Anglicans 1

Darras tome 34 p. 369


§. IV. L'ANGLICANISME SOUS EDOUARD VI ET SOUS LA PRINCESSE MARIE

 

   67. L'anglicanisme a, dans la cohue des sectes protestantes, une place à part et une physionomie propre. C'est, comme  système re­ligieux, une théorie contradictoire, une   thèse bâtarde, une œuvre de poltronnerie. À l'origine, on est plutôt shismatique qu’hérétique, mais on rejette le pape pour le remplacer par le roi ; du reste, on anathématise les sectes du  continent. Ensuite tout en gardant la papauté laïque du prince, on  coule au  libre examen, aux   idées  de Calvin et de Zwingle. On est libre  penseur et l'on a  des articles de foi  obligatoire ; on  répudie l'autorité en matière de  religion et l'on trouve   moyen   de fulminer contre   les hérétiques. On se flatte  de garder un certain   décorum ; et le   système anglican. Dans son origine, n'est que le produit net des trois concupiscences, l’orgueil, l’avarice et surtout l'impureté. Il   est plus vil encore dans le choix des instruments  de   sa propagande :   Cranmer  et   Cromwell   sous Henri VIII ; Somerset   Northumberland, sous Edouard ; Leicester, Cécil, Walsingham sous Elisabeth, sont  tous   figures de misérables. Les moyens de succès ne sont plus seulement vils, ils font horreur. C'est, contre les choses eccclésiastiques, le brigandage en grand, et contre les personnes, la torture, les poulies, le gibet et le bûcher. Au point de vue théologique, la secte anglicane est shis-

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matique, puisqu'elle s'est séparée de l'unité  catholique ; pour se soustraire à l'opprobre de la séparation, elle a imaginé que l'Eglise se formait de diocèses indépendants les uns des autres ; qu'un cer­tain nombre de diocèses pouvaient légitimement former une église nationale ; et qu'enfin les églises nationales se rattachaient à trois branches : l'église  romaine, l'église orientale et l'église d'Angle­terre. Mais, même en acceptant ces allégations  fautives, on n'arrivait encore qu'à une feinte unité et avec ces églises-branches on ne voit pas qu'on puisse faire autre chose que  des fagots de bois sté­rile. L'Eglise anglicane est, de plus, hérétique : en niant l'infaillibi­lité de l'Eglise, elle a professé l'hérésie-mère ; de là, elle a anéanti le corps des Ecritures, renversé l'Eglise et ruiné la divinité de Jé­sus-Christ. L'église anglicane est donc absolument protestante, elle repose sur la  raison, non sur la foi ; elle  admet le libre examen avec des formulaires pour prévenir ses écarts, mais elle a ses variations et doit s'abîmer dans le rationalisme. Quant  aux caractères de contradictions qui l'accablent, elle est, à la fois, du moins elle le croit, autoritaire et libre-penseuse ; elle devient une institution hybride, faite de compromis sans logique, qui l'isolent dans  le monde et la laissent à sa lente décomposition. Pour réagir contre les éléments de ruine, elle s'est fait l'esclave du  pouvoir civil ; elle s'est associée à l'aristocratie anglaise ;  mais le zèle apostolique manque à son clergé, les masses ne s'occupent pas des pasteurs et l'existence élégante de ces gentlemen d'église n'est, pour le peu­ple, ni lumière, ni  sel. De plus, dans toutes les questions de foi, elle est   muette : que le monde se pervertisse et s'égare,  elle n'en a cure. Dans toutes les questions de liturgie, elle ne sait pas se prononcer ; la piété lui fait totalement défaut. Au point de vue des résultats, elle a engendré mille sectes, elle a produit l'école rationaliste ;  elle  n'est point un boulevard  contre l'incrédulité. Dans ses missions, elle a dépensé beaucoup d'argent, placé beau­coup de Bibles, mais  n'a pas fait de conquêtes. L'Eglise anglicane est une vieille femme riche, qui n'a pas eu d'enfants et n'a pu même former une famille d'adoption.

 

   68. Le fils de Henri VIII et de Jeanne Seymour avait neuf ans et

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trois mois lorsqu'il  monta sur le trône en   1547. Proclamé roi le 31 janvier, couronné  le 20 février, il devait  régner sous la tutelle d'un conseil de régence, composé de seize membres désignés par le testament de son père. Comme tous les tyrans couronnés, Henri VIII avait vu une foule d'adulateurs ambitionner l'honneur d'accomplir ses ordres criminels. Mais autant  leur obséquieuse  servilité avait été lâche pour lui  obéir, autant   leur égoïsme impie les rendit prompts à violer son testament. Les seize exécuteurs testamentaires, qui venaient de prêter  à Henri VIII  serment « de faire tous leurs efforts pour assurer et effectuer l'exécution de son testament, » en transgressèrent la disposition principale, en accordant  au comte de Hertford, oncle du jeune monarque, une autorité supérieure dans le conseil. Au titre de duc de  Somerset, qu'ils  lui  donnèrent, ils ajoutèrent ceux de protecteur du royaume et de gardien de la per­sonne du roi. Le motif de ce  changement, c'était la  haine de l'or­thodoxie. Tout en se séparant de l'Eglise romaine, Henri VIII s'était efforcé d'en garder  intactes les croyances : soit par orgueil de ses convictions, soit par vertu de foi, il s'était contenté d'abolir la su­prématie du Pape, sans porter la main sur le symbole. Quel que soit le motif de sa fidélité, la révolte devait porter ses fruits : après les vents, les  tempêtes. Par un  terrorisme sans pitié, il avait pu, durant sa vie, imposer silence aux  partisans secrets  de Luther et de Calvin ; à sa mort, la situation devait changer ; le schisme impli­quait l'hérésie. Somerset, Zwinglien déclaré et confident de l'hypo­crite  Cranmer, était l'homme qui  devait ouvrir  la voie aux  idées novatrices et associer l'aristocratie anglaise  aux brigandages de la royauté. Aussi, dès le début, le nouveau  règne s'annonça-t-il sans pudeur avec le  triple caractère de  fourberie, d'hétérodoxie  et de rapacité sacrilège. «Un enfant sur le trône, dit excellemment l'abbé Destombes, à ses côtés un  précepteur  calviniste, Cranmer sur le siège métropolitain de Cantorbéry, et le duc de Somerset au pou­voir; autour d'eux, des  courtisans  sans foi et  sans mœurs, aussi avides de voluptés que de titres, et portés à défendre aujourd'hui, pour obtenir la faveur d'Édouard VI, l'hérésie qu'ils poursuivaient naguère à outrance, pour conserver celle de Henri ton père. Epoque

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honteuse et vénale, où tous les sentiments nobles et généreux sem­blent avoir abandonné une partie de la nation anglaise1. Ce fut donc sous Edouard VI que s'accomplit, dans le sens protestant, la soi-disant réforme de l'Angleterre : cette réforme, c'est la mise au pillage de la vieille Angleterre. Les catégories de vol se détermi­nent par les catégories de négations. L'enfant-roi ne saurait être accusé du bouleversement effectué sous son règne dans l'ordre des croyances et par la mise à sac de l'Angleterre. Dans un âge si ten­dre, il ne pouvait rien savoir en fait de religion ; il se contenta de donner sa signature. Le promoteur de ce crime de lèse-nation, Somerset, commença par distribuer à ceux qu'il voulait angarier (embrigader ?) dans son entreprise, les titres, les charges honorifiques et les biens des églises. Toutes les passions semblaient conjurées pour associer la noblesse et une partie du clergé à la poursuite d'une réforme im­pie, où l'on ne voit que des forfaits.

 

   69. Cette fois encore, Cranmer devait diriger l'attaque. « Cranmer, dit Burnet, maintenant délivré de cette sujétion trop redou­table, sous laquelle, il avait été tenu par Henri, résolut de marcher plus vigoureusement dans l'extirpation des abus. Il avait pour lui le protecteur, qui lui était intimement lié pour ce dessein2. » A l'entendre, Henri VIII avait été, suivant Cranmer dans son homélie sur les bonnes œuvres, « un véritable serviteur de Dieu, pour dé­truire toutes les superstitions et sectes pharisaïques, inventées par l'antechrist, pour relever la vraie parole de Dieu, la gloire de son nom très béni, comme il en donna autrefois la pensée aux très nobles princes Josaphat, Josias et Ezéchias. » Or, c'est l'œuvre de ce roi que Cranmer et ses complices vont détruire, et l'hérésie qu'il poursuivait à outrance, Cranmer va l'établir dans tout le royaume. Le jour même du sacre, le lâche métropolitain laissait déjà percer son dessein. Au lieu du sermon d'usage, il fait un discours dont voici la substance. En premier lieu, il déclare que le droit de roi pour gouverner ne dépend pas de quelque engagement pris à son couronnement ; que sa couronne lui a été donnée par le Dieu tout-

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1   La persécution religieuse en Angleterre, Introd. p. 41.

2   Burnet, Ilin. of Réform. t. il.

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puissant, et qu'elle ne peut, pour faute commise dans l'administra­tion, être confisquée soit par l'Eglise, soit par l'Etat. Puis le prélat suggère au jeune prince, âgé de neuf ans, qu'étant lieutenant de Dieu et le vicaire du Christ dans ses états, il est obligé de suivre l'exemple de Josias, de prendre soin que le culte de Dieu soit bien réglé, d'extirper l'idolâtrie, de rejeter les images, de s'affranchir de la tyrannie de l'évêque de Rome. Par de belles paroles, le primat d'An­gleterre livrait son église aux caprices d'un enfant et aux appétits de la cour. Ah ! ce n'est pas ainsi qu'avaient parlé Lanfranc, S. Anselme , S.Thomas Becket, Etienne Langton et tant d'autres archevêques or­thodoxes de Cantorbéry. La couronne seule était investie du pouvoir et du droit de réformer l'Eglise d'Angleterre. Cette réforme fui com­mencée et continuée, sous le couvert du roi, par l'archevêque Cranmer, assisté d'un petit nombre de théologiens triés sur le volet. Les membres du clergé, réunis en convocation, ne l'introduisirent qu'en tant qu'ils furent dirigés et intimidés par leurs supérieur, car ils n'y consentirent point jusqu'à ce qu'on les eût formés selon les des­seins de la cour 1.

 

70. C'est donc de la cour que venait l'impulsion ; c'est à la cour que le zèle  pour la réforme se manifestait avec plus d'apprêts. Ce zèle, Hume en a fait la remarque, n'avait point sa source dans l'amour de la vertu, mais dans l'esprit de rapines. La cupidité se déchaîna avec une sorte de frénésie. Après avoir parlé des tenta­tives faites, dit-il, par quelques pieux ecclésiastiques et autres per­sonnages savants et religieux du clergé inférieur, qu'on admit a cause de leur conscience et de leur jugement, l'historiographe en quelque sorte officiel de la réformation en Angleterre, ajoute ces paroles significatives: « L'œuvre fut avancée avec un zèle et une ardeur égale ; mais non avec une égale intégrité et candeur chré­tienne par quelques hommes influents de la cour. Ceux-ci, sous pré­texte de repousser certaines corruptions, qui restaient encore dans l'Eglise, tournèrent leurs regards vers les chasses et les tableaux, objets conservés dans les églises luthériennes, et ils cherchèrent à

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1. Colui»,   Eccl. llist.   t. II, lit. in, p. 220 ; - Nul, llut.   o/ the   Puritn m, . Il, cli. 11.

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augmenter leur propre fortune avec les terres des fondations. Tous ces biens, ils se les distribuèrent sacrilègement entre eux, sans ad­mettre à ce partage, le pauvre monarque, bien qu'on déclarât ou­vertement qu'on n'avait d'autre intention, dans cette spoliation, des châsses et des tableaux, que de remplir les coffres du roi et d'aug­menter ces revenus par l'expropriation des autres biens.» L'accu­sation de Heylin est aussi grave qu'elle est générale, et peut-être que le vague même de son expression pourrait laisser, dans l'esprit du lecteur, quelque soupçon d'exagération. Mais ici les dépositions sont unanimes; à part les ravisseurs qui ne rougirent pas plus de leurs dénégations effrontées, que de leurs vols, tous les historiens élevèrent la voix pour condamner et flétrir comme elles le méri­taient, ces hideuses saturnales de la réforme anglicane. On n'avait encore rien vu d'aussi misérable dans le monde civilisé depuis les exploits héroïques, si bien décrits par Cicéron, du proconsul Verres en Sicile.
 

   71. Le premier exploit du chef éphémère de l'anglicanisme, fut de se bâtir un palais. Sur le champ, pour préparer l'emplacement et les matériaux de cette opulente demeure, on renversa trois mai­sons épiscopales, deux églises, une chapelle et une maison destinée à recevoir les corps pour la sépulture. Les tombeaux sont ouverts, les ornements sont retirés du lieu où ils reposaient depuis de longues années et transportés à pleins tombereaux jusqu'à Bloomsbury. Le protecteur de l'anglicanisme ne prévoyant pas que son logement dût être assez splendide, voulait encore abattre l'Eglise de Sainte-Marguerite ; mais il dut céder devant les menaces des habitants qui repoussèrent vivement les démolisseurs. Cet ingénieux homme vou­lait même faire tomber, sous le marteau, la magnifique église de Westminster. Dans sa pensée la cathédrale de Londres, située à proximité, devait suffire ; et puis les revenus de cette basilique étaient considérables, les bâtiments magnifiques, on en eût tiré de précieux matériaux. Heureusement l'indignation publique protesta contre cet acte de vandalisme, toutefois il fallut abandonner, à l'a­vidité de la famille, l'antique abbaye et les trente manoirs de sa mense. C'est alors que l'on vit les chevaux abreuvés dans le marbre

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des tombeaux, les débris des temples décorer le palais du puissant seigneur. Jamais pays chétien n'avait vu semblable ruine. A la vue de ces stupides sacrilèges, un long cri de douleur s'échappe des cœurs honnêtes. « Qui peut se souvenir sans tristesse et sans indignation, s'écrie Southey, de tant de monuments magnifiques qui ont été renversés dans cette tumultueuse destruction? Malmesbury, Balle, Waltham, Malvern, Lantovy, Rivaux, Fontains, Whalley, Kizkstall et tant d'autres églises, les plus nobles travaux de l'architecture, et les plus vénérables monuments des temps an­ciens, chacun en particulier la bénédiction des pays environnants et tous ensemble la gloire du Royaume ! Glastonbury, le plus res­pectable de tous ces édifices, encore moins par son incontestable antiquité que par les faits qui se rattachent à son histoire ; Glaston­bury, qui pour la beauté et la perfection de son architecture, était égalé par peu d'abbayes, n'était surpassé par aucune ; Glastonbury après que Somerset l'a dépouillée et ruinée, est changée en une manufacture, où des tisserands français et wallons, réfugiés pour la plupart, doivent exercer leur métier 1. »

 

72. Pendant que le pape intérimaire pillait les églises et les abbayes, que devenaient les évêques? Cranmer, jugeant sa déléga­tion à terme, demanda au roi de nouveaux pouvoirs. Puisque toute juridiction, même ecclésiastique, émane du roi, il était logique, en effet, de faire renouveler son diplôme de primat. Les autres évêques, qui avaient trahi lâchement leurs droits divins, espéraient, en livrant les biens de leurs églises, conserver un faible reste de leur siège déshonoré. Voisy, évêque d'Exeter, aliène quatorze des meilleurs manoirs de son évêché et grève les autres biens par des pensions et des baux a long terme, pour imposer silence à d'avides accusateurs. Kittchen de Llandaff, Salçot de Salisbury, Sampson de Lichtfield, afin de fléchir la cour qui les trouve trop tièdes, aban­donnent également une portion des biens de leur église. La seule cathédrale de Lichtfield, fournit à lord Paget, des ressources suffisantes pour se créer une baronnie. Ces lâches abandons ne  sauvè –

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1. l'rn:it IIkïli.i, llistory 0/ Heformution, préface. — Ur Southkt, Rook of tht Churc/i, t. Il, p. 121.

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rent point les évêques. Sous l'inspiration du primat, qui ne voulait avoir des suffragants qu'à sa mesure, ordre est donné à tous les évêques, toute juridiction cessant, de comparaître devant les visi­teurs royaux, pour prêter le serment de suprématie et jurer obéis­sance à toutes les injonctions réformistes d'Edouard. Le pape de douze ans a parlé ; on doit le reconnaître pour chef suprême de l'Eglise anglicane ; sinon, on est suspendu, déposé, frappé d'excom­munication majeure. Les évêques doivent faire profession de la doctrine selon que, de temps en temps, elle sera établie ou expli­quée par le clergé : dérision amère, car on ne comprend pas bien quel clergé doit définir des doctrines obligatoires pour les évêques, et l'on ne sait que trop que tout se fait au nom d'un enfant
roi. A l'exemple des enfants, il a ses caprices : d'abord il défend de prêcher sans permission; puis, pour faciliter la plus prompte diffusion de la lumière évangélique, il accorde la liberté de prê­cher à tous ceux qui se sentiront animés de l'Esprit de Dieu. Cette liberté dégénère bientôt en licence ; on la retire, et il n'y a plus, dans tout le royaume, que deux personnes qui puissent ouvrir la
bouche aux prédicateurs, Edouard et Cranmer. Cette permission, ils la refusent, et, pour la première fois depuis douze siècles, la prédication reste suspendue, par ordre royal, dans toute une na­tion chrétienne. Une déclaration royale apprend que le prince s'oc­cupe de rédiger un symbole qui fera disparaître toutes les matières de controverse ; en attendant, silence aux apôtres de la cou­ronne !

   73. Le premier article du nouveau symbole fut le pillage des bibliothèques. Les disciples de Calvin et de Luther procédaient comme les séides de Mahomet et les soldats d'Omar. Sous prétexte que les vieilles bibliothèques renfermaient des livres contraires aux nouvelles doctrines, ordre fut donné de s'appliquer à leur expurga­tion. On commença par Westminster. Les commissaires chargés de l'opération avaient à en retirer tous les livres orthodoxes, missels, légendaires et autres ; les garnitures et ornements devaient appar­tenir à sir Antoine Aucher. « Or, dit l'historien Collier, ces livres en grand nombre étaient plaqués d'or et ciselés d'une manière remar-

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quable. Ce fut là autant que nous pouvons en juger, la superstition qui les fit détruire. La cupidité ne se déguisa que faiblement et les courtisans montrèrent d'une manière manifeste l'esprit qui les ani­mait. Les bibliothèques d'Oxford, continue le même historien, su­birent, en 1530, le même traitement de la part des visiteurs royaux. On emporta un chariot tout rempli de manuscrits, qui furent livrés aux usages les plus scandaleux. Les collèges de Bailliol, d'Exeter, de la Reine et de Lincoln furent purgés d'une grande partie des ou­vrages des Pérès et de la Scolastique. Et pour montrer que, chez quelques-uns, le discernement était au niveau de la justice, on les vit, afin de manifester l'antipathie qu'ils portaient aux hommes instruits, jeter dans un brasier, au milieu de la place publique, un nombre considérable de ces livres. De jeunes étudiants ignorants ou aveugles, appelaient cette exécution les funérailles de Scot 1. » Ces excès imbéciles allèrent si loin, que Ridley lui-même, tout ar­dent qu'il fût pour la réforme, recula un moment de dégoût et d'in­dignation. Chargé de visiter la bibliothèque de Cambridge, il refusa cette mission, « déclarant qu'en bonne conscience, il ne pouvait aller plus loin sur cet article, que l'Eglise était déjà assez pillée et dépouillée, et qu'il semblait que ce fût chez quelques-uns un dessein prémé­dité de bannir de la nation toute urbanité, toute science et toute re­ligion. » Des visiteurs furent envoyés dans les six circuits entre lesquels on avait partagé le royaume, la commission était composée de deux gentilshommes, d'un citoyen, d'un théologien et d'un gref­fier. En expurgeant les bibliothèques publiques, ils refirent des bi­bliothèques privées et remplirent leurs poches. C'était un secret nouveau pour répandre la lumière du pur Evangile.

 

74. Après l'expurgation des bibliothèques atteintes et convain­cues d'orthodoxie catholique, ordre fut donné d'abolir la coutume de porter des cierges le jour de la Chandeleur, de recevoir des cen­dres le premier jour de carême, de porter des rameaux le dimanche avant Pâques. Ensuite sous prétexte de rétablir la tranquillité entre les citoyens, il y eut commandement de détruire les tableaux et les

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1.                    Coi.lieb, Hist. Eco. t. Il, liv. it, p. 300.

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images, de donner la communion sous les deux espèces, de réciter les prières en langue anglaise, etc. Il y avait trente-six ordres ana­logues, tous notifiés sous peine de suspense, de déposition, d'ex­communication et de séquestration. Le principe du libre examen aboutissait à la plus affreuse tyrannie. Les évêques de Durham, de Rochester, Tunstal et Heath, ayant refusé de les recevoir, furent déposés sur le champ ; Gardiner de Winchester, en punition d'un pareil refus, se vit relégué dans une prison. Pendant que les quel­ques évêques fidèles au souvenir de Henri VIII étaient au cachot, les visiteurs royaux opéraient. Le pillage des bibliothèques les avait fournis de livres ; le pillage des églises devait orner leurs salons et remplir leurs musées. On avait, pour colorer ces vols, allégué que le produit diminuerait la dette publique ; elle était de deux cent cinquante mille livres et ne diminua pas d'un shilling. Cependant le conseil royal fut informé qu'une grande quantité d'objets en ar­gent avaient été enlevés des églises sans ordre du roi ; que des maisons laïques étaient remplies de chasubles et de chapes ; que l'argenterie consacrée au culte divin était convertie pour les usages ordinaires et qu'on étalait avec complaisance, dans ces maisons, les dépouilles des églises. Pour arrêter ces vols, des commissions furent envoyées dans les provinces. Cet envoi d'agents royaux ne rendit que plus complète la spoliation. On en peut juger par ce qui advint à Westminster. « Le 9 mai 1553, dit Heylin, sir Richard Chomley, lord chief-justice, et sir Bowle, maître des archives, commissaires de roi chargés de recueillir les biens ecclésiastiques, tinrent leur session à Westminster. Ils appelèrent devant eux le doyen et le chapitre et lui intimèrent l'ordre de faire connaître, dans un in­ventaire exact, toutes les argenteries, coupes, vêtements et autres objets ecclésiatiques qui appartenaient à leur église. La piété des temps anciens, les solennités des couronnements, les funérailles des princes et des hommes nobles, avaient enrichi cette église en argenterie et décorations religieuses, et lui avaient fourni des orne­ments d'un prix considérable, pour la célébration des offices. Per­sonne ne fut assez hardi pour fermer les portes de l'Eglise et pour cacher le trésor et faire un appel au conseil du roi. L'ordre fut exé-

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cuté, les objets sacrés livrés, et on en laissa qu'une très petite par­tie pour le service divin. Ce qui venait de se faire à Westminter servit de précédent pour l'Eglise de Saint-Paul et pour les autres dans tout le royaume. L'occupation des commissaires était de faire la saisie de tous les biens des églises, cathédrales et paroissiales. Et ainsi tous les joyaux, tout l'or, toutes les croix en argent, les chandeliers, les calices et l'argent monnoyé même, étaient compris dans leurs inventaires. Ils avaient également le pouvoir d'emporter toutes les chapes de tissus d'or ou d'argent, et tous les autres or­nements de valeur qui servaient aux offices. Ils n'étaient tenus qu'à laisser un seul calice pour le service de la communion. Quant aux autres objets de convenance et d'embellissement, la chose était laissée entièrement à leur discrétion 1.

 

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