CHAPITRE XVI
1. La Superstition païenne est partout renversée, alors qu'un oracle du démon prédisait son rétablissement- 2. Arcadius la proscrit et l'abolit en Orient. –3. Honorius agit de même en Occident.- 4. Jovius et Gaudence, font exécuter les lois portées à ce sujet. - 5. Le temple d'une divinité du ciel à Carthage est dédié au Christ par Aurèle. - 6. Vestiges de l'idolâtrie en quelques endroits. - 7. Les martyrs de Suffecte. - 8. Julien fait afficher dans les endroits publics le rescrit que les prières flatteuses des donatistes lui avaient arraché.
1. « Les gentils voyant que les nombreuses et cruelles persécutions que la religion chrétienne avait endurées pendant près de trois cents ans n'avaient pu la détruire et n'avaient servi au contraire qu'à l'accroître d'une façon merveilleuse imaginèrent je ne sais quels vers grecs qu'un oracle avait fait entendre à un homme qui le consultait, et dans lesquels le Christ était déclaré innocent de tout sacrilège, mais où saint Pierre était accusé d'avoir fait en sorte par ses maléfices, que le nom du Christ devait être honoré pendant trois cent soixante-cinq ans, pour tomber dans l’oubli, ce temps une fois écoulé (4).» Ces trois cent soixante-cinq ans avaient commencé à partir du jour où l’Esprit saint était descendu sur les Apôtres, c'est-à-dire, d'après Augustin, le 15 mai, sous le consulat des deux frères Rubelle et Ruse, la 29e année de l'ère vulgaire. Ces trois cent soixante et cinq ans devaient donc se trouver écoulés le 45 mai 394. Cependant Augustin veut qu'elles ne se soient terminées que sous le consulat d'Eutychien et d'Honorius, en 378, ce qui est juste, si on place la passion du Christ en l’an 33 de l'ère vulgaire. Ainsi, d'après l'oracle, c'était à ce moment que la superstition des païens devait ressusciter et la religion chrétienne s’éteindre. Mais Dieu, pour montrer la fausseté de cet oracle, voulut que la religion chrétienne fût de jour en jour plus florissante. Ce qui éclata encore davantage l'année suivante, sous le con-
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(1) Lettre XLVI .1) n. 3. (2) Ibid., n. 15. (3) Ibid., eh. vi. (4) C?«té de Dieu. XVIII, eh. Mii, n. 2.
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sulat de Manlius Théodore, c'est-à-dire en 399, année dont nous rapportons les faits. «L'année suivante, écrit Augustin, sous le consulat de Manlius Théodore, lorsque selon l'oracle du démon, ou le mensonge des hommes, la religion chrétienne devait cesser d'exister, qu'arriva-t-il dans les autres parties du monde ? peu importe. Mais ce que nous savons, c'est que le 19 mars, dans la plus célèbre, dans la première ville de l’Afrique, à Carthage, Gaudence et Jovius, comte de l’empereur Honorius, détruisirent les temples des faux dieux et brisèrent leurs statues (l). » Augustin ne parle que de ce qui lui est connu et des événements accomplis à Carthage, sans avoir cherché à savoir ce qui se passa dans les autres parties du monde. Mais nous lisons dans les fastes d'Idace, que les temples des fausses divinités furent détruits cette année-là; et Prosper Tyro, remarqua que cette année-là, c’est-à-dire en 399, année qui suivit la défaite de Gildon, tous les temples de l'ancienne superstition furent détruits dans tout l'empire romain.
2. L'empereur Théodose avait entrepris cette œuvre, et l'Eglise s'était considérablement étendue dans toutes les directions lorsqu'il mourut; ses fils Arcadius et Honorius, héritèrent non seulement du pouvoir de leur père mais encore de son amour pour la religion chrétienne. Les avantages et les victoires obtenues par eux, par la faveur céleste, contre ceux qui attaquaient leur autorité soit ouvertement, soit par de sourdes menées, augmentèrent encore leur zèle pour la religion. Rapportant à la piété de leur père la prospérité dont ils jouissaient, ils défendirent avec ardeur les privilèges accordés à l’Èglise par leurs ancêtres, et les augmentèrent même par de nouveaux édits. Leur piété était un encouragement pour celle de leurs sujets. Mais rien ne ramenait les païens à la foi chrétienne, tandis que les hérétiques que Dieu laissait se déchirer entre eux, fatigués de leurs discordes, revenaient d'eux-mêmes à l'unité de l'Église catholique. Mais pour nous borner à parler en cet endroit de ce qui concerne les païens, et pour en juger par l'Orient, nous avons le rescrit d'Arcadius à Ruffin, préfet du prétoire en Orient, en date du 13 août 395, par lequel les païens se voyaient interdit, sous la menace des peines les plus sévères, tout accès dans les temples et tout sacrifice aux idoles, en quelque endroit que ce fût: c'est dans ce but qu'il renouvelle toutes les lois portées par son père contre les hérétiques et les païens (2). L’année suivante, le 8 décembre, il abolit les privilèges accordés jadis aux prêtres et aux ministres des idoles, leur profession étant condamnée par les lois (3). Il faut aussi rapporter à ce temps les destructions de plusieurs temples en Orient, Arcadius, par un rescrit à Astère, comte d'Orient, en date du 1er novembre 397, ayant ordonné d'employer les pierres des temples qu'on devait détruire, à la construction de ponts, de voies publiques, d'aqueducs et de murs pour les villes (4). La même année 399, le 13 juillet, Arcadius voulant faire disparaître les derniers restes de la superstition fit une loi pour abattre tous les temples dans les campagnes en évitant toutefois tout ce qui pourrait occasionner des troubles et du tumulte (5).Cette loi fut portée à Damas ou plutôt fut promulguée et placardée dans cette ville, comme le veulent quelques auteurs, qui pensent que ce fut en vertu de cette loi, que Chrysostome, créé évêque de Constantinople, envoya suivant Théodoret, le 27 février 398, des moines de Phénicie pour abattre les temples des idoles, or Damas comptait parmi les premières villes de cette contrée.
3. Pour ce qui est de l'empereur Honorius, il n'existe aucune loi de lui sur ce sujet avant 399. Nous avons vu cependant les idoles brisées à Rome, quand il y en avait encore en Afrique, aucune loi générale n'ayant été portée contre le culte des idoles en Occident. Cependant, d'après une loi du 26 février 399, on est porté, à croire que l'année précédente, Honorius avait promulgué un ordre pour abolir entièrement les vestiges de l'idolâtrie (6). Si nous ne nous trompons, l'auteur du livre des Prédictions at-
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(1) Ibid., ch. Liv, n. 1. (2) Cod. de Théod. sur les sacrif. païens et lest emples. loi xiii. (3) Ibid., loi xiv. (4) Des trav. Publie. loi xxxvi, (5) Des sacrif. des païens, et temple. loi. xvi. (6) Code de Néod. sur les païens etc ~ loi xv.
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tribué à Prosper confirme le même fait, quand il dit que par un sentiment de piété chrétienne, Honorius donna aux Églises, les temples des dieux avec les terrains adjacents, et accorda aux Chrétiens l'autorisation de briser toutes les idoles (1). Augustin, dans un livre que nous croyons écrit l'année suivante, dit que les lois récentes avaient ordonné de renverser et de briser les idoles des Gentils et interdit les sacrifices aux faux dieux sous peine de mort. Il dit aussi dans ce livre que dans presque tout l'univers, les temples sont en effet rasés, les idoles brisées, les temples détruits, et ceux qu'on surprend adorant les démons, livrés au supplice (2). Il rapporte ailleurs que les Catholiques et les donatistes travaillèrent toutes les fois qu'ils le purent, à détruire les temples des païens et à briser les instruments de musique et les trépieds des démons (3). Comme la loi contre les idoles n'exceptait rien, elle paraît avoir été étendue en général à tout ce qui concernait le culte des idoles, et l’on brisa les statues mêmes qui servaient d'ornement aux édifices publics. Le 29 janvier 399, Honorius adresse un rescrit à Macrobe et à Proclien, vice-préfets(4), l'un en Espagne, l'autre dans les cinq provinces des Gaules, qui sont comme on le croit la Ire et la IIe Aquitaine, la IIe, la IIIe, et la IVe Lyonnaise, pour arrêter ces destructions.
4. La charge d'exécuter la loi portée par Honorius pour la destruction des temples des gentils semble avoir été confiée aux comtes Jovius ou Jovinien et Gaudence, car, nous lisons dans les fastes d'Idace, que ces temples furent détruits cette année-là par ces comtes, et Prosper dit qu'ils furent dépouillés par les comtes Jovien et Gaudence (5). Il est vrai qu'il rapporte lui-même ce fait au temps de Théodose le Grand: mais on peut dire que la même fonction leur fut confiée deux fois, d'abord sous Théodose, ensuite sous Honorius, ce qui paraît moins probable; ou que cet écrivain qui était encore bien jeune à cette époque n'a pas conservé un souvenir exact de ces faits, car il est dit que cette mission a été confiée à ces deux comtes en 399, non seulement dans les fastes d'Idace, mais encore dans Augustin, qui donnent l'un et l'autre pour certain que c'est le 29 mars de cette même année, que les temples furent détruits et les idoles brisées à Carthage par les comtes Gaudens et Jovien (6). Nous ne savons si ce Jovien est le même qui, l'année 407, fut préfet du prétoire; mais il nous paraît vraisemblable que ce Gaudence est le même qui fut comte en Afrique, au commencement de l'année 401, comme le prouve le titre de la loi, dans laquelle il est fait mention de lui (7); mais comme cette loi porte l'indiction douzième, elle laisse lieu de croire qu'elle fut plutôt rendue en 399 qu'en 401, année que la chronique de Marcellin rapporte à la 14e indiction. Il est certain aussi que depuis le 13 juillet 401, le comte d’Afrique fut Bathanaire; il est donc très probable que Gaudence, son prédécesseur avait succédé à Gildon dans cette charge. On rapporte aussi autre chose de ce Gaudence, qu'il fut père d'Aétius, illustre général du temps de l'empereur Valentinien. Bien qu'Augustin, Idace et Prosper disent que les temples furent rasés à cette époque, et qu'on ne puisse douter qu'il y en ait eu en effet de détruits, nous ne pouvons pas cependant assurer qu'ils le furent tous; car un concile de Carthage décide en 401 qu'il faut demander à l'empereur la permission de détruire quelques temples (8). D'après l'auteur du Livre des Prédictions, on avait donné au comte Jovien et Gaudence mission d'enlever plutôt que de détruire les idoles (9); mais comme il est vraisemblable qu'elles furent livrées à l'Église, il ne saurait paraître étonnant que les évêques en aient détruit plusieurs. Cependant, soit que le rescrit de l'empereur ne portât point cet ordre en termes formels, soit que les plaintes des gentils l'eussent touché, il adressa, le 30 août 399 un autre rescrit à Apollidore proconsul d’Afrique, pour lui ordonner de conserver les temples intacts et de se contenter d'en enlever les choses proscrites, c'est-à-dire les autels et idoles (10).
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(1) Prédict., 111, eh. xxxiii. (2) Contre les lett. Parn.,I, eh. ix, n. 15. (3) Contre Gaudent ~I, n. 51. (4) Code Théod., des paiens, loi xv. (5) Des prédictions. liv. III, ch. xxviii. (6) De la cité de Dieu. ilv. XVIII, Ch. LIV. (7) Code de Théod. loi ili (8) Cod. Can. dAfrique. Can. LXXXIV. (9) Deq Prèdici. liv. iii,. eh. xxxviii. (10) Code Théod. de Pag. etc.; loi. xviir.
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5. Baronius place à cette époque comme la conséquence de la mission confiée à Jovien et à Gaudence (1), ce que l'auteur du Livre des Prédictions raconte au sujet du temple de la déesse céleste, sous l’empereur Honorius, avant le gouvernement de Constance que Honorius s'associa à l'empire, en 420 ou 421. Baronius disserte longuement sur cette déesse céleste qu'il croit être la même qu'Astarthée, divinité des Sydoniens. Il est certain qu’elle était la plus grande divinité de Carthage, où elle avait un temple d'une dimension considérable, entouré des temples des autres dieux inférieurs, dans une étendue d'environ deux milles. La place de ce temple était pavée en mosaïques, ornée de murs et de colonnes en pierres précieuses (2). Ce temple avait été fermé depuis longtemps, sans doute depuis l'année 391, époque des lois qui interdisaient l’entrée de ce temple (3), et qui sont les premières portées après le règne de Julien l’Apostat. Comme ce temple était demeuré longtemps fermé, les ronces en obstruaient les abords. Comme les Chrétiens voulaient y entrer pour le consacrer au culte catholique, lorsque Honorius donna tous les temples aux églises, les gentils répandirent le bruit que les buissons et les ronces cachaient des dragons et des aspics qui gardaient le temple et en défendaient l'accès. Cela ne fit qu'exciter l’ardeur des Chrétiens qui pénétrèrent facilement dans le temple, sans éprouver le moindre mal. À la fête de Pâques, une foule de fidèles, poussés par la curiosité, se rendirent de toutes parts à ce temple, où le père de beaucoup de prêtres, l'évêque Aurèle, de sainte mémoire, maintenant citoyen de la céleste patrie, fit placer sa chaire à l'endroit même qu'avait occupé la déesse céleste et s'y assit. «J'étais présent à cette fête, dit notre auteur, avec mon compagnon et mes amis, et pendant que la jeunesse impatiente se portait partout et que nous regardions avec cusiosité tout ce que nous voyions, à cause de la grandeur des objets, quelque chose d'extraordinaire se présenta à nos regards, c'était une inscription en lettres d’airain plus grandes que d'ordinaire, placée sur le frontispice du temple et ainsi conçue : « Le pontife Aurèle fit la dédicace de cet édifice . » Le peuple était dans l'admiration en lisant ces paroles, que la providence avait fait tracer comme un présage qui s'accomplissait en ce moment (4). » Dans la suite, en 421, ce temple fut rasé, ce n’est donc pas du temple de la déesse céleste mais de l’idole qu'Augustin disait peu de temps après la prise de Rome : « Carthage demeure au pouvoir du Christ, et la déesse céleste a été détruite parce qu'elle n'était pas céleste mais terrestre (5). »
6. L'auteur du livre des Prédictions écrit que dans une ville de la Mauritanie, on brisa plusieurs vieilles idoles qu'on avait trouvées cachées dans des cavernes, et que cette découverte, avait fait accuser et même convaincre de parjure la ville tout entière et les clercs eux-mêmes (6). Peut-être exigeait-on des villes le serment qu'elles n'avaient pas d’idoles cachées. Les clercs de cette ville qui savaient, qu'il y en avait de cachées, n'auraient pas osé dénoncer le fait; car la crainte d'encourir la disgrâce des grands portait quelquefois les Chrétiens eux-mêmes à être de connivence dans les crimes des idolâtres. En effet Augustin se plaint vivement de cela, dans le sermon au peuple dont nous avons parlé plus haut et condamne ceux qui fréquentaient les temples et y couchaient avec les païens, au pied des idoles (7). Peut-être cela se faisait-il encore après les décrets d’Honorius contre l'idolâtrie, et l'empereur lui-même avait-il favorisé ces pratiques coupables par la loi du 20 août 399, dans laquelle il recommande à Apollodore, proconsul d'Afrique, tout en défendant les rites profanes de la superstition païenne, de ne pas abolir les fêtes publiques, de continuer à donner des fêtes et des jeux comme par le passé, pourvu qu’on ne s’y fît aucun sacrifice et qu'on ne s'y livrât à aucun acte d'idolâtrie (8). C’est ce qui porta le concile de Carthage du
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(1) BiRoN.,année 353 n.63.(2) Des Préd., liv. Ili, eh. xxxviii. (3) Code Théod. mé!ne Page loi. x-xi. (4) Prédict., M, eh. 111. (5) Serm., Cv, eh. ix, n. 12. (6) Prédict., 111, eh. xxxviii. (7) Serm., Lxii, ch, iv, n. 7-8. (8) Code de Théod. sur tes pasïen
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15 juin 401, à prier Honorius de supprimer entièrement ces festins auxquels les païens forçaient les Chrétiens d'assister; ce qui était une sorte de persécution, car les païens y faisaient souvent, avec effronterie, des actions incompatibles avec l'honneur de la religion (1). Augustin dit, dans une de ses lettres, qu'on ne devait pas chercher une occasion de gain et de profit dans l'autorisation de détruire les temples, les idoles et les bois sacrés, accordée par les empereurs, de peur que l'avarice plutôt que la piété ne parût être le mobile de la destruction des monuments de la superstition païenne. Toutefois cette crainte ne devait pas empêcher de convertir ces monuments à des usages communs et publics ou de les consacrer à l'honneur du vrai Dieu, de même que les hommes eux-mêmes sont changés en temples du Seigneur, quand ils se convertissaient à lui (2).
7. Théodose avait employé tous ses soins à délivrer des superstitions païennes, la ville de Rome, où elles avaient jeté de plus profondes racines que dans aucune autre ville. Il est hors de doute qu'Honorius avait fait abattre les idoles, à Rome comme ailleurs, puisque déjà avant la défaite de Rhadagaise, c’est-à-dire avant l'année 406, époque où les idoles étaient encore debout en Afrique, elles étaient déjà démolies et renversées à Rome (3). Mais comme dans cette destruction des idoles, on avait épargné celles qui servaient d'ornement aux édifices publics, Dieu même, onze ans plus tard, détruisit les derniers vestiges de la superstition, par la main des Goths, ou par le feu du ciel. Cette destruction des idoles, en 399, fut la cause de la conversion d'un grand nombre de Gentils, qui étaient restés jusque-là obstinément attachés à l'erreur, dans l'espérance qu'après les trois cent soixante-cinq années de l'oracle du démon, le culte de leurs pères serait rétabli, et redeviendrait florissant comme auparavant, prédiction dont cet événement leur fit voir toute la vanité (4). Augustin nous apprend que depuis ce temps jusqu'à celui où il achevait le dix-huitième livre de la cité de Dieu, c'est-à-dire environ trente ans après, la religion chrétienne, avait pris encore de grands accroissements, quoique les païens ne cessassent point d'assurer qu'elle allait périr (5), et assignassent une époque certaine et précise à cet événement (6). Mais en attendant, ils se cachaient pour offrir leurs sacrifices, et ils cachaient leurs dieux, de peur qu’on ne brisât leurs idoles, en vertu des lois impériales, si on les découvrait ainsi que l'avaient prédit les Prophètes juifs longtemps auparavant (7). Un poète païen de ce temps-là se plaint que Stilicon ait fait brûler les livres sibyllins (8). Baronius place après l'édit d'Honorius (9), ce qui se passa dans la colonie de Suffecte ; Augustin raconte qu'il y avait, dans cet endroit, une statue d'Hercule qui fut jetée à bas et mise en pièces; mais ses impies adorateurs s'étant précipités sur les Chrétiens en mirent à mort soixante, qui sont comptés parmi les martyrs du Christ, et dont on fait mémoire, le 30 août, dans le martyrologe romain. C’est pourquoi Augustin écrivit une lettre courte mais sévère (10) aux principaux et aux anciens de cette colonie, pour leur reprocher d'avoir foulé aux pieds les lois de Rome, la justice, et surtout le respect et la crainte des empereurs; car ils avaient placé dans les honneurs et les dignités de la ville ceux qui avaient pris part aux meurtres avec plus de cruauté et de barbarie que les autres. Il leur promet, avec des paroles pleines d'ironie et de raillerie de leur faire rendre leurs dieux, à condition pourtant qu'ils rendent eux-mêmes la vie à ceux qu'ils avaient fait périr. Suffecte est une ville de la Bizacène ainsi qu'une autre appelée Suffectule ; c'est là que le martyrologe place le martyre de ces soixante chrétiens immolés par les Gentils.
8. Le recueil des canons d’Afrique place un concile de Carthage en 399, dont nous ne savons qu'une chose c'est qu'il envoya à l'empereur les évêques Épigone et Vincent pour lui demander une loi afin d'empêcher que les cou-
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d. des Can. d'Afrique Can. LX. (2) Lettre XLVII, U. (3) Serm., cv, eh. x, n. 13, Serm,, xxiv, n. 6. (4) etté
dJD1)~ië5u'.9 XVIII, eh. LIV. (5) Comment. des Psaumes. LXX, Serm., 11, 3. n. 4. (6) Ibid., iv, n. 1. (7) Accord. Evang.
I, eh. xxvil, (8) B,&RoN., An, 399, n. 82. (9) Idem., An 399, n. 77. (10) Lettre L.
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pables qui cherchaient un refuge dans l'Église en fussent arrachés par la force (1). C'est vraisemblablement à la demande de ces délégués qu'Honorius, porta, le 25 février, 400, la loi qui ordonne d’afficher dans les endroits publics et très fréquentés le rescrit que les donatistes avaient obtenu de Julien l'apostat, avant l'année 362, et dans lequel on voit les infâmes prières qu'ils avaient adressées à leur empereur (2).
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(1) COd* 410 CM: £r«àf- CM Lvh (2) Cod. de Théod. sur les hérét. loi. xxxvij.
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LIVIRE CINQUIÈME
VIE ET ACTES D'AUGUSTIN, DE 400 A 405
CHAPITRE PREMIER
1. Augustin démontre contre les infidèles l'accord des évangélistes entre eux. - 2. Il répond aux questions de Janvier sur les sacrements et différentes coutumes de l'Église. - 3. Il écrit sur le travail des moines en faveur de ceux qui vivaient du travail de leurs mains.
1. Pendant que le culte profane des faux dieux était exterminé dans tout l'empire romain, il fallait travailler aussi à détruire les objections que les infidèles opposaient encore contre le culte rendu au nom du Christ. Car, quoique les choses en fussent venues au point, que les infidèles, écrasés par la foi des nations et par la piété de tous les peuples, osaient à peine se dire à l'oreille leurs calomnies, cependant comme par leurs disputes ils empêchaient plusieurs de revenir à la foi, ou bien agitaient et troublaient, autant qu'ils le pouvaient ceux qui croyaient déjà, Augustin, poussé par une inspiration divine, résolut de réduire à néant leurs accusations subtiles contre les quatre Évangiles, en montrant qu'ils sont parfaitement d'accord ; « Car disait-il, l'argument triomphant de leur vanité, c'est de dire que les Évangélistes ne sont pas d'accord (1).» Ayant donc interrompu, pendant quelque temps, l'ouvrage sur la Trinité auquel il travaillait, il en entreprit un qui était bien nécessaire sur l'Accord des Evangélistes, et ne le laissa point qu'il ne l'eût achevé (2). Il dit dans cet ouvrage que les idoles auxquelles l’aveuglement des nations rendait un culte divin avaient été détruites à cette époque par l’ordre des empereurs (3) ; ce que(i) prouve qu'il n'entreprit pas ce travail avant la fin de l'année 399; car nous n'avons aucune loi plus ancienne conçue en ce sens, sur ce sujet, que celle promulguée en Afrique et mise à exécution, cette même année, et avant laquelle Augustin disait qu'il ne lui était pas permis de briser les idoles, à moins que ceux à qui elles appartenaient ne lui en eussent donné la permission (4). Le but de cet ouvrage étant de démontrer par quel moyen les différents passages des Évangiles, qui semblent en désaccord, peuvent se concilier, il intitula son ouvrage : De l'accord des Evangélistes. Le premier livre tout entier est consacré à réfuter ceux qui, reconnaissant qu'on doit honorer le Christ comme un homme d'une sagesse plus excellente que tous les autres, ne voulaient pas qu'on crût à l'Évangile, sous prétexte qu'il n'avait pas été écrit par Jésus-Christ mais par ses disciples, qui voulaient faire passer leur maître pour Dieu et prêchaient, contre le culte des idoles, une doctrine qu'il ne leur avait pas enseignée.(5) Dans les trois autres livres, il montre que les quatre évangélistes ne sont jamais en désaccord ; et il dit que cette partie de l'ouvrage lui a coûté le plus de peine et de travail (6); il ne pouvait en effet s'aider
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(1) Acco~~(!. des Evang. 1 eh. vii, n. 10. (2) Réiract-, 11, cli. xvi. (3) Accord dce Evanû.l, cli. xx-xxvil.(4) Serm ', LXII, Ch. 11, n. 17. (5) Accord de,~ Evang. Il, prol. n. 1. (6) Sur les traits de Pévang. selon satnt Jean 112-117
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des ressources dont se servirent ceux qui dans la suite traitèrent le même sujet, et qui ne trouvèrent après lui presque aucun argument de quelque valeur qui ne vint de lui.
2. Un Chrétien, d'une piété remarquable, bien connu du saint évêque pour qui il avait conçu une grande estime, à cause de ses savants ouvrages (Janvier était son nom), lui avait adressé plusieurs questions sur les sacrements et les rites de l'Église, comme à un docteur à qui rien n'échappait. Comme ces nombreuses questions étaient renfermées dans une sorte de mémoire, comme on dit, Augustin répondit à la première de toutes, dans l'ordre, où elles lui étaient faites. Janvier lui avait demandé, ce que l'on devait faire le jeudi de la dernière semaine de Carême, s'il fallait offrir le sacrifice le matin et encore le soir après-souper, ou jeûner et n'offrir le sacrifice qu'après souper ou bien jeûner et ne souper qu’après le Saint sacrifice, comme on fait ordinairement (1). Il ajourna les autres questions à un autre temps. Mais Janvier lui ayant demandé par lettres de vouloir bien prendre la peine de lui répondre, le saint évêque laissa ses nombreuses occupations pour répondre à ses questions par une seconde lettre qui forme le second livre (2). Entre autres choses Janvier lui demandait pourquoi la fête de Pâques n'était pas célébrée toujours le même jour, comme celle de Noël, et d'où venait que, pour celle-là, on prenait garde à la lune et au sabbat (3). Dans ces deux livres, il parle des coutumes qui étaient en vigueur dans beaucoup d'églises ou dans quelques-unes seulement; et après cette explication, il termine ainsi son ouvrage : « Si vous ne trouvez pas que j'aie suffisamment répondu à vos questions, c'est que vous connaissez aussi peu mes forces que mes occupations, il s'en faut tant que je connaisse tout, comme vous l'avez pensé, il n'y a rien, dans votre lettre, qui m'ait fait plus de peine que ce mot-là, parce qu'il est manifestement contraire à la vérité, et je m'étonne que vous ne sachiez pas que dans la science même de l'Écriture, aussi bien que dans beaucoup d'autres il y a bien plus de choses que j'ignore qu’il n'y en a que je sais. Mais ce qui fait que l'espérance que j'ai mise en Jésus-Christ n'est point sans produire quelque fruit, c'est que non seulement j'ai ajouté foi à cette parole de mon Dieu que la loi et les prophètes se réduisent aux deux grands commandements de l'amour de Dieu et du prochain ; mais encore je l'ai éprouvé et l'éprouve tous les jours. Car, il n'y a ni mystère, ni endroit obscur de l'Écriture qui se découvre à mes yeux, sans que j'y trouve ces deux commandements, parce que la fin de la loi, c'est la charité (4).» Après les livres à Janvier écrits en 400, Augustin composa son ouvrage sur le travail des moines (5).
3. Nous avons vu plus haut que la vie monastique se répandit promptement en Afrique depuis le moment où Augustin l'introduisit dans ce pays et commença à la pratiquer. Carthage ne tarda pas à voir s'élever dans son sein plusieurs monastères, dans lesquels toutefois on ne suivait pas un genre de vie uniforme. Ainsi dans les uns, suivant les préceptes de l'Apôtre, les religieux se procuraient eux-mêmes leur nourriture à la sueur de leur front; dans les autres, au contraire, on vivait des dons de personnes pieuses, sans se livrer à aucun travail pour se procurer les choses nécessaires, non pas parce que les habitants de ces monastères remplissaient aucune fonction ecclésiastique, qui leur permît de vivre de l'autel puisqu'ils servaient à l'autel, ou qu'ils fussent incapables de supporter le travail des mains à cause de l'éducation molle et délicate qu’ils avaient reçue ; car la plupart de ceux qui s'étaient réunis dans ces pieuses compagnies, où ils n'avaient rien à faire, sortaient d'un genre de vie où l'on pratique les plus rudes travaux; mais parce qu'il leur semblait de beaucoup préférable de vaquer à l'oraison, au chant des psaumes, à la lecture, à l'étude et à la méditation de la parole de Dieu qu'ils devaient souvent enseigner et expliquer aux fidèles qui venaient à eux après avoir quitté un autre genre de vie. En s'abstenant de tout travail, ils
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(1) Lettre LIV, Ch. V, n. 6. (2) Lettre LY, a. 1. (3) Ibid., n. 2. (4) Ibid., eh. xx, n. 38. (5) ROract., II, eli. =.
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p212 VIE DE SAINT AUGUSTIN.
prétendaient suivre le précepte de l’Évangile qui nous dit de considérer les oiseaux et les lis des champs, qui ne sèment point, qui ne moissonnent point. Toutefois, ils étaient moins scrupuleux sur ce qui suit, et ils entassaient dans les magasins (Matth, vi, 26), sans se mettre en peine de ces paroles : « qui n'amassent point dans des greniers: » bien plus ils voulaient avoir les mains vides des instruments du travail et leurs greniers bien remplis. Quoique ceux qui s'abstenaient ainsi du travail manuel eussent dû reconnaître leur paresse ou leur faiblesse physique, ils se préféraient à ceux qui pourvoyaient à leurs besoins par un travail pénible et quotidien. C'est pourquoi, de saints prélats, craignaient que les vrais moines qui suivaient une règle de vie plus sainte, ne fussent attirés à l'oisiveté par la spécieuse apparence d'une piété plus parfaite et surtout par la crainte de passer pour des violateurs de l’Evangile auprès des ignorants ; de plus, leur manière de vivre autorisait celle des moines errants, qui, ne pouvant être amenés à travailler dans le calme et le silence, trompaient le peuple qu'ils abusaient par l'habit monastique, et, au moyen de fraudes et fourberies, se faisaient donner de l'argent, au grand détriment de l’honneur monastique. Il en résultait ainsi cet inconvénient très grave que, parmi les laïques, plusieurs qui, par un louable mouvement de charité, leur fournissaient les choses nécessaires à la vie, prenaient la défense de leur oisiveté que d'autres blâmaient sévèrement. De là naquirent entre eux de graves discussions qui agitaient l'Église. De plus, parmi les moines oisifs, il y en avait qui laissaient croître leurs cheveux contre l'ordre de saint Paul, d'autres, ne se faisaient religieux que pour s'attirer un plus grand respect et se procurer un plus grand profit par cette apparence d'humilité. Quelques saints moins honorés même de l'estime des évêques les plus prudents, tombaient aussi dans ce défaut et troublaient ainsi l’Église en excitant dans son sein de dangereuses discussions. En effet, parmi les orthodoxes, les uns, pour ne point condamner des hommes jouissant d'une telle réputation de sainteté, étaient obligés de donner un autre sens aux paroles de saint Paul ; les autres préféraient défendre le sens naturel de l'Écriture plutôt que d’accepter le sens des hommes. Comme les troubles de l’Eglise de Carthage regardaient principalement Aurèle, en sa qualité d'évêque de cette Église, il pria Augustin d'écrire quelque chose sur cette question. Ce saint homme qui désirait ardemment voir la vie monastique se répandre en Afrique ainsi que dans les autres contrées de la chrétienté, ne put refuser la tâche qu'on lui imposait, d'autant plus qu'il était persuadé que c'était le Christ lui-même qui la lui donnait par la bouche de ce saint évêque. Il fit donc pour confondre la vie des moines oisifs l'ouvrage intitulé : Le travail des moines. Il le termina en priant Aurèle de vouloir bien lui indiquer sans crainte, ce qu'il trouverait à retrancher ou à changer dans cet ouvrage. Dans ce livre, il parle d'une manière honorable des moines appelés reclus, et, parmi eux, de ceux qui s'abstiennent du travail. Il fait aussi connaître dans cet ouvrage la discussion qui s'était élevée entre lui et Jérôme au sujet des Apôtres Pierre et Paul.