Édit de Nantes 2

Darras tome 37 p. 541

 

51. Il ne faut pas croire qu'on se porta, de but en blanc, aux excès de la force ; le XVIIesiècle était trop sage, pour ne pas procé­der avec tempérament. Sans doute, on ramena les protestants à la stricte observance de l'édit de grâce et, comme ils le violaient sou­vent, les intendants durent les rappeler à l'ordre. Mais surtout on s'appliqua a les détacher du protestantisme par la persuasion et par la faveur. En tout temps, le roi avait eu pour système de gagner les huguenots par des bienfaits ou par des refus d'emplois à sa nomi­nation. A la fin de la guerre de Hollande, il s'appliqua à renforcer l'efficacité de ces moyens. En 1676, la caisse des conversions fut créé sous la direction de Pellisson, nouveau converti, pour rémunérer, par des dons d'argent, les changements de religion. Cette amorce aux consciences faibles, cet achat des conversions est une étrange idée, aussi peu digne que peu chrétienne, mais elle jette un jour singulier sur l'état d'âme des coreligionnaires. Qu'on l'ait employé pour étendre le protestantisme, nous le savons ; qu'on l'ait employé pour le combattre, nous devons le regretter. L'effet toutefois ne se fit pas attendre. Au bout d'un an, l'évêque de Grenoble annonçait, que sept à huit cents personnes étaient rentrées dans l'Église au prix modique de 2.000 écus. Un peu plus tard, Seignelay, au retour d'une visite à Rochefort, disait dans un rapport au roi, que, dans le diocèse de Saintes, des familles entières se convertissaient pour une pistole. En 1679, on commença par Montauban à exclure les religionnaires des charges politiques des villes, et bientôt de tout emploi dans la recette des deniers du roi. L'intendant Foucault, un des zélés serviteurs du roi, promettait des conversions plus fréquen­tes par la peur de perdre des emplois lucratifs. Seignelay affirmait à son tour que le désir d'avancer, la crainte d'une restitution pro­duisait un effet semblable dans la marine. « Trois gentilshommes de bonne maison, qui ont déjà servi quelques campagnes sur les vaisseaux du roi, se sont convertis par l'espérance d'être reçus dans les gardes de la marine. Je crois qu'il serait de la bonté du roi de leur accorder celte grâce. Ce que j'ai dit aux officiers huguenots de

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la part de Votre Majesté fait tout le bon effet qu'on en peut attendre ; ils sont persuadés que s'ils ne changent pas, Votre Majesté les con­gédiera et j'espère que cette crainte produira plusieurs conver­sions. (1)» Ministres et intendants luttaient de zèle à qui ébranlerait le mieux une religion qui ne plaisait pas au roi. La conversion,
bientôt la réduction des huguenots fut un service de cour comme un autre, un gage nouveau des faveurs du roi.

   52. Il y avait un autre système de conversion, beaucoup plus régulier, plus catholique, c'était d'instruire les populations. Quel­ques agents du roi le conseillaient, le clergé, on le devine, l'appuyait de toutes ses forces. Le duc de Noailles, lieutenant-général en Lan­guedoc, insistait pour qu'on fît connaître, aux protestants, la vraie religion, qu'ils ignoraient. Selon lui, le clergé catholique, dans le Midi, dans les Gévennes surtout, avait trop peu donné ses soins à ce devoir capital. Une cathédrale, des collégiales, des cures, plusieurs communautés, fournissaient à peine un sermon par mois aux catholiques, tandis que les calvinistes du même lieu en avaient un par jour. Foucault écrivait de son côté que les ministres et prin­cipaux religionnaires de Montauban, prêts à se convertir, n'atten­daient, pour le faire honorablement, que des conférences où seraient débattus les points controversés, qu'à leur avis c'était la seule voie qui put favoriser le grand projet des conversions ; que celle de rigueurs, de privations d'emplois, de pensions, de grâces, serait mutile. Mais ce mode d'action, conforme au véritable esprit ecclé­siastique, ne pouvait convenir à des hommes d'État peu exercés à gouverner les âmes, impatients de satisfaire le roi par l'accomplis­sement de sa volonté. Le chancelier affecta de craindre que les conférences eussent la même inutilité que le colloque de Poissy, ou que le Pape en prit ombrage, il défendit à Foucault de porter cette proposition au roi. Le Tellier s'abusait: il y a une différence essen­tielle entre des réunions où l'on dispute en mettant de côté le prin­cipe ecclésiastique, et des réunions où l'on procède par la voie régulière de l'autorité. A ce pied là, il n'y aurait jamais lieu de pro-

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(1) Seignelay, Rapport au Roi, dans la collection Clément; et Marcou, Hitt, de Pellisson.

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céder à mission. La célèbre assemblée du clergé de 1682, si blâma­ble à certains égards, mit au jour les véritables sentiments de l'Église à l'égard des protestants. Les inspirations qu'en reçut Louis XIV se traduisirent dans une lettre aux archevêques et évêques, où il leur recommandait, sur toutes choses, « de ménager avec douceur les esprits de ceux de la religion prétendue réformée et de ne se servir que de la force des raisons pour les ramener à la connais­sance de la vérité, sans rien faire contre les édits et déclarations en vertu desquels leur religion est tolérée dans le royaume. » Cette lettre réfléchit bien l'esprit de cette assemblée. Suivant l'historien de madame de Maintenon, on n'y sollicita point la révocation de l'édit de Nantes ; on voulait seulement obtenir des règlements de police pour les deux cultes et provoquer de nouvelles dispositions nécessitées par des inconvénients reconnus. Le clergé songeait uniquement à reconquérir les âmes sur l'erreur.

 

53. C'est ici que les dragons entrent en scène. Après avoir employé, pour convertir, les moyens de séduction et de persuasion, en 1681, on essaya de la peur des soldats. Une ordonnance inspirée, à ce qu'il paraît par l'intendant du Poitou, Marillac, exemptait, pendant deux ans, les nouveaux convertis du logement des gens de guerre. Un commentaire de Louvois expliquait comment ce privilège pouvait être une source abondante de conversions, si, dans la répartition des logements, tout en faisant une part à chacun, on imposait les plus lourdes aux religionnaires les plus riches. Un régiment de dragons fut envoyé en Poitou avec cette destination ; ce sont les dragons qui ont aussi inauguré les conversions par loge­ment de troupes : de là les noms de dragonnades et de missions bottées, qui désigne encore aujourd'hui cette terreur et cette prédi­cation militaires. Il faut bien reconnaître, dit Casimir Gaillardin, que cette antipathie fut justifiée dès le premier jour par la manière dont Marillac appliqua l'ordonnance. Malgré les ordres de Louvois, il ne logea aucun soldat chez les catholiques ; il permit la licence aux soldats en s'abstenant de la réprimer ; il encouragea leurs exi­gences, en leur faisant donner, outre le logement, qui seul leur était dû, la nourriture sans payer et des sommes d'argent régulières,

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avec une part pour les officiers, proportionnée à leurs grades. D'a­bord il en résulta des plaintes qui furent portées au roi ; mais Marillac n'en tenant pas compte, non plus que des réprimandes du ministre, la crainte de ces vexations poussa un bon nombre de religionnaires à la fuite. L'émigration commença vers les pays étran­gers, Angleterre, Hollande, Allemagne, où ils trouvaient un accueil d'autant plus empressé, que Louis XIV y était plus odieux. Inquiet de ce symptôme menaçant, Louvois retira les dragons du Poitou et prescrivit à Marillac, de ne plus employer, contre les récalcitrants, d'autres armes, que les gratifications et les décharges de taille. Marillac essaya encore de n'en faire qu'à sa tête ; il fut révoqué. On put croire que le roi, ou plutôt Louvois renonçait aux dragonnades. (1)

 

   54. Alors ce fut le tour des religionnaires de se donner des torts. En 1682, le roi revenait aux voies de modération. Une ordonnance défendait l'émigration sous peine des galères ; en même temps il était prescrit de ne demander les conversions qu'à des moyens d'ordre religieux. Le roi promettait la sagesse de la part de ses intendants ; il en donnait une garantie en permettant aux religion­naires de la Haute-Garonne de se réunir en synode. Les protes­tants interprétèrent à peur cette modération; ils se crurent assez forts pour se faire craindre en se rassemblant ; il y eut des attrou­pements considérables où se mêlaient des bandits. Sous la parole ardente des ministres, le Dauphiné remuait comme le Languedoc. En juillet 1683, une assemblée se formait à Chalançon des députés envoyés par les consistoires des deux provinces; on y prit des résolutions violentes. En même temps, plusieurs ministres du Languedoc se rendirent à un synode en Suisse et se décidèrent à réclamer, des princes protestants, en faveur des calvinistes, une intervention près du roi de France. Cet appel à l'étranger res­semblait fort à une trahison ; les prises d'armes à l'intérieur consti­tuaient bien une révolte. La maréchaussée était trop peu nom­breuse pour contenir ces séditions; Noailles demanda des troupes; Louvois voulut faire sentir aux rebelles combien il est dangereux

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(1) Hist. du règne de Louis XIV, t. V, p. 09.

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de se soulever contre son roi. Trois mille cinq cents hommes entrèrent d'abord en Dauphiné ! Une prompte soumission valut une amnistie, qui n'excepta que les instigateurs du mouvement. La résistance fut plus hardie sur l'autre bord du Rhône, mais enfin il fallut céder. Au nom du roi, Louvois rejetta tout accommo­dement. Les troupes devaient vivre aux frais des habitants, dans tous les lieux où leur présence serait nécessaire ; les coupables se­raient livrés à la justice de l'intendant, les maisons rasées de tous ceux qui étaient morts les armes à la main et les huit ou dix prin­cipaux temples du Vivarais démolis. Pour mieux assurer la tran­quillité du pays, il fut défendu aux protestants et aux catholiques, de garder des armes. A part ces répressions, là ou cela se put sans résistance, l'exercice public du culte réformé fut interdit. On vou­lait affranchir les protestants de l'influence de leurs ministres, les délivrer des préventions, les rendre à la liberté du choix, leur permettre au moins d'écouter la prédication catholique. En un mot, réduire l'exercice extérieur et public, sans violenter la conscience, telle paraît l'extrême limite où voulut aller Louis XIV.

 

   55. Pendant que Louis XIV et le  clergé s'accordaient dans un  même esprit de prosélytisme, Louvois poussait aux violences,  en­levait les conversions à la pointe de l'épée et dérobait ses  excès aux yeux du roi, par la multitude incroyable des  conversions qui en étaient le fruit. Louis XIV en vint à croire qu'il n'y avait plus de protestants dans son royaume et que l'édit était sans  objet. Jusqu'à quel point Louis XIV ignora-t-il les rigueurs de Louvois et en devint-il le complice, on ne peut le dire.  Ce qui est possible, c'est que voyant les conversions affluer  en si grand nombre, s'il soupçonna la pression qui les produisait, il vit aussi le peu de ré­sistance que rencontrait cette pression. Le roi ferma les yeux sur un expédient passager que le succès allait ensevelir en  quelque sorte et consacrer par la libre fidélité des convertis. Si les protes­tants n'eussent pas cédé aussi timidement  à la première  ombre de contrainte, Louis XIV, Louvois même se fussent arrêtés  devant le rempart de leur conscience ; ou si, cédant à l'impression qui devait les convertir, ils eussent été sincères, la gloire serait ac-
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quise à ces conversions. Dans les deux cas, le roi serait innocent : il n'est donc coupable que d'avoir cru à la conscience des protes­tants, ou, n'y croyant pas, de ne les avoir pas plus respectées, qu'elles ne se respectaient elles-mêmes. « Il faut distinguer, dit Auguste Nicolas deux époques dans la contrainte exercée par le gouvernement de Louis XIV contre les protestants ; avant et après la révocation. Avant la révocation cette contrainte n'avait rien d'excessif et que ne  pussent soutenir des âmes, je ne dis pas intrépides, mais fermes dans la foi. Or, c'est à cette époque que les conversions affluèrent en si  grand nombre qu'on ne pouvait suffire à les recueillir.  Quelles consciences  que celles qui se jouaient ainsi de la foi et de la vérité,  et qui se li­vraient à la première approche ! Au lieu que les  martyrs étaient humbles, dociles, intrépides, et incapables de dissimulation, ceux-ci sont lâches contre la force, opiniâtres contre la vérité, et prêts à toutes sortes d'hypocrisies. Si l'on voulait leur faire abjurer  le christianisme et suivre l'alcoran, il n'y aurait qu'à leur montrer des dragons. Tel est le portrait qu'en faisait Fénelon qui les avait sous les yeux. Ne reconnaissons-nous pas là ceux que Jurieu  di­sait être gros de la tolérance universelle et de l'indifférence des religions ? Sans aller prendre le terme de comparaison si haut que les martyrs de la primitive Église, nous avons sous les yeux un peuple dont l'exemple doit confondre les protestants  du siècle de Louis XIV, c'est le peuple irlandais. La contrainte exercée  par Louis XIV, avant la révocation, contrainte qui  n'était que com­minatoire, approche-t-elle des horribles et épouvantables violences exercées depuis Elisabeth jusqu'à nos jours contre  les Irlandais? Qu'on nous fasse voir cependant, à aucune époque de cette longue persécution, des conversions parmi eux comme parmi les protestants du siècle de Louis XIV ? On  est toujours à parler du scandale de ces conversions, et on ne remarque pas qu'elles sont bien plus scandaleuses par l'hypocrisie des convertis  que par la violence des convertisseurs. Jamais ceux-ci,  je le répète, jamais Louis XIV, ni Louvois lui-même, n'eussent poussé les choses à l'excès, s'ils eussent rencontré d'abord une résistance morale et

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digne comme celle des vrais chétiens, si les conversions n'eussent pas été au devant des dragons, et si l'édit de Nantes ne fut pas touché principalement par la désertion en masse de ceux qu'il protégeait. Nous ne voulons point justifier par là les violences qui suivirent la révocation. Comme catholiques, nous n'avons on va le voir, aucun mérite de désintéressement à les réprouver. Mais il faut être juste, et reconnaître que si Louis XIV ne sut pas revenir sur cette situation de plus en plus compliquée par les difficultés qui surgirent au dedans et au dehors, la conduite des protestants le décharge en grande partie du tort de s'y être engagé.


« Ce qui est certain, et ce qui prouve la. oyauté et la confiance de Louis XIV, c'est que la révocation de l'édit de Nantes, qu'on nous représente comme le fruit de la violence, et qui aurait dû en être le triomphe, en fut le désaveu (1) ».


56. Enfin le mouvement des conversions s'accéléra d'une manière qui dépasse toutes croyances. Du 15 août au 4 septembre, il y eût, dans les généralités de Bordeaux et de Montauban, 80,000 conver­tis ; dans le Languedoc, 182,000. On se figure généralement l'édit de révocation comme ouvrant une ère de persécution contre les protestants et les dépouillant tout à coup de leurs avantages. L'édit fut plutôt la clôture naturelle d'un ouvrage de conversions entrepris depuis un grand nombre d'années et d'une suite d'actes révocatoires, progressifs comme ces conversions. Le 15 octobre 1683, une déclaration lentement élaborée par Le Tellier, était approuvée par le roi, et envoyée à tous les intendants. Article Ier, révocation était faite de tout édit ou concession en faveur des prétendus réfor­més; articles II et III, défense à eux de s'assembler pour l'exercice de leur religion, en aucun lieu ou maison particulière ; défense à tous seigneurs de faire aucun exercice de cette religion dans leurs maisons et fiefs, à peine de confiscation de corps et de biens ; articles V et VI, ordre à tous les ministres qui n'adopteront pas la re­ligion catholique, de sortir du royaume, promesse de pensions et de quelques privilèges à ceux qui se convertiront; articles VII et VIII,

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(1) A. Nicolas, Du protestantisme et de toutes les hérésies dans leurs rapports avec le socialisme, t. II. p. 227.

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interdiction de toutes écoles particulières pour les enfants de cette religion ; ces enfants seront baptisés par les curés des paroisses et leurs pères et mères tenus de les envoyer à l'église; articles IX et X, par un effet de la clémence du roi, les religionnaires, qui ont déjà émi­gré, s'ils rentrent en France dans un délai de quatre mois, repren­dront leurs biens, mais ceux qui sont encore en France n'en sorti­ront pas, sous peine des galères; articles XI, «pourront au surplus les dits de la R. P. R., en attendant qu'il plaise à Dieu les éclairer comme les autres, demeurer dans les villes et lieux de notre royaume, pays et terres de notre obéissance, et y continuer leur commerce, et jouir de leurs biens, sans pouvoir être troublés, ni empêchés, sous prétexte de la dite R. P. R., à condition toutefois de ne point faire d'exercice ni de s'assembler, sous prétexte de prière ou de culte, de quelque nature qu'il soit, sous les peines ci-dessus de corps et de biens (1). »


Telle est, dans son ensemble la révocation de l'édit de Nantes. Le dernier article autorise à penser, il est inexplicable sans cela, que Louis XIV avait été réellement trompé sur les dragonnades de Louvois. Autrement comment aurait-il pu désavouer cette manière violente de convertir, non seulement pour l'avenir, mais pour le passé, dans l'édit même de conversion ? Comment aurait-il pu rai­sonner dans l'hypothèse de non-violence et aurait-il donné pour mesure de la tolérance qu'il promettait aux protestants non encore convertis, celle dont on avait usé envers les autres ? Comment sur­tout aurait-il compromis un succès poursuivi depuis si longtemps, si laborieusement obtenu, s'il eut cru que c'était une œuvre de violence et d'hypocrisie ?

 

   57. La révocation de l'édit de Nantes répondait, en France, à un sentiment unanime ; elle obtint la consécration de l'immense majo­rité du public. Ce n'est pas seulement Bossuet qui exalte, dans l'oraison funèbre de Le Tellier, la piété du grand roi, nouveau Constantin, nouveau Théodose, nouveau Marcien. C'est encore Arnauld, exilé volontaire dans les Pays-Bas qui écrit : « On a été bien surpris ici de la déclaration ; comme on y est bon catholique, on s'en

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(1) Isambert, t. XIX; Dumont, t. VII; Mémoires de Foucault et de Noailles.

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réjouit fort. On sera bien aise de savoir ce qui en sera arrivé et s'il y aura bien des gens à qui elle fera ouvrir les yeux. » (1) Ce n'est pas seulement l'assemblée du clergé qui, dans un discours attribué à Racine et prononcé par le coadjuteur de Rouen, remercie le roi d'avoir accru le troupeau de chaque évêque et fait à chaque pasteur une obligation de redoubler de zèle ; les érudits, les artistes, chacun à sa façon et par des procédés de son art, rendent hommage au zèle et aux triomphes du prince. Ducange, dans l'épitre dédicatoire de Chronicon paschale, l'appelle, à plus juste titre que ses plus nobles prédécesseurs, le défenseur, le vengeur, le soutien de l'Eglise et de la foi chrétienne, le pieux, le très chrétien, pour avoir arraché les derniers restes de l'hérésie, dont les factions coupables avaient si souvent ébranlé la France. Girardon, le sculpteur, envoyait à Troyes, sa ville natale, un médaillon du roi, et cet ouvrage, reçu avec acclamation par les habitants, était consacré « au pieux triompha­teur qui avait éteint l'hérésie. » La haute société disait, comme Sevigné, de la déclaration qui révoquait l'édit de Nantes : « Rien n'est si beau que tout ce qu'elle contient, et jamais roi n'a fait et ne fera rien de plus mémorable. » Bussy-Robutin admirait la conduite du roi pour ruiner les huguenots : « Les guerres qu'on leur a faites autrefois, disait-il, et les Saint-Barthélémy ont multiplié et donné vigueur à cette secte. Sa Majesté l'a frappée petit à petit et l'édit qu'il vient de rendre, soutenu des dragons et des Bourdaloue, a été le coup de grâce. » (2) Le peuple enfin approuvait à sa manière ; celui de Paris se jetta sur le temple de Charenton et le démolit en quelques heures.

 

  58. « Le projet, dit madame de Caylus, était grand, beau et politique, si on le considère indépendamment des moyens qu'on a pris pour l'exécuter. » Les protestants l'accueillirent avec joie ; ils recouvraient la liberté de conscience, sinon pour exercer publique­ment leur culte, du moins pour n'être point contraints, par force, à l'abjuration. C'était tellement un frein à la violence, qu'à peine l'édit eut-il paru, il fut l'objet des plus âpres réclamations des inten-

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(1)Sainte-Beuve, Bis. de Port-Royal.

(2)Sévigné, Lettres 28 octobre 1685.

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dants qui avaient épousé le système de Louvois. « La dernière clause de l'édit de révocation de celuy de Nantes nous fait un grand désordre icy et arreste les conversions », écrivait Nicolas Foucault, intendant du Poitou, à Joseph Foucault, son père. Et celui-ci, vieux politique, ancien secrétaire du conseil, lui répondait : « Le dernier édit qui révoqua celuy de Nantes me parait un contre-temps aux affaires de la R. P. R. Il produira bien des relaps qui se cantonne­ront dans leurs maisons et serviront de ministres à leurs familles. » A la même époque, l'intendant de Languedoc, faisait connaître que les nouveaux convertis ne s'attendaient pas à un pareil édit et que la clause qui défendait d'inquiéter les religionnaires avait causé parmi eux un mouvement qui ne pourrait être apaisé de quelque temps. « La plupart s'étaient convertis, disait-il, dans l'opinion que le roy ne voulait plus qu'une religion dans son royaume. Quand ils ont vu le contraire, le chagrin les a pris de s'être si fort pressés ; cela les éloigne, quant à présent, des exercices de notre religion. » Enfin, après avoir exprimé la même pensée, dans des termes pres­que identiques, le maréchal de Noailles terminait de la sorte, un mémoire adressé à Louvois : « Il est certain que la dernière clause de l’édit qui défend d'inquiéter les gens de la R. P. R. va faire un grand désordre, en arrêtant les conversions ou en obligeant le roi de manquer à la parole qu'il vient de donner, par l'édit le plus solennel qu'il put faire. » D'un autre côté, le lieutenant de police, à Paris, faisait assembler les principaux commerçants protestants, pour leur confirmer de bouche ce que l'édit renfermait de disposi­tions favorables et les assurer que désormais il n'y avait pour eux rien à craindre. (1)


J'en suis fâché pour le grand nombre, qui s'était fait de l'édit de révocation, l'idée d'une mesure inique et oppressive, qui avait jeté la consternation chez les protestants et rendu cruelle l'apologie qu'en fit Bossuet. Les amis de la vérité doivent abandonner cette opinion. Les protestants eux-mêmes accueillirent l'édit comme un édit de liberté ; cette révocation ne désespéra que les persécuteurs,

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(1) P. Clément, Le gouvernement de Louis XIV. p. 120.

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et Bossuet put d'autant mieux en faire l'éloge que l'édit n'était pas moins un triomphe pour la charité que pour la foi.


59.Ce dissentiment amena un double procédé pour l'application. Les fidèles enfants de la sainte Eglise s'ingénièrent à convertir par des moyens apostoliques ; les pharisiens du pouvoir monarchique voulurent presser l'application sans tenir compte des clauses favo­rables. Louvois écrivait au maréchal de Noailles de ne pas s'arrêter aux dispositions favorables, et, s'autorisant d'un désir qu'il prêtait à Louis XIV : « Je ne doute point, disait-il, que quelques logements un peu fort chez le peu qui reste de noblesse et de tiers état des religionnaires, ne les détrompent de l'erreur où ils sont sur l'édit que M. de Chateauneuf nous a dressé et sa Majesté désire que vous nous expli­quiez fort durement contre ceux qui voudront être les derniers à professer une religion qui lui déplait et dont elle a défendu l'exercice partout son royaume. » En conséquence, les logements forcés, les dra­gonnades recommencèrent, sous cette impulsion secrète de Louvois, aux intendants, forts dispos à la recevoir. La tolérance même de l'édit de révocation donna matière à de nouvelles brutalités. L'ou­vrage des conversions, effectuées par la force, se défit naturellement sous l'influence de la liberté. De toutes parts, les protestants se prévalaient de l'édit, pour protester contre la rudesse qu'on mettait à vouloir les convertir, ou, s'ils étaient convertis, pour retourner à l'hérésie. Forts de la parole du roi, ils en usèrent et ils en abusèrent ; ils donnèrent prétexte, puis motif à la répression, à la persécution ; et toutes les passions se mêlant à ce réveil d'une lutte qu'on croyait terminée, les plus regrettables, les plus funestes excès s'ensuivirent; le plus grand tort resta du côté de Louvois ; Louis XIV, pour n'avoir pas dominé celte situation par assez de fermeté et de vigi­lance, en porte justement la responsabilité.

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