Carloman et Pépin le Bref 6

Darras tome 17 p. 267


   21. La guérison miraculeuse du pape, brièvement racontée par le Liber Pontificalis, nous est connue dans tous ses détails par le récit authentique du pape lui-même. Voici le diplôme qu'il voulut laisser à l'abbaye de Saint-Denys, comme gage de sa reconnaissance personnelle envers le bienheureux patron de la France. « Etienne évêque, serviteur des serviteurs de Dieu. Bien que nul ne doive se glorifier soi-même, il n'est cependant pas permis d'ensevelir dans le silence les faveurs que Dieu accorde par l'intercession des saints, sans aucun mérite de la part de ceux qui en sont l'objet. Il y a au contraire, selon la parole de l'ange à Tobie 1, obligation de les pu­blier. Forcé par l'atroce tyrannie du roi parjure, Astolphe, oppres­seur de la sainte Église, de venir implorer le secours du roi très-chrétien des Francs, le seigneur Pépin, fidèle serviteur de saint Pierre, je passai quelque temps dans le pagus Parisiacus, au vé­nérable monastère du bienheureux martyr Denys. Là, je fus atteint d'une maladie mortelle. Les médecins désespéraient de me sauver, quand je me fis transporter dans l'église du bienheureux martyr ; on me déposa à l'entrée, sous les cloches, et je priai avec ferveur. Tout à coup, en avant de l’autel, je vis le bon pasteur de l'Église, le seigneur Pierre, ayant à sa gauche le docteur des na­tions, le seigneur Paul. Je les reconnus l'un et l'autre à leur visage et à leur costume traditionnels. À la droite de saint Pierre se tenait un vénérable vieillard, à la taille mince et élancée, aux traits majes- tueux. Son visage, escadré de cheveux blancs, respirait la grâce et la douceur. Un colobium d'une éclatante blancheur, et garni d'une bordure de pourpre constellée d'or, flottait sur ses épaules. C'était le trois fois bienheureux seigneur Denys. L'apôtre Pierre, en me dé­signant du geste, dit à saint Paul : Voici que notre frère demande la santé. — Il va la recouvrer à l'instant, répondit le bienheureux sei­gneur Paul. Et s'approchant du seigneur Denys, il lui posa la main

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tiisimis fitiis Pippino regi et nostro spiritali compatri, seu Carolo et Carolo-manno item regitus, etc. (Stephan. III, Epist. ni; Patr. lut., tom. LXXXIX, ccl. 990.) Domino excellentissimo filin et nostro spiritidi compatri Pippino, etc. (Stephan , Epist. iv, loc. cit., col. 999 )

1 Opera outem Dei vevelare et cenfiteri honorificum est. (Tcb., xu, 7.) Cf„ tom. III de cette Histoire, pag. SI.

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p268 pontificat d'étienne m (752-757).

 

sur le bras comme pour l'inviter à me guérir. C'est vous qui devez accorder cette faveur, dit Pierre au bienheureux martyr. — Après cette parole, Denys, tenant une palme de la main gauche et de la droite un thuribulum où fumait l'encens, se dirigea vers moi, escorté d'un prêtre et d'un diacre qui se tenaient à ses côtés. Paix à toi, frère, me dit-il. Ne crains rien; tu ne mourras pas avant d'être retourné heureusement à ton siège. Lève-toi, tu es guéri ; célèbre une messe d'action de grâces, et consacre l'autel de cette basilique en l'honneur de Dieu et des apôtres Pierre et Paul. — En parlant ainsi, il avait une majesté et une douceur incomparables. Quand la vision disparut, je me levai, j'étais guéri. Je voulus célébrer aussitôt la messe ; les clercs qui m'en­touraient n'avaient rien entendu ni vu : ils crurent que j'avais le délire. Bientôt cependant je pus raconter au roi et à ses opti­mates la vision céleste et la guérison miraculeuse qui en fut la suite. J'accomplis alors la double prescription qui m'avait été imposée. Béni soit le Dieu tout-puissant1!» —Le maître-autel de la basilique de Saint-Denys fut en effet consacré par le pontife en l'honneur des apôtres Pierre et Paul (754), et chaque année, le 27 juillet, on célébrait solennellement dans la royale abbaye l'anniversaire de cette dédicace 2.

 

      25. Etienne III laissa d'autres monuments de sa reconnaissance et de son « amour pour le bienheureux martyr du Christ Denys, son protecteur et son sauveur, »  ainsi qu'il aimait à l'appeler, « mmio ducti amore protectoris nostri atque fautoris beati Christi martyris Dionysii 3. » Il voulut que l'abbaye royale de France, où il avait miraculeusement recouvré la santé, eût à Rome une suc­cursale, près la basilique de Saint-Pierre. En conséquence, il remit à l'abbé Pulrad un diplôme qui lui conférait l'administration de l'hospice romain dit de Saint-Léon, avec la maison dite de Saint-Martin et toutes leurs dépendances 4. Par un privilège apostolique

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1 Stepban., Revelatio; Pair, lai., tom. LXXXIX, col. 1022.

2 Félibien, Ilist. de la royale abbaye de Saint-Denys, pag. 47.
3. Slcphau.
III, Epist. xi ; Patr. lut., tom. cit., col. 1018.

4. Stephan., Epist. vin, loc. cit., col. 1013.

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p269 CHAP.   III.   — lro  DONATION   DE   PÉPIN   AU  SAINT-SIEGE.      

 

dont l'étendue était jusque-là sans exemple, non-seulement il confirmait pour la royale abbaye l'immunité ecclésiastique déjà accordée par saint Landry, mais il exemptait pour l'avenir de toute juridiction épiscopale les monastères que Fulrad et les abbés de Saint-Denys ses successeurs pourraient ériger sur les divers points du territoire des Gaules, voulant qu'ils relevassent exclusivement du saint-siége , auquel seul assortiraient toutes les causes et procès intentés à l'abbaye mère ou à ses colo­nies monastiques. Il conférait à Fulrad personnellement le pou­voir de consacrer les pierres d'autel et le saint chrême. Le pape ajoutait ici la clause suivante, qui de nos jours paraîtrait singulière : « Par l'autorité du bienheureux Pierre prince des apôtres, nous interdisons à tout concile d'évêques ou réunion de laïques d'oser, sans votre assentiment et celui de notre très-excel­lent fils le roi Pépin, vous sacrer évêque 1. » La forme des élections épiscopales en usage alors fait comprendre le sens de cette mesure restrictive. Fulrad, archichapelain du palais, conseiller et ami du roi, était l'un des personnages les plus considérables de son temps. Sa position exceptionnelle, le crédit dont il jouissait à la cour, sa haute vertu et ses talents le désignaient aux suffrages du clergé et du peuple des diverses cités épiscopales. Le pape prévoyait le cas où une élection de ce genre viendrait, comme par sur­prise, enlever Fulrad à un poste éminent, où il rendait à l'Église et à l'État des services inappréciables. Le privilège aposto­lique dont le saint abbé était l'objet se terminait par une menace d'anathema-maranatha contre tous les violateurs 2. Etienne III, pour rehausser l'éclat des cérémonies liturgiques à l'autel de Saint-Denys qu'il avait consacré, ordonna par un décret spécial que « six religieux, choisis parmi les plus vénérables3, assisteraient l'of-

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1 Et hoc beati Pétri principis apostolorum auctoritate promulganies, sancimus ut nvllo modo concilium episcoporum et laicorum absque votuntatc excellentissimi filii nostri Pippini régis, vel tuœ dilectionis, Deo amabilis vit; le uudeat quoquo modo episcopum consecrare.

2. Stephen III , Prœceptum; Pair, lat., loin, oit., col. 1013.

3 Congruum prospeximus apostolica nostra auctoritate ad honorera sacri allurïr di'jnos ordmis, et (estimonio bono comprobatos, sex constituer diacouos. qu;

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p270 PONTIHCAT d'étienne m (732-737),

 

ficiant en qualité de diacres, et revêtus de dalmatiques d'hon­neur. » Une autre constitution pontificale concédait à l'abbé de Saint-Denys l'usage  des  insignes   et  ornements   épiscopaux   1.

 

   20. Cependant les ambassadeurs   de   Pépin   le   bref  s'étaient abouchés à Pavie avec Astolphe, et l'on attendait en France la réponse de ce dernier2. Elle vint sous une forme qui révélait chez le roi lombard autant de mauvaise foi que d'astuce. Ne voulant ni céder à la pression du roi des Francs, ni opposer un refus qui pût devenir un cas de guerre, Astolphe imagina une de ces intrigues où les Italiens excellent. Carloman, l'ancien duc d'Austrasie, frère aîné de Pépin le Bref, vivait dans la retraite au Mont-Cassin, à côté de Ratchis, l'ancien roi de Lombardie, frère d'Astolphe. Carloman fut tiré de son monastère et envoyé en France, avec la mission de réconcilier les Lombards et les Francs. Telle fut, d'après le texte même du Liber Pontificalis, la teneur de ses instructions. A ce moine, retiré du monde, igno­rant dès lors la véritable situation politique, Astolphe ne dit pas autre chose. Le roi lombard croyait de la sorte échapper au péril

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slolam dalmaticœ decoris indunntur, ut sic sacrum peragant omni tempore minis-terium, quatenus nostris lemporibus ob decorafum ordinem dincnnntus in prafato venerubili monasterio et nobis mercei accrescat, et nunc pro tali bénéficie» in pos-ieris Itmporibus sine dubio nostri nominis indesinenter memorium ud sacras tnissas facere non ob/iviscantur. (Stephau. III, Epist. si, loc. cit., col. 1018.) Nous croyons que ce privilège spécial d'Etienne III fut l'occasion pour les églises de Paris d'adopter la coutume abusive de ce qu'on nomme les induts, laïques revêtus de chapes ou de dalmatiques, qui figurent en nombre illimité et remplissent le chœur aux fêtes solennelles.

1. Stephau. 111, Epist. x; Patr. lat., tom. LXXXIX, col. 1017.

2.  Nous suivons pas à pas le développement chronologique des faits, tel qu'il résulte de la narration très-certainement contemporaine et authentique du Liber Pontificalis. Nous croyons ici devoir ajouter, pour ceux de nos lecteurs qui auraient le désir d'étudier personnellement les sources, que la notice d'Etienne III est une de celles dont l'authenticité se révèle le mieux par ses caractères intrinsèques. Il est absolument impossible d'en attribuer la rédaction à Anastase. Autant la latinité d'Anastase, dont nous possédons en­core de nombreux ouvrages, est simple et naturelle, autant celle de la notice d’Étienne III est lourde, indigeste, et comme à plaisir surchargée des répé­titions prœfatus, pradictus, antefatus et autres épithètes parasites, tant prodi­guées par les notarii du moyen âge,

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p271 CHAP.   III.   — lre  DOTATION  DE  TÉPIN  AU  SAINT-SIÈGE.       

 

d'un refus catégorique, et se créer près de Pépin le Bref un auxi­liaire puissant. La combinaison était ingénieuse, mais Pépin le Bref, heureusement pour la France du VIIIe siècle, était assez habile pour la comprendre et la déjouer. C'est ce qu'exprime nettement le Liber Pontificalis, quand il dit : Comporta nequissima Aislulfi versutia, tota se virtute idem excellentissimus Pip-pinus Francorum rex professus est decertare pro causa sanctœ Dei Ecclesiœ '. La bonne foi de Carloman et la perfidie d'Astolphe sont également très-bien décrites par Éginhard, qui nous apprend de plus que l'entrevue de Pépin le Bref avec son frère eut lieu à la villa de Carisiacum (Quierzy-sur-Oise). Voici ses paroles : « Car­loman, frère du roi, sur l'ordre de l'abbé du Mont-Cassin, arriva à Carbiacum, où le pape et Pépin le Bref se trouvaient réunis. Il était chargé d'une mission absolument contraire aux vues du pontife ro­main. Mais on croit qu'il l'avait acceptée uniquement par obéissance à son abbé, lequel n'eut pas lui-même le courage de résister aux ordres impératifs du roi des Lombards 2. » Le témoignage d'Éginhard, gendre, ami et conseiller de Charlemagne, par consé­quent en position d'être parfaitement renseigné sur un fait qui touchait de si près à l'histoire carlovingienne, ne saurait être l'ob­jet d'aucune suspicion. Il confirme explicitement la donnée du Liber Puntificalis et nous fait comprendre pourquoi Carloman, après avoir transmis à son frère les proposions d'Astolphe, ne fut pas renvoyé en Italie. Son retour près d'Astolphe aurait pu être interprété sinon comme une adhésion formelle aux vues de ce prince, du moins comme une invitation à négocier sur de nouvelles bases. Pépin était intervenu d'une manière toute pacifique pour rappeler le roi lombard à l'exécution des traités conclus, un an auparavant, avec le saint-siége. Cette démarche, purement diplo­matique, n'avait aucun caractère d'hostilité. Astolphe y répon­dait par l'envoi d'un négociateur habilement, si l'on veut, mais fort perfidement choisi, lequel sans apporter de solution définitive devait user de son influence personnelle sur le roi son

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1. Lib. Pontifie, tora. CXXIX, col. 11194.

2. Esiuhard., Annal.; Pair, tut., totu. C1V, col. 37G.

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p272  PONTIFICAT  b'ÉTIENXC   111   (7S2-737).

 

frère pour le détacher de l'alliance du pape. Etienne III et Pépin le Bief eurent donc parfaitement raison de retenir Carloman en France et de le faire, selon l'expression du Liber Pontificalis, «séjourner dans un monastère de son ordre, » (une pari consilio isdem sanctissimus papa cum denominato Francorum rege consilio iniio juxta id quod prœfatus Carolomannus Deo se devoverat monachicam degere vilam, in monasterio eum illic in Francia collocaverunt1.

 

   27. Jusqu'ici nos chroniques nationales, dans les très-brèves indications qu'elles consacrent aux faits, année par année, sont en complet accord avec le récit du Liber Pontificalis. Mais nous tou­chons à un point où se manifeste une légère divergence. Le Liber Pontificalis affirme que l'assemblée solennelle des Francs eut lieu en 754 à Garisiacum (Quierzy-sur-Oise). Nous venons en effet de voir que ce fut en cette localité que, d'après le récit d'Éginhard, Carloman trouva le pape et le roi réunis. Cependant le continua­teur de Frédégaire, auteur anonyme mais contemporain, dont la parole mérite toute confiance, s'exprime en ces termes : « Le roi Pépin n'ayant pu obtenir d'Astolphe la satisfaction qu'il lui avait fait demander par ses ambassadeurs, convoqua, selon la coutume nationale, pour les calendes de mars (1er mars 734), dans la villa de Brennacum (Braine), tous les guerriers francs, et les consulta sur l'imminence d'une lutte armée avec les Lombards2. » La contradiction n'est ici qu'apparente. L'assemblée des leudes dont parle le continuateur de Frédégaire eut réellement lieu à Braine, et ce fut le dernier champ de mars proprement dit. La dif­ficulté pour les évêques d'assister, durant le carême, à une réunion où leur présence était devenue indispensable, fit reculer aux calendes de mai (Ier mai) l'ouverture des plaids nationaux. Pépin le Bref prit l'initiative de cette mesure, et le champ de mars (campusmartius) devint dès lors le champ de mai (campus madius).

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1. Lib. Pontifie, toai. cit., Col. 1094.

2 Fredegar. Chrome continuât. Pars IV.; Patr. lat., torn. LXXI, coi. CSG. — Braine est aujourd'hui un chef-lieu de canton (Aisne), à 16 kilomètres S.-E. de Soissons, 1,450 habitants.

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p273 CHAP.   III.   V  DONATION   DE   PÉPIN   AU   SAINT-SIÈGE.      

 

   28. Il y eut donc en l'an 754 deux assemblées nationales des francs, celle de Braine le 1er mars, et celle de Quierzy-sur-Oise le 1er mai. Cette dernière, à laquelle le pape Etienne III assista en personne, eut le double caractère d'un synode et d'un plaid royal. La requête du pontife, la promesse de secours déjà faite au pontife par le roi, enfin l'état des négociations entamées avec Astolphe furent exposés aux leudes et aux évêques réunis. La notice d'Etienne III au Liber Pontificalis se borne à dire que, « par la faveur du Christ, les mesures déjà une première fois décrétées [à Ponthion] par Pépin le Bref, de concert avec le très-bienheureux pape, furent solennellement adoptées : Statuit cum eis quœ semel, Christo favente, una cum eodem beatissimo papa decreverat perficere1. » Mais la notice de saint Adrien I nous fournit à ce sujet des détails plus explicites. En 774, la IVe férie après le dimanche de Pâques (mercredi 6 avril), Charlemagne, vainqueur de Didier, se rendit accompagné de ses juges, clercs, et leudes à la basilique vaticane. Là, sur l'autel de la Confession, « le pape Adrien, dit la notice, rappela au héros la promesse (promissionem illam) que son père de sainte mémoire le roi Pépin, ainsi que lui-même le très-précellent Charles et son frère Carloman, avec l'assentiment de tous les leudes, avaient souscrite au bienheureux Pierre et à son vicaire de sainte mémoire le seigneur pape Etienne III, lors du voyage de ce dernier en France, s'engageant à concéder et livrer diverses cités et territoires en Italie au bienheureux Pierre et à tous ses vicaires, pour en jouir par eux à perpétuité. Charlemagne fit alors donner lecture du texte de la promesse autrefois rédigée en France, à la villa de Carisiacum (Quierzy-sur-Oise). Il en approuva de nouveau la teneur ; les juges qui l'accompagnaient y donnèrent de même leur assen­timent. Son chapelain et notaire, le religieux et prudent Etherius, eut ordre de rédiger une nouvelle promesse de donation dans la forme de la première 2. » Suivant la remarque du savant docteur

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1 Lib. Pontifie, loc. cit.

2. Ce texte a une importance telle, pour établir le droit des souverains pon­tifes sur le domaine temporel qu'ils ont possédé et qu'ils recouvreront cer­tainement en Italie, que nous croyons devoir le reproduire intégralement :
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p274 PONTIFICAT  D'ÉTIESNE  III  (732 7u7).

 

Mock1, ce texte relatif a saint Adrien I et à Charlemagne établit très-nettement, et de façon à ce qu'aucun doute ne puisse subsister désormais, le fait jusqu'ici à peu près inconnu d'une promesse solennelle de donation rédigée à Quierzy-sur-Oise par les trois rois Pépin le Bref, Charles et Carloman, en faveur du saint-siége. Cette promesse, ratifiée dans l'assemblée nationale des Francs, était évidemment conditionnelle. Astolphe, en revenant à une attitude pacifique, en acceptant les propositions conciliatrices de Pépin le Bref, pouvait en infirmer la teneur. Mais on s'était préoccupé de la solution contraire; on s'était entendu sur la conduite à tenir au cas où le roi lombard, persistant dans ses orgueilleux refus, forcerait l'épée de la France à sortir du fourreau. L'assemblée de Quierzy-sur-Oise ne mettait ppint en doute le succès de la lutte. A cette époque, aucune nation européenne ne pouvait encore se vanter d'avoir vaincu les Francs de Clovis et de Charles Martel. Une déclaration de guerre équivalait à une nouvelle victoire de la France. Mais les futurs vainqueurs s'engageaient d'avance à faire hommage au saint-siége de tout ce que leur épée devait con-

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Quarta feria [port dominicam paschalem, egressus prœnominatus ponlifex [Iladrianus] cum suis judicibus tam cleri quamque militiœ in ecclesia beati Pétri apostoli, pnriterque cum eodem rege se ad laquendum conjunqens, conslanter eu'm deprecatus est atque admonuit et palerno offectu adhortari stu-luii, ut pramissio-nem illam quant ejus sanctœ memariœ gerdtor Pippinus rex, et ipse prœcellentis-simus Carolus cum suo gerrnano Carolomanno atque omnibus judicibus frar.cis fecerant beato Petro et ejus vicario sanctœ memoriœ damna Stéphane juniori pnpœ, quando in Franciam perrexit, pro concedendis diversis civitalibus ac terriloriis istius lialiœ pravinciœ, et conlradendis beato Petro ejusque omnibus vicariis in perpetuum possidendis, adimpleret in omnibus; cumque ipsam promissianem quœ in Francia, in loco qui vocatur Carisiacus, facta est, sibi relegi fecisset, compla-cuerunt illi et ejus judicibus omnia quœ ibidem crant annexa, et propria vo/unlute, iono ac libenti animo atiam donatiani3 promissionem ad instar nnterioris ipse anledictus prxcellentissimus et raiera christianissimus Caralus Fiaucorum rex ascribi jussit per Etherium religiosum ac prudentissimum copel/anum et natarium suum. [Lib. Pontifical., Notit. Adriuni; Pair, lut., tom. CXXVII1, col. 1110.)

1 Dr Th. JloLk, De donations a Carolo Magno sedi apostolica? anna 774 oblata. Dissertatio historica et critica. iMocasterii (Jlunster), 18G0. Drunu., in-8». — Cf. Dissertation critique sur la donation promise par Charlemagne au saint-siége en 774, dans la Revue des sciences ecclésiastiques, n° du 20 no­vembre 1861.

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p275 CHAP.  III.     Ic0  DONATION  DE  PÉrlN  AU SAINT-SIÈGE.       

 

quérir en Italie. Tel est très-exactement le sens de la promesse de donation rédigée à Quierzy-sur-Oise. Le jour où les Francs auraient repris sur Astolpbe l'exarchat de Ravenne, dont le roi lombard avait dépouillé l'empereur byzantin, l'exarchat, selon le droit de la guerre, devenait leur propriété légale 1. Ils seraient libres soit de le garder pour eux-mêmes, soit de le rendre aux empereurs grecs, soit d'en investir les papes. Ces trois solutions furent certai­nement discutées entre Etienne et Pépin le Bref, dans les conférences qui précédèrent l'assemblée de Quierzy-sur-Oise. Le parti auquel on s'arrêta définitivement fut celui que les circonstances elles-mêmes imposaient. Depuis un siècle, l'empire de Byzance aban­donnait sans secours les populations italiennes de l'exarchat aux dévastations des Lombards; il n'usait de son pouvoir que pour exercer sur elles la plus odieuse tyrannie. On ne pouvait donc son­ger à le faire profiter du bénéfice de la future conquête. De son côté, Pépin le Bref, sans cesse menacé par les nations germaines tou­jours prêtes à la révolte, par le duc d'Aquitaine Vaïfre son ennemi acharné, par les Sarrasins qui guettaient l'occasion de rentrer en Provence, aurait gravement compromis les intérêts de sa royauté naissante en créant un établissement français en Italie. Restait donc uniquement la troisième solution, celle qui consistait à investir le

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1 Le cardinal Matthieu a mis en pleine lumière le droit légal qui présida à la formatiou du pouvoir temporel des papes. «Pères d'un peuple en péril, dit l'éminent auteur, les papes avaient le droit de demander pour lui asile et protection des Francs, quand l'empire les abandonnait. » « Tout le monde convient, a dit Pufendorf, que les sujets d'un monarque, lorsqu'ils se voient sur le point de périr, sans avoir aucun secours à attendre de leur souverain, peuvent se soumettre à un autre prince. » Grotius n'est pas moins explicite. « Aucune partie de l'État, dit-il, n'a droit de se détacher du corps, à moins que sans cela elle ne soit manifestement réduite à périr : car tous les éta­blissements humains semblent renfermer l'exception tacite du cas d'une extrême nécessité, qui ramène les choses au seul droit naturel. » A l'appui de ce principe, Grotius cite un passage de saint Augustin qui n'est pus moins formel : « Parmi toutes les nations, on a mieux aimé se soumettre au joug d'un vainqueur, que d'être exterminé en s'expoosant aux derniers actes d'hostilité : c'est comme la voix_de la nature. » Cf. Grotius, lib. II, cap. vi. (Cal Matthieu, Le pouvoir teii.yorei des payes justifié par i'/iitloire, pag. "lj note a.)

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p276  PONTiFiCAT d'étie.n.ne m (732-757).

 

saint-siége, sous le protectorat de la France, des provinces à revendiquer sur Astolphe. En sorte que, par un dessein manifestement providentiel, les événements concouraient tous au même résultat: ils aboutissaient à la constitution régulière du pouvoir temporel des papes. On se tromperait d'ailleurs étrangement si l'on croyait que la souveraineté dont le saint-siége allait être investi pût offrir à la prétendue ambition des papes les satisfactions qu'on leur reproche tant d'avoir recherchées. Contre la puissance armée et voisine des Lombards, les papes ne devaient, durant près d'un demi siècle, avoir d'autre appui que le protectorat lointain de la France. Nous entendrons bientôt Etienne III lui-même, investi le premier de cette royauté temporelle, pousser des cris de détresse sous l'oppression lombarde, écrire à Pépin le Bref des lettres « arrosées, comme il le dira, de sang et de larmes, » rappeler enfin « les tables de donation» dressées à Quierzy-sur-Oise, le « chirographum scellé de la main du roi des Francs 1, » en vertu duquel le successeur de Saint Pierre, devenu souverain, se voyait comme tel en proie à la féroce vengeance des Lombards.

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