des passions politiques, tous surent mourir en vaillants chrétiens.