Darras tome 15 p. 308
14. Cette lettre, où un si profond dévouement au saint-siége se joint à une liberté toute filiale de langage, fut comme le testament de l'illustre moine. La pensée de la mort prochaine dominait dès lors son esprit, et lui inspirait les strophes suivantes qu'il adressait à un ami : « Ce monde passe et décroît chaque jour, nul vivant ne restera, nul vivant n'est resté. Le genre humain tout entier a même naissance, vie pareille, fin égale. A ceux qui portent le flambeau de la vie, la mort apparaît soudaine; tout orgueil, toute activité s'éteint dans les affres de la mort. Chaque jour diminue la vie présente, tant aimée des pécheurs; la peine qu'ils se préparent durera éternellement. Ils s'efforcent de retenir une vie qui glisse dans leurs mains; ils s'étourdissent dans l'incrédulité sur l'immuable avenir. Qu'ils règnent donc et qu'ils jouissent une heure, comme en rêve; les éternels tourments sont déjà prêts pour eux. Aveugles, ils ne voient pas ce qui reste après la mort aux pécheurs impies, le fruit même de leur impiété. Ami, il convient de méditer ces choses; garde-toi d'aimer une telle vie. Au le-
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1 S. Columban., Epist. v; Pair, lat., tom. LXXX, col. 274-232.
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ver du soleil, l'herbe des champs, la fleur se fanent; il en est ainsi de toute jeunesse que la vertu n'accompagne point 1. » Au moment où il parlait ainsi, un illustre exemple sanctionnait ses graves enseignements. Thierry II, son persécuteur, succombait à une attaque de dyssenterie et mourait à vingt-six ans. Il laissait quatre fils, dont l'aîné, Sigebert, atteignait à peine sa onzième année. Leur bisaïeule Brunehaut reprit pour la troisième fois les fonctions de régente; elle espérait conserver l'intégralité des domaines de Thierry, c'est-à-dire les trois royaumes des Burgondes , d'Orléans, d'Austrasie, sans faire de partage entre les quatre orphelins, du moins jusqu'à l'époque de leur majorité. Mais le temps et la fortune lui manquèrent; une brusque invasion de Clotaire II, concertée avec un soulèvement général de la noblesse franque, aussi bien des évêques et des seigneurs austrasiens, ayant Arnulf de Metz et Pépin de Landen à leur tête, que des barons burgondes aux ordres du maire du palais [major domus) Varnachaire, la surprit sans défense à Metz. Elle prit la fuite, mais atteinte dans la villa d'Orbe, près du lac de Neufchâtel, par le connétable (comes stabulanus) Herpès, elle fut ramenée à Clotaire II, que déjà les conjurés avaient proclamé roi de tous les Francs, et qui avait inauguré son triomphe par le massacre des enfants de Thierry. Clotaire accueillit sa captive par les invectives les plus violentes, lui imputant effrontément la mort des plus illustres victimes de Frédégonde. Après l'avoir tourmentée pendant plusieurs jours par divers supplices, il la fît promener sur un chameau dans les rues du camp, à travers les huées et les malédictions de la soldatesque. Enfin il commanda de l'attacher à la queue d'un cheval indompté, qui parsema au loin la campagne des chairs sanglantes d'une femme de quatre-vingts ans, d'une reine qui avait gouverné les Gaules près d'un demi siècle. La populace recueillit sur les pierres et les ronces du chemin ce qui restait de ses membres épars, et les brûla avec une joie féroce (613).
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1 S. Columban,, De vanit. et miseria vitae mortal.; Pair, lai., tom. LXXX, col. 293.
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15. Dans le catalogue des saint canonisés, Colomban n'est pas le seul nom qui rappelle les erreurs et les vengeances de Brunehaut. Comme Frédégonde sa rivale, la reine de Neustrie eut à se reprocher le meurtre d'un évêque, et sa mémoire reste souillée du sang d'un martyr. En 596, un noble gallo-romain d'Autun, Desiderius (saint Didier), fut appelé par les suffrages unanimes du clergé et du peuple de Vienne au siège de cette métropole. Desiderius avait été archidiacre des quatre derniers titulaires ses prédécesseurs. Sa réputation de vertu et de science était telle, que les Goths de Tolède nouvellement convertis le consultaient comme un oracle. Plus tard, leur roi Sisebut tint à honneur d'écrire lui-même sa vie 1. On se rappelle que, dans son amour pour les lettres, Desiderius donnait lui-même des leçons de littérature profane aux jeunes gens de son école épiscopale; ce qui lui valut les reproches paternels de saint Grégoire le Grand 2. Il se soumit avec une respectueuse et prompte obéissance, et continua de correspondre avec l'illustre pontife, qui lui recommanda spécialement les missionnaires envoyés alors en Grande-Bretagne. « Votre charité fraternelle nous est bien connue, lui disait-il, et votre amour pour le bienheureux Pierre, prince des apôtres, nous fait compter sur votre dévouement et votre actif concours 3. » Desiderius, ainsi que Colomban, s'élevait avec une liberté tout apostolique contre les désordres de Thierry II. Brunehaut ne pardonna pas plus à l'un qu'à l'autre. Pour exiler l'abbé de Luxeuil, un ordre royal avait suffi ; mais pour chasser un évêque de son siège, il fallait une accusation juridique et une sentence conciliaire. La reine se procura l'une et l'autre. A prix d'argent, on acheta le faux témoignage d'une malheureuse perdue de mœurs, laquelle eut l'impudence d'articuler contre Desiderius une accusation infâme. Le métropolitain de Lyon, Aridius, eut la faiblesse d'accueillir la plainte. Un synode fut réuni sous sa présidence à Chalon-sur-Saône (G03), et prononça la déposition du pieux évêque. Nous n'avons plus les
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1 Sisebut., Vit. S. Desider.; Patr. lat., tom. LXXX, col. 378. — 2. Cf. p. 79 de ce présent volume, etS.Gregor. Magn., Epist. 5i, lib. XI; Pair, lat., t. LXX.VII, col. 1171. —3. Patr. lat., tom. cit., col. 83S.
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actes de ce conventicule simoniaque. Les historiens se contentent de dire qu'Aridius, fauteur et complice de Brunehaut, servit docilement les haines de la cour. Desiderius fut exilé dans l'île de Levisio 1. On lui donna pour successeur un intrus, nomme Domnolus 2, « véritable serf du diable, disent les hagiographes, aussi souillé de crimes que Desiderius était plein de vertus3. » Dans sa retraite forcée, Desiderius mena la vie d'un anachorète. Bientôt les miracles que Dieu opérait par son intercession attirèrent un concours immense. Un sourd-muet subitement guéri, trois lépreux rendus à la santé, parcouraient la Burgondie où ils étaient connus, montrant partout le vivant témoignage de la sainteté du proscrit. Un des faux témoins qui avaient déposé contre lui au synode de Châlon, fut massacré, sous les yeux de Thierry et de Brunehaut, par la foule irritée. En présence de ces manifestations, populaires d'une part, surnaturelles de l'autre, Brunehaut donna l'ordre de rétablir l'homme de Dieu sur le siège de Vienne, dont il était dépossédé depuis quatre ans. Les députés royaux vinrent le trouver dans sa solitude. Prosternés à ses pieds, ils le supplièrent d'oublier une condamnation frauduleuse et injuste ; mais le saint évoque refusa de les suivre 4. Il fallut que la population de Vienne se présentât éplorée devant son pasteur, pour vaincre sa résistance. Desiderius se laissa fléchir. « Lorsqu'il rentra à Vienne, le peuple crut revoir la lumière du ciel après de longs jours de ténèbres ; les fidèles chantaient des cantiques d'allégresse dans les rues de la cité. Comme autrefois à Éphèse quand l'apôtre Jean revint de Pathmos, la foule se porta à sa rencontre en criant : Béni soit celui qui revient au nom du Seigneur ! Ce fut au milieu de ces transports d'enthousiasme
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1 Nous n'avons pu, malgré toutes nos recherches, rétablir l'identification de cette localité, que les BoIIandistes eux-mêmes se contentent de citer d'après le texte des actes contemporains. (Cf. Boll., Act. Sanct., 23 maii.)
2 Labbe, Concil. Collecl., tom. V, col. 1612. — 3 Sisebut., Vit. S. Desid.; Pati: lai., tom. LXXX, col. 579.
4 Nous avons vu S. Jean Chrysostome refuser également de reprendre ses fonctions pastorales avant d'être réhabilité par un concile. C'est sans doute le même scrupule qu'avait alors Desiderius. Cf. Sisebut., Vit. S. Desidcr. ; Patr. lai., tom. LXXX, col. 381. Bolland., S. Desider. acta ab auctore cocevo, 23 maii.
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qu'on le força de nouveau à s'asseoir sur le siège pontifical, et l'intrus Domnolus fut contraint de prendre la fuite. » Cependant la colère de Brunehaut n'était point désarmée. Le juge royal de Vienne, choisi parmi les courtisans les plus serviles, multipliait les persécutions contre le saint évêque. Un jour il fit saisir douze clercs pendant un office pontifical, et les jeta au fond d'un cachot. Mais, après quelques mois de détention, les captifs virent miraculeusement les chaînes tomber de leurs mains et les portes de la prison s'ouvrir d'elles-mêmes. Ils revinrent pleins de joie retrouver Desiderius, aux prières duquel ils attribuaient leur délivrance. D'autres miracles, tels que la multiplication du pain, de l'huile et du vin en un temps de disette, fixèrent de nouveau l'attention publique sur l'homme de Dieu. Le jeune roi Thierry, qui semble dans toute cette histoire avoir subi plutôt que secondé l'ascendant de sa mère, témoigna le désir de connaître le saint évêque. L'entrevue eut lieu dans une ville que les Actes ne nomment pas. Thierry, déjà ébranlé par les reproches de saint Colomban, consulta sérieusement Desiderius, et lui demanda si l'Église ne pouvait tempérer la sévérité de ses lois sur le mariage, pour accorder quelque chose à la jeunesse et à la fougue des passions. L'homme de Dieu répondit en développant le mot de saint Paul : Unusquisque uxorem habeat, et unaquœque suum virum. Il le fit avec une éloquence et une majesté telles que les assistants applaudirent. Mais Brunehaut, qui spéculait sur les désordres de son petit-fils pour maintenir sa propre autorité, ne voulait pas d'une reine légitime près du jeune prince. Elle envoya trois officiers; Beffano, Gasifred et Betton, avec ordre de massacrer le pontife. Ils l'atteignirent au village actuel de Saint-Didier-de-la-Chaloronne, près Lyon. Atteint d'abord d'une pierre à la tête, le martyr se mit à genoux, recommanda à Dieu son peuple, pria pour ses bourreaux, et reçut un coup de bâton qui l'étendit sans vie sur le sol (23 mai 607).
29. Telle fut la mort de Desiderius. Notre impartialité nous fait un devoir d'insister sur le rôle odieux de Brunehaut dans ce tragique épisode. Les actes de saint Didier appartiennent à trois sources diverses : les premiers, reproduits par les Bollandistes,
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sont d'un auteur viennois, contemporain du martyr; les seconds furent rédigés par le roi espagnol Sisebut, parent à un degré très-proche et également contemporain de Brunehaut; les troisièmes, recueillis et mis en ordre d'après les documents originaux par saint Adon de Vienne 1, sont un monument du IXe siècle. Mais les uns et les autres s'accordent à rejeter sur Brunehaut seule la responsabilité du crime; ils considèrent même le supplice infligé plus tard à cette reine comme un châtiment de la justice divine. Il semble donc que sur la fin de sa longue carrière, l'ancienne rivale de Frédégonde avait oublié les sages conseils qu'à une autre époque lui donnait saint Grégoire le Grand, et qu'elle cessa de mériter les éloges dont il l'honorait alors. Cependant d'autres récits hagiographiques nous présentent Brunehaut sous un meilleur jour. Après la bataille de Dormelles2, où Clotaire II avait subi une défaite qui paraissait irrémédiable (600), les troupes austrasiennes, commandées par Thierry II et par Brunehaut en personne, pénétrèrent dans le royaume de Neustrie, pillant et ravageant tout sur leur route. Elles vinrent assiéger la ville de Chartres. Les habitants, et à leur tête l'évêque Betharius (saint Bohaire), préparèrent une vigoureuse défense. Betharius avait été sacellaire, ou, comme nous dirions aujourd'hui, aumônier de Clotaire II. Il s'était fait admirer à la cour de Neustrie par sa piété, son dévouement, sa vertu. «Selon la coutume des rois, dit l'hagiographe, Clotaire avait dans son trésor un grand nombre de saintes reliques. Il en confia la garde à Betharius, qui se montra saint parmi les reliques des saints, et vérifia le mot de l'Écriture 3 : Cum sancto sanctus eris 4. » Lorsque le clergé et le peuple de Chartres, à la mort de Papulus 5 leur
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1.S. Adon., Vila et passio Desider.; Patr. lat., tom. CXXV, col. 435.
2. Dormelles, village de l'arrondissement de Fontainebleau, situé au sud de Montereau et au N-E. de Nemours. Le carnage fut tel, qu'au dire des chroniqueurs la rivière de l'Orvane, qui coule dans la plaine, fut teinte de sang. — 3 Psalni. xvil, 26. — 4 Bolland., Ad. Sunct., S. lielhatii, 2 aug.
3. Il ne faut pas confondre Papulus évêque de Chartres au VIe siècle, avec son homonyme Papulus, disciple de S. Saturnin de Toulouse, martyrisé près de Castelnaudary, dans la ville qui porte aujourd'hui le nom de Saint-Papoul.
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évêque, vinrent demander à Clotaire II de lui donner Betharius pour successeur, le prince ne se décida qu'avec peine à se séparer d'un prêtre « qu'il vénérait comme l'ange du Seigneur. » Avec de tels antécédents, on conçoit que Betharius dut opposer une résistance énergique à l'armée d'Austrasie, victorieuse de Clotaire. De tous les trésors capables de tenter la cupidité des vainqueurs dans la ville de Chartres, c'était à lui surtout qu'on en voulait1. Toutefois les assiégeants entrèrent en pourparlers et jurèrent de respecter hommes et choses, si les portes de la cité leur étaient volontairement ouvertes. Betharius ajouta foi à leur serment; mais aussitôt les barbares, se précipitant avec rage dans les rues, commencèrent le pillage et le massacre. Dans son désespoir, l'évêque se jeta héroïquement au-devant d'eux. « Tuez-moi, dit-il, mais épargnez une population innocente. » Les soldats l'entourèrent, et lui attachant les mains avec la corde de leur fronde, le conduisirent au vicus de Vilemeldis (Villemeu) sur la rivière d'Audura (l'Avre), où Brunehaut et Thierry campaient avec leur cour. A la vue de l'homme de Dieu si indignement traité, le roi, la reine, les grands se prosternèrent à ses pieds, le priant de leur pardonner et d'intercéder pour eux le Seigneur. Betharius, les larmes aux yeux, accueillit leur requête. On lui rendit le butin et tous les prisonniers dont les soldats s'étaient emparés à Chartres. Cette fois, Brunehaut avait agi en reine chrétienne, et Dieu lui aura sans doute tenu compte de cet acte de justice, comme compensation au meurtre de saint Didier.
30. Elle avait depuis un an subi l'ignominieux supplice que nous avons décrit, lorsque saint Colomban vit arriver à Bobbio son disciple chéri et son successeur à Luxeuil, Eustasius (saint Eustaise). II venait de la part de Clotaire II lui annoncer les révolutions accomplies au sein des Gaules, et le prier de revenir dans un pays dont le roi était son ami et son fils spirituel. Mais
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1 Audicns autem Theodoricus, quod Carnotensis ecclesiœ civilas valde muniiis-
sima essel, (hesaurique innumerabiles illic repositiessent................... Veniens que innumerabilis exercilus ac barbara mulliludo Carnotis, cupienles comprehenderc bealissi-mum Betharium. (Bolland., loc. cit.)
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p315 CHAP. V. — SAINT COLOMBAN.
le saint vieillard ne crut pas devoir se rendre à cette invitation. Il se borna à écrire au prince une lettre pleine d'avis salutaires, en lui recommandant sa chère abbaye de Luxeuil. Eustasius demeura quelque temps à Bobbio près de l'illustre fondateur, afin de se pénétrer plus profondément de son esprit. C'est vraisemblablement alors que fut rédigée, sous le titre de Régula caenobialis, la règle de saint Colomban 1. Elle se compose de dix chapitres fort courts. Le premier «De l'obéissance, » prescrit une soumission complète et l'abdication de la volonté propre, fondées sur ce double principe que le supérieur représente Dieu lui-même, et que le premier de tous les devoirs est d'aimer Dieu et de lui obéir. Le second « Du silence, » s'appuie sur le texte d'Isaïe : Cultus justitiae silentium et pax -, et sur les paroles mêmes du Sauveur : Ex verbis tuis justificaberis, et ex verbis tuis condemnaberis 5, pour interdire toute parole oiseuse et inutile. Le troisième «De la nourriture, » n'admet pour les moines qu'un seul repas le soir avec des racines, ou des légumes, et une sorte de bouillie ou polenta [farina aquis mixta). «Il faut, dit Colomban, jeûner chaque jour, comme on doit chaque jour travailler et lire. » Les chapitres suivants recommandent aux religieux la pauvreté, l'humilité, la chasteté, la discrétion ou prudence, la mortification , mais sans entrer dans aucun détail pratique. Le septième « Du cours (office) des psaumes ; » règle la psalmodie du chœur, sur le modèle de ce qui s'observait au monastère de Bangor; trente-six psaumes et douze antiennes les jours de férié; soixante-quinze psaumes et vingt-cinq antiennes pour les grandes fêtes. « Les mille religieux de Bangor, dit Colomban, font leurs délices de cette divine psalmodie; nul ne la trouve trop longue; elle est pour eux l'aliment de la vie spirituelle. Ils lui doivent leur régularité exemplaire, et la bénédiction de Dieu qui les a multipliés sans mesure. » Le dixième chapitre « De la pénitence, » le plus long de tous, en est aussi le plus sévère. Des jeûnes au pain et à l'eau, la peine du fouet ou de la discipline dont les coups varient depuis six
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1 Sanot. Columban.yibb. et confess.,Régulacœno'jialis; Pair, lai., tom. LXXX, col. 210-224. — 2 Isa., xxxil, 27. — 3Matth., xn, 37.
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p316 PONTIFICAT DE SAINT BON'IFACE IV (60S-615).
jusqu'à deux cents, sont les
sanctions le plus ordinairement désignées selon la gravité des délits. Dans
son ensemble, la règle de saint Colomban s'inspire du même esprit que celle de
saint Benoît, sans toutefois que le moine irlandais paraisse avoir connu cette dernière;
du moins il ne la cite nulle part, et n'y fait aucune allusion. II est probable que, s'il l'avait
eue sous les yeux, il n'aurait point écrit la sienne. Du reste, l'affinité
entre l'une et l'autre est telle que les nombreux monastères issus de
l'initiative de Colomban ou de ses disciples, avaient tous, moins d'un siècle
après sa mort, adopté la règle de saint Benoît, comme plus précise, plus nette,
et peut-être aussi un peu moins rigide. Après le départ d'Eustasius, Colomban
se retira dans une grotte de l'Apennin, à quelque distance de Bobbio, pour y
achever dans une solitude absolue les derniers jours qu'il avait à passer sur
la terre. Il rendit son âme à Dieu le XI des calendes de décembre (21 novembre
613). Ses disciples l'ensevelirent dans la grotte même, « devenue, dit l'un d'eux,
un sanctuaire de piété, un centre de miracles, où le Christ ne cesse de
glorifier la vertu de son fidèle serviteur 1. »
31. Saint Boniface IV mourut le 7 mai 615 2. Deux conciles importants se tinrent pendant son pontificat; celui de Tolède en 610, qui reconnut et confirma la primauté de ce siège sur les autres églises ibériques 3 ; et le concile de Paris en 613. Nous n'avons plus les canons du premier. Ceux du second, au nombre de quinze, sont relatifs aux élections épiscopales, aux im-
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1. Jonas, Vit. S. Columban., cap. lu; Pair, lat., toin. LXXXVII, col. 1046.
2. Nous avons encore l'épitaphe consacrée à la mémoire de Boniface IV, dans l'ancienne basilique du Vatican. Voici ce monument épigraphique :
Gregorio quartus jacet hic Bonifacius almus, llujus qui sedis fuit œquus reclor et œdis.
Jempore qui Focœ cernens templum fore Romœ Delubra cunclorum fuerant quœ dœmoniorum,
Hoc expurgavit, Sanctis cunctis que dicavit.
Cujus natalis solemnia qui celebratis,
Primis septembris ferl hoc lux quarta kalendis. (Boll., tom. VII jun., p. 44.)
3 Lanne, Concil., tom. Y, col. 1620.
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p317 CHAP. V. — SAINT COLOMBAN.
munités ecclésiastiques, aux obligations des clercs. Le XVe interdit aux juifs l'exercice de toutes les charges civiles et militaires. S'ils veulent être admis dans l'armée, ils commenceront par recevoir le baptême. Dans cette défense plus rigoureuse que toutes les précédentes, on sent comme le contre-coup de l'indignation soulevée en Occident par les récentes trahisons des juifs de la Palestine. Le roi Clotaire II sanctionna les décrets du concile de Paris, et rendit à ce sujet une constitution que nous possédons encore. « Nul ne saurait douter, dit-il, que le moyen le plus efficace pour accroître la félicité de notre règne, est d'apporter tous nos soins à faire observer les sages règlements portés par les conciles, et à réprimer les abus qui peuvent s'être introduits dans nos états. C'est pourquoi nous ordonnons que les statuts canoniques, ceux-mêmes qui ont été négligés depuis trop longtemps, reprennent toute leur vigueur. Ainsi après la mort d'un évêque, le successeur, avant d'être sacré par le métropolitain assisté des comprovinciaux, aura dû être premièrement élu par les libres suffrages du clergé et du peuple. Puis, s'il est juge digne, il lui sera délivré des lettres royales autorisant son sacre. Si le choix tombe sur un officier du palais, son mérite et sa capacité seront des titres suffisants pour procéder à l'ordination 1. » Ces deux clauses ajoutées par le roi au texte du concile de Paris, qui n'en avait nullement fait mention, prouvent l'insistance de la royauté naissante pour le maintien de prérogatives qui n'avaient en somme de valeur qu'autant que l'Église voulait les ratifier ou du moins les tolérer. Nous avons dit que le placet regium était admis alors, en raison des avantages évidents qui résultaient de l'harmonie des deux pouvoirs. Mais Clotaire en aggrave, ce nous semble, un peu arbitrairement la portée, quand il fait une position privilégiée aux officiers du palais qui seraient promus à l'épiscopat. Sans doute il voulait se réserver quelques-unes de ces nominations de faveur, pour lesquelles l'élection ne serait pas requise. Cette tendance, qui n'a jamais réussi ni à l'Église ni à l'État, remonte, on le voit, très-haut dans notre histoire. Grâce à Dieu et aux efforts des papes, elle n'a jamais complé-
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1 Labbe, Concil., tom. V, col. 1653.
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p318 PONTIFICAT DE SAINT DEUSDEDIT (613-618).
tement prévalu, et c'est à cela peut-être que la France doit de n'avoir pas sombré, comme les chrétientés d'Orient, dans les ignominies du schisme et de la servilité.