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132. C'était beaucoup d'avoir séduit les religieuses de Port-Royal. Une doctrine épousée par une communauté est redoutable. « Telles gens sont étranges, quand ils épousent quelque affaire écrivait Jansénius ; étant embarqués, ils passent toutes les bornes pro et contra. » Cependant il importait encore plus de gagner les évêques ; sans eux, le parti ne serait jamais qu'un corps sans tête, incapable de se tenir debout et de se présenter comme un renouvellement de l'Église. Pour gagner l'épiscopat, Saint-Cyran affecta de défendre sa cause. Urbain VIII avait envoyé, en Angleterre, comme vicaire apostolique, Richard Smith, ancien professeur de Sorbonne, évêque in partibus de Chalcédoine. Smith, imbu du plus pur gallicanisme, insensible aux gémissements des martyrs anglais, montra un esprit de domination qui faillit tout perdre. Des voix courageuses signalèrent avec autant de modération que de science, la fausse voie ou le prélat s'était engagé et le terme fatal ou il devait aboutir. Le souverain pontife rappela son imprudent vicaire; mais la Sorbonne avait d'avance contredit son jugement. Smith fondait en Angleterre, l'omnipotence épiscopale, l'église aristocratique : Richelieu le trouvait bon. Les adversaires de Smith traitaient
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(1) Fuzet, Les Jansénistes du XVIIe siècle, p. 81.
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la Sorbonne d'hérétique, pour autant qu'elle professait les doctrines d'Edmond Richer. Saint-Cyran prit pied dans ces débats, défendit Smith méconnu par les Jésuites et les moines, et généralisant la question, attaqua, pour défendre les évêques, tous les moines et surtout les Jésuites. Depuis longtemps, il était préparé à ces combats ; il avait ramassé, analysé tous les écrits des protestants de Hollande et d'Angleterre. Tacticien habile, de 1632 à 1634, il lança une foule d'écrits, ou il pose en vengeur de la hiérarchie, en défenseur de l'épiscopat. Ces brochures réunies formèrent un gros in-folio connu sous le titre de Pétri Aurelii theologi opéra. Saint-Cyran n'en était pas l'unique auteur ; il fournissait les matériaux, le plan, la direction ; son neveu Barcos écrivait sous sa dictée ; Cordier, un jésuite apostat, lui fournissait du venin de premier choix ; Aubert, principal du collège d'Autun, faisait des phrases à manières jansénistes, longues d'un mètre soixante-quinze centimètres; enfin Filesac, un intrigant de Sorbonne, prenait soin de l'impression.
Ce livre est tel que pouvait le produire cette coalition d'aveuglements et de haines. En parlant des Jésuites, on dit : « Ce sont des chiens que nous entendons aboyer contre tout l'épiscopat. Pour établir partout leurs détestables hérésies, ils veulent fermer la bouche à tout le monde, abattre toutes les puissances ecclésiastiques. Ce sont des gens d'iniquité, de folie, d'athéisme, prêts à déclarer la guerre au ciel et à Dieu même ; ils ne forment que des écoliers ignorants et vicieux ; ils veulent paraître pauvres et sont insatiables de richesses ; ils ont des palais dans toutes les grandes villes, des maisons de banque dans les ports, des vaisseaux sur toutes les mers. Le cardinal de La Rochefoucauld les protège, mais cet évêque démissionnaires de Senlis, n'est plus qu'un prêtre Cardinal de l'Église romaine. » Un cardinal de la sainte Église, évêque démissionnaire, n'était qu'un bien petit personnage à côté de Saint-Cyran ; et voila les Jésuites joliment peinturlurés, mais voila une façon, plus étrange encore de défendre les évêques.
Voici sur la portée du Petrus-Aurelius, le jugement de Sainte-Beuve : « Sous air de maintenir la prérogative extérieure et les
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droits de l'épiscopat, Aurélius revenait en bien des endroits sur la nécessité de l'esprit intérieur, qui était tout. Un seul péché mortel contre la chasteté destitue selon lui l'évêque et anéantit son pouvoir. Le nom de chrétien ne dépend pas de la forme extérieure du sacrement, soit de l'eau versée, soit de l'onction du saint-chrême, mais de la seule onction de l'esprit. En cas d'hérésie, chaque chrétien peut devenir juge ; toutes les circonscriptions extérieures de juridictions cessent ; à défaut de l'évêque du diocèse, c'est aux évêques voisins à intervenir, et à défaut de ceux-ci, à n'importe quels autres ; cela mène droit on le sent à ce qu'au besoin, chacun fasse l'évêque, sauf toujours, ajoute Aurélius, la dignité suprême du siège apostolique ; simple parenthèse de précaution. Mais qui jugera s'il y a vraiment cas d'hérésie ? La pensée du juste, en s'appliquant autant qu'elle peut à la lumière de la foi, y voit comme dans le miroir même de la céleste gloire. Ainsi se posait par degrés, dans l'arrière fond de cette doctrine l'omnipotence spirituelle du véritable élu. Derrière l'échafaudage de la discipline qu'il se piquait de relever, Saint-Cyran érigeait donc sous mains l'idée de son évêque intérieur, du directeur en un mot : ce qu'il sera lui-même dans un instant. » (1)
Voici, au surplus, quel était alors le symbole de Saint-Cyran. Il n'y a plus d'église depuis six cents ans. — L'Église actuelle est une épouse répudiée : il y a corruption dans ses mœurs et dans sa doctrine. — Cette corruption est le fait de la théologie scolastique. — Le concile de Trente est un concile du Pape et des scolastiques, où il n'y a eu que brigues et cabales. Le temps d'établir une autre Église est venu. — L'Église véritable est la compagnie de ceux qui servent Dieu dans la lumière, dans la profession de la vraie foi et dans l'union de la charité. — L'évêque et le prêtre qui pèchent mortellement contre la chasteté perdent leur dignité. — Les évêques sont égaux au Pape, et les simples prêtres aux évêques. — Il faut également honorer les conciles particuliers et les conciles généraux. — L'état de l'Église n'est pas monarchique mais aristocratique. — La doctrine de Richer n'a jamais été condamnée que par
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(1) Port-Royal, par Sainte-Beuve, t. 1, p. 318.
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les sots. En cas d'hérésie, chaque évêque devient Pape. — L'état religieux n'est bon que pour les relaps et les scélérats. Il n'y a que ceux qui sont en grâce qui soient chrétiens. — Les péchés véniels ne sont pas matière suffisante à l'absolution. — La contrition parfaite est absolument nécessaire au sacrement de Pénitence, l'attrition ne suffit pas. — L'absolution n'est qu'un jugement déclaratif de la rémission des péchés. — Pour recevoir le sacrement de l'Eucharistie, il faut avoir fait pénitence de ses péchés, n'être attaché ni par volonté, ni par négligence à aucune chose qui puisse déplaire à Dieu ; ceux qui demeurent dans les moindres fautes ou imperfections en sont indignes. — La grâce fléchit toujours le cœur et lui fait toujours vouloir ce qu'elle lui commande.— Cette proposition Dieu veut sauver tous les hommes, ne doit pas s'entendre de chaque homme en particulier, mais uniquement de ceux qui font leur salut.
Lorsqu'on demandait à Saint-Cyran où il avait pris ces maximes, il répondait : « Ce n'est pas dans les livres. Je lis en Dieu qui est la vérité même. Je me conduis suivant les lumières, inspirations et sentiments internes que Dieu me donne. »
133. Pendant que Saint-Cyran, sous le nom de Petrus Aurelius, guerroyait contre Rome, Jansénius, sous l'autre nom de l'évêque d'Hippone, Augustinus, guerroyait contre les doctrines orthodoxes. Évêque d'Ypres en 1635, sacré le 18 octobre 1636, il mourut le 6 mai 1638. Une demi-heure avant d'expirer, il recommandait à son chapelain de s'entendre avec ses amis pour publier, sans changement de texte, le livre qu'il adressait à la postérité, n'ayant pas eu lui-même le courage de tirer le rideau. « Que si pourtant, ajoutait-il, le Saint-Siège y voulait quelque changement, je lui suis un fils obéissant et soumis. » Pouvait-il douter que le Saint-Siège voulut quelque changement à son ouvrage, lui qui disait ne pouvoir comprendre qu'on pût le faire passer aux juges. Et que faut-il penser de sa soumission au Saint-Siège, « dont il estime le pouvoir la moindre chose ? » Cette suprême protestation d'obéissance est une suprême hypocrisie ajoutée à tant d'autres, révélées par sa correspondance. Jansénius mourut comme il avait vécu, catholique de nom, hérétique de fait. Sa bibliothèque ne contenait que des livres
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d'hérétiques modernes; Calvin, Sarpi, De Dominis, Du Plessis-Mornay, Simon, Vorstius étaient ses pères de l'Église. Ses familiers connaissaient ses sentiments ; ils se hâtèrent d'en fournir la preuve en publiant l’Augustinus sans le soumettre au jugement du Pape. L'ouvrage est intitulé : Cornelii Jansenii, Episcopi Yprensis Augustinus, seu doctrina sancti Augustini de humanae naturœ sanitate, œgritudine, medicina, adversus Pelagianos et Massilienses, tribus tomis comprehensa. Les trois tomes se débitaient à la foire de Francfort en 1640; ils furent achetés surtout par les calvinistes de Hollande, heureux d'y retrouver la doctrine de leur synode de Dordrecht. On le réimprimait à Paris en 1641, avec approbation de cinq docteurs, et à Rouen en 1643. Deux éditions si rapprochées marquent un succès et accusent un grand nombre de lecteurs. Les trois tomes de Jansénius étant écrits en latin, les profanes ne pouvaient s'y empoisonner ; les docteurs purent les examiner plus à loisir et en dégager les funestes doctrines, Or, voici le système qui leur parut sortir du livre. Notre volonté, par suite de la chute originelle, a perdu son libre arbitre. Le seul mobile qui ébranle désormais notre volonté, est la délectation. Il y a deux délectations, l'une terrestre qui nous entraîne au mal, l'autre céleste qui nous porte au bien. Toutes les deux sont en état de lutte continuelle ; notre âme suit toujours et nécessairement l'impulsion la plus puissante. Cette nécessité n'est cependant pas absolue, mais relative ; c'est-à-dire qu'actuellement, dans tel acte donné, pendant que domine une délectation, la volonté doit la subir ; mais dans d'autres circonstances, si les rôles des délectations étaient intervertis, la volonté devrait se mouvoir en sens contraire. Notre âme est comme une balance, dont les délectations opposées sont les poids ; la volonté est entraînée mécaniquement et fatalement au bien ou au mal. Dans la doctrine orthodoxe, la volonté commande à la délectation ; dans le système janséniste, la délectation s'impose à la volonté. Les deux délectations luttent entre elles; la résolution prise est l'effet de la prédominance de l'une, le fatal enjeu du combat.
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De ce système, le docteur Nicolas Cornet, docteur de Navarre, syndic de la faculté de théologie, déduisit ces cinq propositions qu'il regardait comme le résumé doctrinal, la quintessence théologique de l’Augustinus : 1° Quelques préceptes sont impossibles aux justes, malgré les efforts de leur volonté, avec les forces dont ils disposent présentement ; de plus, ils n'ont pas la grâce qui les leur rendrait possibles ; — 2° Dans l'état de nature tombée on ne résiste jamais à la grâce intérieure ; — 3° Pour mériter et démériter dans l'état de nature tombée, la liberté de nécessité n'est pas indispensable ; il suffit de la liberté de coaction ; — 4° Les semi-pélagiens admettaient la nécessité d'une grâce intérieure prévenante pour tous les actes, même pour le commencement de la foi ; ils étaient hérétiques en ce qu'ils croyaient que la volonté pouvait résister ou obéir ; — 5° C'est être semi-pélagien que de dire que le Christ est mort et a versé son sang pour tous les hommes.
Telles sont les propositions qui non seulement se lisent dans l’Augustinus, mais encore, suivant le mot de Bossuet, sont tout le livre lui-même.
A ce système, nous opposons la doctrine catholique. L'homme a été créé dans l'état surnaturel, prédestiné à l'union avec l'essence divine, à la claire vue de Dieu. Pour entrer dans cette participation de Dieu, tel qu'il est en lui-même, l'homme innocent avait besoin d'un secours surnaturel. L'homme tombé a perdu ses privilèges surnaturels, vu se rompre l'harmonie de ses facultés et sent s'insinuer dans son cœur la tyrannie de la concupiscence. Cependant, même tombé, il n'a pas tout perdu ; son intelligence, quoique obscurcie, n'est pas absolument incapable d'arriver à la connaissance ; sa volonté, quoique blessée et affaiblie, n'est pas privée de toute liberté, et le mal n'est pas nécessairement le produit de ses actes. Dieu veut cependant rendre à l'humanité ses droits perdus. L'homme a besoin dès lors, non plus seulement d'un secours surnaturel, mais d'une grâce médicinale, qui fortifie ses facultés malades et les incline vers le bien. Cette grâce est départie à tous les hommes, dans des proportions réellement suffisantes, mais tous ne la mettent pas à profit. Est-ce insuffisance de la grâce ou
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résistance de la volonté ? Y a-t-il entre les grâces accordées aux hommes une distinction essentielle? De là, la célèbre distinction entre la grâce efficace et la grâce suffisante. La grâce suffisante confère à la volonté un véritable pouvoir de faire le bien; mais la volonté ne le fait pas ; la grâce efficace, au contraire, est toujours suivie d'effet, bien que la volonté puisse s'y soustraire. L'action de la grâce est infaillible du côté de Dieu ; elle reste libre du côté de la liberté humaine. Comment concilier avec la nécessité de la grâce l'existence de la liberté? Mystère ! mais nous tenons certainement les deux certitudes du problème ; et si nous ne pouvons délier le nœud d'une lumineuse solution, notre impuissance ne portera aucun préjudice à la double certitude de notre liberté et d'une fatalité mystérieuse qui ne peut la détruire.
134. Le livre de Jansénius renouvelait les erreurs de Baïus et de Calvin. Deux condamnations devaient l'atteindre, l'une de force et de police, l'autre de fond et de doctrine. Les erreurs de Baïus avaient été condamnées en 1567 par S. Pie V et en 1379, par Grégoire XIII ; ces deux pontifes avaient, en outre, défendu d'agiter les difficiles questions de la grâce. Ces questions fussent-elles mêmes renfermées dans les strictes limites de l'orthodoxie, lors des querelles entre les partisans de Banez et ceux de Molina, après les longues et inutiles séances de la Congrégation de Auxiliis, il avait été enjoint de n'y plus revenir. Or Jansénius écrivait, non seulement pour ressusciter la doctrine de S. Augustin, bannie, disait-il, depuis cinq cents ans des écoles catholiques, mais encore pour expliquer les opinions de Baïus sur l'état originel de l'honneur et sur sa condition après la chute, Jansénius enfreignait deux fois les prohibitions du Saint-Siège. De plus, il avait bien l'air, au milieu de tous les entortillements de ses phrases, d'enseigner que l'homme déchu n'est pas libre, qu'il est tombé sous le fatalisme de la délectation relativement victorieuse; et par là, Jansénius tombait sous l'anathème. A ce propos, le duc d'Orléans disait que si Dieu l'avait fait naître sur le trône de S. Louis, il n'aurait jamais souffert, parmi ses sujets, des hommes qui, à la suite d'une révolution ou d'un attentat, pourraient, en cas de crime, s'excuser
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sur un défaut de grâce. Jansénius ne s'était pas abusé sur la portée de son livre, puisqu'il n'avait pas osé le publier ; il avait bien parlé de l'envoyer à Rome, mais il ne l'avait point fait, parce que le sachant tel, il savait bien qu'une fois parti, il ne devait pas revenir. Lorsque Condé prit Ypres, tomba entre ses mains une lettre jusque là ignorée de Jansénius, lettre par laquelle le prélat soumettait son livre par lettre au Pape, mais gardait par devers lui le manuscrit, conciliant ainsi, dans un moyen terme louche, ses devoirs et ses craintes. Les exécuteurs testamentaires de l'évêque avaient caché la lettre et mis de côté le testament. Malgré toutes leurs ruses, l'année même de son apparition, l’Augustinus fut prohibé à Rome par le Saint-Office. Les jésuites d'Anvers, en publiant des Thèses théologiques sur la grâce, déclarèrent la guerre à la doctrine contenue dans ce livre. En 1642, le Saint-Siège, dans sa mansuétude, avait voulu, par l'internonce, obtenir de Galenus et Fromond, la suppression du livre, et ménager ainsi la mémoire de l'évêque. Les deux sectaires résistèrent également aux douces paroles de l'internonce et aux menaces du nonce de Cologne. Leurs moqueries « piquèrent tellement le cardinal Barberini, qu'il reprit la pensée de publier la bulle d'Urbain VIII contre la doctrine de Jansénius. Cette bulle était prête depuis un an ; le cardinal avait différé de la faire publier, espérant adoucir les esprits par sa patience : en quoi il fut trompé, et ce retard, si mal entendu et si mal ménagé, gâta tout ; car les chefs de la cabale ayant reconnu par ce délai qu'on les ménageait, en devinrent plus intraitables (1).» Malgré la condamnation portée par Urbain VIII, l’Augustinus trouva des défenseurs à Louvain, où Baïus avait été doyen et Jansénius professeur d'Écriture sainte. La résistance de cette Université dura neuf ans. L'Université envoya à Rome des députés pour réclamer contre la bulle pontificale, et à Madrid pour en empêcher la publication immédiate dans les Flandres espagnoles. Nonobstant ce manège, le roi catholique ordonna que la bulle fut publiée dans le Brabant et défendit, sous des peines graves, c'est-à-dire sous peine d'une amende de cinq cents florins pour la pre-
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(1) Rafin, Hist. du Jansénisme, p. 486.
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mière fois et pour la seconde de six ans d'exil, d'attaquer la bulle ou de s'opposer à sa publication. Après quelque temps, la résistance s'apaisa dans les Pays-Bas. Ces mêmes docteurs de Louvain se signalèrent ensuite contre le jansénisme par un grand nombre de décrets qui démontraient la pureté de leur doctrine (1).
135. En France, les
cinq propositions dénoncées par Cornet furent reçues et examinées en Sorbonne.
Pendant cet examen, le docteur Garin de Saint-Amour ameuta soixante de ses
collègues
qui en appelèrent au Parlement comme d'abus. Les docteurs orthodoxes, voyant
une cause de cette nature portée à un tribunal laïque, songèrent à la déférer au Saint-Siège ; mais ils crurent plus convenable
que le corps épiscopal demandât au Pape un jugement. On était à la veille d'une assemblée générale du clergé. Les évêques, réunis en
1650, avaient à choisir entre deux partis : ou
juger en première instance, ou soumettre l'affaire au souverain pontife. Un
jugement par les évêques eût dépassé le temps de leur réunion et offert quelque difficulté ; restait donc le recours au Pape, et, en
effet, les évêques, d'un commun accord, se résolurent à lui écrire. Dans la crainte que le Parlement, accoutumé à se mêler de tout,
n'empêchât le recours à Rome, il fut décidé que l’un d'eux rédigerait la lettre commune, que tous la signeraient en particulier.
L'évêque de Vabres, Habert, rédigea donc une courte lettre où il rappelait les antécédentes querelles sur la grâce, les décisions
du Saint-Siège et demandait, pour conjurer la tempête, une nouvelle décision.
Cette lutte fut concertée à Saint-Lazare, sous les yeux de S. Vincent de Paul.
Les principaux évêques de l'assemblée la signèrent aussitôt, chacun séparément
; on en envoya des copies dans les provinces, pour obtenir la signature des
autres prélats du royaume ; plusieurs furent même adressées dans Paris, aux communautés
religieuses. On voulait obtenir comme un concert de toutes les églises de
France, pour que le souverain pontife, pressé de toutes parts, ne différât pas
son jugement. En très peu de temps, la lettre d'Habert fut souscrite par
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(1) Novaes, t. XI, p. 254; et Haine, De Hermani Dameni vita et meritis oratio, passim.
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quatre-vingt-huit évêques ; onze ou douze autres se turent ou écrivirent au Pape une contre-lettre ; encore plusieurs d'entre eux défendaient moins le jansénisme qu'ils ne désapprouvaient le mode de recours employé par leurs collègues.
Mal soutenu par l'épiscopat, le parti résolut de se défendre à Rome. Il y avait déjà un agent à demeure ; dans une circonstance si critique, il envoya trois autres docteurs, à la tête desquels il mit Saint-Amour, nom singulier pour une telle œuvre. Aux trois docteurs jansénistes, Vincent de Paul voulut opposer trois docteurs orthodoxes, et, après s'être concerté avec Olier et Bretonvilliers, ils firent partir trois docteurs de Sorbonne des plus habiles de la Faculté, Hallier, Loisel et Lagault. Vincent ne négligea rien pour les seconder, soit en France, soit en Italie ; il leur obtint des lettres de la cour et les recommanda à ses prêtres établis à Rome. A leur arrivée, ils trouvèrent en émoi la capitale du monde chrétien. Le séditieux Saint-Amour s'efforçait de persuader aux Dominicains qu'on n'en voulait pas moins à la grâce efficace des Thomistes qu'à celle de Jansénius ; il leur faisait peur des Jésuites, des Molinistes, les seuls qui, jusqu'ici, eurent agi à Rome. Du reste, lui et ses collègues, suivant la tactique de la secte, ne cessaient de répéter qu'ils n'étaient point jansénistes ; qu'ils voulaient défendre, non Jansénius, mais la grâce de Jésus-Christ ; qu'après tout, le jansénisme n'était qu'un fantôme. Pour bien dessiner les positions et orienter le débat, les docteurs catholiques déclarèrent, de leur côté, qu'ils n'en voulaient qu'à Jansénius, qui, depuis dix ans, troublait l'Église (1).