Darras tome 23 p. 136
39. Un autre archevêque français, celui de Vienne, vint en même temps faire son premier pèlerinage au siège apostolique, dont il avait déjà obtenu l'honneur du pallium et une dispense d'âge pour sa promotion d'ailleurs canonique à la métropole de saint Crescent5. C'était Wido (Guy), cinquième fils de Guillaume-le-Grand comte souverain de la Haute-Bourgogne (Franche-Comté 6 et de Stéphanie (Étiennette) héritière du comté de Vienne. Alliée à toutes les familles alors régnantes de France, d'Allemagne et d'Angleterre, la maison de Franche-Comté tenait en Europe un rang illustre. Guillaume-le-Grand ainsi que son surnom l'indique avait su en accroître encore l'éclat. Ses fils héritèrent de sa bravoure chevaleresque et de ses vertus
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1. Psalm. XXVI, i.
2. B. Urban. II. Epist. xxvii, col. 309.
3. Lors du couronnement de la reine Marie de Médicis épouse de Henri IV à Saint-Denis (13 mai 1610), Philippe du Bec archevêque de Reims, alors âgé de quatre-vingt-six ans, ne pouvant assister à la cérémonie, mais se rappelant toujours le texte de la bulle d'Urbain II, écrivit au roi pour s'excuser de ne pouvoir remplir les fonctions privilégiées attachées à son siège. ("Cf. Mot. 9 ad Epist. xxvn ; B. Urban II; Patr. lat., t. CLI, col. 309.)
4. Chap. précédent, n° 23.
5. In promolione tua
quod aelati deerat
toleravimus, contra Ecclcsist nostras tnorem
abtenti tibi pallium contribuimus. (B. Urban. II. Epist. cxxxiv,
col. 406.)
6. Ct. T. XXII de cette Histoire, p. 182.
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p137 CHAP. II. — retour d'urbain II A ROME (1089-1090).
chrétiennes. Renaud II qui succéda dans le gouvernement de la Franche-Comté à son père mort en 1087 devait s'enrôler sous l'étendard de la croix, et marcher avec Godefroi de Bouillon à la conquête de Jérusalem. Il y fut accompagné par son frère puîné, Hugues de Bourgogne, archevêque de Besançon depuis l'an 1083 ; et tous deux devaient trouver une mort glorieuse dans cette expédition sainte qui arracha le tombeau de Jésus-Christ à la domination des fils de Mahomet. Leur frère Raymond, quatrième fils de Guillaume-le-Grand, n'avait pas attendu jusque-là l'occasion de combattre les Sarrasins. Lorsque le roi de Castilie, Alphonse-le-Vaillant, fit appel aux chevaliers de l'Europe chrétienne pour l'aider à reconquérir sur les Maures la noble cité de Tolède, Raymond fut des premiers à s'engager dans cette croisade d'Espagne, prélude des grandes croisades de l'Orient. L'archevêque de Besançon lui donna fraternellement sept mille solidi1 pour les frais de cette chevaleresque entreprise. Raymond partit avec son cousin Henri de Bourgogne 2, fils du duc Robert. L'un et l'autre firent admirer leur vaillance à côté du Cid. La récompense fut éclatante. Après la conquête de Tolède, Raymond épousa la princesse Urraca fille aînée d'Alphonse VI et héritière présomptive du royaume de Castille ; Henri reçut l'investiture du comté de Portugal et la main de Thérèse seconde fille du roi d'Espagne. Si hautes que fussent les destinées des quatre premiers fils de Guillaume-le-Grand, celle du cinquième devait les dépasser encore. Guido (Guy de Bourgogne) était appelé par la Providence à porter la couronne la plus auguste qui puisse ceindre le front d'un mortel3 .
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1. Gallia Christiana, t. I, p. 125.
2. Cf. Chap. précédent, n" 33.
3. Les auteurs de l’Art de vérifier les dates nomment les fils de Guillaume-le-Grand et d'Étiennette de Vienne dans l'ordre suivant: 1° Renaud II; 2e Guillaume dit Tête-Hardie, époux de Gertrude de Limbourg, mort avant l'an 1090 ; 3° Etienne comte de Varasque, tige de la puissante maison de Châlon ; 4° Raymond comte d'Amous, qui ayant été s'établir en Espagne fut père d'Alphonse VII roi de Castille et de Léon par son mariage avec Urraca fille du roi Alphonse VI ; 5° Hugues archevêques de Besançon; Les filles étaient : I. Mabaut femme d'Eudes I duc de Bourgogne ; II. Gisèle mariée à Humbert II comte de Savoie ; III. Ermentrude femme de Thierri II comte de Bar ; IV. Clémence mariée 1° à Robert II comte de Flandre, 2° à Godefroi
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p138 PONTIFICAT DU B. URBAIN II (1088-1099).
Il devait, sous le nom pontifical de Calixte II, rappeler les vertus de saint Léon IX et du bienheureux Urbain, achever l'œuvre de Grégoire VII, terminer glorieusement la première guerre des investi-
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duc héréditaire de Brabant. Après cette nomenclature, les savants auteurs poursuivent en ces termes : « L'opinion commune met encore au nombre des enfants de Guillaume-le-Grand Guy archevêque de Vienne et ensuite pape sous le nom de Calixte II. Mais M. Chevalier [Histoire de Poligny, t. I, p. 95) prétend que Guy était fils de Tête-Hardie, et par conséquent petit-fils de Guillaume-le-Grand. La preuve qu'il en donne est que Calixte II dans une bulle de l'an 1120 appelle Othon-Guillaume (933-1015) son trisaïeul ; ce qui ne serait pas vrai s'il était fils de Guillaume-le-Grand qui n'était que le petit-fils d'Othon-Guillaume. [Art de vér. les dates. Ed. 1770. p. 667.) La bulle de Calixte II à laquelle l'auteur de l'Histoire de Poligny faisait allusion n'est pas de l'an 1120, mais du 21 mai UI9. C'est un privilège délivré à cette date en faveur du monastère de Vaux-sur-Poligny. Voici les paroles du pape : Vobis vestrisque successnribus in perpetuum confirmamus qusecumque monasterio vestro a nobilis mémorise Ui/ione comité cognomento Guitlelmo abavo nostro et filio efus Raynaldn co'.lata sunt [Pair, lot., t. CLXIÎI, col. 1093.) Si la désignation abavus (trisaïeul) employée ici pour Othon-Guillaume, qui était réellement le quadrisaïeul de Calixte II, n'était pas si facile à confondre dans les manuscrits avec celle de atavus (quadrisaïeul), on pourrait prendre l'objection au sérieux. Mais d'autres monuments très-explicites, dont le sens ne dépend point d'une lettre prise pour une autre, ne permettent plus le moindre doute sur la véritable filiation de Calixte II. En effet, dans plusieurs passages des lettres de sou Regestum, ce pape désigne l'archevêque Hugues de Besançon comme son frère : Usque ad tempus fratris nostri, Hugonis vestri archiepiscopi, qui in Jerosolymitana peregrinatione defunctus est. (Epist. lxiv ; Patr. lat., t. CLXIII, col. 1163. — Epist. xy, col. 1107. — Epist. clxx, col. 1237. Il rappelle que son autre frère Raymond, gendre du roi Alphonse VI le Vaillant, laissa en mourant un fils, Alphonse VII, qui fut reconnu roi d'Espagne sous la régence de sa mère Urraca ; Egregise mémorise lldefonsus rex, defuncto gertero nobilis recordationis P.aymundo comité, fratre nostro, filium efus regem instituit, et regnum ei per juramenta potentium stabilivit (Epist. lxxxiv, col. 1171). Il donne constamment au jeune roi Alphonse VII le titre de neveu ; Dilectissimum nepotem nostrum Itdefonsum regem dilectioni tuse cummendatnus (Epist. cxiv, col. 1191. — Ep. lxxix, col. 1169 — et clvi, col. 1221 avec cette suscription : Calixtus episcopus servus servorum Dei charissimo nepoti suo Ildefonso strenuo et g loriossimo Hispaniarum régi.) Enfin, dans la lettre XXXVI, col. 1121, il fait mention de la comtesse de Flaudre, Clémence de Bourgogne, comme de sa propre soeur : Nos charissimse sororis nostrse Clementise Flan-drensium comilissse petUionihus acquiescentes. La filiation de Calixte II ne saurait donc plus être douteuse. Ainsi que le comte Raymond, l'archevêque Hugues de Besançon et la comtesse de Flandre Clémence, il eut Guillaume le-Grand pour père.
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p139 CHAP. II. — RETOUR D'URBAIX II A ROME (1089-1090).
tures, réunir le premier concile œcuménique qui se soit tenu en Occident. Elu en 1083 archevêque de Vienne, il avait énergiquement travaillé à rétablir dans cette métropole l'intégrité de la discipline et la pureté des mœurs cléricales. Lorsqu'il vint à Rome, à la fin de l'an 1089, Urbain II semble avoir eu comme un pressentiment prophétique de l'avenir réservé au jeune métropolitain. C'est du moins ce que nous sommes en droit de conjecturer d'après le rescrit pontifical suivant.
40. « Urbain évêque serviteur des serviteurs de Dieu aux clergé, ordre monastique, nobles et peuple de Vienne, salut et bénédiction apostolique. — Le vrai fils du bienheureux Pierre, notre frère, votre vénérable et bien-aimé archevêque, est venu à nous en révérence, et nous l'avons accueilli avec une joie inexprimable. Jusque-là nous n'avions pas encore vu sa face, nous ne connaissions que par la voix publique son mérite excellent, ses vertus, sa capacité. Dès le premier abord un charme particulier nous attira à lui, et nous le priâmes de prolonger près de nous son séjour. Grâces soient rendues au Seigneur notre Dieu, qui nous a fait trouver en lui la saveur de la science et la bonne odeur des vertus ! Nous fûmes ravi de la maturité de son jugement, de la loyauté de son caractère, de son admirable prudence ; chaque jour il nous devenait plus cher ; nos premiers sentiments d'affection devinrent une étroite intimité, en sorte que dans notre curie romaine, il n'était plus considéré seulement comme un Français mais comme un Romain. Aujourd'hui qu'il retourne près de vous, nons recommandons à votre dilection de redoubler pour l'amour de nous l'affection qu'il vous avait déjà inspirée et la vénération dont vous lui avez jusqu'ici donné la preuve. Nous avons nous-même, par affection spéciale pour sa personne non moins que par respect pour les droits et traditions authentiques, renouvelé et confirmé tous les honneurs et dignités jadis accordés par nos prédécesseurs à l'église de Vienne, et avec la grâce de Dieu nous les maintiendrons fermes et immuables. En conséquence, nous ordonnons que les biens ecclésiastiques usurpés par le prévôt Artold soient remis entre les mains de votre saint archevêque ; quiconque aurait la présomption d'en retenir injustement quoi que ce soit en-
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courrait l'indignation du siège apostolique 1. » Telle fut l'impression produite en 1089 sur l'esprit du bienheureux pape Urbain II par le jeune métropolitain de Vienne. Plus tard Su-ger, le glorieux ministre de saint Louis, devait dire de Guy de Bourgogne : « Le sang des empereurs et celui des rois coule dans ses veines, mais sa vertu est plus haute que toutes les majestés impériale ou royale 2. » Pierre le Vénérable pensait comme Urbain II et Suger : « On vante, disait-il, la naissance illustre de Guy de Bourgogne ; mais la pureté de ses mœurs, la loyauté de son caractère, sa magnanimité, dépassent toutes les grandeurs et toutes les illustrations de ce monde 3. »
41. Ainsi par une disposition providentielle qui ménage à travers toutes les vicissitudes humaines la perpétuité du souverain pontifl- cat au sein de l'Église catholique, Urbain II venait de désigner en quelque sorte par anticipation l'élu de Dieu qui devait être son troisième successeur sur le siège de saint Pierre. L'année précédente, parmi les humbles religieux du Mont-Cassin il avait discerné, dans la personne du frère Jean de Gaëte, un autre personnage également prédestiné au souverain pontificat. Evidemment Urbain II avait, comme jadis saint Grégoire VII, le don prophétique qui constitue l'un des privilèges de la sainteté. Le schisme luttait en vain contre ce légitime sucesseur de saint Pierre. Pendant que le pseudo-empereur d'Allemagne et l'antipape Wibert rassemblaient des armées pour le chasser de Rome et le mettre au ban de l'univers, il réglait d'un jugement souverain le présent et l'avenir de l'Église immortelle. Un décret signé de sa main et daté du 28 décembre 1089 ordonnait au cardinal Rainier, légat apostolique en Espagne, de rétablir la ville de Tarragone ruinée par les Maures, et d'y reconstituer la métropole dont elie avait été le siège du temps de saint Isidore de
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1 B. Urban. II. Epist. xxxvm ; Patr. Ut., t. CLI. col. 316.
2. Yenerabilis Guido Viennensis archiepiscopus, imperialis et regiss celsïtudinis derîvativa consanguinitate generosus, multo generosior moribus. (Suger. Vita Ludovic. Grossi,'Patr. Ut. t. CLXXXVI, col. 1312.)
3 Itegii sanguinis nobilitate insignis, sed moribus, probitate ac liberalis animi magnifi-eentia longe insignior. Petr. Venerab. De miraculis, 1. II, cap. 12. Patr. Ut. t.CLXXXIX, col. 923. — Cf. Gall. Christ, t. I, p. 800,
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p141 CHAP. II. — RETOUR D'URBAIN II A ROME (1089-1090).
Séville 1. La parole du vicaire de Jésus-Christ fut comme un ordre de résurrection pour cette antique et noble cité. Tarragone se releva de ses ruines. Un concile présidé par le légat à Toulouse, en la fête de la Pentecôte (3 juin 1090) séparait définitivement la ville nouvelle de la juridiction métropolitaine des archevêques de Narbonne et diocésaine des évêques d'Ausona 2. Cette résurrection d'une église métropolitaine qui sortit de ses cendres à la voix d'Urbain II fut l'œuvre de quelques mois. Par un rescrit daté du 1er juillet 1091, le bienheureux pape le constatait en ces termes : « Urbain évêque serviteur des serviteurs de Dieu à son frère Bérenger évêque d'Ausona, transféré à la métropole de Tarragone, et à ses successeursnlégitimes à perpétuité. — Parmi les plus anciennes cités de l'Espagne, Tarragone déjà citée par les auteurs païens est mentionnée des premières par les écrivains ecclésiastiques. Dans les décrets de sa Providence, le Dieu tout-puissant toujours juste quoique ses voies soient impénétrables, ce Dieu qui transfère les empires et change à son gré Ies temps, après avoir glorieusement exalté la ville de Tarragone la visita plus tard par ses fléaux, sans doute pour punir les péchés du peuple. La verge de sa fureur châtia les chrétiens de cette cité. Trois-cent-quatre-vingt-dix ans se sont écoulés depuis que la race des Agaréniens (Sarrasins) transforma Tarragone en un affreux désert. Dociles à la voix du siège apostolique, sur lequel malgré notre indignité Dieu nous a fait asseoir, les princes d'Espagne viennent de réédifier la ville. Le comte de Barcelone Bérenger s'est particulièrement distingué, avec les grands de sa province, dans cette entreprise de restauration chrétienne. Pour le salut de son âme il y a généreusement concouru, et afin de couronner plus magnifiquement encore la grande œuvre, il vient de faire don au bienheureux Pierre et à ses vicaires légitimes de la nouvelle cité et de tout son territoire, s'enga-
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1. B. Urban. II, Epïsl. xxis; Pair. M. t. CLI, col. 314.
2. Bernold fait mention de ce concile de Toulouse comme de l'un des événements les plus mémorables du pontificat d'Urbain II : Dominus papa Urbanus generalem sijnodum episcopis diversarum provinciarum per tegaias suos in Tolosana civitate circa Pentecosiem coilegit. {Patr. lai. t. CLVIII, col. 1402. — Cf. Labbe, Concil. t. X, col. 480.)
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p142 PONTIFICAT DU B. URBAIN II (1088-1099).
geant à payer chaque année au palais de Latran un tribut de cinq livres d'argent. Nous aussi, avec la grâce de Dieu, nous voulons être compté au nombre des restaurateurs de Tarragone. En conséquence, nous approuvons et confirmons les libertés et franchises octroyées par le comte aux nouveaux colons de cette ville. Nous acceptons l'hommage qu'il a fait de son territoire au bienheureux Pierre ; nous prenons la cité de Tarragone sous la sauvegarde immédiate du siège apostolique et de la sainte église romaine à perpétuité1. »