Grégoire VII 49

Darras tome 22 p. 238

 

    2. Le lendemain 14 mars, la diète reprit séance au palais des légats apostoliques. Le reste des orateurs fut entendu, leurs conclusions furent les mêmes. Aux plaintes et aux arguments déjà produits ils joignirent une nouvelle considération que Berthold de Constance résume en ces termes : « Le pape lui-même, disaient-ils, a reconnu la légitimité de nos griefs contre Henri et la réalité des crimes commis par ce tyran soit contre l'Eglise, soit contre l'État, soit contre les particuliers. Il nous a déliés de notre serment de fidélité ; nous avons donc le droit de déposer un monstre qui s'est rendu par mille forfaits inouïs indigne du nom de roi. Nous sommes pleinement autorisés à lui donner un successeur. C'est là notre désir à tous, notre vœu unanime. —Les légats, reprend Berthold, se montraient stupéfaits de l'énorme quantité de crimes dont ils venaient d'entendre l'énumération, ils ne pouvaient s'empêcher d'admirer la patience avec laquelle les Germains avaient supporté une si horrible tyrannie, mais leurs instructions étaient tellementprécises qu'ils ne pouvaient s'en écarter 2. » Les membres de la diète les conjurèrent de prendre en pitié le malheureux état de l'Allemagne. «Ils leur représentèrent, disent les chroniqueurs, l'imminence d'un schisme qui éclaterait dans tout le royaume, si la diète ne donnait pas immédiatement aux confédérés le nouveau roi qu'ils attendaient pour les dé-

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1.         Paul.Bernried. ViL S. Greg. VU, col. 83. 2. Berthold. Annal.,loc. cit., col. 3S4.

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fendre contre le retour prochain de Henri. Les légats répondaient, en s'appuyant sur leurs instructions que le mieux serait de surseoir si on le pouvait sans péril jusqu'à l'arrivée du seigneur pape, de maintenir quelque temps encore par d'habiles précautions l'état actuel et de ne se presser point d'établir un nouveau roi. « Tel est notre sentiment, ajoutèrent-ils; mais en définitive c'est vous qui tenez en main l'administration de la chose publique ; vous en avez seuls la responsabilité, vous êtes les meilleurs juges de la situation et vous pouvez en balançant les inconvénients et les avantages prendre telle décision que vous croirez convenable 1. » Cette réponse dégageait dans une certaine mesure la conscience des légats. Ils eussent sans nul doute insisté davantage, mais la résolution de la diète était irrévocable. À partir de ce moment ils n'intervinrent plus dans les négociations, qui se poursuivirent hors de leur présence.

 

3. En effet le lendemain 15 mars 1077, ce ne fut plus dans le palais des légats que se tint la conférence définitive, mais dans la demeure et sous la présidence du primat de Germanie  Sigefrid  de Mayence. « La, dit Paul de Bernried, une dernière discussion eut lieu. Les princes firent observer que le voyage du souverain pontife en Allemagne était fort douteux, tandis que le moindre retard dans l'élection d'un nouveau roi exposait à des périls imminents et certains. Le seigneur apostolique conseillait l'abstention mais ne l'imposait pas d'une manière absolue ; il laissait les membres de la diète juges de l'opportunité ; c'était donc sur eux seuls que retomberait la responsabilité des malheurs qu'un nouveau sursis pourrait entraîner. Au point de vue du droit ils avaient cessé d'être astreints à la fidélité féodale envers le roi Henri, puisque le pape les avait relevés eux et tous les chrétiens du serment prêté à ce prince ; la pénitence hypocrite de Canosse avait été suivie d'une absolution qui rétablissait Henri dans la communion ecclésiastique mais non dans ses droits au trône. Les choses ainsi mûrement examinées, les princes furent unanimes à déclarer qu'ils n'étaient plus liés par aucune obligation envers Henri, que leur serment prêté à ce

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1.         Berthold, loc. cit., col. 384. —Paul. Bernried., loc. cit., col. 84.

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roi de même que celui par lequel le jour de son sacre il s'était lui-même engagé envers eux avaient cessé de subsister l'un et l'autre, et qu'enfin comme hommes libres, ut liberi homines, ils pouvaient en conscience procéder à une élection royale1. » Cette conclusion était légalement inattaquable, mais au point de vue de la sagesse politique elle était prématurée. C'est ce que Berthold de Constance exprime d'un mot significatif : « Les princes, dit-il, présumèrent trop de la grâce de Dieu et de leurs propres forces 2. » Restait à déterminer le personnage qui allait être appelé au trône. « Les deux ordres du clergé et de la noblesse, reprend Berthold, délibérèrent séparément sur ce grave sujet. Le corps sénatorial auquel se joignit le collège du peuple toujours avide de nouveautés fut le premier fixé sur le choix ; on voulut cependant attendre pour proclamer le nouvel élu la décision de l'ordre des évêques en qui se trouvait réunie la double puissance spirituelle et temporelle. Le même nom avait réuni les suffrages des trois ordres ; Sigefrid de Mayence le fit connaître au milieu d'une immense acclamation de joie en disant que Rodolphe duc de Souabe était élu roi de Germanie3. » L'éloge que Paul de Bernried fait du nouveau roi mérite d'être cité. « A la vaillance d'un héros, dit-il, Rodolphe joignait l'humilité d'un chrétien. La maturité de son âge, l'éclat de ses vertus, l'édifiante régularité de ses mœurs le rendaient digne du trône. Il opposa à son élection un refus énergique, mais nul ne voulut en tenir compte. Lassé de réclamer en vain contre la violence qui lui était faite, il demanda qu'on voulut bien lui laisser au moins une heure pour se recueillir et prendre conseil ; on lui refusa ce délai; le manteau de pourpre, le diadème royal lui furent imposés malgré ses larmes, et on le fit asseoir sur un trône 4. »

 

4. L'élection s'était faite sans la participation active des légats apostoliques, demeurés fidèles jusqu'au bout à leurs instructions.

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1. Paul. Bernried. Ibid.

2. Proinde nimis in Dei gratia confisi et corroborati. {Annal., loc. cit.)

3. Berthold. Annal, col. 385.

4. Paul. Bernried.,col. 84,

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« Elle fut, dit Bruno de Magdebourg, l'œuvre des Saxons et des Souabes, qui s'accordèrent dans le choix de Rodolphe. » Toutefois les représentants du pape intervinrent avant la prestation solennelle du serment. « Comme chacun des seigneurs devait, dit l'annaliste, se présenter au nouveau roi pour lui jurer fidélité, quelques-uns prétendirent mettre une réserve à leur acte de foi et hommage, en posant à leur profit des conditions préalables. Ainsi l'ancien duc de Bavière Othon voulait que Rodolphe s'engageât à le rétablir dans ses domaines 1. Beaucoup d'autres ayant à faire des revendications du même genre rappelaient les injustices dont ils avaient été victimes et en demandaient le redressement au nouveau roi. Ce fut alors que le légat apostolique interposa son autorité pour mettre un terme à toutes ces exigences particulières. « Celui que vous venez d'élire, dit-il, ne doit pas être le roi des individus mais de la nation tout entière. Il n'a point à s'engager vis-à-vis de chacun de vous, il suffit qu'il promette justice à tous en général. Autrement si son élection unanime n'était que le résultat d'engagements particuliers contractés avec chacun, elle n'aurait plus la sincérité nécessaire ; elle semblerait entachée de simonie. Il y a d'autres engagements publics qu'il convient de faire prendre au nouveau roi, pour assurer l'extirpation des abus trop longtemps en vigueur. Ainsi Rodolphe doit promettre de ne jamais vendre à prix d'argent ni donner à la faveur les évêchés et les abbayes ; il doit promettre de laisser les églises et les monastères procéder librement, selon les règles canoniques, à l'élection de leurs pasteurs. — Cette proposition du légat fut adoptée à l'unanimité2. » On se préoccupa alors de l'ordre à établir pour la succession au trône. «Les princes voulaient, dit Paul de Bernried, que le titre d'héritier présomptif fût dès lors donné au fils du nouveau roi, mais Rodolphe refusa absolument.

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1. On se rappelle qu'Othon injustement spolié par Henri IV avait vu son duché passer aux mains de Welf de Bavière, l'un des plus dévoués partisans de Grégoire VII et du nouveau roi Rodolphe.

2.Brun. Magdeburg. Bell. Sax., col. 553.

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« Après moi, dit-il, je veux que vous soyez libres d'élire celui que vous trouverez le plus digne, soit mon fils soit tout autre1. » Cette noble réponse fut aussitôt convertie en loi. «La diète entière avec l'approbation du légat, reprend Bruno de Magdebourg, statua qu'à l'avenir nul ne pourrait monter sur la trône par droit d'hérédité, suivant la coutume précédente. Un fils de roi fût-il jugé le plus digne ne pourrait succéder à son père qu'en vertu d'une élection spontanée et non par le privilège de la naissance ; s'il était indigne ou même si sa promotion déplaisait au peuple, celui-ci resterait libre d'élire qui il voudrait. » Ces dispositions préliminaires ainsi réglées, les seigneurs prêtèrent serment à Rodolphe et la diète de Forcheim fut terminée. « Or, ajoute Paul de Bernried, le jour même de l'élection le dégel commença ; la neige et la glace qui couvraient la terre en Allemagne et en Lombardie depuis la dernière fête de la Toussaint firent place à la douce chaleur du printemps. Le cœur des sages fut réjoui de cette coïncidence; elle inaugurait le nouveau règne sous de favorables auspices. »


§ II.  Rodolphe roi de Germanie.


5. « Douze jours après, le VII des calendes d'avril (26 mars 1077) qui était cette année le jeudi de la mi-carême, reprend Bruno, le sacre de Rodolphe eut lieu solennellement à Mayence2. » Les légats apostoliques assistèrent à la cérémonie, mais ce fut le métropolitain Sigefrid qui remplit l'office de prélat consécrateur. Evidemment donc les légats prenaient toutes les précautions possibles pour laisser aux princes allemands la responsabilité de l'acte si grave et si périlleux qui s'accomplissait. « Cependant, dit Paul de Bernried, nul n'avait le droit de contester la légalité de l'élection faite à Forcheim. Les princes avaient été déliés par le pape du serment de fidélité prêté par eux au roi Henri. Or, le siège apostolique

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1 Paul. Bernried., loe. cit. Brun. Magdeburg., coi. 55îj

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a reçu de Jésus-Christ la puissance de lier et de délier au ciel et sur la terre. Cette autorité lui a été reconnue dans le passé : c'est ainsi qu'en vertu d'une sentence du pape Zacharie le roi des Francs, Childéric, fut déposé et remplacé par Pépin le Bref. D'ailleurs en qualité d'hommes libres, liberi homines, les princes qui avaient jadis choisi Henri IV pour leur roi lui avaient engagé leur serment sous la condition expresse que lui-même gouvernerait selon les règles de la justice et avec la sage modération qui convient à la majesté royale. Or, ce pacte n'avait jamais été observé par Henri ; la cruauté du tyran, ses violences, la persécution qu'il avait soulevée contre la religion chrétienne, attestaient suffisamment son parjure. Donc même sans aucun jugement du siège apostolique les princes étaient autorisés à déposer un prince parjure, qui affectait de violer toutes les conditions auxquelles son élection avait été soumise. Un chevalier qui a prêté serment à son seigneur ne doit à celui-ci fidélité qu'autant qu'il en reçoit le traitement que tout seigneur doit à son homme-lige. Si le seigneur ne s'acquitte point de son propre devoir, le chevalier est dégagé lui-même de ses obligations1.» Ces raisonnements de l'hagiographe, de tout point conformes au droit public tel qu'il était en vigueur à cette époque, sont absolument corrects. Grégoire VII n'eut jamais la pensée d'en contester la valeur. Mais, nous l'avons dit, la politique du grand pape voyait plus haut et plus loin. L'empire teutonique n'était pas circonscrit aux provinces germaines de la Saxe, de la Souabe ou de la Bavière. Il s'étendait au-delà du Rhin et pardessus les Alpes jusqu'aux rives du Tibre. Or toute l'Italie septentrionale ainsi que les provinces de la Bourgogne et de la Lorraine étaient manifestement favorables à Henri. Créer un nouveau roi dans une pareille situation, c'était proclamer la guerre civile et rouvrir pour l'Allemagne elle-même l'ère sanglante du pillage, du meurtre et de l'incendie. Voilà les malheurs que le génie de Grégoire VII avait prévus et qu'il eût évités à la Germanie si la diète de Forcheim fût entrée dans ses vues de sage temporisation.

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1. Taul. Bernriei., col. 86.

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Rodolphe lui-même eut le pressentiment des désastres qui allaient suivre son élection. L'ardeur des esprits, les préoccupations exclusives du patriotisme local le jetèrent malgré lui dans une lutte qu'il devait soutenir en héros chrétien et illustrer doublement par la gloire de sa vie et l'éclat de sa mort.

 

6. Le jour même de son sacre offrit comme un prélude des combats acharnés qu'il allait avoir à soutenir. «Peu s'en fallut, disent les chroniqueurs, que ce jour, le premier de son règne, ne fût le dernier de sa vie. Au moment où le chœur entonnait l'introït Laetare Jérusalem pour la messe solennelle, Rodolphe aperçut aux côtés de l'archevêque consécrateur un diacre notoirement connu pour simoniaque. Le personnage déjà revêtu de la dalmatique devait chanter l'évangile. Le nouveau roi déclara que, d'après les décrets du seigneur apostolique, il ne souffrirait pas qu'un ministre atteint par les sentences d'excommunication remplît l'office de diacre en sa présence et pour une pareille cérémonie. Sigefrid s'empressa d'éloigner le diacre indigne et le fit remplacer dans sa fonction par un clerc irréprochable. Cet incident prit des proportions énormes. Tous les simoniaques, tous les clérogames le virent avec stupeur. Nul doute que le nouveau roi ne nous force, disaient-ils, à renvoyer nos femmes et à déposer nos titres ecclésiastiques achetés à prix d'argent. Ces discours répétés dans la ville après la messe du sacre soulevèrent une effervescence générale. Presque tous les habitants de Mayence étaient dévoués à Henri; ils saisirent l'occasion de le prouver en épousant la querelle des clérogames. Vers deux heures de l'après-midi, après le banquet du sacre, les jeunes nobles de la suite de Rodolphe organisèrent sur la place de la cathédrale des courses et des jeux équestres. La foule attirée à ce spectacle beaucoup moins par la curiosité que par le désir de le changer en émeute assistait froide et malveillante. Quelques jeunes gens de la ville, émissaires des mécontents, parvinrent à pénétrer dans l'arène. L'un deux coupa un collet de riche fourrure qui ornait le manteau d'un des jeunes courtisans ; celui-ci se retourna, courut à l'insulteur, lui appliqua un vigoureux soufflet et reprit sa parure. Le voleur arrêté

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sur-le-champ par ordre du gouverneur de la ville allait être conduit en prison, lorsque la foule irritée se jeta sur l'escorte et délivra le captif. En même temps les clérogames et les simoniaques faisaient sonner le tocsin pour appeler le peuple aux armes. Or le nouveau roi venait de se rendre, après le banquet du sacre, à la cathédrale de Saint-Martin pour y assister aux vêpres qui commençaient en ce moment. La foule ivre de vin et de fureur se précipita aux abords de l'église et du palais qui y était contigu, aux cris mille fois répétés de : « Mort à Rodolphe ! » Les soldats étaient tous désarmés, car suivant la coutume en vigueur depuis l'établissement de la trêve de Dieu, les gens de guerre ne portaient point d'armes durant le carême. Ils avaient donc laissé chacun dans les maisons où ils logeaient leurs épées et leurs lances, ce qui permit aux émeutiers de s'en emparer. La garde royale fit néanmoins bonne contenance et empêcha la populace de briser les portes de la cathédrale. Les vêpres furent achevées à la hâte ; le roi, l'archevêque et les princes rentrèrent par une porte latérale dans le palais métropolitain. Mais l'émeute grossissait toujours, le sang coulait à flots sur le parvis. Rodolphe ceignit alors son épée et voulut se mettre à la tête de ses chevaliers. Les princes le conjurèrent de ne point commettre la majesté royale dans un pareil conflit et de leur laisser à eux seuls le soin de sa défense et de la leur. Saississant tout ce qui pouvait leur servir d'armes, ils se formèrent en un bataillon compacte et rentrèrent dans la cathédrale, dont les grandes portes avaient jusque-là résisté au choc de la multitude. En passant devant le maître-autel, ils fléchirent le genou pour invoquer la protection divine, puis de toute la force de leurs voix entonnant le chant du Kyrie eleyson, ils ouvrirent les portes à deux battants et se ruèrent sur les flots pressés de la multitude. La populace de Mayence ressemblait à toutes les autres. Brave en face de soldats désarmés, elle s'enfuit lâchement devant une poignée d'hommes de cœur qui lui montraient la pointe d'une épée. La panique fut telle, que nombre de fuyards dans leur course insensée allèrent se précipiter dans le Rhin et y trouvèrent la mort qu'ils voulaient éviter. Cependant les princes et les chevaliers se

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contentèrent de dégager les abords de la cathédrale avec le cimetière qui l'entourait et ne poussèrent pas plus loin leur poursuite. Ils rentrèrent au palais sans avoir perdu un seul des leurs ; dans les rangs de l'émeute, on compta une centaine de morts. Les vainqueurs s'honorèrent par un acte d'humilité chrétienne plus méritoire que leur triomphe. Prosternés aux pieds des légats apostoliques, ils demandèrent à être admis à la pénitence pour avoir versé le sang un jour de carême et sur un terrain consacré. Les représentants du saint-siége leur imposèrent à chacun comme pénitence soit de jeûner durant quarante jours, soit de nourrir une fois pour toutes quarante pauvres à leur choix, déclarant d'ailleurs qu'ils n'avaient point encouru les censures portées contre les homicides et qu'ils n'avaient point, comme tels, à s'abstenir de la communion. Quant aux citoyens de Mayence, dit Berthold, leur frayeur fut telle que le lendemain matin avant l'aube, ils vinrent à genoux implorer la miséricorde de l'archevêque, le suppliant d'intercéder en leur faveur près du nouveau roi. Leur repentir n'était point sincère, Sigefrid ne pouvait se faire illusion à cet égard: il accepta pourtant le rôle de médiateur et obtint grâce entière pour les coupables. Rodolphe reçut sans y croire le serment de fidélité que lui prêtèrent sans intention de le tenir les bourgeois de Mayence et quitta sur-le-champ leur ville. Sigefrid l'accompagna; il ne devait plus lui être permis de rentrer dans une cité dont il était le métropolitain et dans laquelle il venait de sacrer un roi de Germanie1. »

 

   7.Rodolphe fit partir pour Canosse l'un des légats apostoliques Bernard abbé de Saint-Victor de Marseille, ainsi que le saint religieux Christian Guitmond, pour informer Grégoire VII de l'élection qui venait d'avoir lieu et du sacre qui l'avait suivie. Mais les deux envoyés et leur escorte tombèrent entre les mains du comte Udalric de Lintzbourg, partisan de Henri IV. Les lettres dont ils

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1.         Bruno Magdeburg. Bell. Sax., col. 554» — Berthold. Annal., col. S85. —. Paul. Bernried., col. 86. — Bernold. Chronic, col. 1374. — Sigib. Gemblac. Chrome, Pair. Lat., tom. CLX, col. 220.

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étaient porteurs furent saisies avec tous leurs bagages, et eux-mêmes se virent plongés dans un cachot où ils restèrent plusieurs mois sans qu'on sût en Europe ce qu'ils étaient devenus 1. Cependant Rodolphe ayant commencé son voyage de joyeux avènement, selon la coutume usitée en Germanie, se disposait à visiter les principales cités du royaume pour y faire reconnaître son autorité. Mais l'accueil qui lui était réservé ne fut guère moins hostile que celui dont les citoyens de Mayence venaient de prendre l'initiative. Worms tout entière dévouée à Henri ferma ses portes devant Rodolphe et ne voulut pas même recevoir son propre évêque, Conrad, dont le nouveau roi s'était fait accompagner. Des armements considérables avaient lieu dans la ville et les citoyens semblaient déterminés à engager une lutte sanglante. Rodolphe ne jugeant point à propos d'improviser un siège pour lequel rien n'était disposé, se rapprocha de son ancien duché de Souabe où il était sûr de trouver sympathie et obéissance. Il traversa ainsi la villa carlovingienne de Tribur, visita le monastère de Lorsch, la cité d'Esslingen et vint à Ulm pour le dimanche des Rameaux, pendant que son compétiteur Henri solennisait, comme nous l'avons vu 2, cette fête à Vérone (9 avril 1077). Rodolphe se proposait de tenir à Augsbourg durant la semaine de Pâques une cour plénière suivant l'antique usage de la Germanie. Le choix de la ville d'Augsbourg semblait d'autant plus heureux que cette cité avait depuis un an été désignée comme le rendez-vous de toute l'Allemagne appelée à juger solennellement le parjure Henri IV. « Mais, dit Berthold, je ne sais par quel inexplicable revirement les esprits et les cœurs s'éloignaient de Rodolphe. Ce n'étaient pas seulement les chevaliers novices récemment engagée sous ses drapeaux à Forcheim, mais ses plus anciens amis et les Souabes eux-mêmes depuis si longtemps ses hommes-liges qui l'abandonnaient. Il annonça l'intention de faire partir pour Canosse une escorte qui   se   mettrait à la disposition

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1. Berthold. Const., loc. cit., col. 394.

2. Cf. chapitre précédent, n° 65.

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du seigneur apostolique et l'amènerait sain et sauf en Germanie. Les hommes d'armes manquèrent pour cette expédition à laquelle il fallut renoncer. Arrivé à Augsbourg vers le jeudi saint (13 avril), Rodolphe rencontra la plus violente opposition de la part d'Imbrico évêque de cette ville. Ce schismatique obstiné enveloppait dans le même mépris l'autorité du pape et celle du nouveau roi. Durant deux jours il résista aux supplications et aux instances que lui fit le légat apostolique avec les évêques Altmann de Passaw, Adalbéron de Wurtzbourg et Conrad de Worms pour le déterminer à se soumettre aux décrets du saint-siége et à saluer le nouveau roi de Germanie. Il finit par céder de mauvaise grâce, fit une rétractation hypocrite dont saint Altmann et le légat ne voulaient point d'abord se contenter, mais qu'ils admirent cependant à la prière de Rodolphe lui-même. De la sorte Imbrico rétabli ad tempus dans la communion de l'Eglise put officier pontificalement dans sa cathédrale le jour de Pâques (16 mars 1077) 1. »

 

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