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CHAPITRE IX.
Quand fut londée la ville d'Athènes et quelle est l'origine de ce nom, d'après Varron.
En effet, Varron nous explique pourquoi cette ville reçut le nom d'Athènes, emprunté certainement à Minerve, que les Grecs appellent Athèna; voici ce qu'il rapporte. Là, dit‑il, un olivier était tout‑à‑coup sorti de terre, et plus loin une source d'eau. Le roi, ému de ces prodiges, envoie consulter l'oracle de Delphes pour en connaître la signification, et savoir ce qu'il faut faire. La réponse d'Apollon est que l'olivier est le signe de Minerve, l'eau celui de Neptune, et que c'était aux citoyens à décider laquelle des deux divinités ils préféraient pour le nom de leur ville. Après avoir entendu l'oracle, Cécrops convoque au suffrage tous les citoyens des deux sexes; car, selon l'usage de ce pays, les femmes avaient voix dans les délibérations publiques. Les suffrages de la foule recueillis, les hommes s'étaient prononcés en faveur de Neptune, les femmes en faveur de Minerve; et comme il se trouvait une femme de plus, Minerve triompha. Alors Neptune irrité inonde de ses flots débordés le territoire des Athéniens, car il n'est pas difficile aux démons de répandre au loin n'importe quelles eaux. Mais, pour apaiser la colère du Dieu, les Athéniens, selon le même auteur, infligèrent aux femmes une triple peine : elles ne devaient plus désormais donner leurs suffrages; nul enfant à sa naissance ne recevrait le nom de sa mère, et enfin, il fut défendu de les appeler : Athéniennes. Ainsi, cette
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(1) On trouve cependant des historiens païens qui font mention du déluge universel et de l'arche de Noé, ainsi , Bérose le Babylonien, Mnasée Damascène et Jérôme l'Egyptien; Joseph le constate, liv. 1 des Antiq. chap. iv, et d'après lui, Eusèbe, liv. IX, Préparation Évang. chap. iv; mais les écrits de ces païens appartiennent à l'histoire des peuples étrangers, et non à celle des Grecs ou Latins, dont veut parler ici saint Augustin.
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Cité, mère et nourrice des arts libéraux, qui a donné le jour à tous ces philosophes fameux, la plus grande gloire de la Grèce, doit son nom d'Athènes aux démons qui se rient dans la lutte de ces dieux, et dans la victoire d'une femme par les femmes; de plus, la vengeance du dieu vaincu l'oblige à punir la déesse dans sa victoire même, car elle redoute plus les eaux de Neptune que les armes de Minerve. C'est pourquoi la déesse victorieuse est vaincue dans ces femmes ainsi humiliées; et elle ne vient point en aide à celles qui l'ont favorisée, afin que si elles ont perdu leurs droits de vote, si elles sont privées de donner leur nom à leurs enfants, il leur soit au moins permis de s'appeler Athéniennes et de porter le nom de la déesse victorieuse du dieu par leurs suffrages. Que de choses n'y aurait‑il pas à dire, si mon sujet ne me forçait d'avancer?
CHAPITRE X.
Ce que Varron nous apprend du nom de l'Aréopage et du déluge de Deucalion.
Cependant Varron ne veut pas ajouter foi à des fictions injurieuses aux dieux, il craindrait d'avoir des sentiments indignes de leur hautemajesté. Ainsi il n'admet pas que l'Aréopage, où l'apôtre saint Paul discuta avec, les Athéniens (Act. xvii), et dont les juges, précisément à cause du lieu de leurs séances, sont appelés Aréopagites, tire son nom d'une accusation d'homicide portée contre Mars, qui en grec se dit jugé dans ce bourg par douze dieux, six d'entre eux le protégèrent et il fut renvoyé absous; car alors le partage égal des voix était toujours favorable à l'accusé. Varron s'élève donc contre cette opinion la plus généralement admise et il cherche à établir, sur des histoires très‑obscures, une autre origine de ce nom, dans la pensée que si les Athéniens faisaient dériver le nom d'Aréopage de Mars et de bourg, comme pour signifier le bourg de Mars, ce serait une grande injure aux dieux, qui, à son avis, sont étrangers aux procès et aux affaires judiciaires. Aussi, il déclare que cette aventure de Mars n'est pas moins fausse que le récit d'un certain débat entre trois déesses, Junon, Minerve et Vénus, disputant, au tribunal de Pâris, le prix de la beauté, pour obtenir la pomme d'or; il compare aussi tout cela aux jeux inventés pour apaiser les dieux, qui se réjouiraient de leurs crimes vrais ou faux, au milieu des chant, des danses et des applaudisse-
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ments du théàtre.Voilà ce que Varron se garde bien de croire comme contraire à la nature et aux mœurs des dieux; et cependant, au sujet de l'origine du nom d'Athènes qu'il feint d'emprunter non à la fable, mais à l'histoire, il nous rapporte, dans son ouvrage, ce fameux différend de Neptune et de Minerve, qui font assaut de prodiges pour savoir lequel des deux aura le privilége de donner son nom à cette ville; Apollon consulté n'ose se prononcer, et, à l'exemple de Jupiter vis‑à‑vis des trois déesses qu'il renvoya devant Pâris, il en réfère au jugement des hommes; là, Minerve l'emporte par les suffrages, mais elle succombe par le châtiment infligé à celles qui lui ont donné leurs voix; elle obtient, malgré l'opposition des hommes, la faveur de donner son nom à Athènes, et elle ne peut conserver aux femmes qui lui furent dévouées, le nom d'Athéniennes. A cette époque, sous le règne de Cranaüs successeur de Cécrops à Athènes, selon Varron, et sous celui de Cécrops même, selon nos auteurs Eusèbe et Jérôme, arriva le déluge de Deucalion, ainsi appelé parce que les états de ce prince furent surtout soumis aux désastres causés par ce fléau (1). Mais ce déluge ne s'étendit ni à l'Égypte, ni aux pays voisins.
CHAPITRE XI.
A quelle époque Moise fit sortir le peuple de l'Egypte, et sous quels rois mourut Jésus Navé, son successeur.
Moïse fit sortir d'Égypte le peuple de Dieu, à la fin du règne de Cécrops à Athènes, quand régnaient Ascatades en Assyrie, Marathus à Sicyone et Triopas chez les Argiens. Après la sortie d'Égypte, il transmit au peuple la loi donnée par Dieu sur le mont Sina, c'est‑à‑dire le vieux Testament, ainsi appelé parce qu'il ne contient que des promesses terrestres, et que Jésus‑Christ devait révéler le Nouveau qui promet le royaume des cieux. Et il fallait garder ici le même ordre dont parle l'Apôtre pour tout homme qui s'avance vers Dieu. Ce n'est pas, dit‑il, « l'élément spirituel qui précède, mais l'élément animal, vient ensuite l'élément spirituel : » car, ajoute‑t‑il et avec vérité :« Le premier homme formé de terre, est terrestre; le second, descendu du ciel, est céleste. » (I. Cor.
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(1) Orose rapporte, Liv. 1, chap. ix, que le déluge de Deucalion arriva l'an 800 avant la fondation de Rome, sous le règne d'Amphictyon, qui fut a Athènes, le troisième roi, depuiq Cécrops.
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xv, 46 et 47.) Moïse gouverna le peuple de Dieu dans le désert pendant quarante ans; et il mourut à l'âge de cent vingt ans, après avoir aussi lui‑même prophétisé le Christ, par les figures des observances légales, par le tabernacle, le sacerdoce, les sacrifices et beaucoup d'autres préceptes mystérieux. A Moïse succéda Jésus Navé; il établit le peuple dans la terre promise, après avoir exterminé, selon l'ordre de Dieu, les peuples qui occupaient cette contrée. Depuis la mort de Moïse, il gouverna le peuple pendant vingt‑sept ans, et mourut ensuite, sous les règnes d'Amyntas, dix‑huitième roi des Assyriens; de Corax, seizième roi des Sicyoniens; de Danaüs, dixième roi des Argiens; et d'Erichton, quatrième roi des Athéniens.
CHAPITRE XII.
Sacrifices des faux dieux établis par les rois de la Grèce, depuis la sortie d’Israël de l'Egypte, jusqu'à la mort de Jésus Navé.
Pendant ce temps, c'est‑à‑dire depuis la sortie d'Israël de l'Égypte, jusqu'à la mort de Jésus Navé, qui partagea au peuple la terre promise, les rois de la Grèce instituèrent, en l'honneur des faux dieux, des fêtes solennelles, dont la célébration rappelait aux hommes le souvenir du déluge et de leur délivrance, ainsi que de cette époque où leur misérable vie se passait, tantôt sur les montagnes, tantôt dans les plaines. Car les prêtres du dieu Pan, en montant et en descendant la voie sacrée (1), sont, dit‑on, la figure des hommes que l'inondation force à gagner le sommet des montagnes, d'où ils redescendent ensuite vers la plaine, quand les eaux se retirent. Au même temps vivait Dionysius, appelé aussi père Liber; après sa mort, il fut regardé comme un dieu; on rapporte qu'il apprit à son hôte, dans l'Attique, à cultiver la vigne. Alors des jeux de musique furent établis en l'honneur d'Apollon de Delphes pour apaiser sa colère; on lui attribuait la stérilité qui désolait la Grèce, parce qu'on n'avait pas su défendre son temple de l'incendie, quand le roi Danaïts vint porter la guerre dans ces contrées. Ces jeux auraient été institués sur la recommandation d'un oracle. Le roi Erichton fut le premier à les introduire dans l'Attique, non-seulement en l'honneur d'Apollon, mais aussi en l'honneur de Minerve. On donnait pour prix aux vainqueurs une branche d'olivier, car on
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(1) La voie sacrée, dont Varron fait en quelque sorte la description dans son traité de la langue latine, est ainsi appelée, à cause de l'alliance conclue en cet endroit, entre Romulus et Titus Tatius, roi des Sabins ; cette voie était escarpée; c'est pour cela que les prêtres des Lupercales, c'est‑à‑dire ceux qui faisaient des sacrifices au dieu Pan, étaient obligés de monter et de descendre en parcourant cette voie.
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rapportait à Minerve la découverte de l'olivier, comme celle de la vigne à Liber. Alors, Xantus, roi des Crétois, que d'autres historiens nomment différemment, enleva, dit‑on, Europe, dont il eut Rhadamanthus, Sarpédon et Minos; on croit plus généralement qu'ils étaient par la même mère, fils de Jupiter. Mais les adorateurs de ces divinités font passer pour de l'histoire véritable ce que nous rapportons du roi de Crète ; et tout ce que les chants des poètes, les clameurs des théâtres et les solemnités publiques proclament de Jupiter, est mis sur le compte du mensonge et de la fable, pour avoir occasion de donner des jeux qui apaisent les dieux, même par la représentation de leurs crimes prétendus. Alors aussi Hercule était illustre à Tyr, sans doute un autre que celui dont nous avons parlé plus haut, car dans les plis les plus cachés de l'histoire, on trouve plusieurs Liber et plusieurs Hercule. Celui‑ci illustré par ses douze travaux, n'est pas celui qui tua Antée l’Africain, c'est l'œuvre d'un autre Hercule, mais celui qui se brûla lui‑même sur le mont OEta. Ce fier courage qui lui avait fait dompter des monstres, est vaincu par la douleur sous laquelle il succombe. C'est encore à cette époque que le roi ou plutôt le tyran Busiris immolait ses hôtes à ses dieux; il était, dit‑on, fils de Neptune, et avait pour mère Libia, fille d'Epaplius. Cependant n'imputons point ce crime à Neptune, dans la crainte qu'il n'en rejaillisse quelque blâme sur les dieux; rejetons‑le sur les poètes et sur les théâtres qui se servent de ces récits fabuleux pour conjurer les vengeances du ciel. Erichton, roi des Athéniens, dont la fin de la vie correspond aux temps de la mort de Jésus Navé, était, on le dit du moins, fils de Vulcain et de Minerve. Mais comme on veut que Minerve soit vierge, on rapporte qu'au milieu du débat survenu entre les deux divinités, Vulcain troublé laissa tomber sa semence sur la terre, et que c'est à cette circonstance qu'Erichton a dû sa naissance et son nom; car en grec éris signifie dispute, et ktone terre. Il est vrai que les savants rejettent ce récit comme un affront à leurs dieux; et pour expliquer l'origine de cette fable, ils disent qu'à Athènes où il n'y avait qu'un seul temple pour Vulcain et Minerve, ou trouva un jour un enfant, enveloppé d'un serpent qui figurait sa grandeur future; et comme les parents restèrent inconnus, on attribua à Vulcain et à Minerve cet enfant aban-
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donné dans un temple commun aux deux divinités. Cependant, la fable explique mieux l'origine de ce nom que cette histoire. Mais que nous importe? Il suffit que l’histoire serve à instruire les hommes religieux, tandis que la fable par ses jeux réjouit les démons impurs. Voilà donc ceux que ces hommes religieux adorent comme des dieux. Que s'ils refusent d'admettre ces récits fabuleux, ils ne peuvent pas néanmoins justifier complètement leurs dieux, puisque c'est sur leur demande que se font ces jeux où sont représentées ces actions honteuses, que la sagesse humaine semble vouloir nier; et c'est par ces mensonges et ces turpitudes que l'on se vante d'apaiser les dieux; mais quand même la fable publierait des crimes faussement attribués aux dieux, se réjouir de crimes même supposés, est un véritable crime.
CHAPITRE XIII.
Inventions fabuleuses qui se rapportent au temps des juges.
Après la mort de Jésus Navé, le peuple de Dieu fut gouverné par des juges; cette époque est une continuelle alternative de revers humiliants, conséquence des péchés d'Israël et de consolantes prospérités dues à la miséricorde de Dieu. Ce temps est fécond en inventions fabuleuses: sur l'ordre de Cérès, Triptolème, porté sur des serpents ailés, distribue dans son vol, du blé, aux contrées désolées par la famine; le Minautore, monstre renfermé dans un labyrinthe, ne laisse plus sortir les hommes une fois engagés dans ces détours sans fin; les Centaures réunissent la nature de l'homme et celle du cheval; Cerbère, animal à trois têtes, est le chien des enfers; Phryxus et Rellé, sa «soeur, volent, portés sur un bélier: Gorgone, dont la chevelure est formée par des serpents, change en pierres ceux qui le regardent; Bellérophon est monté sur un cheval ailé, qu'on appelle Pégase; Amphion enchante et attire les rochers par les sons harmonieux de sa lyre; Dédale se fabrique des ailes et s'envole avec son fils Icare; OEdipe parvient à résoudre l'insoluble problême proposé par le sphinx, et force ce monstre à face humaine et à quatre pieds, à se precipiter dans la mer; Antée, fils de la terre, est étouffé par Hercule, parce qu'en tombant sur la terre, il se relevait encore plus fort qu'auparavant; et d'autres fables semblables que j'oublie sans doute. Ces fictions nous conduisent jusqu'à la guerre de Troie, où Varron termine son second livre des antiquités romaines; elles sont basées sur des événements appartenant à
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l'histoire, et tellement imaginées par l'esprit humain, qu'elles ne sont point un sujet de honte pour les dieux. Quant à ceux qui attribuent fictivement à Jupiter le crime du roi Tantale, c'est-à‑dire l'enlèvement d'un très‑bel enfant nommé Ganimède; ou la séduction de Danaé, au moyen d'une pluie d'or, pour nous laisser entendre que l'or a triomphé de la pudeur d'une femme, que ces récits, soient vrais ou supposés, ou que ces actions aient été commises et attribuées à Jupiter, on ne saurait vraiment assez dire combien il a fallu que ces hommes présumassent alors de la dépravation du cœur humain, pour le croire capable de supporter patiemment de pareils mensonges, qu'il accueille même avec plaisir. Cependant, plus on est dévoué au culte de Jupiter, plus on devrait punir avec sévérité ceux qui osent publier ces infamies. Mais, au lieu de s'irriter contre ceux qui en sont les auteurs, on redoute au contraire la colère des dieux mêmes, si de telles fictions n'étaient pas reproduites sur les théâtres. En ce temps‑là, Latone enfanta Apollon, non cet Apollon dont ou consultait habituellement les oracles et dont j'ai parlé plus haut, mais celui qui fut, avec Hercule, pasteur des troupeaux du roi Admète; et cependant, il fut si bien regardé comme un Dieu, que la plupart des historiens, pour ne pas dire tous, croient qu'il n'y eût qu'un seul et même Apollon. Alors aussi, Liber fit la guerre dans l'Inde; il eut dans son armée un grand nombre de femmes appelés Bacchantes, plus célèbres par leurs extravagances que par leur valeur. Les uns disent que Liber fut vaincu et fait prisonnier; les autres, qu'il fut tué dans une bataille par Persée; on cite même le lieu de sa sépulture. Cependant, c'est en son nom comme au nom d'un dieu que, par l'influence impure des démons, les sacrées ou plutôt les sacriléges bacchanales furent établies, et les turpitudes de ces forcenés firent tellement rougir le Sénat, qu'après tant d'années il les bannit de la ville de Rome. A cette époque appartiennent encore Persée et sa femme Andromède : on crut si bien qu'après leur mort ils furent reçus dans le ciel, que l'on ne rougit pas de désigner leur image par des étoiles auxquelles on donna hardiment leurs noms.
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CHAPITRE XIV.
Des poètes théologiens.
En ce même temps, il y eut des poètes, appelés aussi théologiens, parce qu'ils composaient des vers en l'honneur des dieux, mais de dieux qui, bien que grands hommes, furent néanmoins des hommes; ou ils font partie des éléments de ce monde, ouvrage du vrai Dieu; ou bien ils sont placés au rang des principautés et des puissances, par la volonté du Créateur, et non par leurs mérites. Et si, parmi tant de fables et de faussetés, ces poètes ont célébré les louanges du vrai Dieu, comme en même temps que lui ils en adoraient d'autres qui ne sont pas dieux, et comme ils leur ont rendu l'hommage qui nest du qu'à Dieu seul, ils n'ont pas honoré Dieu par le culte légitime qui lui revient, et Orphée, Musée, Linus, eux‑mêmes, n'ont pu s'empêcher de couvrir leurs dieux de ces flétrissures fabuleuses. Mais si ces théologiens ont honoré leurs dieux, ils n'ont pas été honorés comme dieux, bien que la Cité des impies donne à Orphée, je ne sais pourquoi, le droit de présider aux sacrifices ou plutôt aux sacriléges infernaux. La femme du roi Athamas, appelée Ino, et son fils Mélicertes se vouèrent volontairement à la mort en se précipitant dans la mer, et l'opinion, commune les mit au rang des dieux, avec plusieurs autres hommes de ce temps‑là, entre autres Castor et Pollux. Les Grecs appellent Leucothéa, la mère de Mélicertes, et les Latins, Matuta; mais les uns et les autres la considèrent comme une déesse.
CHAPITRE XV.
Fin du royaume des Argiens; en même temps chez les Laurentins apparaït Picus, fils de Saturne, qui, le premier, monta sur le trône de son père.
A cette époque, finit le royaume des Argiens, transféré à Mycènes, où naquit Agamemnon; alors commence le royaume des Laurentins, Picus, fils de Saturne, en occupe le trône, le premier, au moment où la femme Débora était juge chez les Hébreux. L'esprit de Dieu la dirigeait, car elle était prophétesse; mais ses prophéties sont si obscures, qu'il nous faudrait de longues explicalions pour faire saisir comment elles se rapportent au Christ. Les Laurentins régnaient donc déjà en Italie, c'est évidemment
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d'eux, après les Grecs, que les Romains tirent leur origine. Cependant, le royaume des Assyriens subsistait encore, et Lamparès était leur vingt‑troisième roi, quand Picus commençait le royaume des Laurentins. Quant à Saturne, père de ce Picus, que les adorateurs de tels dieux déclarent ce qu'ils en pensent, puisqu'ils disent qu'il n'était pas homme. Plusieurs rapportent qu'il régna lui‑même en Italie avant son fils Picus; et Virgile dit de lui dans ces vers si connus : « Il rassemble ce peuple sauvage et dispersé sur les hautes montagnes, il lui donne des lois et il appelle cette contrée le Latium, parce qu'il s'y trouve en sûreté. On dit que, sous son règne, eut lieu l'âge d'or. » (Enéid. viii.) Mais qu'ils regardent ces paroles comme des fictions poétiques, qu'ils donnent plutôt au père de Picus, le nom de Sterce, cet agriculteur distingué qui inventa, dit‑on, le moyen de féconder les champs avec le fumier des animaux, matière appelée Stercus, à cause de son nom qui fuit changé lui‑même par quelques‑uns, en celui de Stercutius. Or, quelle que soit la raison qui l'ait fait appeler Saturne, il est certain, du moins, que Sterce ou Stertius eut l'honneur d'être le dieu de l'agriculture. Son fils Picus qui, dit‑on, se rendit célèbre comme augure et comme guerrier, fut aussi au nombre de ces dieux. Picus engendra Faunus, second roi des Laurentins; celui‑là est encore un de leurs dieux, ou il l'a été. Ainsi, avant la guerre de Troie, on accordait les honneurs divins à des hommes morts.
CHAPITRE XVI.
Diomède, après la ruine de Troie, est mis au rang des dieux; la tradition rapporte que ses compagnons furent changes en oiseaux.
La ruine de Troie consommée, ruine publiée de toutes parts et connue même des enfants, ruine dont la célébrité s'est répandue et par son importance particulière, et par l'éloquence des historiens qui en ont fait le récit, cette ruine, accomplie sous le règne de Latinus, fils de Faunus, depuis lequel les Laurentins s'appelèrent les Latins, les Grecs victorieux abandonnant la ville réduite en cendres et retournant dans leur patrie, furent dispersés par d'horribles tempêtes et soumis à toutes sortes de calamités; mais ces désastres ne servirent qu'à multiplier leurs dieux. Ainsi, ils firent un dieu de Diomède; et cependant, on regardait comme une punition du ciel les obstacles qui entravaient son retour; de plus, on affirmait non sur les récits des poètes ou d'après des fables mensongères, mais sur des témoi-
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gnages historiques, que ses compagnons étaient changés en oiseaux, et lui, devenu dieu, ne put leur rendre leur première nature, ni du moins obtenir cette faveur de Jupiter son chef, pour sa bienvenue dans le céleste empire. On dit encore que Diomède a un temple dans l'île Diomédéa, non loin du mont Garganus en Apulie, et que les mêmes oiseaux volent autour de ce temple, au culte duquel ils sont si dévoués, qu'ils se remplissent le bec d'eau pour l'arroser; que si des Grecs, ou des individus d'origine grecque viennent en ce lieu, ces oiseaux sont non‑seulement paisibles, mais caressants; qu'au contraire, s'ils voient arriver des étrangers, ils volent autour de leurs têtes, et les frappent si violemment qu'ils les font mourir; car on assure qu'ils sont armés de becs très‑durs et très‑longs, propres à ces sortes de combats.
CHAPITRE XVII.
Incroyables métamorphoses d'hommes rapportées par Varron.
Pour appuyer ce récit, Varron rapporte d'autres faits non moins incroyables de cette fameuse magicienne, Circé, qui changea aussi en bêtes les compagnons d'Ulysse; et de ces Arcadiens qui, après avoir tiré au sort, traversent à la nage un certain étang et sont changés en loups, vivant avec les bêtes auxquelles ils ressemblent au milieu des déserts de cette contrée. S'ils s'abstiennent de chair humaine, au bout de neuf ans, ils repassent à la nage le même étang et redeviennent des hommes. Enfin, il parle en particulier d'un certain Déménétus, qui, ayant goûté du sacrifice d'un enfant immolé par les Arcadiens en l'honneur de leur dieu Lycœus, fut changé en loup, et qui, dix ans après, rendu à sa forme primitive, prit part aux jeux olympiques et remporta le prix du pugilat. Le même auteur ajoute, d'après ses convictions personnelles, que ce nom de Lycieus donné en Arcadie à Pan et à Jupiter, a pour seule cause cette métamorphose d'hommes en loups, changement d'ailleurs que ces peuples ne peuvent attribuer qu'à la puissance des dieux. En effet, loup en grec se dit louchos, d'où vient, on le voit clairement, le nom de Lycœus. Varron affirme encore que les Luperques de Rome tirent leur origine de ces mystères, dont ils seraient, pour ainsi dire, les descendants.