St Jean Chrysostome 30

Darras tome 12 p. 2

 

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§ I. Mort des persécuteurs de Chrysostome.


1. La mort de saint Jean Chrysostome ouvrait une période de crimes, de révolutions et de bouleversements, qui devait se terminer par la chute de l'Empire. Ce n'est jamais impunément qu'une société se joue des lois les plus sacrées et foule aux pieds la justice, la vérité, le droit. Nous avons encore les énergiques protestations  du pape  saint Innocent I, adressées à Arcadius 1. Elles

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1. Cf. Theodor. Trimithunt., De Vita et exsilio S. Joan. Chrysost., cap. XïVI et Beq. ; Baron., ad ann; 497.

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furent inutiles, ou plutôt elles provoquèrent de la part de cet empereur des persécutions nouvelles. Un édit promulgué dans tout l'Orient portait ces mots : « Si quelqu'un des évêques refuse de communiquer avec Théophile d'Alexandrie, Porphyre d'Antioche, et Atticus de Constantinople, qu'il soit chassé de son église et que tous ses biens soient confisqués.1 » Ces rigueurs furent bientôt vengées par la justice divine. L'impératrice Eudoxia fut la première atteinte. La prophétie du bienheureux Paul, évêque de Craté, s'accomplit pour elle au pied de la lettre2. Dans la fleur de sa beauté, dans tout l'éclat de sa puissance, elle disparut subitement de la scène du monde. « Le 30 septembre, sous la consulat d'Honorius et d'Aristœnetus (404), dit l'historien Socrate, un ouragan épouvantable sévit sur la cité de Constantinople et sur les campagnes voisines. De mémoire d'homme on ne se souvenait pas d'avoir vu rien de si prodigieux. De toutes parts on disait que ce désastre était le châtiment providentiel de l'injuste déposition de Chrysostome. Quatre jours après, Eudoxia expirait dans les douleurs de l'enfantement, après avoir vu arracher de ses entrailles un fruit déjà frappé de mort3. » Cyrinus de Chalcédoine, l'un des quatre prélats qui avaient assumé sur leur tête la responsabilité de l'exil de Chrysostome, eut un sort plus misérable. «Durant les séances du conciliabule du Chêne, dit Socrate, l'évêque de Mésopotamie, Maruthas, avait par mégarde marché sur le pied de Cyrinus. Cet accident insignifiant en soi-même eut des conséquences terribles. Une affection gangreneuse se développa. Il fallut couper le pied, puis la jambe au genou, puis la cuisse. La gangrène se reporta sur l'autre jambe et nécessita trois nouvelles amputations, jusqu'à ce qu'enfin le corps entier, envahi par l'ulcère, se décomposât tout vivant4. » Sévérianus de Gabala, Porphyre d'Antioche et les autres prélats persécuteurs

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1 "Et 7<ç O'j y.'jtvcovcï tûv è-K7y.Ô7:wv 0eoçt)<j> xai IIopçupîijj xatt 'Attiv-Ç , ttjs- ixév *Exy.)-,Tïïo:; iv.êaîiuOu, r/jç S; iôîa; ToW npafiiaTwv oùffîa; fiTixéiOw. Pallad., Diatoj, de vit. S. Jonn. Càrysost., cap. xi; Patrol. grœc, tom. XLVII, col. 55.

2. Cf. tom. XI de cette Uist., pag. 566. — ' Socrat., Hist. ecctes., lib. VI, «ap. six; Sozomea., lib. VIII, cap. xxvn. — » Id., ibid.

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eurent une fin non moins tragique. L'un se brisa le crâne, en tombant du haut de l'escalier de son palais ; un autre, jeté à terre par
son cheval, mourut sur le coup ; un autre vit se dessécher les quatre
doigts de la main droite dont il avait souscrit la condamnation
du saint ; un autre enfin, comme jadis Antiochus, fut rongé vivant
par les vers. Arsacius, l'ambitieux vieillard qui avait osé s'asseoir
sur la chaire usurpée de Constantinople ne devait guère survivre
à l'impératrice Eudoxia. L'Église d'Orient ressemblait à une vigne
dévastée par l'ennemi. Cependant les fléaux extérieurs se succédaient avec une continuité effrayante. Le 1er avril 406, une moitié
de la ville de Constantinople s'écroula dans les secousses d'un
tremblement de terre; les vaisseaux furent brisés dans le port;
les vagues de la mer envahirent la cité et roulèrent les cadavres
dans les plaines de l'Hebdomon. La même année, des nuées de sauterelles s'abattirent sur l'Afrique, la Syrie et la Palestine, en telle
quantité que les récoltes furent anéanties. Plus redoutables et
presque aussi nombreux, les barbares se répandirent sur les frontières, ajoutant le pillage et l'incendie aux horreurs de la famine
et de la peste.


        2. Arsacius, le vieillard octogénaire qui avait usurpé avec une ambition sénile le siège de Chrysostome, succomba quelques mois après. Les diacres de l'Eglise byzantine lui avaient remis l'état détaillé et exact des richesses mobilières et immobilières des diverses basiliques. Ce document rétablissait la vérité contre les assertions calomnieuses du conciliabule du Chêne. Les prétendues malversations de Chrysostome s'y trouvaient démenties par le fait incontestable qu'aucun des objets appartenant à l'Église n'avait été détourné de sa destination. Arsacius en mourut de douleur et de honte. Cet événement, où éclatait le doigt de la Providence, aurait dû éveiller de légitimes scrupules dans l'esprit du clergé de Constantinople. Il n'en fut rien. On ne songea qu'à remplacer l'intrus par un autre, et les brigues les plus scandaleuses se produisirent à cette occasion. Les concurrents qui se disputèrent la candidature, dit Sozomène, y mirent un tel acharnement, qu'il leur fallut quatre mois entiers pour arriver à s'entendre. Enfin les suffrages

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te fixèrent sur Atticus, prêtre byzantin, qui s'était signalé parmi les plus ardents ennemis de Chrysostome. Atticus était né à Sébaste, en Arménie. Sa jeunesse s'était écoulée dans un monastère où l'évêque Eustathe avait introduit l'hérésie Macédonienne. Atticus comprit de bonne heure qu'il n'avait rien à gagner en s'obstinant à une erreur surannée, autour de laquelle ne rayonnait plus ni la faveur de la cour, ni celle de l'opinion. Il se donna le mérite d'abjurer, et commença par cet acte éclatant à fixer sur lui l'attention des catholiques. Le savoir faire était son unique science; il remplaçait par l'esprit d'intrigue et la souplesse du caractère l'esprit de Dieu auquel il ne songeait pas alors et l'érudition ecclésiastique dont il se souciait encore moins. Ses discours étaient si médiocres et si faibles, ajoute Sozomène, que les tachygraphes auraient cru perdre leur temps à les reproduire. Cependant une telle infériorité, succédant presque immédiatement à la réputation oratoire de Chrysostome, formait un pénible contraste. Atticus lui-même en paraissait comme accablé. Il faisait effort pour donner un peu d'élégance à son langage, et prenait la peine de lire à ses heures perdues quelques auteurs accrédités, dont il enchâssait les citations dans ses discours, afin d'en relever la monotone stérilité. Mais ces expédients n'aboutissaient qu'à mettre davantage son ignorance en relief; il en prit donc son parti. En compensation, il affectait vis à vis des puissants une servilité toujours prête, et usait de son crédit pour accabler de sa haine et de ses vengeances les amis restés fidèles à la mémoire du grand patriarche. « Or, continue l'historien l, l'évêque de Rome, Innocent, continuait à lutter en faveur de Chrysostome et de sa mémoire. Ses lettres devenaient de plus en plus pressantes. Une ambassade de dix évêques, cinq d'Orient et cinq d'Occident, auxquels il adjoignit deux prêtres de l'Église romaine, vint de sa part trouver Arcadius à Bysance, et réclamer la prochaine convocation d'un concile général, où ce grand procès pourrait enfin être canoniquement jugé. Mais les légats du pape furent congédiés ignominieusement. Les courtisans

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1 Sozooien., Hisl. ecclcs., Ub. VfH, cap. xivni.

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disaient que la prétention du pontife de Rome était injurieuse pour l'empire d'Orient et outrageante pour la majesté de l'empereur. »

   

3. Les efforts de saint Innocent Ier pour amener la convocation d'un concile œcuménique se brisèrent donc contre un double écueil : d'une part, la résistance absolue de la cour de Constantinople ; de l'autre, les révolutions politiques de l'Occident, dont il nous faudra retracer bientôt les émouvantes péripéties. L'impuissance du vicaire de Jésus-Christ fut peut-être ménagée par la Providence, pour mieux faire éclater dans les événements eux-mêmes l'action de la justice souveraine qui se réserve de temps en temps le châtiment des grands crimes. Tous les personnages qui, à un degré quelconque, avaient trempé dans l'injuste condamnation de Chrysostome, expièrent promptement leur forfait. Le plus coupable, sans contredit, était le patriarche Théophile, dont la mémoire restera à jamais souillée devant Dieu et devant les hommes du sang le plus pur et le plus innocent. Ses intrigues avaient triomphé de tous les obstacles ; il pouvait s'applaudir du succès comme d'une victoire. Il n'avait pas seulement tué Chrysostome, comme jadis les princes des prêtres avaient crucifié le Sauveur ; sa vengeance avait été plus prévoyante et, si l'on peut le dire, plus prolongée. Il ne tint pas à lui que la mémoire de Chrysostome, ce grand saint, ce génie incomparable, ne demeurât flétrie pour la postérité, comme elle le fut un instant par le conciliabule du Chêne. Voici en quels termes il annonçait à saint Jérôme la condamnation et l'exil du grand archevêque de Constantinople : «A son très-aimé et très-aimant frère Jérôme, Théophile, salut dans le Seigneur. — Les jugements dictés par la vérité ont tout d'abord à lutter contre la défaveur du public « Ma sentence a brillé comme l'éclair 1, » dit le Seigneur par la voix du prophète. Il n'est donc pas étonnant que la foule, assise dans les ténèbres, soit d'abord comme aveuglée par la clarté subite des manifestations de la justice   divine.   Mais le  rayonnement   de la vérité   couvre

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1. Isa., li, 4.

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plus tard ses détracteurs d'une honte éternelle. Tous leurs efforts se brisent dans une impuissance suprême. Certes, nul plus que moi n'a fait de démarches et de prières pour ramener à Dieu l'évêque Jean, naguère pasteur de l'église de Constantinople. J'ai refusé longtemps d'ajouter foi aux accusations qui se formulaient contre lui, et que son imprudence provoquait chaque jour: car on eût dit qu'il se plaisait à courir lui-même à sa perte. Mais enfin je dus céder à l'évidence, lorsque, sans parler de ses autres crimes, je le vis admettre dans son intimité des origénistes notoires; lorsque, surtout, il poussa l'impudence au point de conférer le sacerdoce à un grand nombre d'entre eux ; lorsqu'enfin, ne gardant plus de mesure, il rompit avec l'homme de Dieu, Épiphane, cet évêque de bienheureuse mémoire, cet astre du ciel de l'Église, cet auguste vieillard dont il remplit le cœur d'amertume. L'oracle prophétique s'accomplit alors. On put répéter la parole d'Isaïe : Cecidit, cecidit Babylon magna1. Pour moi, je ne perdis jamais de vue le précepte évangélique : «Gardez-vous de juger suivant les apparences, songez à juger selon la justice2. » — La lettre de Théophile dont il ne nous reste plus que ce court fragment, était accompagnée d'un gros volume rempli d'accusations infamantes contre saint Jean Chrysostome. Cette œuvre de passion et de rage avait été composée à loisir par le patriarche d'Alexandrie et rédigée en grec, seule langue qui lui fût familière. Il s'agissait de décider saint Jérôme à faire pour cette diatribe ce qu'il avait fait naguère pour les lettres pascales, c'est-à-dire à la traduire en latin. Nul doute qu'en la revêtant de son style énergique, le Juvénal chrétien ne donnât une vie immortelle à l'élucubration du fougueux patriarche. Dans sa bonne foi absolue, et véritablement naïve à force de simplicité, Jérôme accepta la tâche qui lui était proposée. Voici sa réponse : « Au très-bienheureux pape Théophile, Jérôme. — J'ai tardé bien longtemps à vous retourner, traduit en latin, l'ouvrage grec que m'avait transmis votre Béatitude; c'est que mille obstacles sont venus se jeter à la traverse : une invasion

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1 Isa., xxt, 9.  — 2. Tueoplii!., Ad Hiei-onym.; Pair, lot., tom. XZ1J, col. Î32. 933.

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subite des Isaures ; la dévastation de la Phénicie et de la Galilée; les terreurs qui ont bouleversé toute la Palestine et en particulier la ville de Jérusalem. On ne songe guère à écrire des livres, quand tout le monde travaille à édifier des remparts. Joignez à cela les rigueurs d'un hiver implacable, une famine affreuse pour tous, mais encore plus pour moi, qui dois pourvoir à la substance d'un monastère si nombreux. Parmi toutes ces angoisses, à peine si j'ai pu dérober quelques heures furtives durant les nuits pour jeter à la hâte sur des feuilles éparses l'ébauche de notre traduction. Enfin je terminai ce premier travail ; il ne me restait plus qu'à le collationner et à le transcrire. Je comptais y consacrer les journées de la sainte quadragésime (carême). Mais je fus alors saisi d'une maladie violente qui me mit aux portes du tombeau. Grâce à la miséricorde divine et à vos saintes prières, me voici sauvé. Peut-être la Providence ne m'a-t-elle accordé cette faveur que pour me laisser le temps d'exécuter vos ordres, et me permettre de reproduire en langue latine le savant ouvrage où vous avez semé les plus belles fleurs de la sainte Écriture. Malheureusement la maladie, les chagrins ont émoussé la pointe de mon intelligence, et mon style alourdi se ressent trop de ces tristes influences1. »

 

4. Loin de croire, comme saint Jérôme, que tant de difficultés vaincues, pour arriver à parfaire la traduction du pamphlet de Théophile, aient été une preuve indirecte de la bénédiction divine attachée à l'œuvre elle-même, nous sommes frappés au contraire de cette succession ininterrompue de désastres qui frappèrent le traducteur dans un intervalle si court. Il semble que la Providence ait voulu arrêter la main de Jérôme, autant de fois qu'elle se portait vers cette oeuvre ténébreuse. Quoi qu'il en soit, nous ne possédons aujourd'hui ni le texte grec de cette diatribe, ni la version qui coûta tant de labeurs au solitaire de Bethléem. Cette perte est regrettable. On aimerait à connaître dans le plus grand détail les accusations calomnieusement élevées et perfidement mainte-

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1. S. Hieronyœ., Episl. csivj Pair, lai., toin. cit., pag. 933.

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nues par une savante intrigue contre la mémoire à jamais illustre de Chrysostome. Peut-être un jour ce document de l’antiquité se retrouvera-t-il. En attendant, nous pouvons nous en faire une idée générale par une douzaine de phrases textuellement empruntées à la traduction latine de saint Jérôme, et insérées dans la Defensio trium capitulorum de Facundus, évêque d'Hermia (547). Théophile disait : « L'esprit immonde qui suffoquait Saul est passé dans l'âme de Jean, afin de persécuter les fidèles de Jésus-Christ. Il a mis à mort les ministres saints1 — Cet homme souillé de tous les crimes a fait asseoir l'impiété dans l'Église des premiers-nés ; cet insensé pestilentiel, ce tyran furieux, dans sa démence tirait vanité de sa folie et livrait son âme à l'adultère de Satan 2. — Il fut vraiment l'ennemi du genre humain ; son audace a dépassé les brigands eux-mêmes en scélératesse. Prince des sacrilèges, il n'offrait que des oblations souillées, il s'était fait un sacerdoce d'impiété et un front qui ne savait plus rougir3. — De même que Satan se transfigure en ange de lumière, ainsi Jean avait l'art de paraître ce qu'il n'était pas4. — Roulant le flot de ses blasphèmes comme un torrent plein de fange, il renouvela la trahison d'Iscariote contre Dieu et son Christ5. — Il étendait vers le ciel des mains impures. Il appliquait à Jésus-Christ les paroles que l'apôtre saint Jacques adresse aux hommes épris des convoitises du siècle : « Vous demandez et ne recevez point, parce que vous demandez mal6. » — Il osait affirmer en pleine église que

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1. Fralres Joannes persequi/ur iumiun'lo spintu quo suffnculj'ilur Sun'. Sn>v~ lorum ministros necavit. (Theo^Ui!. cit. a Facuud. Herwiau., Dejenstu ir.um capitul., lib. VI, cap. V; Patr. lai., tom. LXV'II, col. 371.)

2.Conlaminalum et in Ecclesia primitivorum impium, peslilentem vesinum et ly> rannicœ mentis insania faribundum, alque in sua vesania glorianttm, animant suam adulterandam tradidit diabolo. (Ibid.)

3. llumanitatis hostem et qui scelcre suo laivonum vicisset audaciam, sacri!e~ gorum principem, et sacerdotium agentetn impium, alque oblatioxet sacrilèges offerentem, procacem et frontis durissimœ. (Ibid.)

4.         Sirut Satanas transfiguravit se in angelum lucis, ita etiam Joannes non esset quoi ttdebatur. (Ibid.)

5.         More torrenhs trahentem verborum spurcitiam in Christum, Judée (radlcorit eonsortem. (Ibid.)

6.      In Deum manus impias extendisse, et quod Jacobus aposioivi de quibusdqm

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la prière de Jésus-Christ sur la croix n'avait point été exaucée parce que cette prière était mal faite. S'est-il jamais rencontré un hérétique qui ait proféré un plus horrible blasphème1 ? — Complice de l'impiété juive, il profanait les saints mystères, trompant le peuple et renouvelant les forfaits de Dathan et Abiron 2. — Les Ariens, les Eunoméens triomphent des outrages que Jean accumulait contre le Christ. Jamais ni la fureur des enfants de Jacob, ni l'impiété idolâtrique n'approcheront des blasphèmes de Jean 3. — Non, il n'est pas chrétien, ce tyrannique oppresseur de l'Église de Constantinople ! Ses crimes ont dépassé ceux des rois babyloniens ; il a affiché une scélératesse inconnue à Balthazar lui-même et aux plus effroyables monstres de l'histoire païenne4. — C'est donc avec justice que le Seigneur a prononcé sur lui l'anathème : Tollite Joannem, et mittite in tenebris exteriores5. — Contre un pareil coupable la flétrissure présente ne serait pas assez ; il faut des châtiments éternels pour des siècles qui ne finiront pas6. — Ses crimes ont allumé au pied du tribunal de Dieu des foyers inextinguibles7. — La justice céleste a dû chercher des supplices nouveaux pour des forfaits qui défient tous les tourments 8. » -- « Voilà, dit Facundus, le portrait de Chrysostome, tel que Théophile voulait le léguer aux âges futurs, par la plume de saint

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reruni mundanarum cvpidii dixit : Pelitis et non accipith eo quod mole pelitis. Jouîmes dixit de Christo. (lbid.)

1 Ausus est diceie in Ecclesia quod Christus oraverit et non fuerit exauditut quia no» bene oraverit. Quis hartlicorum delerius blaspltemnuit? (lbid.)

2. Consortio Judaicis impietatis semetipsum tradidisse, et offerre temeritate jto-
lita quod obtulerunt Jndœi, seipsum ac populos decipientem, et Dathnn aique
Abiron œmulatorem. (Ibid.)

3.  An'ani et Eunomiani contra Christian Joannis blnsphgmiis deleetantvr : Judœi
et idolloatrœ iustifienti sunt tua eomparatione gentiles. (lbid.)

4. Non soium ne '.si christinnus Jonnnes, sed pejor est rege Bnbylrmin, mnlto
rxlerahor quar.i , I llhasar, idolatris et etlinicis sceleratior est Jonnnes (lbid.).

5.Salvator ctamjvil et dixit : Jollite Joannem, et mittite in tenebrus kxteriores. (Ibid )

6 libi pressens ignominia ; œterna in futuris sctculis pœnn reddetur. (Ibid.)


7. Largissimos 'omites aide tribunal Dei suo miuistravit incendio. (Ibid.)

8. Alia pœna ei queerenda est, eo quod vinceret sceleris magnitudo mul titudinem
tormentorum. l'bid.)

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Jérôme. C'est donc ainsi que les plus grands génies, les lumières de l'Église ont leurs éclipses; ou plutôt c'est ainsi que parfois la clarté de ces astres étincelants est interceptée par les nuages de l'ignorance ou des faiblesses humaines 1 ! » Saint Jérôme eut-il le temps, avant sa mort qui était prochaine, de découvrir la vérité et de connaître l'intrigue abominable dont il se fit le complice involontaire et inconscient? Cela est fort douteux. Dans une lettre à saint Augustin, le solitaire de Bethléem rend un magnifique hommage au génie de Chrysostome ; il s'appuie de son autorité pour l'interprétation d'un texte des Actes des Apôtres 2. Mais il paraît que la date de cette épître est antérieure à la condamnation du grand évêque de Constantinople, et par conséquent à la traduction du pamphlet de Théophile. Dès lors saint Jérôme n'aurait appris qu'au ciel l'innocence, les mérites et la gloire de son illustre contemporain. Quoi qu'il en soit, ces défaillances personnelles, dont la sainteté elle-même ne garantit pas toujours, sont, à notre avis, la meilleure preuve de la nécessité au sein de l'Église d'un tribunal infaillible, chargé de redresser les erreurs des uns, les préjugés des autres et les faiblesses de tous.

 

   5.   Théophile  survécut  quatre  ans  encore  à sa victime.  Le triomphe avait calmé quelque peu sa colère vis a vis des évêques d'Asie demeurés fidèles à la mémoire de Chrysostome. Il écrivit même à Atticus, le nouveau titulaire de Constantinople, pour l'engager à procurer le retour dans leurs diocèses des prélats exilés. Mais il demeura inflexible sur le fond même de la question, et ne voulut jamais consentir à laisser le nom de Chrysostome figurer sur les diptyques de l'Église orientale. Vainement le souverain pontife Innocent Ier déclara tout lien de communion rompu avec les églises d'Orient, tant qu'une réparation solennelle ne serait point intervenue. Vainement l'empereur lui-même et la majeure partie du clergé et du peuple, en Asie et en Egypte, réclamèrent cette justice posthume. Instruit trop tard de l'indigne abus qu'on avait fait de sa puissance et de son nom pour consommer un crime épouvantable,

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1 Facundus, loc. cit., col. t>78, 079. — s S. Hieronym., Epist. exu; l'air, lot., toui. XXII, col. 919.

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p12   PONTIFICAT DE  SAINT INNOCENT  I   (401-417).

 

   Arcadius avait déploré sa faiblesse et regretté amèrement la confiance qu'il avait accordée autrefois à l'impératrice Eudoxia. La mort de ce prince, que nous aurons bientôt à enregistrer, ne changea rien à ces nouvelles dispositions de la cour de Constantinople. Le jeune Théodose, son fils, joignit de même ses instances à celles du pape pour faire rétablir le nom de Chrysostome sur les diptyques de l'Église de Constantinople. C'était en quelque sorte un procès en canonisation poursuivi par la conscience publique et par la double autorité du sacerdoce et de l'empire. Mais la terreur qu'inspirait Théophile était telle que le nouvel évêque de Constantinople, Atticus, ce courtisan d'ailleurs si souple, préféra résister sur ce point aux vœux légitimes du pape, de l'empereur et du peuple tout entier, plutôt que de s'exposer au courroux du patriarche d'Alexandrie. Enfin la main de Dieu s'appesantit sur cette tête orgueilleuse et rebelle que ni l'excommunication du souverain Pontife, ni l'animadversion du monde n'avaient pu courber. La mort se présenta au patriarche accompagnée d'épouvante et d'horreur. Songeant aux massacres de la Thébaïde, à l'incendie allumé par ses mains dans les cellules de Nitrie, il se représentait la figure vénérable du solitaire saint Arsène. « Ah ! s'écriait-il, que n'ai-je, comme lui, passé ma vie à me préparer une mort bienheureuse1 ! — Dans son délire, il répétait le nom de Chrysostome. Il voulait le revoir. Qu'on me délivre de ces tortures! s'écriait-il. Mon âme ne saurait échapper à tant d'angoisses, ni briser les liens qui la retiennent dans ce corps de douleur, si l'on ne me montre Chrysostome ! — Enfin on lui apporta une image de la noble et sainte victime dont il avait été le bourreau. Il approcha convulsivement ses lèvres de cette figure sacrée, la baisant avec transport (nçoGxuvrisa; aOir.v) ; et il expira2. » Il y avait vingt-sept ans qu'il gouvernait ou plutôt qu'il tyrannisait les Églises d'Egypte, comme métropolitain, et celles de toute l'Asie, comme patriarche (412).

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1.VUcf. sanct. Patr., lib. V, cap.  ni; Patr.  ht., tom. LXXI1I, col. 861. — *  Joan.   Damascen.,  De Imaginibus,  Orat.   Illj   Pair,  grue,   tom.  XCIV, col. 1410.

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