La foi chrétienne hier et aujourd’hui 48

 

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II. POUR UNE INTELLIGENCE POSITIVE DU MYSTÈRE

 

   Cependant, la limitation interne de la doctrine trinitaire dans le sens d'une théologie négative, telle que nous venons de la faire ressortir, ne saurait signifier qu'il faille regarder ses formules comme une phraséologie impénétrable et vide.

 

Elles peuvent et doivent même être comprises comme des énoncés qui ont un sens, bien qu'elles ne soient que des indications sur l'ineffable et ne puissent prétendre intégrer celui‑ci dans nos catégories de pensée.

 

Nous essayerons donc d'expliciter ce caractère « indicatif » des formules de la foi, en trois thèses, qui concluront nos réflexions sur la doctrine trinitaire.

 

PREMIÈRE THÈSE:

 

Le paradoxe « Una essentia tres personœ » «une essence en trois personnes » se rapporte à la question du sens originel de l'unité et de la multiplicité.

 

   Pour comprendre le sens de cet énoncé, le mieux est de jeter un coup d'oeil sur l'arrière‑fond de la pensée grecque pré‑chrétienne, sur lequel se détache la foi au Dieu un et trine.

 

Pour la pensée antique, seule l'unité est divine; la multiplicité apparaît comme secondaire, comme la désagrégation de l'unité. Elle provient de cette désagrégation et tend vers elle.

 

La confession de foi chrétienne en Dieu un et trine, en un Dieu qui est à la fois la «Monade» et la « Triade”, l'unité absolue et l'abondance, traduit la conviction que la divinité est au‑delà de nos catégories de l'unité et de la multiplicité.

 

Autant la divinité est pour nous une et unique, l'unique divin en face de tout ce qui n'est pas divin, autant elle est pourtant en elle‑même véritablement abondance et multiplicité, de sorte que l'unité et la multiplicité créées sont toutes deux image et partici‑

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pation du divin.

 

Ce n'est pas seulement l'unité qui est divine, la multiplicité aussi est quelque chose d'originel, trouvant en Dieu son principe intrinsèque.

 

La multiplicité n'est pas simplement désagrégation, qui surviendrait en dehors de la divinité; elle n'est pas produite seulement par l'intervention de la « dyade”, de la division; elle n'est pas le résultat du dualisme de deux puissances opposées; elle correspond, au contraire, à la plénitude créatrice de Dieu qui, transcendant multiplicité et unité, les englobe toutes deux.

 

Ainsi en fin de compte, c'est la foi trinitaire qui, en reconnaissant la pluralité dans l'unité de Dieu, a évincé définitivement le dualisme comme principe d'explication de la multiplicité à côté de l'unité;

 

c'est grâce à elle seulement que la valorisation positive du multiple a trouvé une base définitive. Dieu est au‑delà du singulier et du pluriel. Il fait éclater les deux.

 

   Il en résulte une autre conséquence importante. Pour celui qui croit au Dieu un et trine, l'unité suprême n'est pas celle de l'uniformité rigide.

 

Le type d'unité idéal, auquel il faut aspirer, n'est donc pas celui de l'indivisibilité de l'atome, de l'unité la plus petite, qui n'est plus divisible; la forme suprême et normative de l'unité, c'est l'unité créée par l'amour. L'unité multiple engendrée par l'amour, est une unité plus radicale et plus réelle que l'unité de l' “atome”.

 

DEUXIÈME THÈSE:

 

Le paradoxe « Una essentia tres personœ” est fonction du concept de la personne et doit être compris comme une implication interne du concept de « personne”.

 

   En reconnaissant Dieu, le Sens créateur, comme personne, la foi chrétienne le confesse comme connaissance, parole et amour. Reconnaître Dieu comme personne, c'est donc nécessairement le reconnaître comme exigence de relations, comme «communicativité”, comme fécondité.

 

Un être absolument un, qui ne serait ni origine ni terme de relation ne pourrait être une personne. La personne au singulier absolu n'existe pas.

 

Cela ressort déjà des mots qui ont donné naissance au concept de personne : le mot grec prosopon signifie littéralement « regard vers”; le préfixe pros (= dirigé vers) implique la relation comme élément constitutif.

 

De même, pour le mot latin persona; résonner à travers; à nouveau le préfixe per (= à travers.., vers) exprime la relation, mais cette

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fois comme relation de parole. Autrement dit, si l'Absolu est une personne, il ne saurait être un singulier absolu.

 

De la sorte, dans le concept de la personne, est nécessairement impliqué le dépassement du singulier. Toutefois, il faut le dire en même temps, en confessant un Dieu personnel, dans le sens d'une trinité de personnes, la foi fait éclater un concept naïf et anthropomorphe de la personne.

 

Elle affirme, de façon énigmatique, qu'il existe une différence infinie entre l'être personnel de Dieu et l'être personnel de l'homme. Notre concept de personne, en dépit de l'éclairage qu'il apporte, s'avère lui aussi comme une comparaison inadéquate.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon