Italie 22

Darras tome 24 p. 367


§. V. Concile de Latran (mars -1102).


20. Le Néron de la Germanie ne se lassait pas d'attenter à l'honneur du saint-siége, mais le monde se lassait de tant de crimes, d'émeutes et de désordres. Un dernier anathème allait enfin frapper d'un coup irrémédiable la folle ambition du tyran. Le conciliabule qu'il avait promis d'ouvrir pour le I des calendes de février n'avait point eu lieu. Son projet d'expédition en Italie ne s'était point réalisé, tous ses efforts avaient abouti au nouveau guet-apens dont Rome venait d'être le théâtre. Le pape Pascal II convoqua un véritable concile pour répondre à tant d'outrages. Sa voix fut écoutée.  « Vers le milieu du carême (12 mars 1102), dit Ekkéard d'Urange, tous les évêques d'Apulie, de Sicile, de Campanie, de Toscane, de l'Italie entière, et les délégués d'un grand nombre d'évêques d'au-delà des monts, se réunirent à l'ap­pel du légitime pontife. Un grand synode s'ouvrit au Latran. Après avoir solennellement confirmé, selon l'usage, les antiques décrets des Pères, l'assemblée anathémisa et frappa d'un perpétuel ana­thème les auteurs, fauteurs et partisans du schisme lamentable dont les excès ont renouvelé de nos jours les désastres des persé­cutions les plus sanglantes et des hérésies les plus opiniâtres. Une profession de foi, souscrite par tous les évêques, fut rédigée en ces termes : « J'anathématise toutes les hérésies en général, et en particulier celle qui prétend que les anathèmes et excommunica­tions prononcés par l'Église sont nuls et sans valeur. Je jure obéis­sance au seigneur Pascal, pontife du siège apostolique, et à ses légi­times successeurs ; je prends à témoin de mon serment Jésus-Christ et la sainte Église catholique, affirmant ce qu'elle affirme, condam­nant ce qu'elle condamne. » Une sentence nominative d'excommu­nication fut ensuite fulminée par l'apostolique Pascal contre Henri d'Allemagne, soi-disant empereur et patrice des Romains. «Mieux qu'un autre, ajoute le chroniqueur, je puis citer la teneur exacte de cette sentence, car j'ai entendu le pape lui-même la reproduire l'année suivante dans la basilique de Saint-Pierre. Je revenais de la

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croisade, et m'étant embarqué à Jaffa le VIII des calendes d'oc­tobre (24 septembre 1102), après une longue et pénible traversée, j'arrivai par la grâce du Christ dans la cité de Rome pour les solen­nités de la grande semaine (Semaine-Sainte). Or, le jour de la Caena Domini (jeudi saint 3 avril 1103), assistant au milieu d'une foule immense à la messe pontificale célébrée dans la basilique de Latran, j'entendis le pape Pascal II s'exprimer en ces termes : «Le pseudo-empereur de Germanie et prétendu patrice des Romains Henri n'ayant cessé de déchirer la tunique du Christ, c'est-à-dire de dévaster et de désoler l'Église par le meurtre, la rapine, l'incen­die, la débauche, le parjure et les brigandages, fut à diverses reprises, d'abord par le pape Grégoire VII de bienheureuse mémoire et plus récemment par mon prédécesseur le très-saint pontife Urbain II 1, condamné pour désobéissance et excommunié. Nous-même, dans notre dernier synode, par le jugement una­nime de l'Église assemblée, nous l'avons frappé d'un perpétuel anathème. Nous voulons que ce fait soit porté à la connaissance de tous les fidèles et spécialement notifié à ceux qui habitent au-delà des monts, afin que tous s'abstiennent de communiquer avec cet impie 2. »

 

21. En l'absence des actes du concile de Latran aujourd'hui perdus, cette analyse fidèle rapportée par Ekkéard, prend la valeur d'un texte authentique. Quelques autres indications, four­nies par le Regestum de Pascal II, nous apprennent que l'assem­blée renouvela les précédents anathêmes contre les investitures laïques. Elle exigea pour l'avenir qu'avant de recevoir le pallium, chaque nouveau métropolitain prêterait serment de fidélité au saint-siége, selon la formule adoptée par les pères de Latran. Enfin, le pape rendit un décret ordonnant à tous les évêques de promul­guer dans leur diocèse une nouvelle « trêve de Dieu, » pour une durée de sept ans. La question des investitures laïques intéressait particulièrement saint Anselme de Cantorbéry, qui avait tant souf-

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1 Sanctissimo viro Urbano prœdecessore meo.

2. Ekkéard. Uraug.' Chronic. universal.; Patr.  M.,  t. CLIV, col. 9S6. Cf. Labbe, ConciL, t. X, col. 727. Mansi, t. XX, col. U47.

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fert pour le maintien de la discipline de l'Église sur ce point. Voici en quels termes Pascal II lui mandait la nouvelle décision synodale : « Dans notre concile de Latran, nous avons confirmé les décrets des pères portant interdit contre tout clerc qui ferait hommage lige aux mains d'un laïque, et en recevrait l'investiture d'évêchés ou de bénéfices ecclésiastiques. C'est là vraiment la racine de la perversité simoniaque. Des clercs ambitieux, aussi insensés que cupides, ne reculent devant aucune infamie pour capter la faveur des princes séculiers et en obtenir les honneurs et les dignités de l'Église. Voilà pourquoi les con­ciles généraux, dont l'autorité est irréfragable, ont décrété que la puissance civile devait s'abstenir de toute ingérence dans les élections ecclésiastiques 1. De même que, dans le Christ seul, la première porte du salut s'ouvre par le baptême, et la seconde par la mort dans le Christ pour la vie éternelle ; ainsi par le Christ seul doit être institué le portier du bercail évangélique, chargé d'ou­vrir aux brebis du Christ l'entrée de la vie spirituelle en ce monde et de la vie éternelle dans l'autre, sans aucun égard pour les dignités ou les grandeurs de la terre, mais dans le seul esprit du Christ2.» L'élévation d'un tel langage ne peut que nous faire regretter plus vivement encore la perte des actes officiels du grand concile où il fut tenu.

 

22. La clause obligeant tous les métropolitains au serment d'obéissance envers le siège apostolique et le pape légitime, sous peine d'être privés du pallium, fut peur les schismatiques un coup mortel. Nous en pouvons juger par la lettre suivante de Pascal II à l'archevêque de Gnésen, métropolitain de Hongrie et de Pologne. « Vous nous mandez, bien-aimé frère, que le roi et ses magnats ont protesté contre la condition que nos    

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1 Le pape Pasccal II visait ici un canon du IIe concile de Nicée VIIe œcu­ménique, qu'il cite ailleurs, et dont voici le texte : Sancta et universalis synodus definivit neminem laicorum principum, vel potentum, semet ingerere élec­tions vel promotioni episcopomm. Cf. Paschal II, Epist. lxxxv; Patr. lat., t. CLXIII, col. 106.

2. Paschal II, Epist. lxxiii; loc. cit., col. 91.

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apocrisiaires vous ont posée du serment préalable à faire entre leurs mains avant la remise du pallium. Ils s'étonnent, dites-vous, d'une telle exigence. Qu'ils s'étonnent donc aussi de l'insistance avec laquelle, jusqu'à trois fois et au point de désoler le cœur de l'apôtre,  Notre-Seigneur lui répéta son interrogation : « Simon Pierre, m'aimez-vous?» avant d'ajouter : « Paissez mes brebis 1.» Le pallium confère la plénitude du pouvoir pastoral. Selon la tradition du siège apostolique et de l'Église universelle, un métro­politain ne peut, avant de l'avoir reçu,  consacrer d'évêques ni célébrer  de synode. Or,  nous  qui sommes chargé de leur transmettre ce pouvoir avec le pallium qui en est l'emblème, la plupart du temps nous ne les connaissons pas et nous ne savons si, comme l'apôtre, ils ont l'amour de Jésus-Christ et de son Église. On objecte, dites-vous encore, qu'un pareil serment cons­titue une nouveauté jusqu'ici inconnue, dont on ne trouve nulle trace dans les conciles. Quand cela serait vrai, comme les décrets des conciles, quels qu'ils soient, n'ont de force obligatoire qu'au­tant qu'ils sont approuvés par l'église Romaine, il est évident qu'ils ne peuvent en aucune façon rien préjuger contre cette auto­rité suprême. Mais serait-il possible qu'on ne connût point en Hon­grie le décret du concile de Chalcédoine, statuant dans sa XVIe ses­sion que la primauté principale du pontife de Rome doit être reconnue et respectée dans toute l'Église catholique? Estimeriez-vous par hasard que l'opinion du roi de Hongrie et de ses magnats puisse prévaloir contre la parole de l'Évangile ? Est-ce au roi de Hongrie qu'il fut dit : « Et toi, converti un jour, tu confirmeras tes frères dans la foi2? » Ce n'est point par un motif d'intérêt personnel que nous exigeons ce serment. Quel profit nous en revient-il?  Notre unique but est d'assurer sur un fondement inébranlable l'unité catholique. On peut outrager le saint-siége, on peut lever le talon contre nous, mais on ne parviendra jamais à renverser le privilège divin conféré au prince des apôtres : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église. Je te donnerai les clefs du royaume

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1 Joan. xxi, 15. — 2 Luc, xxn, 32.

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des cieux 1. » Quatre conciles œcuméniques ont successivement déterminé la forme du serment d'obéissance à l'église Romaine que doivent prêter les métropolitains en recevant le pallium. Vous sollicitez du siège apostolique cet insigne sacré; avant de vous le transmettre nous le déposons sur le tombeau du bienheureux Pierre. Il est donc juste qu'en le recevant vous donniez les gages de l'affec­tion et de la foi qui vous unissent à saint Pierre, comme un membre au chef de l'unité catholique. Êtes-vous d'une religion différente de celle des Saxons ou des Danois? Or, les métropolitains de Dane­mark et de la Saxe prêtent ce serment ; ils accueillent avec hon­neur les légats du siège apostolique; ils les aident dans l'accom­plissement de leur mission ; ils font soit en personne, soit par délégués, la visite ad limina non pas seulement une fois tous les trois ans, mais chaque année 2. Inspirez-vous de tels exemples, bien-aimé frère, afin que nous puissions nous réjouir dans le Seigneur de votre pieuse conduite et que jamais vous ne deve­niez, ce qu'à Dieu ne plaise, une occasion de discorde et de schisme dans l'Église 3. » Les liens de l'unité catholique se res­serrèrent donc, d'après le témoignage même de Pascal II, à la suite des prescriptions édictées par le concile de Latran. Les Saxons se firent remarquer par leur filiale obéissance aux récents décrets. On se rappelle qu'Urbain II à Clermont avait promulgué en Europe la « trêve de Dieu, » pour toute la durée de la croisade. Pascal II, en prorogeant cette trêve sainte pour une période nouvelle de sept ans4, assurait, autant qu'il était en son pouvoir, la paix du monde chrétien. Le contre coup de ces mesures aussi sages que prévoyantes ne devait pas tarder à atteindre le pseudo­empereur et à paralyser ses belliqueux efforts.

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1  Matth.., xvi, 18-19.

2  Cette allusion à l'obligation du voyage triennal ad limina nous fait com­prendre qu'elle était rappelée dans le serment exigé des métropolitains, de même qu'elle est encore maintenue dans le serment prêté par les évêques le jour de leur sacre : Apostolorum limina singulis trienniis personaliter per me ipsum visitabo... vel per certum nuntium ad hoc spéciale mandatum habentem. (Pontificale Roman., De consecr. electiin episcopum. Forma jurarnenti.)

3  Paschal II, Epist. 506 ; loc. cit., col. 428.

4  Cf. Mansi, Concil., t. XX, p. 1148.

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