Jacques Ier et persécutions 1

Darras tome 36 p. 213


§ II. LA PERSÉCUTION EN ANGLETERRE SOUS JACQUES 1er (1602-1625)

 

32. A la mort d'Elisabeth, Jacques VI, roi d'Ecosse, devint roi d'Angleterre. Jacques était fils de Marie Stuart et de Henri Darnley; son père avait été assassiné près de sa mère enceinte, et, bien qu'il fût le fils d'une femme héroïque, Jacques devait garder toute sa vie l'impression de cet assassinat ; il ne put jamais voir sans trembler une épée nue. C'était une âme faible ; de sa mère cepen­dant il tenait un certain penchant à la bonté, et, s'il n'eût été gâté par l'éducation presbytérienne, il eût pu être un prince passable. Cette éducation l'avait rendu disputeur ; il était plus propre à professer un cours de controverse qu'à régner. Les gens de ce

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caractère, s'ils sont laissés à leurs manies, peuvent n'être que ridi­cules ; s'ils sont vexés dans leur arrogance, ils deviennent pires que les méchants : Néron était poète et beaucoup de scélérats n'étaient, comme lui, que des poètes sifflés. Dans les dernières années d'Eli­sabeth, Jacques s'était secrètement engagé à faire, aux catholiques, de larges concessions : une correspondance s'était même établie entre le roi futur et les cardinaux Aldobrandini et Bellarmin. A ses compatriotes, il avait promis que les catholiques ne seraient pas grevés de plus d'impôts que les protestants, et admis, sans distinc­tion de culte, aux emplois publics. Clément VIII lui avait fait dire qu'il « priait pour lui, fils d'une femme vertueuse, lui souhaitait le plus grand bonheur temporel et spirituel, et qu'il espérait le voir devenir catholique ». On célébra, à Rome, avec des prières et des processions solennelles, son avènement. C'était là une avance à laquelle Jacques n'eût pas osé répondre avec empressement, même quand il y aurait été enclin. Cependant il permit à son ambassadeur en France, d'entrer en relations confidentielles avec le nonce apos­tolique. Le nonce lui mit sous les yeux un acte de Clément VIII qui recommandait, aux prêtres et aux catholiques anglais, l'obéissance, la fidélité et l'amour envers le monarque ; l'ambassadeur répondit par une instruction de Jacques Ier, qui promettait paix et tranquil­lité aux catholiques de son royaume. On commença, en effet, à célébrer de nouveau publiquement la messe dans le nord de l'An­gleterre. Les puritains se plaignirent de ce qu'en peu de temps, cinquante mille Anglais avaient embrassé le catholicisme : Jacques leur répondit : « Convertissez de votre côté autant d'Espagnols et d'Italiens. »

 

33. Maître Jacques, ainsi que le surnomme Henri IV, ne devait pas justifier ces espérances. Caractère irrésolu, esprit tracassier, âme faite de contradictions, le faible prince ne savait ni dicter sa volonté, ni suivre les bonnes pensées que le cœur lui inspirait. Le ministre ou le courtisan qui flattait avec le plus d'adresse sa manie doctorale, Robert Cécil ou Georges Buckingham, l'astuce ou la fri­volité, était toujours le suprême arbitre des affaires ; en eût dit que le Stuart avait changé  de sexe ; ses  sujets même disaient

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qu'Elisabeth avait été un roi et que Jacques était une reine. Robert Cécil, qui connaissait le côté faible du prince, sut habilement le prendre. Sans laisser trop voir son dédain pour la faible logique de Jacques, il lui insinua que les Jésuites et leurs fidèles étaient toujours prêts à la révolte. Il n'en fallut pas davantage pour dissi­per tous les pronostics de paix. Jacques avait supprimé verbale­ment l'amende de vingt livres sterling par mois que le fisc prélevait sur la conscience de ceux qui n'assistaient pas au prêche anglican ; un décret contraignit à payer cet impôt avec ses arrérages. Elisa­beth en avait adouci la rigueur pour certaines familles ; Jacques rétracta cette bonne grâce ; puis, sans s'astreindre à aucun contrôle financier, il livra des catholiques à l'indigence rapace des puritains d'Ecosse qui avaient suivi le roi en Angleterre. Ceux-ci ne se bor­nèrent pas à ruiner les catholiques par des exactions, ils voulurent encore les exaspérer par des exigences attentatoires à la foi. Toute croyance cherche nécessairement à se propager. Le protestantisme, qui prétendait rendre le libre examen obligatoire et la vérité facul­tative, ne se tint jamais à ces deux fausses prétentions ; il supprima partout le droit d'examen et imposa par la force, à des consciences récalcitrantes, les variétés de ces erreurs.

 

34. Vingt-trois ans auparavant, les puritains avaient composé, à Edimbourg, un formulaire qui déclarait l'Église universelle une tyrannie; sa doctrine, un tissu de mensonges ; ses définitions, des blasphèmes; ses décrets, des lois oppressives ; ses rites, ses cérémo­nies, des superstitions et des sacrilèges ; la messe, une invention du diable; et le Pape, l'antéchrist. Ce formulaire injurieux fut affiché à la porte de toutes les églises ; il fallut s'y soumettre ou n'être plus que des rebelles. Les ministres puritains et les prélats anglicans osèrent même dire au roi : « Quand vous étiez encore en Ecosse, vous vous êtes obligé par un vœu, à ne pas laisser un seul papiste dans ce royaume d'Angleterre et à ne tolérer aucune de leurs idolâtries. » Le ministre Robert Cécil leur prêta main-forte près de son pusillanime souverain. Dans ses édits et ses communi­cations au Parlement, Jacques se prit donc à déclarer qu'il n'avait rien promis aux catholiques, et que s'ils levaient la tête, ils les

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écraserait. Pour prendre parti contre ses sujets, Jacques n'attendit pas les provocations. Les Jésuites furent proscrits; tout catholique fut, pour le seul fait de sa croyance, rayé des cadres de l'armée et de la marine ; on lui interdit de tester ; il fut inhabile à hériter, à toucher ses revenus, à exiger le remboursement de ses créances et à se défendre devant les tribunaux. C'était la mort civile. On ne bannissait pas les catholiques, on ne les tuait pas, mais on les réduisait à l'état de parias ou d'ilotes et on appelait cela la liberté. Maître Jacques, le premier bavard de la chrétienté, plaisantait même là-dessus agréablement : «Les catholiques, disait-il, sont réduits à l'indigence ; en se donnant au diable, ils ont choisi un bien mauvais maître ; nous, au contraire, nous servons un Dieu juste et tout-puissant à nous récompenser. » Ces paroles peignent l'homme.

 

33. L'indignité misérable du gouvernement anglais devait provo­quer une tentative criminelle. Peu d'années auparavant, les héréti­ques des Pays-Bas avait essayé, au moyen d'un baril plein de matières inflammables, de faire périr à Anvers le duc de Parme. Quelques catholiques d'outre-Manche s'emparèrent de cette idée et lui donnèrent une extension monstrueuse : ils imaginèrent de faire sauter, avec des poudres, le roi, le Parlement et les grands de l'État. Le principal auteur de la conspiration fut sir Robert Gatesby, d'une des meilleures familles d'Angleterre. A peine âgé de trente-trois ans, ce gentilhomme avait fait, des ambitions du monde et des misères de la volupté, une triste expérience, et s'était réfugié dans la religion comme dans un port après le naufrage. Le souve­nir des atroces persécutions d'Elisabeth, la crainte d'en éprouver de plus affreuses, la conviction que le faible Stuart se laisserait entraîner aux plus déplorables mesures, lui firent chercher, dans sa fanatique énergie, un remède à de si grands maux. Ce remède, il crut l'avoir trouvé dans son imagination en délire. Ce rêve san­glant le fascina ; après avoir combiné ses chances, il se mit à chercher des complices. Tom Winter, de la famille de Huddington, Thomas Percy, de Northumberland et John Wright, le plus brave soldat des Trois-Royaumes s'y associèrent. L'objectif était de

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défendre, et, au besoin, de venger les catholiques opprimés par la tyrannie des épiscopaux et des puritains. La tentative d'une insur­rection à main armée fut d'abord écartée comme n'offrant pas de garantie de succès, attendu que les pouvoirs publics étaient acquis à l'hérésie. On voulut alors en appeler à l'intervention officieuse des princes catholiques du continent. Mais Cécil avait su peindre Jacques sous les traits d'un monarque tolérant, et ses ambassadeurs répétaient partout qu'il était presque l'ami des papistes. Soit illu­sion, soit lassitude, les princes ne prêtèrent donc pas l'oreille aux gémissements des catholiques anglais. Cependant la persécution ne faisait que s'aggraver. Sous Elisabeth, ignorant qui succéderait à la reine, les bourreaux gardaient encore quelque retenue ; sous Jacques, père de plusieurs enfants et en pleine possession du trône, ils ne songèrent plus qu'à l'extermination des catholiques. Elisa­beth, disait-on, les avait frappés avec des fouets ; Jacques allait les frapper, comme Roboam, avec des scorpions.

 

36. Le plan qui avait germé dans la tête de Gatesby parut seul propre à sauver les catholiques de la mort. Incapables de recourir aux armes, sacrifiés aux exigences de la politique, quatre hommes, tous distingués et personnellement honnêtes, se persuadèrent, sans conseil de personne, qu'ils pouvaient ensevelir les persécuteurs dans une ruine commune. Winter avait amené d'Ostende un pros­crit, nommé Gui Fawkes, homme d'un courage et d'une discrétion à toute épreuve. Percy prit à bail une maison et un jardin contigus à Westminster, ils élevèrent un mur afin de cacher l'entrée de la mine qu'ils voulaient pratiquer sous la salle du Parlement et sus­pendirent leurs travaux en apprenant l'ajournement de la convo­cation. Cependant Tom Winter avait conçu des doutes sur la légiti­mité de leurs entreprises; lui et Catesby, pour mettre leur conscience à l'abri de tout reproche, décidèrent de prendre l'avis des Jésuites. Leur scrupule ne provenait pas de l'extermination de l'Angleterre officielle : ils se considéraient comme belligérants en présence de l'ennemi et dans l'impossibilité de choisir d'autres moyens d'exé­cution. Leur tourment provenait de ce que, en faisant sauter les Chambres en l'air, beaucoup de catholiques devaient perdre la

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vie. Or, pour se rassurer, ils forgèrent un cas chimérique, adapté à une autre situation. Les conjurés s'engagèrent ostensiblement pour la guerre de Flandre et, dans l'hypothèse de leur départ pro­chain, posèrent cette question : «Supposé que, devant une forte­resse qu'un officier doit enlever d'assaut, les hérétiques placent des catholiques au premier rang pour la défendre, quelle conduite faudra-t-il tenir ? Afin de ne pas massacrer ses frères, épargnera-t-il les coupables? Ou bien, la conscience sauve, peut-il donner l'assaut selon l'usage de la guerre?» En présence de cette ques­tion, les docteurs opinèrent pour l'affirmative et ne devaient pas opiner autrement. A la guerre, comme à la guerre. Ainsi rassurés, les cinq conspirateurs firent entre eux, sur l'Évangile, serment so­lennel d'exécuter leur dessein et de se garder un secret inviolable. Un jésuite fut prié de leur dire la messe; il leur donna la sainte Communion, qu'ils reçurent en accomplissement de leur vœu homi­cide. Ces conjurés s'étaient rendus criminels comme par inspiration; ils croyaient pouvoir assassiner légitimement leurs assassins poli­tiques. Un sentiment de pudeur et un doute sur la légitimité de l'acte leur restait cependant : ils reçurent de la main d'un jésuite la sainte Communion, mais ne lui firent rien connaître de leur projet.

 

   37. Christophe Wright, Robert Winter, frères des deux conjurés furent affiliés au complot et le travail souterrain commença. C'était un travail pénible : l'eau de la Tamise suintait dans la mine et ex­posait les ouvriers à des périls de toutes sortes. A force de persé­vérance, ils arrivèrent néanmoins jusqu'aux fondements de West­minster. La muraille avait soixante-quatorze pouces d'épaisseur; elle fut percée. Alors le plan d'excavation se simplifia. Les conjurés découvrirent par la sonde, l'existence d'une cave voûtée, condui­sant sous la Chambre des lords. Fawkes, qui se disait domestique de Percy, loua cette cave ; elle se remplit incontinent d'une grande quantité de charbon et de meubles. Vers la fin d'avril 1605, ils y avaient entassé trente-sept barils de poudre, plus qu'il n'en fallait pour faire sauter la moitié de Londres. Tout se disposait pour l'exé­cution. Après avoir mesuré la portée de son œuvre, Catesby en régularisait les détails et l'ensemble. Il était indispensable de s'em-

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parer des jeunes princes et de tenir à Douvres un bâtiment prêt à faire voile pour annoncer, sur le continent, la révolution opérée; plus indispensable encore de se rendre maître d'une forteresse du royaume, comme point de ralliement à donner aux populations. Le nombre des conjurés ne répondait pas aux exigences de l'entre­prise; Gatesby le porta à treize, chiffre fatidique. Sir Everard Digby, Thomas Bâtes, Ambroise Rookwood, John Grant, Robert Keys et Francis Tresham, s'engagèrent à le seconder. Tous étaient gen­tilshommes, riches et considérés; Catesby était sûr de leur discré­tion; il avait l'argent nécessaire. En même temps, il entretenait, comme tout conspirateur intelligent doit le faire, les mécontente­ments que provoquaient les mesures de Jacques Ier; il se faisait l'instigateur de la révolte et la prêchait ouvertement. Le gouver­nement, par ses maladresses, favorisait le jeu de la conspiration. Les ennemis de l'orthodoxie étaient au pouvoir ; ils envoyaient à la torture et à la mort les fidèles dont les édits fiscaux avaient consommé la ruine. L'opinion était anxieuse; les masses comme prises de fièvre. On voyait se former la houle. Le 8 mai 1605, le P. Garnett écrivait à Persons : « Il y a maintenant ici très peu de catholiques qui ne soient pas désespérés; il m'est venu par hasard à l'oreille que plusieurs se plaignent amèrement de ce que les Jé­suites les empêchent de se racheter par la force. Quelles sont leurs pensées? Que préparent-ils? Je n'ose l'approfondir, d'après l'ordre que nous a intimé le Père général, de ne jamais nous immiscer en de pareilles affaires. »

 

38. L'ouverture du Parlement approchait; les conjurés avaient pris leurs mesures, lorsque Tresham, dont la fortune avait été mise au service des conspirateurs, demande qu'avis du danger soit donné à. son beau-frère, lord Mounteagle. On ignore si Tresham avertit réellement son beau-frère ou s'il ne livra pas tout simple­ment à Robert Cécil le secret de la conspiration. Une lettre ano­nyme fut envoyée à lord Mounteagle. Mounteagle la communiqua au secrétaire d'État. La lettre fut déférée au conseil des ministres; les ministres, sous l'inspiration de Cécil, ne voulurent rien comprendre à l'énigme. On réserva au roi, doué, disaient les courtisans, du don

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de seconde vue, le soin de pénétrer le mystère. Jacques était par­faitement persuadé qu'il était le protégé du Saint-Esprit et qu'un rayon de lumière l'illuminait dans les moments de crise. Avec l'aide de Cécil, dont la clairvoyance le guida dans les ténèbres de la dénonciation, le roi vint à penser qu'il s'agissait d'une mine et d'un complot ourdi contre la sûreté de l 'État. Jacques était la dupe d'une comédie jouée en l'honneur de son rôle prophétique; il n'a­vait pas assez d'esprit pour s'en apercevoir; et les protestants qui exploitaient sa naïveté n'eurent garde de contester ses mérites d'inventeur. Tresham cependant avertissait ses complices que le gouvernement était instruit de tout et qu'ils n'avaient plus qu'à se dérober. Malgré cet avis, ils ne reculèrent point. Il fut décidé que Percy et Winter se placeraient à la tête du mouvement de Lon­dres; que Gatesby et John Wright dirigeraient la révolte dans le comté de Warwick et que Gui Fawkes resterait afin de mettre le feu à la mine. Le 5 novembre, jour fixé pour la séance royale, sir Thomas Knevett, bailli de "Westminster, descend dès l'aube du jour dans la cave que Cécil lui a désignée; la force armée qui l'ac­compagne découvre les barils de poudre ; elle s'empare de Fawkes, sur lequel on trouve trois mèches et une lanterne sourde allumée. Le conseil des ministres est convoqué, le roi le préside, Fawkes est introduit. On l'interroge, il tait son nom et celui de ses com­plices, mais il avoue leur plan; il déclare même que la nature et la piété chrétienne lui donnent le droit de se défaire d'un prince hé­rétique et persécuteur, qui ne peut être l'oint de Dieu. C'était une théologie de soldats, que les puritains avaient mise à la mode. Fawkes ne se laissa ni intimider par les menaces, ni séduire par les promesses : il y avait en lui du Mutius Sccevola; il attendit la mort sans pâlir. Jacques avait ordonné d'appliquer d'abord la question la moins rude, puis de l'aggraver peu à peu jusqu'aux dernières extrémités. Fawkes soutint ces tortures; le 7 novembre seulement, il révéla son nom et le nom des autres conjurés; il n'a­vait plus à les taire, parce qu'ils venaient de prendre les armes (1).

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(1) Chronique de Jean Stoiv, avec le supplément de Howes, t. 879, col. 2, éd. de 1631.

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39. La découverte d'un tel complot était, pour les épiscopaux et les presbytériens, un fait immense ; elle leur fournissait un prétexe pour confondre, dans une même accusation, les innocents et les coupables, les catholiques des Trois-Royaumes, les prêtres, les Jésuites, les rois du continent et le souverain pontife. Les puritains, animés de passions révolutionnaires, saisirent avidement l'occasion ; ils outragèrent violemment le roi d'Espagne, l'archiduc Albert, les Jésuites, le Pape et les Irlandais ; ils excitèrent le peuple au mas­sacre. L'irritation publique prenait un caractère de férocité, qui pouvait aboutir au plus formidable excès. Jacques le comprit : il publia un décret pour dire que, sauf les conjurés, il était assuré du respect des catholiques et tenait pour un outrage tout soupçon contre les rois. Catesby et les siens essayèrent de se défendre par les armes; ils furent irrémédiablement battus dès la première ren­contre. Plusieurs furent tués ; les autres, faits prisonniers, furent mis en prison. Cependant, on n'avait encore vu nulle part les Jésuites conseillant l'affaire ou y participant ; or, le ministre Cécil, dans l'intérêt des sectes protestantes, voulait les y impliquer. On choisit, à cette fin, des magistrats instructeurs, et l'on offrit à l'un des conjurés, Bâtes, la vie sauve, si, par ses déclarations, il com­promettait les Pères. Bâtes confessa que trois conjurés avaient pour directeur, Garnett, Texmund et Gérard ; que Garnett s'était en­tretenu avec Catesby peu avant le 5 novembre, et que Texmund devait être lié d'amitié avec Winter. Tresham nomma aussi Henri Garnett. Avec un ministre comme Cécil et des magistrats tels que les haines de parti et de religion en font surgir, ces dépositions suffisaient. L'innocence ou la culpabilité des Jésuites inquiétaient fort peu ; il ne fallait qu'un prétexte pour les pendre comme on l'avait fait du temps d'Elisabeth , sous un prétexte analogue. Aucun des conspirateurs n'avait chargé les Jésuites ; les ministres, le clergé anglican, les magistrats, qui avaient commencé par falsifier la parole de Dieu dans les saintes Écritures, défigurèrent les inter­rogatoires, altérèrent le sens des mots et la logique des dates. Pour tromper l'opinion publique, on créa de faux procès-verbaux, on fabriqua des confessions qui n'avaient pas eu lieu. Lorsqu'on lisait

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aux accusés ces pièces apocryphes, « les accusés, raconte Johnston, refusaient de reconnaître pour vrai ce qui était écrit ». On avait surtout dénaturé les interrogatoires de Fawkes ; quand on les lui communiqua, il fit cette réponse topique : « Je ne nie point ce qui me concerne ; je nie ce qu'on a intercalé dans cette affaire, qui, pour la combinaison et l'exécution, a été entièrement nôtre. Si quel­qu'un parmi nous a des faits à révéler contre les Jésuites, qu'il parle, ou bien, vous, dites de qui est la déposition d'après laquelle il est possible d'établir qu'ils sont coupables. Si vous ne le pouvez pas, qu'ont donc les Pères à voir dans ce procès? et pourquoi essayer d'y insérer, par le moyen de nos aveux, ce qui est si éloigne de la vérité? (1). » Les conjurés moururent avec un courage et une piété extraordinaires ; ceux qui furent exilés ne se démentirent pas da­vantage ; mais, ni dans l'exil, ni sur l'échafaud, ils n'accusèrent point les Jésuites. « Les conjurés, dit de Thou, déclarèrent chacun en particulier les faits tels que je viens de les exposer, et ne char­gèrent presque aucun prêtre ou religieux. Plusieurs ont cru que la raison de leur silence était qu'ils avaient tous fait serment (qu'en savent-ils?) de n'incriminer aucun ecclésiastique, en cas qu'ils fussent arrêtés. Tresham, avant de mourir dans sa prison, écrivit au comte de Salisbury par le conseil de sa femme ; il excusa la déclaration qu'il avait faite inconsidérément et assura sous la foi du serment que Garnett n'était point coupable (2). » La conduite des persécu­teurs vient se briser contre cette contradiction : Les Anglicans di­rent que les conjurés s'étaient liés par serment pour ne point révéler la complicité des Jésuites, et c'est sur les révélations des conjurés qu'ils les condamneront bientôt. Ou la logique n'est qu'un mot, ou la justice de Jacques Ier n'est qu'une infamie.

 

40. Le 15 janvier 1606, Cécil publiait une proclamation, où il disait, contre toute vérité : « D'après les interrogatoires, il est évi­dent et positif que les Pères Garnett, Texmund et Gérard ont été les fauteurs particuliers du complot, et que, par conséquent, ils ne sont pas moins coupables que les auteurs et les conseillers de la

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(1)Histor. BHtan. Lib. XII, fol. 410.

(2)De Thou, Hist. univ. Lib. CXXXV.

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trahison. » Le 28 janvier, le P. Garnett fut arrêté à Hendlip, dans le château de Thomas Abington ; Texmund et Gérard purent  se réfugier sur le continent. Depuis vingt ans, le P. Garnett était de retour dans la Grande-Bretagne, et depuis dix-sept il dirigeait cette province de l'ordre. Sa réputation était sans tache, les catholiques l'aimaient, les protestants étaient  contraints de lui  donner leur estime. Dans la situation tendue et orageuse de la Grande-Bretagne, Garnett avait toujours travaillé à la paix. « Quoiqu'il ne soit pas, écrivait-il, en notre puissance d'empêcher qu'il n'y ait des hommes remuants et téméraires parmi les catholiques, nous pouvons néan­moins promettre, grâce à Dieu, que la meilleure partie d'entre eux se tiendront tranquilles. Des gens qui ne nous affectionnent pas disent tout haut que nous aimons mieux flatter le roi en travaillant à la paix que de servir la cause des catholiques en les poussant à montrer du ressentiment ;  qu'ils n'aient pas autre chose à nous reprocher et nous endurerons facilement cette imputation;  nous nous en glorifierons même. » Pour mieux marquer l'humeur paci­fique du P. Garnett, on l'appelait la Brebis ; mais enfin ce n'était pas une brebis de Panurge. Lorsqu'il vit, en 1604, l'agitation s'accuser, il écrivit encore au P. Aquaviva : «S'il arrive que les catholiques n'ob­tiennent aucun soulagement à l'occasion du traité avec l'Espagne, je ne sais avec quelle patience quelques-uns supporteront ce dernier coup. Quel parti prendre ? Nos Pères ne suffiraient pas pour les contenir dans le devoir. Que le  souverain pontife y avise, qu'il mande à ces catholiques de ne pas oser se  soulever. » Le jésuite prévoyait une prise d'armes pour protester contre les abandons de la politique espagnole ; il en appelait au Pape pour la prévenir ; et c'est cet homme que Cécil et les anglicans voulaient réserver aux plus cruels outrages. En frappant sur le chef des jésuites d'Angle­terre, en le montrant comme l'instigateur du  complot, comme l'homme qui avait tout su,  et,  sinon tout conduit, tout scellé, on n'avait plus besoin de preuves pour écraser les catholiques.

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon