Augustin 14

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7. Nous avons vu plus haut qu'Augustin, à peine devenu prêtre, avait fondé à Hippone un monastère d'hommes, d'où, comme d'une fontaine intarissable, la vie monastique se répandait dans l'Afrique entière. C'est là qu'il passa tout le temps de sa prêtrise (1). Mais lorsqu'il fut fait évêque, comprenant que sa charge lui faisait un devoir de recevoir journellement les étrangers, ce qui ne pouvait s'allier avec la tranquillité de la vie monastique, il voulut avoir, avec lui, dans sa maison épiscopale, un monastère de clercs, c'est-à-dire de prêtres, de diacres, de sous-diacres, attachés au service de son église (2). Spès, qui vivait avec Augustin, paraît avoir été le seul laïque de ce monastère; il est vrai qu'il était destiné en quelque sorte, à la cléricature  (3) On peut en dire autant du jeune Lœtus, qui avait commencé auprès d'Augustin son noviciat de la vie parfaite, et qui était resté quelque temps dans sa maison; s'il a admis chez lui des laïques, c'est qu'ils se destinaient à la cléricature. Ce Lœtus, par la ferveur de son âme, avait causé une bien grande joie aux frères. Mais Augustin remarqua que le souci de ses affaires domestiques le détournait de celui des choses divines, et que sa croix et l'infirmité de sa chair le portaient et le conduisaient plutôt qu'il ne les portait et ne les conduisait lui-même : aussi le força-t-il à s'éloigner et à retourner chez lui, pour arranger ses affaires domestiques, dans la pensée qu'une fois délivré du joug de la servitude du monde, il pourrait se laisser ensuite charger des liens de la sagesse. Mais dans sa maison bien des tentations l'assaillirent. Il y apprit la fuite d'une esclave, la mort de ses servantes, la maladie de ses frères, et y trouva surtout les larmes de sa mère qui le rappelaient de la vie où il avait résolu de s'engager. Il écrivit donc à ses frères du monastère d'Hippone, soit clercs, soit laïques, pour leur demander un soulagement à ses inquiétudes. Dans sa lettre, il laissait percer le désir d'en recevoir une d'Augustin. La douleur que lui causa le malheureux état de Laetus, pressait assez le saint homme de répondre à son désir quand même il n'aurait pas regardé comme un devoir de charité de le faire. Il lui écrivit une lettre, très pressante (4), où il l'exhortait à mépriser les choses humaines, et à préférer, à l'amour de sa mère, la charité du Christ, de l'Église et de son salut. Il lui conseille donc d'abandonner à sa mère et à ses domestiques tous ses biens s'ils en ont besoin, puis de leur dire adieu s'il ne veut causer à ses frères, par sa tiédeur, une peine plus grande que la joie qu'il leur avait procurée par sa première ferveur. Il l'engage aussi à s'occuper avec zèle de la recherche de la vérité et à se préparer à la prédication de l'Évangile . L'Église lui disait-il, a besoin de secours, pour combattre contre ses ennemis et pour rallumer la ferveur dans le cœur de ses jeunes enfants en présence de la lâcheté et de la tiédeur de ses autres enfants au nombre desquels il le comptait lui-même. On voit par cette lettre qu'Augustin le destinait au saint ministère.

8. Augustin suivait avec ses clercs, dans sa maison épiscopale autant que possible, le genre de vie des premiers chrétiens de Jérusalem qui avaient tout mis en commun et ne possédaient plus rien en propre (5). Dans cette société personne ne pouvait s'attribuer rien en propre, tout était commun entre tous, et tous ceux qui entraient dans cette communauté suivaient la loi telle qu'elle était pour tous (6). Il n'ordonnait aucun clerc qui ne voulût vivre avec lui à cette condition. Si quelqu'un manquait à sa parole, il lui enlevait son titre de cléricature et le déposait de son grade, comme un déserteur de la sainte société et de la profession qu'il avait choisies (7). C'est ainsi que tous les clercs vivaient avec lui dans la pauvreté, confiants dans la miséricorde de Dieu, et vivant du revenu des possessions de l'Église ou des offrandes des fidèles qui étaient distribuées à chacun d'eux selon ses besoins (8). Ceux qui avaient un patrimoine étaient tenus de le donner aux pauvres, ou de l'apporter en commun, ou de s'en séparer d'une autre manière (9). Ceux qui

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(!) Conf., eh. xv (2) Ser 02--- CCLv, n. 2. (3) Lettre LXXVI1, GGLXXV111, U, 2. (4) Lettre CCXL1II. (5) Serm., CCCLV, eh. E, GCCLVI, n. 1. (6) SeM., GGGLV, eh. ii, n. 2, CCOLVI, n. 2. (7) ~CrM., GGCLVI, n.6-14. (8) Poss., xxiii. (9) Serm., CCCLv, n. 2.

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n'avaient rien apporté nétaient pas vus d'un autre oeil que ceux qui avaient donné  quelque chose (1). Si la nécessité forçait les malades ou les convalescents à prendre quelque nourriture avant l'heure des repas Augustin ne leur défendait point de leur remettre ce que la charité des autres leur offrait; mais il ne leur permettait pas d'accepter quoi que ce fût en sus de ce qui était servi au dîner ou au souper (2) Augustin était nourri et habillé dans la même maison, à la même table et aux mêmes  frais communs, il ne voulait rien avoir qu'en commun, ni rien recevoir que pour la communauté et si on lui offrait quelque chose qui ne pût se posséder en commun, il le vendait et en versait le prix à la caisse de la communauté: «Il reprenait et supportait les infractions des siens à la règle et aux convenances, autant qu'il était à propos et nécessaire et recommandait surtout qu'on ne laissât pas son cœur s'ouvrir à des paroles trompeuses pour excuser sa faute. (Ps.cxL, 4). Si quelqu'un, diait-il, étant sur le point d'offrir son présent à l'autel se souvient que son frère a quelque chose contre lui, il doit laisser son présent devant lautel, aller se réconcilier avec son frère et ne revenir qu'après cela offrir son présent à l'autel (Matth., x, 23 et 24). Mais si lui-même a quelque chose contre son frère, il doit le reprendre à part, et s'il en est écouté favorablement, il aura gagné l'âme de son frère, sinon qu'il prenne, une ou deux personnes avec lui; et si son frère méprise aussi ces dernières, il faut le dire à l'Église; s'il ne lui obéit pas il sera regardé comme un païen et un publicain. Pardonnez, ajoutait-il, à votre frère coupable qui vous demande pardon, non pas sept fois, mais septante fois sept fois, comme vous priez chaque jour le Seigneur de vous pardonner (3). » Possidius a rapporté ce fait, entre autres, de saint Augustin, pour montrer la sollicitude et le zèle extraordinaire avec lesquels ce saint homme s'attachait à accomplir en tous points ce que Notre Seigneur a ordonné à ce sujet.

9. Aucune femme n'a jamais habité ou demeuré dans sa maison, pas même sa sœur qui était une veuve servant Dieu et qui vécut très longtemps chargée jusqu'au jour de sa mort de la conduite des servantes de Dieu; non plus que sa cousine germaine et sa nièce, consacrées également au service de Dieu, quoique ces personnes fussent exceptées de la défense, par des conciles de saints évêques. Car, disait-il, bien qu'il ne puisse s'élever aucun mauvais soupçon de ce que ma sœur et mes nièces demeurent avec moi, cependant, comme ces personnes ne pourraient se passer d'avoir avec elles d'autres femmes pour les servir, ni se priver de recevoir les visites des femmes du dehors, il pourrait résulter un scandale ou une cause de chute pour les faibles; de même il se pourrait que ceux qui demeureraient avec l'évêque ou avec un autre clerc, succombassent à la tentation ou du moins fussent exposés à perdre leur réputation à cause des mauvais soupçons des hommes s'ils se rencontraient avec toutes ces femmes habitant sous le même toit ou quand ils y viendraient. Aussi, disait-il que les femmes ne devaient jamais   habiter  dans la même maison avec des serviteurs de Dieu, même avec les plus chastes si on ne veut pas qu'un tel exemple ne soit, comme il a été dit, un scandale ou un sujet de chute pour les faibles. Et si par hasard quelque femme demandait à le voir ou à le saluer, il ne l'admettait jamais auprès  de lui, sans être accompagné de quelque clerc; jamais il ne s'entretenait seul avec elles

même s'il s'agissait de choses secrètes 14). 1)

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(I) S~, , CCCLvií n. S. C2~ ibid., n. 13. (3 ) poss.> eh. xxv. (4) Poss., xxvi.

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CHAPITRE III

 

1. Augustin conserve toujours sa liberté d'esprit dans l'administration des biens de son Eglise. - 2. S'il se présentait une occasion de les augmenter, il se montrait bien éloigné de toute cupidité. - 3. Il approuve et reçoit les dons pieux. - 4. Différence de sentiments entre lui et Alype au sujet de l'héritage d'Honorat. - 5. Il fait construire des basiliques et un hôpital.

 

      1. Il donnait et confiait tour à tour aux clercs les plus capables, le soin de la maison de l'Église et de l'administration de ses biens. Il n'eut jamais en main ni clef ni anneau, mais ceux qui étaient préposés aux soins de la maison mettaient en écrit tout ce qu'ils recevaient et tout ce qu'ils dépensaient. À la fin de l'année, on lui soumettait  les comptes pour qu'il sût combien on avait reçu et dépensé, et combien il restait de disponible. Et, pour beaucoup de titres, il s'en rapportait à la bonne foi de celui qu'il avait mis à la tête de la maison, plutôt qu'il ne s'en rendait compte et les vérifiait par lui-même. Il ne voulut jamais acheter ni maison, ni champ, ni villa; quant aux biens et aux possessions de l'Église, il ne s'en occupait point par attrait, et ne s'y absorbait point, mais, tout entier à des choses plus grandes et spirituelles, il ne se distrayait et ne se reposait que rarement de la pensée des choses divines, pour s'occuper de celles de la terre. Lorsque tout était disposé et mis en ordre, il s'éloignait de ces affaires importunes et absorbantes, il se réfugiait par la pensée dans les choses intérieures et plus relevées de l'esprit. Il méditait alors sur la doctrine divine, ou dictait le fruit de ses méditations, ou bien corrigeait ce qu'il avait dicté ou recopié. Il exécutait le jour le travail qu'il avait préparé la nuit. Il ressemblait à la très pieuse Marie, type de l'Église céleste, dont il est écrit qu'elle était assise aux pieds du Sauveur, écoutant attentivement sa parole (1). » Nous verrons plus bas qu'il ne se désintéressait pas entièrement de l'administration des biens de son Église et qu'il ne voulut jamais s'en décharger entièrement (2), son mépris des richesses qui l'avait porté à donner ses biens aux pauvres après sa conversion, lui avait concilié l'affection de tout le peuple d'Hippone (3). Cette vertu ne diminua pas en lui, quoiqu'il fût créé évêque. Car, quoi qu’il parût posséder, dans les biens de l'Église, beaucoup plus qu'il n'avait dans le patrimoine dont il s'était dépouillé, il n'en était que le distributeur et l'économe. Aussi un jour qu'il se sentit faussement soupçonné de cupidité, il prit lui-même à témoin les dispositions de son cœur en s'écriant : «Dieu m'est témoin, dit-il, que bien loin d'aimer cette administration des biens de l'Eglise, dont on croit que je suis bien aise de disposer, elle m'est à charge, que je la regarde comme une servitude, à laquelle la seule crainte de Dieu et la charité que je dois à mes  frères, m'obligent de me soumettre; en sorte que je voudrais pouvoir m'en décharger, si mon devoir me le permettait (4). » On peut encore voir ce qu'il écrit à ce sujet, pour réfuter les calomnies des donatistes à l'occasion des lois qui attribuaient aux évêques de l'Église catholique les biens de ces hérétiques.

2. Mais ses actions prouvent encore mieux que ses paroles combien il était éloigné de toute cupidité. Lorsque quelqu'un avait fait un legs à l'Église, il aimait mieux en attendre, qu'en demander lui-même la délivrance. Pourtant, nous savons qu'il refusa plusieurs héritages, non parce qu'ils ne pouvaient être utiles aux pauvres, mais parce qu'il lui paraissait juste et équitable que les enfants, les parents ou les alliés des défunts qui en avaient été privés par la volonté du mort, le possédassent plutôt que lui (5). » Et il racontait, à ce sujet, l'action d'Aurèle de Carthage, qui avait donné à tous un exemple de sa vertu. « Quelle est admirable, disait-il, l'action du saint et vénérable Aurèle de Carthage, et de quelle louange n'a-t-elle pas été l'objet, de la part de tous ceux qui l'ont connue ? Un homme qui n'avait pas d'enfants, et n'espérait pas en avoir, avait donné à l'Église tous ses biens et ne s'en était réservé que l'usufruit; il eut ensuite des enfants

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(1) POSSID., CCXL. (2) Ibid., xxiii. (3) Leltre xxvi. n. 7. (4) Ibid., n. g. (5) POSSID., XXIV.

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et l'évêque lui rendit, sans qu'il s'y attendît, la donation qu'il en avait reçue. L'évêque avait le droit de ne pas la rendre; mais un droit que lui donnait la loi des hommes, non celle de Dieu (1). » Il croyait aussi devoir suivre la règle, de ne pas garder l'héritage qu'un père irrité lui faisait pour déshériter son fils, mais de le rendre à ce dernier. Aussi, en rendant compte au peuple de ses sentiments sur  ce point, il lui parle en ces termes:« Si le père vivait, ne l'apaiserais-je pas, ne devrais-je pas le réconcilier avec son fils? Comment donc convoiterais-je l'héritage du fils, si je voulais réconcilier son père avec lui? J'ai donc bien fait de rendre au fils ce que le père irrité lui avait ôté à sa mort. Me louera qui voudra; que ceux qui ne m'approuvent point ne me blâment point. » Parfois aussi il craignait de recevoir des héritages, de peur qu'ils ne fussent pour l'Église une source d'inquiétudes et de charges. Aussi, sur ce sujet, ne, voulait-il être ni loué, ni blâmé : « Je n'ai pas voulu, dit-il, recevoir l'héritage de Boniface, non par compassion, mais par crainte. Je n'ai pas voulu faire de l'Église du Christ un armateur. Il y en a beaucoup, à la vérité, qui tirent profit des navires. Il y avait cependant une chose à craindre, c'est que le navire, une fois parti, ne fit naufrage. N'aurions-nous pas eu des hommes soumis à la question, lorsque, suivant la coutume, on aurait fait une enquête sur le naufrage du vaisseau, et ceux qui auraient échappé aux flots n'auraient-ils pas été tourmentés par le juge? Mais nous ne les livrerions pas, car il ne conviendrait nullement à l'Église de le faire. On aurait payé le droit au fisc. Mais où prendre de quoi le payer? Il ne nous est point permis d'avoir des coffres-forts. » Pour comprendre ce passage, il faut se rappeler une disposition du droit romain, d’après laquelle ceux qui transportaient à Rome ou à Constantinople les grains publics, avaient le nom d'armateurs, et leurs héritiers étaient obligés de leur succéder dans cette charge. S'ils faisaient naufrage, ils étaient contraints de rembourser le dommage au fisc, à moins qu'il ne fût prouvé que la perte avait été causée non pas par la faute des matelots, mais par la seule violence de la tempête. Et, quand on assurait ce fait, deux ou trois matelots au moins devaient être mis à la question, et surtout le capitaine qui avait fait naufrage. Quant au mot Entheca il n'a pas d'autre sens en cet endroit que celui de coffre-fort « puisqu'Augustin ajoute aussitôt: « Il ne convient pas à un évêque de conserver de l'or et d'écarter un mendiant qui lui tend la main (2). » Cependant Augustin avait une sorte de coffre-fort pour déposer les dons des fidèles, mais, l'usage qu'il en faisait pour les pauvres le mettait bientôt à sec (3).

3. Plusieurs trouvaient mauvais qu'il refusât les héritages; il y en eut qui murmurèrent et se plaignirent de ce que cela arrêtait des donations à l'Église d'Hippone. Toutefois ces murmures  déraisonnables n'ébranlaient pas Augustin. Mais sa sagesse le portait à faire en quelques circonstances ce qu'il n'aurait pas fait dans d'autres. Quoiqu'il rejetât les donations peu délicates, ou préjudiciables et nuisibles à l'Église, il déclarait cependant qu'il recevrait les offrandes inspirées par de bons sentiments, et, en effet, il en accepta plusieurs de ce genre (5). Si donc on lui faisait donation ou legs d'une maison, d'un champ, d'une villa, il ne les rejetait pas, mais ordonnait de les accepter (5). Souvent il engageait les fidèles à compter le Christ au nombre de leurs enfants et de l'appeler à partager leur héritage. Et s'ils le faisaient, il recevait volontiers la part qui lui était donnée (6). Il les exhortait également à s'enquérir avec soin si les serviteurs de Dieu et les ministres de l'Église manquaient de quelque chose et à prévenir leur demande par leur libéralité (7). Il le faisait d'autant plus volontiers que tous connaissaient combien peu, il se mettait en peine qu'on eût cette bienveillance et cette sollicitude pour lui (8). Quand les fidèles négligeaient de subvenir au trésor de l'Eglise et aux besoins du secrétariat chargé de pourvoir aux besoins des autels (ce sont les

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(1) Serm., CCCLv, n. 5. (2) Ibid. n. 4. 5. (3) Ibid., n. 7.

n. 4. (7) Com. dc Psaumes, CIII, Sernì., iii.n. 10-12. (8)

(4) Ibid, n. 4. (5) POSSID., eh. xxix, (6~ Serm, ceet,v, Coni. des Psaumes, GXLVII, n. 17; CIII, Serin. iii, n. 12

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paroles de Possidius), Augustin les en reprenait hautement dans l'Église, à l'exemple de saint Ambroise qui, en de pareilles circonstances, avait aussi donné un avis au peuple dans l'Église, comme le racontait Augustin lui-même qui l'avait entendu (1). Il croyait que l'Église devait accepter plutôt les legs comme plus tranquilles et plus sûrs que les héritages entiers. Quelquefois cependant il acceptait aussi ces derniers comme celui de Julien, par exemple, qu'il recueillit parce qu'il était mort sans enfants (2). « Un honorable citoyen d'Hippone qui habitait à Carthage, ayant voulu donner ses biens à l'Église d'Hippone fit faire un écrit de donation avec réserve d'usufruit, et l'envoya à Augustin de sainte mémoire; celui-ci accepta le don avec plaisir et félicita  le donateur de s'être souvenu  de son salut éternel. Quelques années plus tard, nous nous trouvions avec Augustin, quand le donateur lui fit parvenir une lettre par son fils en le priant de lui remettre l'acte de donation; en même temps il lui donnait cent pièces d'or pour les pauvres. À cette nouvelle, le saint se prit à gémir de ce que cet homme avait feint une donation ou de ce qu'il s'était repenti de sa bonne oeuvre; puis, après lui avoir dit hautement ce que Dieu inspirait à son cœur, dans la douleur que lui causait cette réclamation, pour blâmer et corriger cet homme, il lui rendit les tablettes qu'il en avait reçues, sans aucun regret et sans rien exiger, et refusa l'argent qu'il lui faisait offrir. Puis il lui écrivit comme il le devait pour le reprendre et le corriger, en l'engageant à satisfaire à Dieu pour sa feinte et son iniquité, dans les sentiments d'une humble pénitence, et à ne point quitter ce monde chargé d'un si grand péché (3).»

4. Un homme du nom d'Honorat qui avait embrassé la vie religieuse dans le monastère de Tagaste, sans se dépouiller de ses biens, fut ensuite ordonné prêtre pour l'Église de Thiava. Après sa mort, les habitants de Thiava revendiquèrent ses biens soit uniquement parce qu'il avait été ordonné prêtre pour leur ville, soit à titre de quelque donation. Alype, au contraire, s'efforçait de montrer que ces biens revenaient au monastère dans lequel Honorat avait embrassé la vie religieuse, et comme les moines ne devaient rien posséder en propre, il soutenait que tous les biens de ce dernier appartenaient à son monastère; si on prétendait que les moines pussent posséder quelque chose, on leur donnait ainsi l'occasion de retarder, autant qu'ils le pourraient, la vente de leurs biens. Ce fut pour ce motif qu'Augustin se rendit à Thiava avec Alype; mais le manque de temps ne leur ayant pas permis de discuter à fond cette affaire, Augustin crut devoir proposer une transaction aux habitants de Thiava, et sembla abonder dans le sens d'Alype qui voulait donner la moitié des biens d'Honorat aux habitants de Thlava et l'autre aux pauvres, c'est-à-dire aux moines de son monastère, à condition toutefois que la moitié que ces derniers perdaient dans ce partage leur serait rendue d'une autre manière par Augustin. Cette transaction ne plut pas aux habitants de Thiava, qui accusèrent même Alype de consulter, dans cette affaire, moins l'équité que ses propres intérêts et son avantage. Cependant la discussion en demeura là pour le moment. Mais quand Augustin, après son retour, eut eu le temps de revenir sur ce fait suivant son importance, il vit que ce partage d'une somme d'argent contestée ne manquait pas d'une certaine apparence de cupidité et semblait dénoter des hommes qui songeaient plus à l'argent qu'à la justice, et qu'il était ainsi tombé dans l'apparence de mal dont l'Apôtre nous ordonne de nous abstenir, qu'il était cause qu'une tache retombait sur des prélats d'une grande réputation parmi le peuple, et avait scandalisé les faibles au salut desquels il importait extrêmement qu'ils soient convaincus que, dans des affaires semblables, les évêques ne devaient pas se laisser guider par un vil amour des richesses, ce qu'il fallait d'autant plus éviter à cette époque, qu'il y avait peu de temps que ces peuples avaient accepté la foi catholique, après de nombreux

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(1) PO59ID. eh. xxiv. (2) Serm., CCCLY, n. 4. (3) POSSID., XXIVi

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travaux entrepris pour cela, travaux auxquels Augustin avait pris une si grande part qu'il ne pouvait presque se séparer de ces gens-là. Possidius fait mention demdeux lettres d'Augustin aux habitants de Thiava, contre les donatistes(I). Pour l'inconvénient qu'Alype voyait à accorder ces biens à l'Eglise de Thiava, par la raison que les moines devaient renoncer à tous leurs biens Augustin le trouvait tout entier également dans le partage qui avait été fait, et pensait qu'il y avait moins de danger à n'accorder  absolument rien aux habitants de Thiava. Mais d'un autre côté il voyait que la raison d'Alype n'était pas acceptable et il pensait qu'on devait s'en rapporter aux lois de l'empire pour les biens civils, car, à cette époque, les moines, d'après ces lois, étaient maîtres de leurs biens tant qu'ils ne les avaient point vendus, ou n'en avaient point disposé par dotation, en sorte que si un moine venait à mourir avant d'avoir fait  cette donation ce n'était pas le monastère, d'après la loi, mais les héritiers personnels qui recueillaient ses biens. On avait eu déjà quelques exemples de cela. Aussi Augustin approuvait-il beaucoup que les moines fussent obligés de vendre ou de donner leurs biens, avant d'être moines; s'ils mouraient avant d'en avoir disposé par donation ou par testament, ces biens étaient soumis au droit civil qui les concerne. Afin que les prélats fussent entièrement exempts et, purs de l'ombre même de la cupidité et conservassent entièrement le renom d'intégrité indispensable à leur administration. D'après cette règle, les biens d'Honorat appartenaient aux Thiaviens. Mais quand même cette règle eût été fausse, comme la fausseté ne pouvait en être démontrée aux Thiaviens, Augustin consentait à avoir pitié de leur faiblesse et à leur céder la possession de ces biens pour éviter tout mécontentement. Il était touché par l'exemple du Christ, Notre Seigneur, qui paya, pour une semblable raison un tribut, dont il était exempt, par celui de l'Apôtre qui, pour veiller à sa renommée, épargna les faibles dans la revendication des droits de l'Église et les dispensa parfois de lui payer ce qu'ils lui devaient. Bien qu'Augustin, pour toutes ces raisons, fût arrivé à tenir son sentiment pour certain, cependant de peur de se tromper en le suivant, il exposa cette affaire à Samsouci, évêque de Turra, en lui disant seulement ce qu'il avait d'abord décidé avec Alype. Samsouci, peu versé, il est vrai dans les belles-lettres, mais très instruit dans la vraie foi, se récria à l'exposé des faits en s'étonnant qu'une pensée si indigne de la vie et des moeurs de qui que ce fût, eût pu venir à l'esprit d'Augustin et d'Alype. Aussi Augustin voulant remettre aux Thiaviens l'héritage tout entier d'Honorat, leur écrivit une lettre qu'il envoya d'abord à Alype, en le priant de la leur faire parvenir le plus tôt possible. En même temps il lui expose sérieusement les motifs qui l'ont déterminé à changer de résolution. Il décide aussi qu'en règle, tout ce qui, en vertu du droit civil, appartiendrait à  un clerc, reviendra à son Église. Mais il n'indique pas si cela se fit en vertu d'une donation antérieure ou si Honorat aurait décidé quelque chose au sujet de ses biens. Cependant les canons d'Antioche et d'Hippone (2) permettent aux clercs de laisser leurs biens à qui ils veulent; et n'attribuent à leurs églises que ce qu'ils ont acquis pendant leur cléricature. Cette faculté parait avoir été restreinte depuis en quelques points: et nous lisons que le concile de Carthage, en date du 11 septembre, 401, anathématise les évêques même qui préféraient, à l'Église, des étrangers ou même leurs parents, si ces derniers sont païens ou hérétiques (3). Ce décret fut peut-être augmenté dans les conciles suivants et confirmé par l'autorité de quelque édit impérial, Alype espérait qu'Augustin payerait au monastère de Tagaste la moitié de l'héritage qu'il voulait accorder aux habitants de Thiava. Augustin, de son côté, se déclare prêt à le faire, si Alype voit bien nettement que cela est juste; mais à condition de ne le payer que quand il aurait de quoi le faire, c'est-à-dire quand on ferait au

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(1) In indie, IIL (2) LADLE.. Collect. d'anc. Can. (8) ffid., Cang LXXXI.

XXIV, pp - 571-580. Recueil des can. afric~, Can. xxxii,

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monastère d'Hippone quelque aumône assez considérable pour en pouvoir tirer cette somme, sans s'exposer à laisser trop peu de chose, pour le nombre des frères du monastère d'Hippone. Nous ne savons pas à quelle époque arriva cette affaire (1). Ce qu'il y a de certain, c'est que Samsouci occupait son siége épiscopal au commencement de l'épiscopat d'Augustin , et qu'après 407, il n'est plus question de lui nulle part.

5. Quoiqu'il fût exempt à toute cupidité et étranger à toute espèce de préoccupation d'affaires, et que jamais il n'ait voulu acheter ni maison, ni champ, ni villa (2), cependant il nous apprend qu'il conseilla à un de ses clercs de faire une acquisition qui devait apporter quelque avantage à l'Église, mais à condition toutefois que s'il ne demeurait pas dans son titre il lui rendrait sa propriété, sans que ses parents eussent le droit de la réclamer. « Il n'eut jamais le goût des constructions nouvelles, dit Possidius, il craignait d'engager dans des soins vulgaires son esprit qu'il voulait conserver toujours libre de toute préoccupation temporelle. Il n'empêchait pas néanmoins ceux qui voulaient bâtir, de le faire, il ne blâmait en cela que l'excès (3). " Il ordonna au prêtre Léporius de construire un hospice avec une somme d'argent qu'il avait recueillie à cet effet. Par un ordre semblable du saint évêque, Léporius, avec le reste de cet argent, fit élever une basilique aux huit martyrs (4). Héraclius, qui fut tout au plus diacre, fit bâtir à ses frais, à ce qu'il semble, une chapelle dédiée à saint Étienne (5). Il est encore vraisemblable que c'est du temps d'Augustin, qu'on éleva une chapelle aux martyrs Gervais et Protais, dans laquelle il prononça un sermon le jour anniversaire de l'invention de leurs reliques à Milan (6), non le jour de leur martyre, comme il était marqué dans d'anciens manuscrits. Il y avait encore une autre chapelle dédiée aux mêmes martyrs, dans la villa Victor du diocèse d'Hippone, mais elle était éloignée de dix à douze lieues de cette dernière (7).

 

CHAPITRE IV

 

1 - Augustin s'applique au soulagement des pauvres. - 2. Il écrit au peuple d'Hippone en faveur de Farcius poursuivi pour dettes. - 3. Sa réserve quand il s'agissait d'intercéder auprès des grands, ou de leur recommander quelqu'un. - 4. Il écrit à Romule en faveur des paysans.

 

   1. Il n'est pas besoin de recourir aux preuves pour montrer à quel usage Augustin employait les revenus de son Église. Nous ferons cependant remarquer qu'il a écrit quelque part qu'il a distribué les aumônes de Pinien, comme il lui avait paru bon; il en avait donné une partie aux moines et au clergé, et à quelques pauvres en petit nombre, en dehors du monastère. Quant au reste, il le conserva pour en faire un usage semblable (8). Il n'en admettait pas d'autres aux largesses de l'Église. Nous avons dit plus haut qu'il n'avait aucun argent en réserve près de lui; il disait : « Il ne convient pas à un évêque de conserver de l'or et d'écarter de soi le mendiant qui tend la main. Chaque jour nous sommes assiégé de demandes et de gémissements par tant de personnes, nous sommes, dans notre indigence, sollicité par une si grande foule d'indigents comme nous, que nous sommes contraint d'en renvoyer plusieurs, la tristesse dans l'âme, n'ayant pas de quoi les satisfaire tous (9). » Il se souvenait toujours des pauvres, aussi puisait-il pour leur donner, à la même source que celle qui fournissait à ses besoins et à ceux de ses compagnons, c'est-à-dire dans les revenus de l'Église, ou dans les offrandes des fidèles. «Quand l'argent manquait à l'Église, il avertissait les Chrétiens qu'il manquait de ressources pour les indigents (10), c'est ce qu'il semble faire également dans un sermon prononcé le jour anniversaire de son ordination épiscopale (11). Il félicite ailleurs son peuple du soin qu'il mettait à ne le laisser manquer de rien et à montrer une fraternelle compassion envers ses frères (12). Cependant, les ad-

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(1) Leltre LXXXM. (2) POSSID., eh, xxiv. (3) POSSID., ch.xxiv. (4) Serm., CeCLvi, n. .10. (5) Ibid., n. 7. (6) Serin., ecLxxxvi 1 n. 4. (7) De la cité de Dieu. XXII, eli. viii, n. 7. (8) Lettre cxxvi, n. 8. (9) 9Cni., GGCLY, 

eh. v. (10) Pos., xXiv, (11)      ceexxxix, n. 3. (t2) Lettre CCLXviii, n. l.

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ministrateurs des revenus de l'Église étaient parfois obligés de faire des emprunts et de contracter des dettes (4). Il serait inutile de citer tous les passages où il exhorte le peuple à faire l'aumône. Il établit la coutume parmi son peuple d'une quête annuelle pour habiller les pauvres (2). Il parle de cette quête dans un sermon, et le peuple en reçoit l’ annonce avec une manifestation publique de joie (3). Cependant, en son absence, cette coutume fut interrompue une fois. Mais dans ses lettres à son clergé et au peuple d'Hippone, il blâme cet oubli ; et comme les temps étaient durs, à cette époque, car il paraît que c'était au moment où on craignait l'invasion d'Alaric dans l'Afrique, il rappelle aux fidèles qu'ils sont d'autant plus rigoureusement tenus à soulager la misère des pauvres (4).

2. Un Catholique du nom de Fascius se voyait pressé par ses créanciers à cause d'une dette de dix-sept sous d'or. Étant hors d'état de les payer, il eut recours à l'Église pour ne point aller en prison. Théodose Auguste avait ordonné, par un édit, en 397, que les débiteurs du fisc réfugiés dans l'Église en seraient tirés ou que l'évêque qui les cachait payerait leur dette. Arcadius, en 398, avait étendu cet édit aux dettes privées. Forts de l'autorité de cette loi et de la justice de leur cause les créanciers de Fascius étant forcés de partir et ne pouvant, pour cette raison, lui accorder aucun délai, se plaignirent vivement de cette chose à Augustin et insistèrent pour qu'il leur livrât Fascius, ou se chargeât d'acquitter sa dette. Augustin offrit à Fascius d'en parler au peuple; mais ce dernier, retenu par la honte, supplia le saint évêque de n'en rien faire. N'ayant aucun autre moyen de venir à son aide, Augustin emprunta dix-sept sous d'or à Macédonius et les donna aux créanciers de Fascius qui, de son côté, promit de lui rendre cette somme à un jour fixé, consentant, s'il y manquait, à ce qu'il parlât au peuple de son affaire. Le jour convenu, Fascius ne se présenta pas. Mais Augustin n'en fut pas averti, en sorte qu'il ne put en parler au peuple le jour de la Pentecôte, où l'assemblée était nombreuse, et partit bientôt après pour un voyage. Voilà pourquoi il écrivit au peuple d'Hippone, du lieu où il se trouvait, pour lui demander de fournir, à titre d'aumône, cette somme qui devait délivrer non pas tant Fascius que la parole qu'il avait donnée lui-même à Macedonius. En même temps, il écrivit à son clergé, si la somme fournie par le peuple était insuffisante, de puiser le reste dans les biens de l'Église. Il aimait mieux obtenir cette somme de la pieuse libéralité de son peuple, afin qu'elle fût comme le fruit des pluies  célestes dont Dieu l'arrosait continuellement par son ministère (5). Possidius nous apprend que sa charité envers les malheureux en vint à un tel degré, qu'il ordonna de rompre et de fondre les vases sacrés pour subvenir aux besoins d'un certain nombre de captifs et de pauvres. S'il allait en cela contre le sens charnel de certaines gens du moins il suivait avec joie l'exemple et les leçons d'Ambroise (6).

3. Ceux que Dieu avait confiés à ses soins et à sa charité trouvaient auprès de lui l'aide de sa recommandation et de ses lettres pour les puissants du siècle. Mais cette occupation qui l'éloignait de ce qu'il aimait le plus était une lourde charge pour lui, qui n'avait d'autre joie que de parler et de s'entretenir des choses de Dieu, dans l'intimité de la vie fraternelle (7). Il pensait qu'une des charges du sacerdoce était d'intercéder auprès des juges en faveur des accusés. Quand la vie de l'un d'eux était en péril, dans un jugement, on accourait à l’église, prier l'évêque de quitter ses occupations même les plus sérieuses, pour demander la grâce des coupables. Mais Augustin ne le faisait qu'avec retenue et discrétion. « Nous savons aussi, dit Possidius, qu'il refusa souvent à ses plus chers amis des lettres de recommandation auprès des puissants du siècle, en disant qu'il voulait suivre l'avis du sage qui n'accordait pas toujours à ses amis ce qu'ils lui demandaient, par égard pour sa propre renommée. Il ajoutait en outre que souvent le puissant qui oblige s'impose. Mais quand il se voyait obligé d'intercéder

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      (1) SerM, CCCLVI,

(2) POSSID., eh. xxiv. (7) Ibid, xix.

n. 16. (2) Lettre cxxii, n. 2. (3)

Serm, ii, n. 8. (4) Lettre cxxii. (5) Lettre CCLXVIII.

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pour quelqu'un, il le faisait avec tant de réserve et de modération que non seulement il ne paraissait pas à charge et importun mais qu'il excitait  l'admiration (1). » Possidius rapporte ensuite le témoignage que lui rendit à ce sujet Macédonius vicaire d'Afrique. Mais son humilité et sa douceur naturelle n'empêchaient pas qu'il ne recourût quelquefois à la sévérité et presque aux menaces, lorsqu'il priait pour quelqu'un; car si la vérité est douce, elle a aussi ses amertumes. Douce, elle épargne; amère, elle guérit (2).

4. Un certain Romule qu'Augustin avait engendré à Jésus-Christ par Evangile, avait placé Pontican, comme intendant dans une villa pour en surveiller les colons. Pontican leur demanda la redevance due à Romule, il en convenait lui-même, et se l'appropria. Romule qui d'ailleurs n'avait aucune crainte de Dieu, prétendait que ces paysans qui à peine avaient pu payer une fois, devaient payer de nouveau. Cette prétention inique émut vivement Augustin, moins à cause des colons indigents et opprimés que pour Romule lui-même qui, par sa tyrannie provoquait la vengeance divine: « Je ne suis pas assez malheureux, » dit-il, « et mon coeur n'est pas assez dépourvu  de la charité de Jésus-Christ pour n'être pas pénétré de douleur quand ceux que j'ai engendrés par l'Évangile se conduisent ainsi. » Il s'adressa donc à Romule qui prétendait que les colons n'auraient pas dû payer à Pontican, quoiqu'il ne leur eût pas ordonné le contraire par une lettre, sans laquelle les paysans n'auraient jamais refusé de payer leur redevance à Pontican en qui ils voyaient un représentant de leur maître. Mais Augustin n'ayant rien gagné ce jour-là sur l'esprit de Romule, envoya, le samedi, prier Romule qui prenait son repas, de ne point partir d'Hippone avant de l'être venu voir. Romule répondit qu'il le ferait. Le lendemain, il se rend à l'église, fait sa prière, et s'en va sans saluer l'évêque. C'était montrer un grand mépris pour Augustin; mais le pieux évêque pour se venger saintement demanda à Dieu le pardon de Romule, par ses prières. Mais le coupable ne pouvant l'obtenir qu'en se corrigeant, le saint évêque fut forcé de lui écrire une lettre très sévère pour le conjurer et le supplier de songer au tort qu'il cause ainsi à lui-même plutôt qu'à ses colons, envers qui il ne pouvait nier qu'il tenait une injuste conduite. « J'aurais même,» dit-il, « plus de sujet de vous faire des reproches que des prières. Si c'était pour moi que je dusse vous prier, peut-être ne le ferais-je pas, mais comme c'est pour vous je le fais hardiment. Je vous prie donc de cesser de vous vouloir du mal et de vous en faire : c'est avec vous-même que je veux vous remettre en paix, afin que vous puissiez vous y remettre avec celui que vous priez. Qu'il vous ouvre les yeux de l'esprit pour vous faire voir le mal que vous faites, et vous en donner une horreur qui vous porte à le réparer. Il vous semble que ce n'est rien ou que c'est un bien petit mal, mais c'en est un si grand que si jamais votre cupidité est assez domptée pour vous permettre de le voir, vous arroserez la terre de vos larmes, afin qu'il plaise à Dieu d'exercer sa miséricorde envers vous. » Augustin craignit de l'irriter davantage par cette lettre, et de le porter à se montrer plus dur encore envers ses colons; aussi ajoute-t-il que s'il en était ainsi, il leur serait imputé à mérite, d'avoir eu à souffrir de sa colère s'il s'irritait de ce qu'il lui a écrit dans l'intérêt de son salut. Il le menace du jugement unique de Dieu, si Romule parvenait à gagner sa cause auprès des hommes qui sont tenus de s'en tenir au texte des lois établies pour empêcher les autres mauvaises actions. Il faut conclure de là que quoique nous ne puissions refuser aux hommes ce que nous leur devons, d'après la loi, cependant il ne nous est pas toujours permis d'exiger des autres ce qu'ils nous doivent, en vertu de ces mêmes lois (3).

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(1) Ibid-, oh. xx. (2) Letti,e CCXLVI1, n. 1. (3) Lettre CCXLVII.

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