Darras tome 18 p. 2
§ 1 . Notice du Liber Pontificalis.
1. « Léon III, né à Rome, dit le Liber Pontificalis, eut pour père Azuppius. Il siégea vingt ans, cinq mois et dix-sept jours. Dès sa plus tendre enfance, il avait été nourri à l'école patriarcale de Latran; il y apprit le psalterium, la science des Écritures et les lettres1 humaines, puis fut successivement élevé au sous-diaconat, au diaconat et au sacerdoce. Sa vie était pure, sa parole éloquente, son cœur ferme et constant. Partout où il rencontrait un serviteur
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de Dieu, religieux ou laïque, versé dans la contemplation et dans les voies spirituelles, il s'attachait irrévocablement à lui. Il aimait à distribuer les aumônes, à visiter les infirmes; son visage reflétait alors une sainte joie, et de son cœur sortaient des paroles tout embrasées d'amour divin qui étaient pour les âmes plus précieuses encore que l'aumône matérielle dont sa main était prodigue. Un grand nombre de Romains, touchés par son exemple, voulurent comme lui servir le Christ dans la personne des pauvres, et l'accompagnaient dans ses visites secrètes de la nuit et du jour. Ainsi Léon offrait au Seigneur une moisson d'âmes saintes. Placé à la tête du vestiaire de Latran, sa vertu éclata à tous les regards et l'on peut dire qu'il était les délices de Rome tout entière. Adrien était mort le jour de Noël; le lendemain, fête du bienheureux Etienne, premier martyr, Léon fut élu d'une seule voix par tout le collège sacerdotal, évêques ou prêtres, et acclamé d’une voix unanime, comme par une inspiration de Dieu, par les optimates et l'universalité du peuple romain. Le lendemain, fête de saint Jean l'Évangéliste, il fut ordonné pontife du siège apostolique, pour la très-grande gloire de l'Église et du Dieu tout-puissant. Défenseur intrépide des droits ecclésiastiques, zélé contre les ennemis de la foi, il était en même temps plein de mansuétude, lent à s'irriter, prompt à faire miséricorde, ne rendant jamais le mal pour le mai, n'exerçant jamais la vindicte jusqu'à la dernière rigueur, toujours patient, pieux, charitable, et faisant rendre justice à chacun.»
2. « Les trois premières années de son pontificat s'écoulèrent paisiblement. Le saint pontife s'appliquait à faire régner au sein de l’Église romaine l'ordre de la liturgie sacrée, à maintenir partout la rectitude de la foi orthodoxe, à décorer les temples élevés au Seigneur, lorsque, le 23 avril 799, comme il se rendait, suivant la coutume, aux grandes litanies de la fête de saint Marc, où il devait, entouré de son collège sacerdotal, faire les prières solennelles pour la prospérité du peuple chrétien et célébrer la messe pontificale dans l'église de Saint-Georges, il vit venir à sa rencontre le prémicier Pascal et le sacellaire Campulus, en habit laïque. Ils se prosternèrent hypocritement devant lui en disant: Pardonnez-nous de
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n'avoir point de chasubles, planeta, nous sommes souffrants et ne pourrons peut-être assister à toute la cérémonie. — Léon agréa leurs excuses et s'entretint familièrement avec eux, sans soupçonner leur atroce perfidie. Tout à coup, en face du monastère des saints Etienne et Sylvestre, récemment fondé par le seigneur pape Paul, une horde de sicaires embusqués dans le voisinage fondit sur le cortège et renversa le Pontife, que l'infâme Pascal tenait par la tête et Campulus par les pieds. Le peuple s'était enfui ; les monstres foulèrent aux pieds l'auguste vieillard, le dépouillèrent de ses vêments, lui crevèrent les yeux, lui arrachèrent la langue, le frappèrent à coups de bâton et le jetèrent baigné dans son sang devant l'autel des saints Etienne et Sylvestre. Léon vivait encore; durant la nuit, Pascal, Campulus et leur complice Maurus de Népi tinrent conseil. Ils craignaient que leur victime vînt à leur échapper, et que les serviteurs du pontife le fissent enlever secrètement. Ils le firent donc transporter par leurs satellites au monastère de Saint-Erasme, et le jetèrent dans un cachot à la porte duquel ils placèrent des gardes. Mais le Dieu tout-puissant, qui avait jusque-là supporté leurs attentats, les déjoua par un éclatant miracle. Comme le très bienheureux pape, au fond de son cachot, adressait à Dieu et saint Pierre, prince des apôtres, une prière fervente, soudain recouvra la parole et la vue. En ce moment, le cubiculaire Albim avec d'autres fidèles craignant Dieu, pénétra dans le monastère ouvrit les portes de la prison, et tous ensemble ils conduisirent le pontife dans la basilique Vaticane. En arrivant, Léon entonna le chant sacré Benedictus Dominus Deus Israël, qui facit mirabilia magna solus et non deseruit sperantes in se 1. Toutes les autres paroles dit psalmiste qui pouvaient s'appliquer à des circonstances si merveilleuses furent chantées par la foule : «Dominus illuminatio mea et salus mea quem timebo? » Dominus defensor vitœ mcœ, a quo treidabo? ». —Lucerna pedibus meis verbum tuum, Domine, et lumen semitis meis3. — C'était bien réellement en effet que le Seigneur avait arraché le pontife aux ténèbres de la cécité pour rendre la lumière
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1 Psalm ni., xxxv. — : Paulin., xxvi. — Psaim , cxviii.
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à ses yeux, qu'il lui avait restitué sa langue arrachée, qu'il avait rétabli ses membres broyés et meurtris dans une vigueur parfaite. La joie des fidèles chrétiens, à la vue de ce prodige, ne saurait se décrire. Cependant les sicaires maîtres de Rome étaient dans la consternation, leur triomphe ne les consolait pas. Ils vivaient dans une appréhension continuelle, se défiant les uns des autres et prêfs à s'entr’égorger. Ne sachant rien trouver à faire de mieux, ils pillèrent et démoliront la maison du cubiculaire Albinus, avec diverses autres propriétés appartenant à l'Église ou à divers particuliers connus pour leur attachement au pape.»
3. « A la nouvelle de ces attentats, le glorieux duc de Spolète, Winichis, était accouru avec son armée. A la vue du pontife qui avait recouvré l’usage des yeux et de la langue, il demeura saisi d'étonnement, se prosterna à ses pieds et le conduisit à Spolète, louant et glorifiant le Dieu qui manifeste sa puissance par de tels prodiges. Sur la route, les évêques, prêtres et fidèles accoururent de toutes les cités voisines pour contempler cette merveille, et ne voulaient point quitter le pontife. De Spolète, Léon partit pour la France, résolu d'y aller invoquer le secours du très-excellent seigneur Charles, roi des Francs et des Lombards et patrice des Rpmains. Les optimates, les évêques, les prêtres et les primats du clergé continuèrent à le suivre dans ce lointain voyage. De son côté, le très-chrétien roi Charlcmagne envoya à la rencontre du pontife d'abord l'archi-chapelain Hildebold avec le comte Aschaire, puis son excellent fils Pépin, roi d'Aquitaine, avec une cour brillante, et enfin il se rendit lui-même à quelques lieues de Paderborn, où la rencontre eut lieu. Au chant des hymnes et des saints cantiques, Charles accueillit le pontife ; ils ouvrirent les bras et s’embrassèrent en pleurant de joie. Léon entonna le Gloria in excelsis Deo, qui fut continué par les clercs, et après l'oraison, la bénédiction apostolique fut donnée à la multitude immense qu'un tel spectacle avait réunie. Le grand roi Charles ne pouvait se lasser de regarder le visage du pontife miraculeusement guéri. Il rendait grâces à Dieu de ces étonnantes merveilles dont le vicaire du bienheureux Pierre, prince des apôtres, avait été l'objet, »
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p6 PONTIFICAT DE SAINT LÉON III (795-816).
4. « La nouvelle de l'heureuse arrivée du pontife et des honneurs qui lui étaient prodigués à la cour du sérénissime roi des Francs, ne tarda point à arriver en Italie. La faction rebelle qui incendiait alors les domaines de saint Pierre et ravageait les patrimoines, s'en effraya. Il fut convenu que des émissaires seraient envoyés à Charlemagne pour accuser le très-bienheureux Léon de crimes imaginaires, et justifier ainsi l'abominable et sacrilège con-duite tenue à son égard. Ils vinrent en effet, ces fils de Satan, ces artisans d'iniquité et de mensonge, à Paderborn. Admis à l'audience du monarque, et interrogés par lui, ils ne purent fournir aucune preuve de leurs accusations calomnieuses; chacune de leurs paroles trahissait la haine de l'Eglise et du siège apostolique. Charles convoqua en assemblée nationale tous les archevêques, évêques et autres dignitaires ecclésiastiques, avec les leudes et seigneurs francs. Tous d'une voix unanime acclamèrent le très-bienheureux pontife, et déclarèrent que l'honneur de la France demandait qu'il fût reconduit avec honneur à Rome et rétabli sur le siège de saint Pierre. »
5. « Le pontife partit donc du camp de Paderborn avec une magnifique escorte. Dans toutes les cités qu'il traversa, le clergé et le peuple venaient le saluer comme «l'apôtre. » Un grand nombre voulut l'accompagner jusqu'à Rome. Cette ville tressaillit de joie au retour de son pasteur. II y arriva la veille de la fête de saint André (28 novembre 799). Tout le collège sacerdotal avec le clergé, les optimates, le sénat, la milice, l'universalité du peuple romain, les religieuses, les diaconesses, les nobles matrones et toutes les femmes chrétiennes, les écoles des nations étrangères, des Francs, de la Frise, de la Saxe, de Lombardie. Toute cette foule innombrable vint se ranger au delà du pont Milyus (Ponte-Molle), avec les étendards et les bannières, au chant des hymnes et des cantiques. De là, le très-bienheureux pape fut conduit pro-cessionnellement à la basilique Vaticane, où il célébra pontificalement la messe, où tous les assistants participèrent au corps et au sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Le lendemain, fête de saint André, après l'office solennel, le pape fit son entrée triom-
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p7 CHAP. I. — NOTICE DU LTlîEft VONTIFICALIS.
phale à Rome 1, au milieu des transports d'allégresse du peuple, et rentra dans le palais patriarcal de Latran. Durant les huit jours qui suivirent, les très-fidèles ambassadeurs de Charlemagne qui avaient accompagné le pontife à Rome, savoir, les révérendissimes archevêques Hildebold de Cologne, Arnon de Saltzbourg; les très-saints évêques Cunibert 1, Bernhardt de Worms, Otto de Frisingen, Jessô d'Amiens et Flacuis, évêque élu ; les glorieux comtes Helmgoth, Rothgaire et Germain, tous recevant l'hospitalité du seigneur pape Léon dans le triclinium de Latran, firent une enquête sur les attentats précédemment perpétrés. Pascal, Campulus et leurs principaux complices, interrogés par les ambassadeurs francs, ne purent alléguer aucun moyen de justification. Ils furent arrêtés et envoyés en France au tribunal du grand roi. »
6. « Mais Charlemagne en personne ne tarda point à arriver à Rome (24 novembre 800). Il y fut reçu avec les plus grands honneurs, et trouva le pontife qui l'attendait sur les degrés de la basilique de Saint-Pierre. Dans cette même basilique, il convoqua tous les archevêques, évêques, abbés et, toute la noblesse des Francs et des Romains. Siégeant alors sur deux trônes parallèles, le grand roi et le très-bienheureux pape firent asseoir autour d'eux les membres de cette imposante assemblée, et demandèrent qu'on articulât en toute liberté les griefs que chacun aurait à formuler contre le pontife. Tous les archevêques, évêques et abbés s'écrièrent unanimement: Nous ne sommes point assez téméraires pour nous constituer juges du siège apostolique, chef sacré de toutes les églises de Dieu. C'est à lui et à son saint vicaire qu'il appartient de nous juger tous, sans qu'ils puissent être jugés eux-mêmes par personne. Telle est la tradition de l'antiquité. Nous obéirons donc, selon la loi canonique, à tout ce que le souverain pontife ordonnera. — Le vénérable pape prit alors la parole : Je veux, dit-il, suivre l'exemple de mes très-
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1 On sait qu'à cette époque la basilique vaticane n'était pas encore comprise dans l'enceinte fortifiée du Ponte-Molle. Saint Léon III avait été conduit par la rive droite du Tibre à Saint-Pierre, sans traverser le fleuve ni pénétrer dans la ville.
1 Siége inconnu.
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p8 PONTIFICAT DE SAÏMT LÉON III (793-816).
saints prédécesseurs, et je suis prêt à me justifier de toutes les fausses accusations portées contre moi. —Le lendemain donc, dans la même basilique, en présence des archevêques, évêques et abbés, de tous les Francs de la suite du grand roi, de l'universalité du peuple romain accouru dans cette enceinte, le vénérable pape, tenant sur sa poitrine le livre des saints évangiles, monta à l'ambon, et, d'une voix sonore qui fut entendue de tous, prononça sous forme de sonnent ces paroles : Je n'ai nulle conscience des crimes dont m'accusent faussement ceux des Romains qui m'ont injustement persécuté; j'ai au contraire la certitude absolue de n'en avoir commis aucun. Une acclamation unanime répondit à cette courte mais énergique protestation. L'assemblée entière rendit grâces au Dieu tout-puissant, à notre dame Marie, toujours vierge, au bienheureux apôtre Pierre, prince des apôtres, et à tous les saints par le chant de la litanie. »
7. « Quelques jours après, dans cette même basilique, en la fête de Noël (25 décembre 800) devant tout le peuple assemblé, le vénérable et auguste pontife prit dans ses mains une couronne d’or, diadème impérial, et la dépsa sur la tête de Charlemagne. Tous les fidèles romains, reconnaissants de l'héroïque protection et du dévouement dont le grand roi n'avait cessé d'entourer le siège apostolique et le vicaire du prince des apôtres, s'écrièrent, dans unc acclamation qui ébranla les voûtes du temple et ressemblait aux éclats du tonnerre: A Charles très-pieux, auguste, couronné de Dieu, au grand, au pacifique empereur, vie et victoire ! — Trois fois devant la confession de saint Pierre, on chanta la litanie, qui fut suivie chaque fois de ces acclamations qui saluaient unanimement le nouvel empereur des Romains. Le très-saint pontife oignit Charles de l'huile sainte et sacra en qualité d'empereur ce roi très-excellent, son bien-aimé fils. La messe pontificale achevée, le sérénissime empereur Charles offrit à la basilique une table d'argent massif, pour le maître-autel, à la confession du bienheureux Pierre, un service complet de vases d'or portés par le très-précellent roi Pépin d'Italie et par les filles du sérénissime empereur, une couronne d'or enrichie de gros diamants, du poids total
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p9 CHAP. I. — NOTICE PU LIBER PONTIFICAUS.
de cinquante-cinq livres, une patène d'or avec pierreries, pesant trente livres, un grand calice à deux anses de cinquante-huit livres, et deux autres de trente-six livres chaque. Une autre table d'argent massif, moins grande, que la première, fut placée devant l'autel de la confession ; elle pesait cinquante-cinq livres et était chargée de vases d'une grandeur et d'une magnificence extraordinaires. Pour rassembler dans un même souvenir les grandeurs du passé et celles du présent, Charlemagne offrit à la basilique cons-tantinienne du Sauveur, au Latran, une croix d'or constellée d'hyacinthes, et sur la demande du très-pieux empereur, le pontife ordonna qu'à toutes les litanies solennelles, cette croix serait portée par lui et par ses successeurs à perpétuité. Outre cette précieuse offrande, Charlemagne donna à la basilique constantinienne une table d'argent massif avec le ciborium de même métal, et un évangéliaire enrichi de lames d'or pur et de pierreries. La basilique de Sainte-Marie-ad-Presaepe reçut du sérénissime empereur d'énormes lampadaires d'argent massif. »
8. « Quand les jours de fête furent passés, les traîtres apostats Paschal et Campulus avec leurs complices, qui avaient été ramenés à Rome, comparurent au tribunal du très-pieux empereur, au milieu de toute l'escorte des nobles francs et de la multitude des Romains, qui leur reprochaient leurs attentats et leurs crimes. Campulus disait à Paschal : Soit maudite à jamais l'heure où je vis pour la première fois ta face ! C'est toi qui m'as entraîné dans cet abîme. — Les autres conjurés tenaient le même langage, chacun d'eux accusant son complice et tous faisant ainsi l'aveu de leurs forfaits. Ces cruels et perfides sicaires étaient leurs propres dénonciateurs. Ils furent condamnés à un exil perpétuel. »
9. « Le très-saint pape Léon, par une constitution apostolique, ordonna de célébrer chaque année les litanies dominicales durant les trois jours qui précèdent la fête de l'Ascension. L'ordre en fut réglé de la manière suivante : le lundi, 2e férie, le pontife, entouré de tout le clergé et de la foule des fidèles, devait se rendre de Sainte-Marie-Majeure à la basilique constantinienne du Sauveur, au Latran ; le mardi, 3e férie, de l'église de Sainte-Sabine à la ba-
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silique de Saint-Paul-hors-les-Murs; le mercredi, 4e férie, de Sainte-Croix en Jérusalem à l'église de Saint-Laurent. — Le très-bienheureux pontife, après avoir occupé très-glorieusement le siège apostolique durant vingt ans, cinq mois et seize jours, fut ravi à la lumière de ce monde mortel et émigra à l'éternel repos. En trois ordinations faites au mois de mars, il imposa les mains à trente prêtres, onze diacres et cent-vingt-six évêques destinés à diverses églises. Il fut enseveli dans la basilique de l'apôtre Pierre, la veille des Ides de juin, indiction IXe (12 juin 8I6). Après lui, le siège demeura vacant dix jours 1. »
§ II. Ambassade d’Angilbert à Rome.
10. Au moment où la double nouvelle de la mort du pape Adrien, puis de l'élection de Léon III, son successeur, parvint à Charlemagne, le grand roi venait de remporter une victoire définitive sur les Huns, dont la capitale était tombée en son pouvoir. Les richesses de l'Italie et de l'Europe entière y étaient accumulées depuis le temps d'Attila. Charlemagne, en répondant au nouveau pape pour le féliciter de son avènement, lui fit remettre les objets les plus précieux trouvés parmi les dépouilles. La main du héros franc restituait ainsi à la Rome des souverains pontifes les monuments des arts que n'avaient jadis pu défendre contre le « fléau de Dieu, » la faible épée des indignes successeurs de César et d'Auguste. « Tout était préparé, dit Charlemagne, pour envoyer à mon très-doux père, votre prédécesseur Adrien, comme un gage de vénération et de filial amour, les trésors qu'il a plu au Dieu des armées de nous accorder sur les barbares, ennemis de son nom, lorsque survinrent les légats chargés de nous apprendre la mort imprévue de ce grand pontife. Je ne puis encore y penser sans fondre en larmes ; ma douleur, ma consternation furent immenses. Je sais que l'apôtre défend aux chrétiens de nous livrer à une tristesse sans espérance, mais qui pourrait interdire à une
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1 Liber Ponii/icaUs, Nolit. Léon III ; Pair, lai., tom. CXXV1II, col. 1810-1216. Nous avons supprimé dans cette traduction la liste des réparations aux édifices religieux de Rome faites par saint Léon III. Elle n'occupe pas moins de trente pages in--4°.
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p11 CHAP. I. — AMBASSADE n'ANGILBERT A HOME.
tendre amitié la consolation des larmes ? Tout en pleurant ce mort si cher, je n'oublie pas qu'il vit maintenant pour jamais dans le Christ, si nous avons perdu la joie de sa présence corporelle, nous conservons l'espoir que son suffrage au ciel ne nous fera pas défaut. La divine Providence nous ménageait une autre consolation non moins précieuse, en vous choisissant, vénérable pontife, pour succéder à un pasteur dont vous rappelez toutes les vertus ; comme lui élevé sur la chaire apostolique, vous intercéderez le bienheureux Pierre pour la prospérité de toute l'Eglise, pour mon salut, pour mes fidèles, pour la stabilité du trône sur lequel Dieu m'a fait asseoir, comme lui vous m'adopterez pour fils. Je transmets donc à votre sainteté les offrandes que j'avais destinées à mon très-bienheureux père votre prédécesseur. Elles vous seront présentées par notre fidèle Angilbert avec qui vous pourrez concerter les mesures les plus propres à procurer l'exaltation de la sainte Église de Dieu, la sécurité de votre pontificat, et l'honneur du patriciat de Rome dont je suis revêtu. Je veux en effet continuer avec votre sainteté le pacte conclu avec votre très-bienheureux prédécesseur, dans le lien indissoluble de la foi et de la charité, afin que, par vos prières, la grâce divine et la bénédiction apostolique me protègent toujours, et que le siège sacré de l'Église de Rome ne cesse d'être efficacement défendu par nos armes. C'est à nous, en effet, avec l'aide du Seigneur, de protéger en tous lieux l'Eglise du Christ, au dehors contre les incursions et les ravages des infidèles, au dedans contre la perversité des hérétiques; comme c'est à vous, très-saint père, d'élever avec Moïse vos mains vers le ciel pour implorer l'assistance de Dieu sur nos armées, afin que le peuple chrétien remporte partout la victoire sur ses ennemis, et que le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit glorifié dans tout l'univers 1 ».