Charles Ier et persécutions 1

Darras tome 36 p. 627


§ III. LA PERSÉCUTION ET LA RÉVOLUTION EN ANGLETERRE SOUS CHARLES 1er.

 

   28.  En 1625,  Jacques Ier avait laissé, à son fils, un  absolu et un trône, ce semble, bien affermi, mais réellement en péril par les menaces d'ennemis secrets. Les contestations inhéren­tes aux hérésies du libre examen et le dogmatisme singulier du roi défunt avait ouvert toutes les digues à l'anarchie des pensées. La nation était travaillée, au sujet de la politique aussi bien que de la religion, d'un dangereux esprit de controverse. « Chacun, à cette époque, dit Warwick, devint théologien ou homme d'État, » et bientôt l'un et l'autre, car l'anarchie passionnée des esprits enten­dait bien ne rien soustraire à l'infaillible compétence de ses déci­sions. La multitude se prit à examiner quelle devait être les conditions  de la   souveraineté du prince et la constitution  de

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l'Église. La révolution qui va s'ensuivre, est bien le fruit naturel du protestantisme opérant dans un milieu anglais. La grande crise qui se préparait, pouvait être prévenue ou comprimée; mais il fallait une habileté rare ou une énergie extraordinaire. « Le roi Charles dit un auteur puritain, mistris Hutchinson, avait de la tem­pérance; il était chaste et sérieux. » « Charles, ajoute Guizot, était un prince de mœurs graves et pures, d'une piété reconnue, appli­qué, instruit, frugal, peu enclin à la prodigalité, réservé sans hu­meur, digne sans arrogance ; il maintenait dans sa maison la décence et la règle ; tout en lui annonçait un caractère élevé, droit, ami de la justice; ses manières et son air imposaient aux courtisans et plaisaient au peuple; ses vertus lui avaient valu l'es­time des gens de bien. Lassé des mœurs ignobles, de la pédanterie bavarde et familière, de la politique inerte et pusillanime de Jac­ques Ier, l'Angleterre se promettait d'être heureuse et libre sous un roi qu'elle pourrait enfin respecter (1). » Charles et le peuple an­glais ne savaient pas à quel point ils étaient devenus étrangers l'un à l'autre : ni quelles causes depuis longtemps actives et chaque jour plus puissantes, les mettraient bientôt hors d'état de s'accor­der et même de se comprendre. Deux révolutions, l'une visible et même éclatante ; l'autre, intérieure, ignorée et non moins certaine, s'accomplissaient vers cette époque ; la première, dans la royauté européenne qui marchait vers l'absolutisme ; la seconde dans l'état social et les mœurs du peuple anglais, qui, réagissant contre l'ab­solutisme royal, voulait revenir à la Grande Charte. Dans une société régulière et calme, on eût pu aboutir à une sage constitution du pouvoir et au rappel de toutes les anciennes libertés ; dans une société livrée aux passions protestantes, où le pouvoir a perdu son équilibre et les sujets leur règle, ce mouvement aboutit prompte-ment à un conflit et ce conflit, en s'envenimant, aboutit à une révo­lution. Aucun événement ne montre mieux le caractère destructeur du protestantisme, livré à la logique de ses mauvais principes.

 

   29. Quand le prince Charles était devenu homme, son père avait

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(1) Cuizot, Histoire de la Révolution d'Angleterre, t. I, p. 2.

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d'abord songé à une alliance avec l'Espagne, alliance qui eût pré­venu des guerres et favorisé les intérêts du catholicisme. Le duc de Buckingham suggéra au prince l'idée d'aller rechercher lui-même à Madrid, l'amour et la main d'une infante. Un dessein si chevaleresque sourit à l'imagination du jeune homme. Charles fut reçu à Madrid avec de grands honneurs ; et là, il vit, dans tout son éclat, la royauté majestueuse, obtenant de ses serviteurs un dé­vouement et de ses peuples un respect souverains, rarement con­tredits, toujours assurée de planer après tout, par sa seule volonté, au-dessus des contradictions. Le mariage avec l'infante manqua ; mais Charles épousa, en échange, Henriette-Marie, fille de Henri IV car Jacques était décidé à ne voir, hors des cours de France et d'Espagne, aucune alliance qui convînt à la dignité de son trône. L'influence de cette union sur le prince anglais ne différa point de celle qu'en Espagne il avait déjà subie ; et la royauté de Paris ou de Madrid devint, à ses yeux, l'image de la condition naturelle et légitime d'un roi. Du reste, un mariage avec l'Espagne catholique ou avec la France très chrétienne, et l'alliance politique qui devait en être la naturelle conséquence, ne pouvaient beaucoup plaire à un peuple fanatisé par l'hérésie. La fille de Henri IV était certes digne de son rang par les charmes de sa personne, par les qualités de son cœur et de son esprit ; mais c'était, dans la nation, un préjugé accrédité que les reines d'origine française n'avaient jamais porté bonheur à l'Angleterre. De plus, Henriette était catholique. Quand bien même elle eût mis la plus grande réserve dans l'exercice de sa religion, elle eût été suspecte à ses sujets protestants. A plus forte raison dut-elle exciter leurs défiances, lorsqu'ils la virent témoigner le plus grand zèle pour l'Église romaine, et, conformé­ment aux instructions qu'elle avait reçues de sa mère, Marie de Médicis, protéger ses coreligionnaires opprimés et intercéder pour eux, nouvelle Esther, auprès d'un autre Assuérus. Non contente d'exercer cette médiation en leur faveur, elle prétendit se mêler des affaires publiques, et l'empire que l'extrême tendresse du roi pour elle lui laissa prendre le fit soupçonner injustement d'un attache­ment secret pour le papisme, et fournit aux ennemis de ce prince

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les moyens d'empoisonner ses démarches les plus innocentes. La passion trouve aisément partout des aliments.

 

30. Nous citerons ici, pour l'édification de nos lecteurs, quelques unes des belles instructions que Marie de Médicis donna à sa fille, partant pour régner sur l'Angleterre. Les uns les attribuent à Richelieu; d'autres au cardinal de Bérulle ; d'où qu'elles viennent, elles honorent également la reine qui les suggéra, le prêtre qui fut digne de les écrire et la jeune princesse qui sut les entendre.


« Vous n'avez plus sur la terre que Dieu pour père, qui le sera à jamais, puisqu'il est éternel: c'est de lui que vous tenez l'estre et la vie ; c'est lui qui, vous ayant fait naistre d'un grand roi, vous met aujourd'hui une couronne sur la tête, et vous établit en Angle­terre, où vous debvez croire qu'il veut que vous le serviez et y faciez votre salut. Qu'il vous souvienne, ma fille, chaque jour de votre vie, qu'il est votre Dieu, et qu'il vous a mise sur la terre pour le ciel, et vous a créée pour luy-mesme et pour sa gloire. Le feu roi votre père a déjà passé ; ce n'est plus ici-bas qu'un peu de pou­dre et de cendre cachée à nos yeux. Un de vos frères a faict de même dès son enfance ; Dieu, qui l'a retiré de si bonne heure, vous a réservée au monde pour vous y combler de ses bienfaicts : mais comme il vous avantage de cette sorte, il vous oblige aussi à lui en rendre pleine recoynoissance, estant juste que les debvoirs augmentent à proportion que les grâces et les faveurs sont plus grandes et plus signalées. Donnez-vous bien garde d'abuser de celles qu'il vous faict; puisque la grandeur, la bonté et la justice de Dieu sont infinies, employez toute la force de votre esprit à adorer sa puissance suprême, à aimer son incroyable bonté et craindre son exacte et rigoureuse justice, laquelle il fait ressentir à ceux qui se rendent indignes de grâces. Recevez, ma fille, ces instructions de ma bouche. Commencez et finissez chaque journée en votre oratoire par ces bonnes pensées ; et là, en vos prières, prenez résolution de conduire le cours de votre vie selon les lois de Dieu et non selon les vanités du monde, qui n'est à chacun de nous qu'un moment duquel dépend une éternité que vous debvez passer en paradis avec Dieu, si vous faictes le bien, et en enfer avec les

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esprits malins, si vous faicles mal. — Souvenez-vous que vous êtes filles de l'Église, et que c'est la première et principale qualité que vous avez et que vous aurez jamais ; c'est elle qui vous donné entrée au ciel. Les autres dignités, comme venant de la terre, ne passent point la terre ; mais celle-cy, comme venant du ciel, remonte à sa source et vous eslève. Rendez grâce à Dieu cha­que jour de ce qu'il vous a faict chrétienne et catholique. Estimez ce bienfait comme il le mérite, et considérez qu'ainsi qu'il nous est acquis et communiqué par les travaux et par le précieux sang de son fils unique Jésus-Christ, notre Sauveur, il doit estre aussi con­servé par nos peines, même au prix de son sang, s'il en est besoing. — Offrez votre âme et votre vie à celui qui vous a créée par sa puissance et rapchetée, par sa bonté et miséricorde. Priez-le et faictes-le prier incessamment qu'il vous conserve le don précieux de la foy et de la grâce, et qu'il lui plaise que vous perdiez plustôt la vie que d'en descheoir. Vous êtes petite-fille de S. Louis : je veux que vous receviez de moi en ce dernier adieu la même instruction qu'il recevait souvent de sa mère, qui lui disoit qu'elle aymoit mieux le voir mourir que de le voir offenser Dieu, qui est notre tout et notre vye. C'est cette instruction qui a commencé à le faire sainct, et qui l'a rendu digne d'employer sa vie et sa couronne pour le bien de la foy et l'exaltation de l'Église. Soyez, à son exemple, ferme et zellée en la religion qu'elle vous enseigne, pour la défense de laquelle ce sainct, votre bisayeul, a exposé sa vie, et est mort sainct et fidel parmi les infidèles et pervers. N'écoutez et jamais ne souffrez qu'en votre présence on dise rien de contraire à votre créance et à votre religion. Nous avons les promesses du feu roi de la Grande-Bretagne et du roi son fils qu'on ne le fera pas ; maisil est besoin que vous apportiez de votre part une si ferme résolution et une telle sévérité en ce point, que si quelcun vouloit entreprendre le con­traire, il aperçoive aussitost que vous ne pouvez souffrir cette licence. Votre zèle et votre courage seront très bien employez en ce sujet, et dans la connoissance que vous avez de ce qui est nécessaire pour votre salut. Votre humilité sera estimée si vous fermez les oreilles au propos qu'on voudroit vous tenir de la religion, remettant à

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l'Église d'en parler. — Pour vous, persévérez en la simplicité de la foy : sur quoy, pour vous affermir de plus en plus, vous ouvrirez votre esprit à ceux qui ont besoing de votre conscience pour leur rendre compte de tout ce qui la regardera. Fréquentez les sacre­ments, qui sont la vrai nourriture des bonnes âmes, et communiez tous le premiers dimanches des mois, toutes les fêtes de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et celles de sa sainte mère, à laquelle je vous exhorte d'avoir une dévotion particulière. Vivant ainsy, vous ferez des œuvres dignes de la foy que Dieu vous a empreinte, et que vous debvez conserver beaucoup plus chèrement que votre propre vie. Ayez soing de protéger, envers le roi votre mary, les catholi­ques, affin qu'ils ne retombent plus dans la misère d'où ils sont sortis par le bonheur de votre mariage. Soyez envers eux une Esther, qui eust cette grâce de Dieu d'estre la deffense et la déli­vrance de son peuple envers son mary Assuérus. Par eux Dieu vous bénira mesme de ce monde, vous fera en leur faveur beaucoup de grâces, et tiendra faict à lui-même ce que vous ferez en leur per­sonne. »

 

Marie de Médicis instruit sur ce ton, six pages durant, sa fille, de ses devoirs de reine ; sa lettre est l'un des plus beaux monuments de l'éloquence chrétienne. Rien n'y est oublié ; tout est présenté avec nombre, poids et mesure. A la fin, elle dit : « Adieu, ma fille, je vous laisse et vous livre en la garde de Dieu et de son ange. Je vous donne à Jésus-Christ, son fils unique, votre Seigneur et Ré­dempteur. Je supplie la Vierge d'être la mère de votre âme, en l'honneur de ce qu'elle est mère de notre divin Sauveur. Adieu encore et plusieurs fois : Vous estes à Dieu, demeurez à lui : c'est ce que je désire du plus profond de mon cœur. »

 

31. Le premier point qui attire notre attention, sous le règne de Charles Ier, c'est la condition des catholiques. Henri VIII avait abattu confusément les catholiques et les calvinistes; Elisabeth avait fait, des catholiques, une boucherie ; Jacques et Charles, sans être animés du même fanatisme, ne se portèrent à de guère moindres excès. Pour enflammer, contre les catholiques romains, l'esprit public, on fit usage des plus vils artifices.   «Les fables les plus.

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absurdes et les plus ridicules, dit Butler, furent propagées pour en­flammer le peuple contre eux. On fit courir le bruit que des flottes étrangères menaçaient les côtes ; on parlait d'une armée de papistes qui s'exerçaient au maniement des armes dans des souterrains; d'un complot formé pour faire sauter la Tamise et noyer la fidèle cité protestante. Que faut-il dire du célèbre Hampden, qui fit paraî­tre dans la Chambre des communes, un tailleur de Cripplegate, lequel déclara que, se promenant dans les champs, le long d'un fossé, il avait entendu de l'autre côté, les détails d'un complot formé par des prêtres et autres papistes; que cent huit assassins devaient égorger cent huit des membres les plus influents du Parlement, au taux de dix pounds pour chaque pair et de quarante shillings pour la Chambre des communes? Que dire de la Chambre des commu­nes qui, sur cette déposition, eut recours aux mesures les plus vio­lentes contre les catholiques, et qui, sous prétexte de sa sûreté, or­donna aux compagnies de volontaires et aux milices du royaume de se tenir prêtes a marcher et les mit sous les ordres du comte d'Essex? ou de la Chambre des pairs, qui accueillit le rapport du tailleur et ordonna qu'il fût imprimé et distribué dans tout le royaume. — Le roi était, par caractère et par principes, ennemi des mesures de cruauté et d'oppression; mais on lui persuadait fa­cilement, lorsqu'il croyait qu'il y allait de son intérêt, de sacrifier les catholiques à la fureur de leurs ennemis. — Les conséquences furent telles qu'on pouvait les craindre. Il y eut proclamations sur proclamations contre ces malheureux, victimes de l'erreur popu­laire; les bannissements, les emprisonnements, les tortures se succé­dèrent rapidement; vingt-trois prêtres furent pendus et éventrés, plusieurs autres furent condamnés et périrent en prison (1). »

 

32. Pour montrer la manière dont se faisait l'exécution des prétres, je rapporterai, d'après un témoin oculaire, le martyre de Hugh Green. Une proclamation du roi ordonnait aux prêtres de sortir du royaume à jour fixe; Hugh partait, avec quelques jours de retard; il fut arrêté à la douane, envoyé à la geôle de Dorchester et, après

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(1) Butler, L'Éylise romaine défendue contre les attaques du protestan­tisme, p, 375

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cinq mois, condamné à mort, comme coupable de haute trahison, uniquement parce qu'il était prêtre catholique. Quand la sentence fut prononcée, il dit : « Béni soit à jamais le nom du Seigneur Jésus.» II devait mourir le jeudi; il désira mourir le vendredi, ce qu'un ami lui fît obtenir du shérif, quoique avec beaucoup de peine. On observa qu'après sa sentence, il ne se coucha plus et ne mangea que fort peu ; néanmoins il fut de très bonne humeur et plein de cou­rage jusqu'au dernier moment. Sa piété fut admirable : s'agenouil­lant sur la claie, il pria, la baisa avant de se coucher dessus et continua de prier jusqu'à ce qu'il fût amené au lieu du supplice; alors on l'enleva de dessus la claie et on le fît asseoir sur la butte, à une assez grande distance du gibet, jusqu'à ce qu'on eût achevé de pendre trois pauvres femmes. Des trois, deux se confessèrent et reçurent de lui l'absolution ; lui-même fut absout par un Père de la Compagnie de Jésus, qui se tenait là à cheval, pour l'absoudre au péril de sa propre vie. Au pied de l'échelle, tombant à genoux, il demeura dans une fervente prière pendant plus d'une demi-heure; il prit alors son crucifix et ôta de son cou son Agnus Dei et les donna à cette pieuse dame qui m'a aidée dans cette relation; il remit à un autre son chapelet; il donna aussi au geôlier son mou­choir et enfin, à moi, la plus indigne, son livre de prière; il me jeta aussi, de dessus le gibet, son écharpe, ses lunettes et sa cein­ture de prêtre; et alors se tournant vers le peuple, et faisant le signe de la croix, il commença un discours. Ce discours roule sur les quatre choses principales que les hommes devraient se rappeler : la mort, le jugement, le ciel et l'enfer. Il y a encore quatre autres choses à considérer : Un Dieu, un sacrifice, un prêtre, un homme. Il y a enfin encore quatre choses : Un Dieu, une foi, un baptême, une Église. Mais je suis condamné parce que j'ai été ordonné par le siège de Rome. Saint-Paul a dit : Les Romains ont la foi catholique (Rom. I) et remerciez Dieu que leur foi et la sienne aient été la même; de laquelle foi catholique je suis. Contre cette foi romaine, tous les sectaires se sont réunis, cependant il est vrai que personne, sans elle, ne peut être sauvé. Ici un ministre cria : «II blasphème! fermez la bouche du blasphémateur! renversez-le de l'échelle!» et

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il y eut un grand bruit parmi la multitude ; et le shérif, pour apai­ser le peuple, invita notre martyr à cesser ce discours. Le silence étant rétabli : « J'ai vraiment pitié de notre pauvre pays, dit-il; j'ai pitié du tout mon cœur de voir les divisions qui l'affligent; de voir qu'en matière du religion, il n'y a pas d'unité parmi nous. Alors il commença à prier pour Sa Majesté et pour que ce royaume pût ob­tenir la paix, ce qui, dit-il, n'aura jamais lieu tant qu'il n'y aura pas d'unité de religion. A la fin, tirant son bonnet sur sa figure, les mains jointes sur sa poitrine, priant en silence, il attendit, pen­dant près d'une demi-heure, son heureux passage à l'éternité, que devait opérer la chute de l'échelle. Personne ne voulut y mettre la main, quoique le shériff se fût adressé à plusieurs. J'entendis quel­qu'un lui répondre de la renverser lui-même. A la fin, un paysan, avec l'aide du bourreau (qui se tenait à califourchon sur le gibet) renversa l'échelle ; ce qui étant fait, il fut remarqué par moi et par d'autres, que le prêtre fit trois fois le signe de la croix de la main droite, quoiqu'il fût pendu; mais à l'instant on ordonna au bour­reau de couper la corde avec un couteau, que le constable lui pré­senta au bout d'une gaule, quoique moi et d'autres, nous fissions tout notre possible pour l'en empêcher. La chute qu'il fit en tom­bant du gibet, et non pas la pendaison, l'étourdit un peu. L'homme qui devait le couper par quartier, était timide et maladroit ; c'était un barbier dont la mère, les sœurs et les frères sont de pieux catho­liques, il fut si long à le démembrer, que le prêtre recouvra, pen­dant ce temps, l'usage de ses sens, qu'il se mit sur son séant et prit le bourreau par la main afin de montrer, je crois qu'il lui pardon­nait; mais le peuple le renversa, en tirant la corde qu'il avait au cou. Alors le bourreau lui fendit le ventre des deux côtés et replia la peau sur l'estomac: ce que ce saint homme ayant senti, il mit la main gauche sur ses entrailles, et, la voyant ensanglantée, il la laissa retomber, et, levant la main droite, il fit le signe delà croix, disant : « Jésus, Jésus, Jésus, merci ! » Spectacle dont, malgré mon indignité, j'ai été témoin, car j'avais la main sur son front; plu­sieurs protestants entendirent la prière du martyr et y firent beau­coup d'attention. Tous les catholiques furent écartés par la foule

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turbulente, excepté moi, qui ne l'abandonnai jamais, jusqu'à ce que sa tête fût séparée de son corps. Pendant qu'il invoquait ainsi Jésus, le boucher lui enleva un morceau de foie, au lieu du cœur, fouil­lant dans les entrailles pour voir si ce cœur ne s'y trouvait pas ; en­suite, avec son couteau, il torturait le corps du bienheureux mar­tyr, qui invoquait Jésus. Sa patience était admirable; quand sa langue ne put plus articuler ce nom de Jésus, qui donne la vie, ses lèvres se remuaient encore et ses gémissements concentrés témoi­gnaient de ces lamentables tourments que pendant plus d'une heure il endura. Je crus que mon cœur serait arraché de mon corps en lui voyant endurer des maux si cruels, les yeux tournés vers le ciel et vivant encore. Je n'y pus tenir et je criai contre ceux qui le tour­mentaient; sur quoi, une pieuse dame, entendant dire qu'il était encore vivant, alla trouver le shériff, et le supplia de faire finir le supplice du prêtre. A sa prière, le shériff ordonna de couper la tête du martyr : alors, avec un couteau, on lui coupa la gorge et avec un couperet de boucher, on sépara la tête du tronc (1). » Le récit continue par des scènes où éclate le génie des antropophages héré­tiques. On jette au feu le cœur du martyr ; on joue à la boule avec sa tête; on pique des morceaux de bois dans ses yeux, dans ses oreilles, son nez et sa bouche. Il faut voiler ces abominables souvenirs. Ce martyr mourut le 19 août 1602, dans sa cinquante-septième année ; c'est ainsi que l'Angleterre traitait les saints du Seigneur, sous le gouvernement d'un roi que nous verrons, dans six ans, à l'échafaud.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon