Darras4-37

CLÉRICAL: UN MOT QUI SUSCITE LA PERSÉCUTION DES «TOLÉRANTS».

§ 113. Vocation des douze Apôtres»

 

  17. «Le soir étant venu, continue l'Evangéliste, Jésus se retira sur la montagne, et passa la nuit à s'entretenir avec Dieu dans la prière. Dès l'aurore, il appela près de lui ses disciples, en désignant ceux qu'il voulait mander. Quand ils se furent approchés, il s'assit, et en choisit douze qu'il appela Apôtres, et qu'il envoya prêcher l'Evangile. Il leur conféra le pouvoir de guérir les malades et de chasser les démons. Or, voici le nom des douze: Simon, auquel il

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1. Matth., XII, 5-19; Marc, ill, 1-12; Luc, VI, 6-12.

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donna le surnom de Pierre; Jacques et Jean, fils de Zébédée, qu'il surnomma Boanergés (Fils du Tonnerre); André; Philippe Barthélémy; Matthieu; Thomas; Jacques, fils d'Alphée ; Thaddée ou Jude; Simon le Zélateur; et Judas Iscariote, celui qui fut traître 1.» Voilà, en ces quelques lignes, la première assise de l'édifice immortel de l'Église, posée de la main de Jésus-Christ. Tout un ordre nouveau de faits, d'idées et de doctrine, va prendre possession du monde. Le nombre des disciples qui suivaient Notre-Seigneur était déjà si considérable, que saint Luc les désigne par cette expression: Turba discipulorum 2. L'égalité que des hérésiarques modernes ont prétendu établir entre tous les fidèles; la suppression de l'ordre hiérarchique dans l'Église; le droit revendiqué pour chaque conscience d'être à elle-même son guide, son pasteur et son prêtre; la concentration de tout le christianisme dans l'étude individuelle d'un livre appelé Parole de Dieu, et arbitrairement interprété selon les caprices du libre examen; la suppression de toute pratique religieuse, de toute subordination, de tout acte extérieur, pour placer le salut uniquement dans une foi stérile; en un mot, le système protestant, dans son ensemble, ne saurait être mis en face d'une condamnation plus péremptoire que celle qui ressort du texte Evangélique lui-même. Notre-Seigneur passe «la nuit en prière.» Où trouve-t-on, au sein du protestantisme, la pratique de la prière nocturne? Les disciples de Luther et de Calvin ont-ils conservé cette tradition évangélique? Qu'ont-ils fait de cet exemple du Sauveur, qui nous a dit de lui-même: «Je suis la voie, la vérité et la vie?» Continuent-ils à marcher dans cette route royale qui débute par les quarante jours de jeûne au désert; qui se poursuit à travers une série non interrompue de prières constantes (car «il faut prier sans cesse, disait ailleurs le divin Maître, et ne pas cesser un instant») et qui aboutit enfin à la Pâque chrétienne, où Jésus nous donne le pain et le vin descendus du ciel, en disant: «Ceci est mon corps!» Ceci est mon sang?» Le protestantisme répond à Jésus-Christ: Plus de jeûnes! plus d'évêques ni de prêtres! Plus de prières! plus

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1. Marc, m, 13-19; Luc, vi, 12-16. — 2. Luc, vi, 17.

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de pain ni de vin eucharistiques? Mais l'Église, héritière des traditions de l'Évangile, continue, comme son Époux céleste, à passer les nuits en prière. Elle a gardé, et elle gardera jusqu'à la fin du monde, ses Nocturnes, expression empruntée au texte même du Livre sacré: Erat pernocians in oratione Dei. Sur tous les points du monde, elle a des âmes ferventes, qui se tiennent sur la montagne de la prière, et s'entretiennent avec Dieu dans l'oraison. L'Eglise catholique a conservé l'élection et la vocation des pasteurs, successeurs des Apôtres. Dans son sein, Jésus choisit encore, «parmi la foule des disciples, ceux qu'il lui plaît d'appeler,» La foi ne suffit pas; la science ne suffit pas; le zèle ne suffit pas. Il faut que «Jésus lui-même appelle:» Vocavit ad se quos voluit ipse. Il faut que Jésus «choisisse:» Elegit. Quoi donc! Y aurait-il une vocation différente pour l'évêque, pour le prêtre et pour le simple fidèle? Est-il vrai que l'Évangile établisse ces distinctions radicales? Ne sont-ce point là d'arbitraires additions, faites à l'œuvre de Jésus-Christ? Oui, il est vrai, et l'Évangile l'atteste, que le divin Maître choisit, par une vocation spéciale et sépara du milieu de «la foule des disciples» douze hommes, auxquels il donna le nom «d'Apôtres:» Apostolos nominavit; et qu'il leur conféra, à eux, et non point à d'autres, le pouvoir d'évangéliser le royaume de Dieu, et de guérir les infirmités spirituelles et corporelles. Nous le verrons, plus tard, établir Pierre, avec le pouvoir suprême de confirmer ses frères dans la foi, au-dessus du collège apostolique ; nous le verrons enfin constituer, au-dessous de cette hiérarchie du Pape et des evêques, les simples prêtres, représentés par les soixante-douze disciples. Lors donc que l'Église catholique rassemble les jeunes lévites, à l'ombre des autels, et qu'elle leur donne Le nom de Clercs1 (élus), elle conserve, pour le leur appliquer, le terme de l'Évangile: Elegit 2. Quand toutes les haines du monde, redevenu païen, poursuivent ce nom de clérical, qui songe seulement, en ce siècle d'ignorance suprême, qu'un nom, tant outragé, est d'origine évangélique, et que ceux qui se font gloire, aujourd'hui, de le porter, se

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1. Klèros;, élection. — 2. Luc, VI, 13.

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rappellent la promesse de Jésus-Christ: «Vous serez bienheureux, alors qu'on vous maudira, qu'on vous persécutera et que vous serez l'objet des calomnies les plus mensongères, à cause de moi!» Quel est l'esprit fort, parmi les incrédules, qui sache un mot de ces choses divines? Il lui suffit de répéter les absurdités rationalistes; «Jamais on ne fut moins prêtre que ne le fut Jésus; nul souci des jeûnes, aucune théologie, aucune pratique religieuse, rien de sacerdotal 1! »
   18. Or, voici les instructions que Jésus donna aux douze Apôtres: «N'entrez point, leur dit-il, sur les terres des Gentils, ni dans les villes des Samaritains. Allez chercher de préférence les brebis égarées de la maison d'Israël 2. Partout où vous irez, annoncez la bonne nouvelle, et dites: Le royaume des cieux est proche! Guérissez les malades; ressuscitez les morts; rendez la santé aux lépreux; chassez les démons 3. Donnez gratuitement, usant d'un pouvoir qui vous est gratuitement conféré. N'ayez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures. Ne prenez, pour le voyage, ni sac de provisions, ni double vêtement, ni double chaussure. Mais allez, un bâton à la main, les sandales aux pieds, et vêtus de votre simple tuniqu; car l'ouvrier mérite qu'on fournisse à son entretien. Arrivés dans une ville ou dans une bourgade, informez-vous quel habitant est digne de vous recevoir, et demeurez chez lui jusqu'à votre départ de ce lieu. En entrant dans la maison, faites le salut, en disant: Paix à cette demeure! — Si la maison en est digne, la

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1. Vie de Jésus, pag. 89, 224, 223.

2. C'était au peuple juif, à la nation choisie qu'avaient été faites, en la personne d'Abraham (Gènes., XVII, 1-4.), les promesses de salut. Les Gentils ne devaient, selon la parole des prophètes (Dan., ix, 26), admirablement commentée par saint Paul [Rom., m, iv, v.), arriver à la foi que par les Juif», héritiers directs des espérances du Testament Ancien. Voilà pourquoi Notre- Seigneur Jésus-Christ voulut circonscrire sa mission, et celle dont il chargea ses apôtres en cette circonstance, aux seuls enfants d'Abraham. «Je n'ai été envoyé, disait-il, qu'aux brebis égarées de la maison d'Israël.» (Joan, X, 3; Matth., X, 6; XV, 24.)
3 Eucore une preuve que les possessions du démon étaient parfaitement distinctes des maladies ordinaires, et que le rationalisme n'explique rien en cherchant à les confondre.

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paix descendra sur elle; sinon, la salutation de paix reviendra sur vous. Quand on refusera de vous recevoir et d'écouter votre parole, sortez de la maison ou de la ville, et secouez sur elle la poussière de vos pieds, en témoignage de son incrédulité. En vérité, je vous le dis: Au jour du jugement, Sodome et Gomorrhe seront traitées avec moins de rigueur que cette ville. Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups 1. Soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes. Gardez-vous des hommes: car ils vous traineront devant les tribunaux, et vous flagelleront dans les synagogues. Vous serez livrés, à cause de moi, aux rois et aux gouverneurs, pour me rendre témoignage 2 devant eux et devant les nations. Quand ils vous conduiront ainsi aux magistrats, ne songez point, ni comment vous devrez parler, ni ce que vous devrez dire; vos paroles vous seront inspirées à l'heure même; car ce n'est pas vous qui parlez, mais l'Esprit de votre Père qui parle en vous. Le frère livrera son frère à la mort; et le père, son propre fils. Les enfants se lèveront contre leurs parents pour les livrer au supplice. Vous serez pour tous un objet de haine, à cause de mon nom; mais celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. Lors donc que vous serez persécutés dans une ville, réfugiez-vous dans une autre. En vérité, je vous le dis, vous n'aurez point achevé d'évangéliser les cités d'Israël, avant que le Fils de l'homme ait consommé son avènement. Le disciple n'est pas au-dessus du maître; ni l'esclave au-dessus de son seigneur. Il suffit au disciple et à l'esclave d'être traité comme son seigneur et son maître. S'ils ont osé donner au Père de famille le nom de Béelzébub, combien plus n'outrageront-ils pas les serviteurs ! Ne les redoutez

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1. Saint Clément, dans sa IIe Épitre aux Corinthiens, mentionne ici un fait traditionnel qu'il importe de rappeler, « Quand le Seigneur, dit-il, eut prononcé ces paroles, Pierre lui demanda: Mais si les loups dévorent les brebis? — Jésus lui répondit: Quand l'agneau est mort, il ne craint plus le loup. De même, ne craignez pas ceux qui peuvent tuer le corps, et dont la puissance ne va pas au delà.» (S. Clément., Epist. II ad Corinth., cap. V; Patrol. grœc, tom. I, col. 335.)

2. Eis jjLaprjpiov aÙTOïç xaî toïç èQvediv. (Matth,, x, 18.) Telle est l'origine dis mot chrétien de martyr.

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donc point; car il n'est rien de caché qui ne doive être un jour découvert, aucun secret qui ne doive être su du monde entier. Ce que je vous dis dans l'obscurité, dites-le en pleine lumière; ce que je vous dis à l'oreille, proclamez-le sur les toits. Ne craignez poin ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme. Craignez seulement celui qui peut tuer et l'âme et le corps, et les précipiter dans la damnation. Ne vend-on pas deux passereaux pour un as? Cependant, un passereau ne tombe point à terre sans la permission de votre Père céleste. Tous les cheveux de votre tête sont comptés. Ne craignez donc pas; vous valez mieux que des milliers de passereaux. Quiconque aura confessé mon nom devant les hommes, je le glorifierai devant mon Père qui est aux cieux. Mais celui qui m'aura renoncé devant les hommes, je le renoncerai devant mon Père qui est aux cieux. Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre. Ce n'est pas la paix, c'est le glaive que j'apporte. Je suis venu séparer le fils de son père; la fille de sa mère; la bru de sa belle-mère; l’homme aura pour ennemis les siens mêmes. Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi, n'est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi, n'est pas digne de moi. Quiconque ne prend pas sa croix pour me suivre, n'est pas digne de moi. Celui qui cherche à conserver sa vie, la perdra: celui qui la sacrifie pour moi, la sauvera. Qui vous reçoit, me reçoit moi-même, et me recevoir, c'est recevoir celui qui m'a envoyé. Qui reçoit un Prophète en qualité de prophète, recevra la récompense du Prophète lui-même; qui reçoit un juste, en cette qualité de juste, recevra la récompense du juste lui-même. Et quiconque aura offert, au moindre de ceux-ci, une coupe d'eau froide, comme à l'un de mes disciples, en vérité, je vous le dis, celui-là ne perdra point sa récompense 1.»

  19. Telles sont encore les instructions que l'Église catholique redit à ceux de ses enfants que l'élection de Jésus appelle au ministère des âmes. Comment n'être pas frappé de l'unité de langage, d'institutions et de doctrines qui prit naissance sur la montagne de Tibériade et s'est prolongée sans interruption jusqu'à

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1. Matth.; IX, X, XI; Marc, vi; Luc, viii, ix.

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nous? Les noms de Martyrs, de Confesseurs, ces termes inconnus au monde païen sortent pour la première fois de la bouche du Sauveur, dans une obscure province de Judée. Ils sont recueillis par douze pêcheurs, transformés en apôtres; et aujourd'hui ces noms ont conquis le monde. La prophétie du divin Maître s'est réalisée dans toute la série des âges. On a traîné les témoins de Jésus-Christ, les confesseurs de sa divinité , devant tous les tribunaux, en face de toutes les juridictions, aux pieds de toutes les souverainetés de la terre. Il en sera ainsi jusqu'à la consommation des siècles. Les supplices ne finiront jamais, et le témoignage, la confession, le martyre triompheront des supplices. Le fait seul, indépendamment de toute prophétie antérieure, constituerait un phénomène surnaturel. La prédiction précédant l'événement, et l'événement confirmant la prédiction, s'enchaînent avec une majesté tellement divine qu'il faut abjurer toute raison pour ne pas reconnaître le miracle. La constitution de l'Église est tout entière dans les admirables paroles de Jésus-Christ. Ce sont des pauvres que le Seigneur envoie porter gratuitement au monde le bienfait de la régénération qu'ils ont reçu gratuitement eux-mêmes. Ils ne doivent se préoccuper ni des sollicitudes matérielles, ni des moyens de subvenir à leur existence. Mais voici la merveille. Dans cette pauvreté, indépendante et absolue, ils trouveront en abondance ce qu'ils ne cherchent pas. Car ceux qui les recevront, recevront Jésus-Christ, ceux qui leur donneront soit l'obole de la veuve, soit le trésor du riche, soit le verre d'eau de la plus pauvre hospitalité, auront donné à Jésus-Christ lui-même et acquis un droit inaliénable aux récompenses célestes. Toute la puissance temporelle de l'Église est dans ces mots, tombés des lèvres du Sauveur. Aux siècles de persécutions qui n'auront que des échafauds pour les témoins de Jésus, succéderont les siècles de foi qui sanctifieront leurs richesses en les déposant aux pieds des disciples de Jésus. Ou plutôt, cette différence de conduite ne sera pas ainsi accusée et tranchée par époques. Les siècles de persécutions auront leurs exemples de générosité. A côté de Néron qui mettra saint Pierre en croix, le sénateur Pudens fera asseoir saint Pierre sur sa chaise curule.

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et versera entre les mains de l'Apôtre les trésors amassés par vingt générations de pères conscrits. Persécutions et dévouements se développeront sur une ligne parallèle, jusqu'à la fin des âges. La pauvreté évangélique et la richesse de l'Église se maintiendront dans cet équilibre divin constitué par Jésus-Christ, en dépit de toutes les haines et de toutes les fureurs des hommes.

  20. «Après leur avoir donné ces instructions, dit l'Évangile, Jésus envoya ses apôtres, deux par deux, dans toutes les villes où il se proposait de se rendre plus tard lui-même. Il leur donna le pouvoir de chasser les démons. Ils allèrent donc, passant d'un lieu à un autre, prêchant l'Évangile et l'obligation de faire pénitence. Ils chassaient les esprits impurs; ils faisaient des onctions d'huile sur les malades, et en guérissaient un grand nombre 1.» Cette onction de l'huile sur les malades, qu'est-elle devenue au sein du protestantisme? Que signifient, parmi nos frères égarés, ces accusations mille fois répétées de superstition idolâtrigue, à propos du sacrement de l’Extrème-Onction? Il semble vraiment qu'à force de lire l'Évangile, le protestantisme en soit arrivé à ne pas comprendre un seul mot du texte sacré. Nous verrons en effet passer sous nos yeux dans l'ordre du récit évangélique toutes et chacune des institutions actuelles de l'Église. La tradition apostolique a reproduit, maintenu et perpétué la vie et l'apostolat de Jésus-Christ sur la terre, sans en rien diminuer, sans y rien ajouter; développant, avec l'expansion même de l'œuvre, l'esprit de son divin fondateur. Jésus, dans l'Église, enseigne, bénit, prie, offre son sacrifice, donne l'onction aux malades, chasse les démons, opère des miracles et ressuscite les morts, aujourd'hui comme durant les trois années de son ministère public.

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