Darras tome 26 p. 34
25. Au lieu de retourner en Italie, il passe en France, pour obtenir le concours d’une nation qui, par ses évêques, aussi bien, que par ses guerriers, marchait alors à la tête des autres nations chrétiennes. Elle n’a pas attendu qu’on lui vint donner l’impulsion. Une ville depuis longtemps royale et française par les idées comme par les sentiments, quoique soumise encore à la suzeraineté de l’empire, se montre au premier rang: c’est Lyon. Son archevêque, Jean ou Josceram 1, a convoqué dans le bourg d’Anse2
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1 Au sujet de ce primat,
nous trouvons une note assez curieuse dans le
tome VIII de l'histoire de l'Eglise
Gallicane par Longueval; il nous paraît bon
de la reproduire ; « Jean
archevêque de Lyon n'est connu que par les lettres
d'Yves de Chartres. Le P. Sirmond le
distingue de Josceram, qu'il suppose lui
avoir succédé ; mais le P. Mabillon croit
que le nom de Josceram n'étant d'abord écrit dans les lettres d'Yves de
Chartres que par la lettre initiale J, a donné
lieu aux copistes de penser qu'elle désignait Jean, qu'ils ont ensuite écrit tout au long. La conjecture est heureuse ;
mais ce n'est qu'une conjecture.
D'ailleurs on écrit plus communément Gauceram par un G que Josceram
par un J. »
2 Aujourd'hui chef-lieu de canton dans le département du Rhône, admira-
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tous les piélats qui relèvent de sa primauté, pour délibérer, ainsi que porte la lettre de convocation, sur des matières de dogme et la question des investitures. Daïmbert, archevêque de Sens, refuse de s’y rendre, n’admettent à cet égard aucune obligation ou dépendance, et réunit ses suffragants dans sa ville métropolitaine. Les deux assemblées se tiennent en même temps. Nous n’avons les actes, à proprement parler, ni de l’une ni de l’autre 1 ; mais il nous reste un monument précieux qui jette sur l’une et sur l’autre une assez vive clarté : la réponse synodale des Pères de Sens au primat de Lyon, rédigée par Ives de Chartres, et nous donnant l’appréciation du célèbre docteur. Voici la traduction fidèle de ce qui peut nous intéresser : « Comme dans ce concile vous vous êtes proposé de traiter des investitures laïques, que plusieurs rangent au nombre des hérésies, vous allez mettre à nu la hônte de notre père et le livrer à la moquerie dans les carrefours d’Ascalon2 ; ce qui n’est certes pas le moyen d’obtenir la bénédiction paternelle. En se dévouant avec tant de générosité pour éviter le massacre de son peuple, il n’a pas agi de son propre mouvement, il était sous le coup de la violence. Cela ressort évidemment de la conduite qu’il a tenue après avoir fui le danger, en maintenant la discipline, en revenant aux enseignements sanctionnés par lui-même dans des temps meilleurs. Pierre n’a-t-il pas réparé sa triple négation par une triple profession d’amour3, et conservé sa dignité d’apôtre?Le pape Marcellin, après avoir brûlé de l’encens sur l’autel des idoles, entraîné par de perfides conseils, fut-il jugé par ses frères, et ne mérita-t-il pas sous peu de jours la couronne du martyre? Tant d’autres saints ont paru céder un moment à la nécessité, ou plutôt ont détourné de grands malheurs par une sage réserve, sans avoir trahi la cause de Dieu. Si le souverain Pontife n’a pas encore sévi
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blemeut situé non loin des bords de la Saône; environ dix-huit cents habitants.
1. A part quelques indications très-incomplètes et les seules qu’on ait pu recueillir, dans la grande collection de Labbe, tome X.
2. II Reg. i.
3. Joan. xxr.
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contre le roi des Teutons, nous sommes persuadés que ses intentions sont pures, qu’il diffère son jugement, dans l’espèrance de procurer un plus grand bien, ou d’empêcher un plus grand mal.
26. Nous ne voyons pas l’utilité d’un concile tel que vous l’entendez, puisqu’il est réuni contre des personnes que nous ne pouvons ni condamner ni juger ; il n’est pas d'homme sur la terre qui possède ce droit. En parlant de la sorte, nous ne voulons pas incriminer votre prudence, mais seulement justifier notre abstention. Quel que soit le successeur de Pierre, jamais nous n’attenterons au pouvoir des clés. Bien loin de déchirer avec nos langues la réputation et l’autorité de notre seigneur et père, au sujet de l’exception qu’il parait avoir faite aux anciennes lois, en faveur du roi germain, nous l’excusons par un sentiment de piété filiale. Celui qui pèche contre la loi, parce qu’il est trompé par la fourberie ou contraint par la violence, n’est pas véritablement un prévaricateur; il n’y a que celui qui la viole en connaissance de cause, et refuse après cela de reconnaître son péché. L’action qu’on reproche au Pape, nous irions jusqu'à l’approuver, non sans raison, puisqu’il s’est exposé lui-même pour sauver ses enfants. Du reste, il n’est ni le premier ni le seul dispensateur des divins préceptes; le Seigneur Jésus, dont la vie en ce monde est la règle des mœurs, commença par ordonner à ses disciples de ne porter sur eux ni sac ni bourse ; et puis, quand vint le temps de sa passion, sachant qu’ils auraient à souffrir la pénurie dans leurs courses apostoliques, il mitigea son commandement, il leur permit de porter le sac et la bourse ; ce qui n’était pas une concession faite à la cupidité, mais bien une précaution en vue de la nécessité. Nous ne pouvons pas enfin admettre que les investitures soient une hérésie, comme quelques-uns le prétendent. L’hérésie est une erreur dans la foi; elle part du cœur, et c’est là qu’elle réside, comme la foi dont elle est la négation ; tandis que l’investiture, objet de tant de débats, cause de tant de désordres, n’existe que dans les mains de celui qui donne et de celui qui reçoit. Or les mains peuvent fairé le mal sans doute;) elles ne peuvent pas croire ou errer dans l’or-
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dre de la foi. Ajoutez que, si l’investiture était une hérésie, on ne pourrait pas en y renonçant, revenir à la pure doctrine sans autre rétractation. Nous voyons cependant, et dans les Gaules et dans la Germanie, beaucoup de personnes honorables, après s’être purifiées de cette souillure, rendre le bâton pastoral pour l’accepter ensuite de l’autorité légitime ; ce que les souverains Pontifes n’eussent jamais toléré, si l’hérésie, le péché contre le Saint-Esprit, se cachait au fond d'une telle investiture. Une chose qui n’est pas sanctionnée par une éternelle loi, qui n’est instituée ou défendue que pour l’honneur ou dans l’intérêt de l’Église, souffre des exceptions selon les temps et les circonstances, dont les législateurs demeurent les juges en dernier ressort. Si des laïques poussaient néanmoins la démence jusqu’à s’imaginer qu’en donnant la crosse ils donnent un sacrement, ils exercent un droit ecclésiastique, nous estimons que ceux-là tombent absolument dans l’hérésie, non à cause de la transmission manuelle, mais à cause de leur diabolique présomption. En réalité donc et pour appliquer aux choses les noms qui leur conviennent, l’investiture manuelle dont on a fait tant de bruit, est une odieuse ingérence, l’usurpation d’un droit étranger, une dangereuse atteinte au pouvoir de l’Église, un abus qu’il faut complètement déraciner, mais sans compromettre, s’il se peut, la paix de la société chrétienne. Une telle usurpation ne saurait détruire la sainteté des sacrements, moins encore en altérer l’essence[1]. »
27. L’archevêque de Lyon fit à cette lettre une réponse qui nous est également restée, mais qui n’a pas assez d’importance pour que nous la reproduisions ici. On peut la lire dans la collection de celles de saint Ives. Les raisonnements établis par ce dernier, ni sa manière d’envisager la question, n’en éprouvent aucun ébranlement. Une certaine connaissance des Ecritures, quelques arguties qui ne manquent pas d’habileté, un style pompeux et déclamatoire,
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1. Ivo Carnot. Epist. ccxxxym. Avant cette lettre synodale, l'illustre évêque en avait écrit une en son nom privé, dans laquelle il discute et résout de la même manière la difficulté dont il est question. Epist. ccxxxv, ad Henric. Abbat. Angeliac.
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en vérité c’était trop peu dans une semblable discussion. L’auteur demeure bien loin de son illustre prédécesseur Hugues de Die : nous le laisserons à ses interminables querelles avec l’archevêque de Sens, concernant la suprématie de son siège. Quant au fond même du débat, nous n’avons plus à l’examiner par nous-même; nous adoptons sans restriction le jugement porté par le grand évêque de Chartres. Voilà donc à quoi se réduit la chute de Pascal II, si tant est que ce soit une chute. L’acte consenti par lui sous le coup de l’astuce et de la violence perd absolument toute valeur. Est-il nécessaire, pour achever de le mettre à néant, de rappeler les courageuses et persistantes réserves du pontife, les déclarations expresses du roi, jurant à plusieurs reprises qu’il n’entendait en aucune façon s’arroger dans les investitures un pouvoir spirituel ? Poser en thèse la question d’hérésie, comme dans le cas du pape Honorius, ne serait-ce pas tomber dans d’inutiles et fatigantes redites ? Non, l’acte incriminé ne touchait point à la foi; et, par rapport à la discipline, il était plutôt une exception qu’une prévarication. La pensée de saint Ives ainsi résumée, hâtons-nous de suivre le cours des événements. S’il fallait une dernière justification à la mémoire de Pascal II, nous la trouverions dans la conduite de Henri V jusqu’à la fin de son règne.
§ IV. CONCILES DE LATRAN ET DE VIENNE (1112)
28. Vidée pour la postérité, lacontroverse ne l’était pas encore pour les contemporains. Un concile sembla pouvoir seul la dirimer ; et le pape le convoqua dans les premiers jours de l’année suivante, 1112. II s’ouvrit au palais de Latran, dans la basilique Constantinienne, le V des calendes d’Avril (28 Mars). Là se trouvèrent réunis douze archevêques, cent quatorze évêques, quinze cardinaux prêtres et huit diacres, de nombreux abbés, une infinie multitude, comme s’explique le chroniqueur, d’autres ecclésiastiques de tout ordre. Parmi les cardinaux, reconnaissons en passant ceux de la Sabine, de Porto, d’Ostie et de Tusculum ; parmi les évêques, Bruno de Segni et Gérard d’Angoulème. Au premier bruit des malheurs sur-
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venus, celui-ci s’était acheminé vers Rome. Les grandes qualités qui distinguaient ce prélat, son dévouement et son zèle, nous ne les ignorons pas, il en avait donné des preuves mémorables au concile de Guastalla d'abord, puis à celui de Troyes ; heureux s’il eût persévéré jusqu’à ses derniers jours dans cette ligne de conduite ! Le bouillant prélat vivra quelques années de trop pour sa gloire. Peu de Transalpins figurent avec lui dans cette assemblée, le délégué de la province de Bourges, Gualo de Léon, Gui de Tienne. Trois jours furent consacrés à des affaires particulières qui n’ont aucun intérêt pour nous et n’en avaient guère pour les Pères présents : on était impatient d’arriver au but essentiel du concile. Le quatrième jour, les intentions de quelques membres commencèrent à se manifester ; une plainte s’éleva contre le Pape : il aurait permis aux derniers partisans de l’antipape Guibert la célébration des divins offices. A cela Pascal répondit : « Je n’ai pas d’une manière générale absous les excommuniés, comme on le fait entendre. Il est de notoriété que personne n’a reçu la grâce de l’absolution qu’après avoir fait pénitence et réparé ses égarements. Loin de permettre aux Guibertins les offices interdits, j’ai confirmé la sentence ecclésiastique portée contre eux par mes prédécesseurs ; je l’adopte et la confirme encore. »
29. Le cinquième jour, c’est le Seigneur apostolique lui-même qui proposa le sujet de délibération répondant à l’attente générale. Avant tout, il exposa les faits,tels que nous les connaissons, sans les aggraver ni les atténuer, avec une noble franchise, avec une humilité profonde. Il rappela les serments échangés, et poursuivit en ces termes: « Quoique le roi teuton n’ait pas observé les siens, je veux rester fidèle à ceux que j’ai prêtés. Jamais je ne le frapperai d’anathème, jamais je ne l’inquiéterai, pour ma part, à l’occasion des investitures ; mais, puisqu’il a méconnu ses promesses envers nous, et que dans la suite il est demeuré sourd à nos avertissements, il aura Dieu pour juge. Quant à l’acte que j’ai souscrit, subjugué par la force, dans l’unique but d’épargner à l’Église les plus grandes calamités, et nullement pour ma sécurité personnelle, pour la prolongation de mes jours, je le réprouve et le condamne,
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je reconnais que c’est un mal, je désire de toute mon âme le réparer avec l’aide de Dieu. Le mode de cette réparation, je le soumets au concile, je le livre au jugement de mes frères réunis dans cette enceinte ; il ne faut pas que ce soit un antécédent préjudiciable aux intérêts de la religion, un délit qui pèserait sur ma conscience. » Ce discours fut accueilli par l’unanime assentiment de l’auditoire. Il fut convenu que tous les Pères réfléchiraient mûrement là-dessus, et que le lendemain, ils apporteraient la décision que l’Esprit Saint leur aurait inspirée. Le lendemain donc, sixième et dernier jour du concile, Pascal édifia de nouveau tous les assistants, au début de la séance, en faisant devant eux une solennelle profession de foi catholique ; il s’écria tout à coup : «J’embrasse avec une pleine conviction l’Écriture sainte fout entière, l’Ancien et le Nouveau Testament, la loi écrite par Moïse, tout ce que les prophètes nous ont transmis ; j’embrasse les quatre Evangiles, les sept Épîtres canoniques, celles du glorieux docteur Paul, les saints canons des Apôtres, les quatre conciles œcuméniques, de Nicée, de Constantinople, d’Éphèse et de Chalcédoine, les décrets de nos Pères les Pontifes Romains, et spécialement ceux de mon maître le pape Grégoire et du bienheureux Urbain. Ce qu’ils ont loué, je le loue ; ce qu’ils ont cru, je le crois; ce qu’ils ont confirmé, je le confirme ; ce qu’ils ont condamné, je le condamne ; ce qu’ils ont repoussé, je le repousse ; ce qu’ils ont interdit, je l’interdis ; ce qu’ils ont prohibé, je le prohibe, en toutes choses et dans tous les rapports ; à jamais je persévérerai dans cette conduite1. »
30. Quand le Pape eut cessé de parler, l’évêque d’Angoulême lut la sentence rédigée par une commission formée de deux cardinaux et de trois évêques ; en voici la teneur: « Ce privilège, eu plutôt ce pravilége, extorqué par la violence du roi Henri, et que le Pape Pascal notre vénéré seigneur a concédé pour la délivrance des captifs et de l’Église, nous tous réunis avec notre chef dans ce saint concile, nous le réprouvons, nous le frappons des censures cano-
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1 Ursperg. ad annum 1112. —Nicolaus Aragon .invita Pascal IL—Petr. diac. ckron. cass. îv, 47.
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niques, de par le jugement du Saint Esprit et la puissance ecclésiastique ; nous le déclarons nul et de nul effet, sans valeur aucune; nous jetons absolument l’excommunication sur un écrit d’après lequel tout dignitaire élu selon les canons par le peuple et le clergé, ne saurait recevoir la consécration, à moins d’être préalablement investi par le roi : c’est en opposition avec l’Esprit Saint, c’est contraire à l’institution canonique. » La lecture achevée, tous les Pères se lèvent à la fois et s’écrient : Amen, amen ; fiat, fiat ! Ils acclament le saint et généreux Pontife, ils rendent grâces à Dieu. Le peuple qui remplit la basilique redit les mêmes acclamations1 Un écrivain de l’époque dramatise beaucoup plus le récit; il est vrai que c’est un poète. D’après lui, le Pape aurait déposé devant le concile sa mitre et son manteau, demandant à se retirer dans les îles Pontiennes et conjurant les évêques de lui donner un successeur. Ce n’est que sur leurs instances qu’il aurait repris les insignes de sa dignité2 On ne retrouve une allusion à ce fait que dans l’historien particulier des évêques et des comtes d’Angoulême. Nous n’avons pas eu le courage d’imiter les modernes historiens qui basent là-dessus leur narration. Le même chroniqueur raconte un autre fait que nous n’oserions passer sous silence. L’évêque Gérard, dit-il, fut chargé par le Pape et tout le concile de se rendre auprès de l’empereur. Un cardinal lui fut donné pour compagnon d’ambassade, ils avaient pour mission d’amener le Germain à restituer les investitures à l’Église, et, s’il refusait, de lui dénoncer la décision prise par le concile de Latran. Gérard s’acquitta de ce périlleux message avec la sainte liberté des Basile et des Ambroise; il pérora devant le monarque teuton d’une manière admirablement éloquente. Le chancelier de l’empereur essaya de répondre, et ne réussit qu’à surexciter les préjugés et les passions schisma-
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1 « Ex codice Vaticano, collatione facta cmn aliis exemploribus. » Baron, ad annum 1112.
2 « Haec ait, et mitram rejicit ruantumque relinquit... Copia pontificum, non ita, dixit, erlt... Toile, pater, manturn.
GoUrid. Viterh. chron. part. xvu.
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tiques. Les courtisans revenant de leur stupeur feignent ou ressentent la plus vive indignation contre l’audacieux étranger. L’archevêque de Cologne, qui l’a reçu chez lui, ayant autrefois été son disciple dans la Gaule, tremble pour la vie de son hôte, et ne lui dissimule pas sa frayeur. « Maître, lui dit-il, vous avez causé un grand scandale à la cour. — A toi le scandale, répond Gérard, à moi l’Evangile. » Les génies dont nous avons rappelé les noms n’eussent-ils pas avoué cette parole ? Elle n’a que le tort d’avoir été prononcée six cents ans trop tôt ou trop tard. Henri V comprima les serviles colères qui grondaient dans son palais ; tout en éludant la demande, il renvoya l’ambassadeur pontifical comblé des dons de sa magnificence royale.
31. De co côté, le concile romain n’avait donc pas obtenu le résultat qu’on pouvait en attendre. Il ne donnait pas, de l’autre, une pleine satisfaction au sentiment général des zélés défenseurs de l’Eglise. La condamnation du privilège extorqué leur semblait peu de chose ; ils voulaient de plus et surtout l’excommunication de l’usurpateur lui-même. Les conciles provinciaux continuèrent à se tenir dans ce but. Signalons celui de Vienne; aucun n’alla plus loin, puisqu’il ne recula pas devant la note d’hérésie. D’autres circonstances l’imposent à notre attention : Vienne, comme Lyon sa voisine, dépendait encore alors de l’empire germanique, enclavée qu’elle était dans l’ancien duché de Bourgogne. Gui, son archevêque et légat de Pascal II, revenait à peine du concile de Latran quand il convoqua celui de sa province ; et cette convocation dut avoir un certain caractère de solennité, vu que les délégués de l’empereur y furent présents, et qu’on avait aussi l’adhésion du roi de France. Le saint évêque d’Amiens, Godefroy remplit en quelque sorte les fonctions de président, suppléant l’archevêque, qui ne parlait qu'avec difficulté 1. Un autre saint personnage fut avec lui l’âme de cette assemblée: Hugue, évêque de Grenoble2. Le concile s’ouvrit le XVII des calendes d’octobre (15 septembre).
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1. Nicolaus, in vita S1' Godefr. Antiq. Bellovac. III, 7. — Surius, tom. VI, 8 nov. — Louvet, IV, 30.
2. Guido Abbas Cartbusiœ, in vita Sti Hugon. Episc. Gratianop.
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Les décrets rendus sont résumés dans deux monuments authentiques venus jusqu’à nous: le procès-verbal officiel et la lettre des Pères au souverain Pontife. On lit dans le premier: «Nous attachant à l’autorité de la sainte Eglise Romaine, guidés par la force de l’Esprit Saint, nous tenons pour hérésie l’investiture par main laïque des évêchés, des abbayes, d’une fonction ecclésiastique quelconque. Nous renouvelons la condamnation prononcée contre le détestable privilège que le roi Henri a violemment obtenu de notre seigneur le pape Pascal. Ce même roi des Teutons qui, se couvrant du masque de la paix, après avoir juré de renoncer aux investitures et de respecter la personne sacrée du vicaire de Jésus-Christ, après avoir baisé ses pieds et son visage, n’a pas craint, imitant la trahison et le parjure de Judas, de le retenir dans les chaînes avec les hauts dignitaires qui l’accompagnaient, dans la ville même de Rome, en face du tombeau de saint Pierre, le traînant ensuite dans son camp, le dépouillant des insignes apostoliques, le forçant à signer cette fatale concession, ce pacte abominable, nous l’excommunions, nous l’anathématisons et le retranchons entièrement du corps de l’Eglise notre mère, jusqu’à ce qu’il ait réparé le mal qu’il a fait et changé de conduite envers elle. »
32. Dans la lettre à Pascal, l’archevêque de Vienne ajoutait : « Les délégués du monarque nous ont vainement opposé des bulles que vous lui auriez écrites, respirant la concorde et l’amitié. Elles nous causaient sans doute le plus vif étonnement ; mais, nous souvenant de celles que Gérard d’Angoulême, votre légat, et moi-même avions reçues de votre paternité, dans l’intérêt de l’Eglise, pour la défense de notre foi, pour la gloire de Dieu et la vôtre, nous sommes résolûment entrés dans la voie qui nous est tracée par les saints canons. En conséquence, nous avons à l’unanimité frappé le roi d’anathème, en le désignant par son nom. Et maintenant, très-saint Père, nous supplions votre majesté de sanctionner nos décisions par l’autorité apostolique. En preuve de cette sanction, daignez nous adresser des lettres parfaitement explicites, que nous puissions, afin de compléter notre joie, nous communiquer es uns aux autres. Et, comme la majeure partie des princes chré-
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tiens, et tout le peuple, à peu près sans exception, sont dans nos sentiments, nous vous prions de lenr enjoindre de se porter tous de concert, en nous venant en aide, au secours de la religion et de la patrie. Permettez-nous de dire avec toute la révérence qui vous est due qu’en vous rangeant de notre côté, en exauçant nos prières, en vous abstenant de tout rapport avec ce cruel tyran, vous aurez en nous des fils pleins de soumission et de zèle. Si, ce que nous n’osons penser, vous adoptiez une autre marche, vous refusiez de confirmer nos résolutions, Dieu nous pardonne, mais vous sembleriez nous repousser et nous affranchir de notre obéissance. » Ces derniers mots, on voudrait pouvoir les effacer de la lettre synodale; ils dépassent évidemment les intentions de ceux qui les ont écrits. En émettant une semblable hypothèse, n’ont-ils pas outrepassé déjà les bornes que cette même obéissance leur imposait?
33. La témérité de ce langage nous peint l’exaltation des esprits et le profond attachement des âmes aux droits spirituels qui sauvegardent l’essence du chistianisme, en même temps que la dignité de l’être humain. Ces généreuses susceptibilités n’appartiennent qu’aux générations éclairées et croyantes. Dans de pareils moments la modération n’est pas chose facile ; les vertus les plus éprouvées cèdent à l'entraînement, aussi bien que les plus fermes intelligences. L'illustre Abbé de Saint Denis, le grand ministre Suger, paraît donner son adhésion au concile de Vienne, autant que nous pouvons le voir par un remarquable passage de sa vie de Louis VI. « Le pasteur étant frappé, dit-il, un tyran avait presque réduit l’Eglise à l’état de servante, quand le Seigneur Jésus prit en main sa défense, ne permettant pas qu’elle fût plus longtemps sous les pieds de ses adversaires et qu’un tel crime restât impuni. Les principes (princes ?) de l’Eglise, qui n’avaient pas contracté d’engagement, soutenus par les suffrages et les conseils du roi Louis, se réunirent à Vienne, et là fulminèrent l’anathème contre le despote allemand, le perçant du glaive de Saint Pierre1. » Un chroniqueur anglais
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1 Sugerius, in vita Lndovici Grossi, cap. ix ; Pair. ht. tom. clxxxyi, col. 1272, 1273.
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p45 CHAP. I. — DÉFENSEURS DU l'APE. TROUBLES DE BÉNÉVENT ETC.
n’hésite pas à déclarer que la Gaule entière se leva contre l’empereur Henri, déploya le zèle le plus énergique et manifesta hautement son exécration. Geofroi, le célébré Abbé de Vendôme, nous apparaît parmi les plus exaltés ; il écrivit directement au Pape : « Vous n’ignorez pas, très-saint Père, que la barque de Pierre portait, en même temps que le chef des apôtres, le perfide Judas, que la présence du traître la soumettant à de continuelles tourmentes, l’exposait chaque jour à de nouveaux périls ; qu’elle n’a retrouvé le calme qu’en le rejetant de son sein. Puisque un autre Judas attaque aujourd’hui l’Eglise, pour lui ravir sa foi, sa chasteté, son indépendance, son pouvoir, il faut que le glaive de Pierre, guidé par son indéfectible foi, brille encore sur son siège et défende sa barque menacée. » Suit un magnifique éloge de saint Pierre et de saint Paul. «Celui qui remplit maintenant leur place, et qui n’a pas su dans la persécution imiter leur courage, doit pleurer sur son péché, pour en obtenir le pardon, comme Pierre lui-même ; il faut qu’il se hâte de corriger la faute qu’il a commise par la crainte de la mort et la faiblesse de la chair. Dire qu’il n’a rien fait que pour sauver la vie de ses enfants, c’est une vaine excuse1 »
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[1] Ivo Carnot. Epist. ccïxxyiii. Avant cette lettre synodale, l’illustre évêque en avait écrit une en son nom privé, dans laquelle il discute et résout de la même manière la difficulté dont il est question. Epist. ccxxxv, ad Ilenric. Ab- bat. Angeliac.