Le Concordat 1

Darras tome 40 p. 144

 

II. LE CONCORDAT DE 1801

 

  9. Le 20 juin 1801, la cour qui commençait à se former autour du premier consul venait d'assister à une parade militaire, lors­qu'elle vit tout à coup le ministre des affaires étrangères, M. de Tailleyrand, introduire un cardinal auprès du vainqueur de Marengo. Dans cette France où Jésus-Christ venait d'être renié ; où Pie VI était mort deux années auparavant prisonnier ; où l'épiscopat et le clergé, dépouillés, décimés, proscrits,   avaient disparu ; où  les vieilles églises bâties, par des générations fidèles, en l'honneur de Jésus-Christ, de la Vierge et des Saints, étaient dédiées à la Jeu­nesse, à l'Abondance, aux Jardins et autres divinités inventées par la Convention, l'arrivée soudaine et solennelle d'un représentant du Saint-Siège n'était pas une des moindres surprises ménagées par le premier consul à la nation qu'il voulait alors éblouir, guérir et subjuger. Et de son côté, ce cardinal en face de la foule dorée des hommes nouveaux, sénateurs, tribuns, soldats, issus de la révo­lution, parmi les envoyés de la vieille Europe qui commençaient avec un mélange de curiosité, de crainte et d'admiration, à revenir aux Tuileries, ce cardinal pouvait, à meilleur droit sans doute que

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le Doge de Venise devant Louis XIV, s'écrier : « Ce qui m'étonne le plus ici, c'est de m'y voir. »

 

Ce cardinal était Consalvi, secrétaire d'État de Pie VII, venu inopinément à Paris pour traiter avec le gouvernement français du rétablissement de la publicité du culte catholique. Ce voyage avait été provoqué par l'impuissance où se trouvaient d'autres agents ecclésiastiques de mener à bonne fin ces négociations; et l'envoi de ces premiers agents avait été décidé par le consul Bonaparte lui-même. En 1796, il avait parcouru l'Italie et fait entendre partout des proclamations jacobines ; en juin 1800, recevant à Milan les curés de la ville, il avait dit : « Je vous regarde comme mes plus chers amis. Je vous déclare que j'envisagerais comme pertubateur de repos public et ennemi du bien commun, que je saurais punir comme telle de la manière la plus éclatante, et même s'il le faut, de la peine de mort, quiconque fera la moindre insulte à notre commune religion ou qui osera se permettre le plus léger outrage envers vos personnes sacrées. Mon intention est que la religion chrétienne, catholique et romaine soit conservée en son entier qu'elle soit publiquement exercée, et qu'elle jouisse de cette liberté publique aussi pleine, aussi étendue, aussi inviolable qu'à l'époque où j'entrais pour la première fois dans ces heureuses contrées... La France instruite par ses malheurs, a ouvert enfin les yeux. Elle a reconnue que la religion catholique était comme une ancre qui pouvait seule la fixer dans ses agitations et la sauver des efforts de la tempêtes. Je vous certifie qu'on a rouvert les églises en France, que la religion catholique y reprend son ancien éclat... Quand je pourrai m'aboucher avec le nouveau pape, j'espère que j'aurai le bonheur de lever tous les obstacles qui pourraient s'opposer encore à l'entière réconciliation de la France avec le chef de l'Église. »

 

Ces paroles avaient obtenu, dans la péninsule et à Rome, un immense retentissement. Après l'armistice qui lui livrait tout le nord de l'Italie, Bonaparte fit un pas de plus, il chargea le cardi­nal Martiniana de faire savoir au Saint-Père que le chef des armées françaises désirait entrer en négociation pour arranger les affaires religieuses de la France et qu'à cet effet il demandait que Pie VII

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envoyât à Turin, Mgr Spina, archevêque de Corinthe. L'arche­vêque fut envoyé avec un théologien piémontais, le P. Caselli, gé­néral des Servites, suivit jusqu'à Paris le général victorieux et, après la rupture de ses premières négociations, vit arriver son chef, le doux, habile et séduisant Consalvi, secrétaire d'État.

 

Bonaparte, flatté de l'éminence du nouveau négociateur, voulait cependant, avec ses habitudes militaires et par ruse, que l’affaire fût conclue en cinq jours. La négociation dura, non pas cinq, mais vingt-cinq jours, menacée chaque jour, après le premier délai, de se rompre immédiatement si elle ne s'achevait pas, et le Concordat fut signé. D'abord, il causa une grande surprise et souleva même des murmures ; le premier consul les fit taire et la reconnaissance publique parla seule. La France vit dans le promoteur du Concordat le restaurateur de la religion même et ne songea pas à se demander si cette religion aurait pu être restaurée par d'autres moyens et sur d'autres bases. Aujourd'hui nous savons mieux que les contempo­rains à travers quelles difficultés, au prix de quels efforts et de quels sacrifices fut conclue la paix soudaine entre la France nou­velle et l'Église ; le secret des négociations nous a été livré ; nous connaissons aussi par une expérience déjà longue et singulièrement variée, l'état de choses qui en est sorti ; nous pouvons apprécier les motifs, les conditions et les résultats du traité. C'est là ce qu'il faut expliquer pour bien faire connaître le Concordat d'après la pensée de son promoteur, dans son texte et dans son influence.

10. Pour quels motifs a été établi le Concordat?

 

  Napoléon est mort dans les sentiments et les devoirs de la religion parce que l'homme, au moment de quitter les illusions de la vie, aime à s'appuyer sur les principes et les pratiques de la foi. Mais lorsqu'il fut proclamé premier consul, c'était un jeune vainqueur, gâté par la victoire, qui voyait tout plier devant sa volonté. En Egypte, il s'était dit presque Turc, et s'il eût pu coiffer le diadème oriental, peut-être eût-il abjuré le christianisme. A peine consul il méditait déjà l'empire. Il savait que la religion maintient les peuples, par ses dogmes et par ses préceptes, dans le respect des puissances établies et il possédait lui, déjà, une puissance établie, sans compter la puis-

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sance gigantesque qu'il se proposait d'établir. Il fallait à ses des­seins une religion comme instrument de règne. C'est de ce point de vue purement humain, du point de vue d'un ambitieux profond et sublime, qu'il envisageait le culte catholique. D'un côté, il était environné d'athées et de révolutionnaires, réfractaires à toute pen­sée de religion : il n'ignorait pas qu'on peut les assouplir avec du galon, ou les mitrailler avec le canon, D'un autre côté, à la suite du massacre des prêtres et de la profanation des églises, un mouve­ment de réaction religieuse s'était prononcé et là était l'avenir.

 

Du reste, Bonaparte n'était pas un ambitieux vulgaire, c'était un homme de génie appelé à renouveler, sous les yeux du monde, les conquêtes d'Alexandre, l'apaisement des guerres civiles comme César, les délivrances d'âmes comme Constantin et la législation comme Justinien et Théodose. A ce point de vue et à propos du projet de Concordat, Bonaparte s'élevait aux plus hautes considé­rations.

 

Il faut,  disait-il, une croyance religieuse ; il faut un culte à toute association humaine. L'homme, jeté au milieu de  cet uni­vers sans savoir d'où il vient, où il va, pourquoi il souffre,  pour­quoi même il existe, quelles récompenses ou quelles peines cou­ronneront les longues agitations de sa vie ; assiégé des contradictions de ses semblables qui lui disent, les uns qu'il y a un Dieu, auteur profond et conséquent de toutes choses, les autres  qu'il n'y en a pas ; ceux-ci, qu'il y a un vrai et un faux, un bien et un mal, qui doivent servir, à sa conduite, de règle ou d'épreuve ; ceux-là qu'il n'y a ni bien ni mal et que ce sont des inventions intéressées, mais fantastiques, des grands de la terre : l'homme, au milieu de ses contradictions ressent le besoin impérieux, irrésistible, de se faire ou de recevoir, sur tous ces points, une croyance arrêtée. Vraie ou fausse, sublime ou ridicule, il lui faut une croyance. Partout, en tout temps, en tous lieux, vous trouvez l'homme au pied des autels.  Quand une croyance établie ne règne pas, mille sectes acharnées à la dispute, mille superstitions honteuses agitent ou dégradent l'esprit humain. Ou bien si une commotion passagère a emporté l'antique religion du pays, l'homme, à l'instant même où

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il avait fait vœu de ne plus croire à rien, se dément lui-même et le culte insensé de quelque fétiche vient prouver que ce vœu était aussi vain qu'il est impie.

 

A en juger donc par sa conduite ordinaire et constante, l'homme a besoin d'une croyance religieuse. Dès lors, que peut-on souhai­ter de mieux, à une société civilisée, qu'une religion nationale, fondée sur les vrais sentiments du cœur, conforme aux règles d'une morale pure, consacrée par le temps et qui, sans intolérance et sans persécution, réunisse, sinon l'universalité, au moins la très grande majorité des citoyens, au pied d'un autel antique et res­pecté?

 

Une telle croyance, on ne saurait l'inventer quand elle n'existe pas depuis des siècles. Les philosophes, même les plus sublimes, peuvent faire penser, et ne font pas croire ; un conquérant peut fonder un empire, il ne saurait instituer une religion. Que, dans les temps anciens, des sages et des héros aient pu soumettre l'es­prit des peuples, cela s'est vu. Mais, dans les temps modernes, le créateur d'une religion serait un imposteur ou un corrupteur ; et fût-il soutenu par la terreur ou couronné par la gloire, il abouti­rait infailliblement au ridicule.

 

On n'avait rien à inventer en 1800. Cette croyance pure, morale, antique, existait : c'était la vieille religion de l'Évangile, l'église du Christ, ami de la France. Dans ces conciles, vastes assemblées des esprits éminents de chaque époque, l'Église avait combattu avec vigueur, sous le titre d'hérésies, toutes les aberrations de l'es­prit humain ; avait défini successivement, sur chacun des grands problèmes de la destinée humaine, les créances les mieux fondées sur les traditions, les doctrines les plus civilisatrices ; avait produit enfin ce corps invariable, toujours attaqué, qu'on nomme l'unité catholique, aux pieds duquel sont venus se soumettre les plus beaux génies. Elle existait cette religion chrétienne qui avait rangé sous son empire tous les peuples de l'Occident, formé leurs mœurs, inspiré leurs poètes, empreint sa trace sur leurs souvenirs, marqué de son signe leurs drapeaux : elle avait disparu un mo­ment dans la grande tempête de l'esprit humain ; la tempête pas-

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sée, le besoin de croire revenu, elle s'était retrouvée au fond des âmes, comme la croyance naturelle et indispensable de la France et de l'Europe.

 

Quoi de mieux indiqué, de plus nécessaire, en 1800, que de rele­ver, en France, l'autel du Dieu de S. Louis, de Clovis et de Charlemagne ? Bonaparte qui eût été ridicule s'il eût voulu s'ériger en prophète ou poser en révélateur, était dans le rôle que lui assignait la Providence, en relevant de ses mains l'autel catholique. Sur ce sujet, il ne s'était pas élevé un doute dans sa pensée. Ce double motif de rétablir l'ordre dans la famille et dans l'État, et de satis­faire au besoin moral des âmes, lui avait inspiré la ferme résolu­tion de remettre la religion catholique sur son ancien pied, sauf les attributions politiques qu'il regardait comme incompatibles avec l'état présent de la société française.

 

Est-il besoin, avec des motifs d'un ordre si élevé, de rechercher, par un partage mathématique, d'ailleurs impossible, à déterminer dans quelle mesure Bonaparte suivait les inspirations de la foi et les calculs de la politique ? Il agissait avec sagesse, c'est-à-dire par suite d'une profonde connaissance de la nature humaine, cela suffit. Le reste est un mystère, que la curiosité, toujours vive quand il s'agit d'un grand homme, peut chercher à découvrir, mais qui importe peu. Il faut dire cependant que l'éducation, le génie et la foi, plus puissante que le génie, attachaient personnellement Bonaparte à la religion de son pays. Dans ses plus grands démêlés avec le Saint-Siège, lorsqu'il pourrait d'un mot tout briser, dans l'espoir de tout simplifier, il reste fidèle. Il faut que la foi chrétienne ait été bien profondément ancrée dans cette âme, pour que ce guerrier, enivré par la victoire, contrarié dans ses despotiques desseins, ait subi le joug de l'Église au moment même où il se portait, contre le successeur de S. Pierre, aux plus criminels attentats.

 

Tentation d'autant plus forte, qu'au moment où il proposait un concordat, les révolutionnaires de son entourage, gens de cour, race toujours hostile aux influences religieuses, croyaient l'entre­prise prématurée et périlleuse. Dans leur courte sagesse, ils assié­geaient le premier consul de conseils de toute  espèce. Les uns

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lui conseillaient de ne pas se mêler des affaires religieuses ; les autres l'engageaient à s'ériger chef d'une église schismatique ; d'autres enfin lui proposaient de pousser la France vers le protes­tantisme. Les puissances étrangères ajoutaient, aux conseils des intimes, des suggestions perfides et de séduisantes promesses. Au milieu de ces conseils divergents et de ces influences contraires, Bonaparte tenait en ses mains la fortune de l'avenir.

 

   Le premier consul résistait à ces vulgaires conseils de toutes les forces de sa raison et de son éloquence ; il s'était formé une biblio­thèque religieuse, composée de peu de livres, mais très bien choi­sis, relatifs pour la plupart à l'histoire de l'Église et à ses rapports avec l'État ; il avait tout dévoré dans les rares instants que lui lais­sait la direction des affaires de l'État, et, suppléant par son génie, à tout ce qu'il ignorait, il étonnait tout le monde par la justesse, l'étendue et la variété de son savoir en matières ecclésiastiques. Suivant sa coutume, quand il était plein d'une pensée, il s'en expliquait tous les jours, soit pour redresser l'opinion d'autrui, soit pour se confirmer dans ses convictions. Dans ses conversations successives, il réfutait les systèmes erronés qu'on lui proposait et les jetait à bas par de très solides arguments : c'était un rude jouteur que ce Bonaparte !

 

  Dans sa sagesse donc, il revenait toujours à la religion nationale et au gardien de son unité, le Pape. Ce Pape il le voulait libre, souverain, indépendant de toutes les nations. Oui, concluait le premier consul, il me faut un Pape, mais un Pape qui rapproche au lieu de diviser, qui réconcilie les esprits, les réunisse et les donne au gouvernement sorti de la Révolution, pour prix de la protection qu'il aura obtenue. Pour un tel dessein, il me faut le vrai Pape, le Pape catholique, apostolique, romain, celui qui siège au Vatican.

 

   11. Dans quelles circonstances et conditions s'est élaboré leConcordat?

 

   En ouvrant, avec des pensées si différentes, les négociations préparatoires du Concordat, Bonaparte envoyait à Rome, pour ambassadeur, un révolutionnaire corrigé, Cacault, avec cette con-

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signe : « Traiter le Pape comme s'il commandait à 200.000 hommes. » Cacault observa cette consigne ; mais voyant qu'avec Spina, les affaires traînaient en longueur et pouvaient s'embrouil­ler, lui, Cacault, par des lenteurs calculées et rusées, favorisa ces contre-temps et amena le départ de Consalvi. L'empressement avec lequel fut décidé ce départ attesta la compassion singulière de la papauté pour notre nation et l'indestructible espérance qu'elle mettait en son fidèle concours. Rome eut le pressentiment qu'il suffirait au catholicisme d'être libre en France pour s'y relever et qu'il lui suffirait de grandir en France pour refleurir en Europe. C'est pourquoi la mission donnée au secrétaire d'État s'étendit aussi loin que pouvait s'étendre l'autorité du Saint-Siège, moins loin cependant que ne l'exigeait l'état nouveau de la société fran­çaise, s'il fallait en croire le maître qui parlait en son nom. Dans son zèle à nous tirer de l'abîme, Pie VII disait : « Je veux bien aller jusqu'aux portes de l'enfer, mais pas au delà. »

 

Nous n'entrerons pas ici dans le détail des négociations concor­dataires. Nous disons seulement qu'il y eut successivement à dis­cuter sur sept ou huit projets d'arrangement tous contradictoires, mais, sous la différence des formes, reproduisant toujours, de part et d'autre, des droits et des prétentions qui ne pouvaient naturel­lement s'accorder. Avant de quitter Rome, Consalvi avait fait rédiger par les meilleurs théologiens du Sacré Collège et approu­ver par tous les cardinaux des instructions qui fixaient la limite où les concessions devaient s'arrêter. Son courage consista à tout braver plutôt que d'aller plus loin ; son habileté à amener jusque là le gouvernement français, ce qui faisait dire plus tard à Napo­léon : « Si Consalvi ignore la théologie, ce que je suppose, il sait bien la politique. »

 

Deux concessions coûtèrent beaucoup au Saint-Siège et cependant furent inscrites dans le traité : ce fut d'abord la renonciation aux biens d'Église confisqués, mais non rendus. En consentant à ne pas revenir sur les aliénations accomplies, le Saint-Siège aurait sou­haité conserver au clergé de France les débris de son patrimoine ; en acceptant pour lui un salaire à titre d'indemnité, il répugnait à

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le priver de toute participation à la propriété foncière, considérée jusqu'alors, dans les sociétés chrétiennes, comme une garantie nécessaire de l'indépendance et de la stabilité du corps ecclésiasti­que. Mais, à cause même de ces avantages, un clergé propriétaire était ce qui effarouchait le plus l'instinct révolutionnaire du temps et les instincts despotiques du premier consul ; il fut inflexible, et s'il s'engagea à permettre aux fidèles des fondations pieuses, ce fut à la condition qu'il en déterminerait la forme et avec la résolution de ne pas les autoriser autrement qu'en rentes sur l'État, mode qui permet de les confisquer aisément sans encourir l'odieux d'une éviction des propriétaires. En refusant le droit de propriété aux clercs, Bonaparte préparait sans le savoir l'ébranlement de la pro­priété laïque, objet aujourd'hui des prétentions d'un parti puissant, qui réclame, au nom du droit individuel, la liquidation du vieux monde propriétaire. En refusant au clergé la liberté et la puissance que la propriété lui assure, il retirait, en même temps, aux citoyens un gage de liberté, au gouvernement une garantie de stabilité. Ainsi s'accomplit, et pour notre malheur, plus que pour le malheur de l'Église, l'abandon des propriétés ecclésiastiques en France. Le Sacré-Collège, assuré que le rétablissement de la religion était à ce prix, fut unanime à le ratifier.

 

Il fallut aller plus loin encore : après les biens d'Église confisqués, il fallut sacrifier les évêques proscrits par la Révolution pour leur fidélité à la Chaire Apostolique, promettre que leur démission serait obtenue ou que leur destitution serait prononcée. Le premier con­sul tenait à faire table rase avant de réédifier les églises de France, il voulait un clergé en communion avec le Saint-Siège, mais sans aucun lien avec l'ancien régime. Aucune exigence ne fut plus amère à Pie VII ; demander leur démission à des confesseurs de la foi, à des martyrs qui avaient défendu Jésus-Christ et les droits sacrés de son Église, dans les prisons ou en exil, quel sacrifice! Consalvi tenta les derniers efforts pour l'écarter: il alla jusqu'à invoquer les libertés de l'Église gallicane, que Bonaparte se vantait de professer : elles recevraient par là, disait-il, et c'était vrai, un échec sans exemple. Cette objection ne toucha pas le premier con-

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sul ; il répétait alors : « Si le Pape n'avait pas existé, il eût fallu le créer pour cette occasion, comme les consuls romains faisaient un dictateur dans les circonstances difficiles (1). » Le Pape, en effet, considérant que des évêques qui préféreraient leur titre au réta­blissement de la religion, se rendraient, par ce seul acte, indignes de le conserver, se résigna malgré lui à la dictature de la monar­chie pontificale. Rien ne fut plus touchant que l'invitation pleine de douleur et d'autorité qu'il adressa, à travers toute l'Europe, à tant de pontifes exilés et dépouillés pour la foi ; rien, si ce n'est la soumission qu'il obtint de la plupart d'entre eux. L'ancien épiscopat français s'immola et les églises de France furent rétablies.

 

En présence de ces concessions, plaçons les exigences du Saint-Siège. Ce furent d'abord, dans les stipulations mêmes sur le fond desquelles on s'était accordé, des changements de rédaction, chan­gements que ni l'une ni l'autre des parties contractantes ne considé­rait comme indifférents et sans gravité. Car, d'un côté, le Pape, en transigeant sur les intérêts de l'Église, ne pouvait pas et ne voulait pas en abandonner les droits ; de l'autre, le premier Consul, en effaçant la trace des excès révolutionnaires, prétendait ne pas con­damner, ni même laisser condamner les principes révolutionnaires, et dans ce conflit, ce fut le Pape qui l'emporta. Enfin, et surtout, ce qui fut ajouté au projet français pour en changer la physiono­mie et en motiver l'adoption, ce fut le préambule et l'article pre­mier du Concordat.

 

Rome avait souhaité et persista longtemps à demander que le catholicisme fût proclamé en France religion dominante ; le gou­vernement français se refusa toujours à cette expression ; mais il avait consenti à le reconnaître comme religion de la grande majo­rité des Français. Le Pape voulut ajouter qu'il était professé par les chefs du gouvernement et subordonna son consentement à cette déclaration d'une manière si étroite, que, par un article complé­mentaire, il se réserva de modifier les clauses du traité au cas où un successeur du premier Consul ne serait pas catholique. Au len­demain d'un siècle qui avait ri de Jésus-Christ, au sortir d'une

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(1) Montiiolon, Mémoires de Napoléon, t. I, p. 116.

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révolution qui n'avait rien épargné pour abolir son règne, cette profession de foi, faite au nom des citoyens français et par des chefs qu'ils s'étaient choisis, était assurément pour l'Église un étonnant triomphe. Sous un régime qui avait pour base la souve­raineté du peuple, le catholicisme était rétabli, non pas comme religion d'État, mais comme religion nationale : cela revient au même.

 

A la suite du préambule, le premier article ajouté et placé par le négociateur pontifical du Concordat, à la tête de ce traité, pour en déterminer le caractère général, en dominer toutes les condi­tions et les couvrir d'une inviolable égide, le premier article con­sacra la liberté et la publicité du culte catholique : la liberté sans restriction, la tranquillité partout où la tranquillité générale ne serait pas compromise. Le cardinal ne dissimula pas qu'au sein d'un pays qui aurait professé et pratiqué ce qu'il appelle le toléran-tisme de tout culte, du culte catholique comme des autres, il aurait été superflu peut-être de stipuler ces conditions dans un pacte entre les deux puissances. « Nous partions plutôt, dit-il avec une clairvoyante bonne foi, de l'état d'où l'on venait que de celui vers lequel on marchait (1). » Mais s'il ne dissimule pas ce qu'aurait pu être le droit commun sincèrement entendu, il ajouta aussitôt, au nom d'une expérience qui a été depuis lors trop souvent et trop amèrement confirmée, il ajoute que « dans la pratique cette tolé­rance tant vantée favorise toutes les sectes, excepté la véritable Église. » C'est pourquoi, selon lui, même dans cette hypothèse, Rome avait raison de poser expressément ses conditions.

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