VIème Concile oécuménique 10

Darras tome 16 p. 365

 

   51. Après que le concile eut ainsi formulé son jugement colléctif, sans que les actes nous désignent particulièrement l'orateur chargé pour tous de l'énoncer, les très-glorieux juges daignèrent donner à l'assemblée un témoignage de satisfecit et la récom­pense de sa docilité. Voici textuellement leurs paroles : « Votre saint et œcuménique concile a donné satisfaction à notre requête au sujet des défunts patriarches Sergius, Honorius et Sophro-nius. Vous vous êtes également prononcés à l'égard de Pyrrhus, Paul et Pierre de Constantinople, Cyrus d'Alexandrie et Théo­dore de Pharan. Nous demandons maintenant qu'il vous plaise ordonner au diacre ami de Dieu, l'archiviste Georges, de pro­duire tous les registres synodiques, opuscules dogmatiques, lettres et écrits quelconques émanés de ces divers personnages, afin que nous en prenions connaissance. Quant à la requête des révérendissimes évêques et très-religieux clercs du patriarcat d'Antioche au sujet d'un nouveau titulaire pour ce siège, nous l'avons soumise à la divine sollicitude de notre invincible empe­reur toujours chéri de Dieu. Sa sérénité a donné des ordres pour que l'élection se fît à la manière accoutumée par les révérendissimes évêques et clercs, et fût soumise ensuite à la ratification de son invincible mansuétude1. » Ainsi parlèrent ces quatre sénateurs présidents d'un concile. 0 Byzance ! est-ce assez d'abaissements? et quelles actions de grâces ne devons-nous pas rendre à Jésus-

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1. Labbe, tom. VI, col. 946.

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Christ et à l'Esprit-Saint, qui ont délivré pour jamais en nos jours la catholique Église des germes empoisonnés du servilisme césarien ! Toutefois, malgré cette belle assurance que l'empereur était content d'eux et leur permettait d'élire un nouveau patriarche d'Antioche, les quatre-vingts évêques orientaux ne semblèrent pas absolument satisfaits. « Votre gloire, dirent-ils aux quatre patrices présidents, voudrait que le diacre chéri de Dieu, l'archiviste Georges, nous apportât tous les écrits de Pyrrhus, Pierre et Paul de Constantinople, Cyrus d'Alexandrie, Théodore de Pharan, qui se pourront rencontrer dans la bibliothèque du patriarcat. Mais nous jugeons cette production de pièces nouvelles parfaitement inutile. La question est tranchée. Le très-saint pape Agathon a déjà condamné ces divers personnages d'après des textes authen­tiques extraits de leurs œuvres. Nous-mêmes, nous venons de les anathématiser. C'est chose faite 1. » Pauvres évêques, ils se croyaient encore le droit d'avoir une opinion ! Les très-glorieux juges ne tardèrent pas à les désabuser. « Sans doute, dirent ces excellents magistrats, la lettre du très-saint et trois fois bienheu­reux pape Agathon est orthodoxe de tout point, et entièrement conforme à la vérité, ôf86So?oç tuyx^ei xod tîjj àXïi8Eîoc c?v|j,ëa£vei. Cependant il est absolument nécessaire que la production des pièces que nous demandons ait lieu, afin de mieux mettre en lumière la secte hérétique 2. » A ces mots, toute résistance tomba. « Puisque votre gloire insiste, dirent les pères, le diacre chéri de Dieu, l'archiviste Georges peut aller chercher les pièces nouvelles 3.» On comprend que l'aimable archiviste ne se le fit pas dire deux fois. Le secret de cette comédie était la découverte, vraie ou fausse, dans les ar­chives patriarcales, de la seconde lettre d'Honorius, inconnue jusque là au concile et à l'univers entier. On tenait essentielle­ment à produire cette nouvelle lettre d'un pape déjà anathéma-tisé et condamné, afin de se procurer la joie de faire renouveler contre sa mémoire la condamnation et l'anathème. Si le dégoût

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1 Labbe, tom. VI, col. 948. — 2 Labbe, tom. VI, col. 948. — 3 Labbe, tom. VI, col. 948.

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provoqué par cette intrigue byzantine dont la trame enfin dé­pouillée laisse voir à nu tous les fils, n'empêchait pas d'insister sur les détails, nous ferions remarquer la parole des quatre laïques a latere déclarant que la lettre de saint Agathon est de tout point orthodoxe et conforme à la vérité. Or, la lettre de saint Agathon affirmait qu'aucun pape n'avait enseigné l'erreur; qu'Honorius en particulier n'était nullement coupable. Mais qu'importent ces contradictions des quatre présidents intrus? La vérité ou l'erreur dans leur bouche n'intéresse en rien ni le dogme, ni la foi, ni l'honneur de l'Église. L'incident ne sert qu'à mettre davantage en relief la pression exercée par ces upatoi byzantins, sur un concile à qui leur présidence elle-même enlevait absolument tout carac­tère d'œcuménicité. L'archiviste Georges revint bientôt avec les volumineux registres du patriarcat. On lut d'abord une première lettre de Cyrus d'Alexandrie à Sergius, et une seconde du même personnage; puis des extraits de la correspondance de Théodore de Pharan ; ensuite, sous le titre de Tomus dogmaticus, une compendieuse lettre synodique du monothélite Sergius adressée à Sophronius de Jérusalem; une lettre de Paul de Constantinople au pape Théodore; une lettre de Pierre de Constantinople au pape Vitalien. Rien de tout cela n'intéressait le concile. Les pères se bornaient à interrompre de temps en temps, pour dé­clarer que ce fatras était monothélite et déjà condamné comme tel. Les très-glorieux juges n'en faisaient pas moins conti­nuer la lecture publique. Enfin, en dernier lieu, l'infatigable archiviste Georges qui réservait soigneusement pour la clôture une pièce d'honneur, annonça qu'il venait de découvrir une seconde lettre du pape Honorius au patriarche Sergius de Constantinople. Cette lettre fut lue par fragments. Après quoi, le saint concile dit : « Tous les livres, parchemins, chartes, papiers dont on vient de nous donner lecture sont hérétiques. Nous jugeons leur impiété et leurs profanes erreurs dangereuses pour les âmes : en conséquence nous les condamnons à être brûlés 1. » On les brûla

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1 Labbe, tom. VI, col. 972.

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en effet séance tenante, et la XIIIe session prit fin aux lueurs de ce brasier.

 

52. Cette fois le concile très-réellement n'avait plus rien à faire. Il venait de se déjuger sur la question d'Honorius, d'aider l'archiviste Georges à purifier les cartons de sa bibliothèque, de prouver aux quatre sénateurs présidents a latere une docilité à toute épreuve. Que pouvait-on exiger encore d'une bonne volonté aussi déterminée? Le malfaisant génie byzantin qui inspirait les présidents n'avait pas cependant épuisé toutes ses ressources. Une XIVe session fut tenue le 5 avril, à huit jours seulement d'in­tervalle. Ces huit jours avaient suffi pour l'élection et la consécra­tion de Théophane, abbé sicilien de Baïa, lequel paraît au procès-verbal avec son nouveau titre de patriarche d'Antioche, successeur légitime de Macaire. Du reste, même appareil extérieur, même nombre de pères, même mention des légats du saint-siége à la liste du procès-verbal, et même silence absolu de ces légats dans le cours de la séance. Toujours aussi « letrès-vénérable fauteuil » vide de l'empereur, et de chaque côté les quatre sénateurs prési­dents. Le diacre Constantin, en sa qualité de promoteur, donna connaissance de l'ordre du jour et apprit vraisemblablement à la plupart des pères le nouveau service qu'on attendait de leur dé­vouement. S'adressant aux très-glorieux juges et à l'assemblée : « Votre gloire se rappelle, dit-il, le saint et œcuménique concile n'aura pas non plus oublié que, dans les premières séances, on pro­duisit à leur rang deux volumes en parchemin tirés des archives du patriarcat, et renfermant les actes du Ve concile œcuménique. En tête du premier de ces volumes se trouvaient trois quaternions (cahiers) ayant pour titre : «Discours de Mennas à Vigilius, pape de l'antique Rome.» Ceux qui représentaient le très-saint Agathon pape du siège apostolique, taxèrent cet ouvrage de faux. Ils firent de même au courant de la lecture du second volume, à propos de deux lettres de Vigilius, l'une à l'empereur Justinien de divine mémoire, l'autre à l'auguste impératrice Théodora. Ils arguèrent ces deux lettres de faux et en empêchèrent la lecture. Nous vous rappelons ces faits, afin que vous preniez telle mesure qui pourra

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vous agréer 1. » Voilà donc la nouvelle manœuvre. Un seul pape condamné comme hérétique ne suffisait pas à l'ambition byzantine ; il en fallait un second. Après l'anathème si facilement obtenu huit jours auparavant contre Honorius, on pouvait en espérer un autre contre  Vigilius. Que ne peut la persévérance  dans le despo­tisme? Qui sait pourtant, si l'intrigue avait réussi, combien de siècles se seraient écoulés avant que la mémoire de Vigilius fût dis­culpée, puisque celle d'Honorius est demeurée si longtemps acca­blée sous d'aussi misérables calomnies? Le diacre Constantin, dans son petit discours d'ouverture, méritait encore une fois les bonnes grâces du patriarche Georges, son révérendissime maître. Cepen­dant la finesse la plus déliée ne s'avise jamais de tout; et si quel­qu'un doit être mille fois plus satisfait encore de l'hypocrite harangue du diacre byzantin, c'est l'historien impartial qui découvre enfin, dans ces quelques phrases très-authentiques auxquelles la haine héréditaire de l'Orient contre le  saint-siége dut applaudir, la preuve fort inattendue mais irréfragable de l'absence des légats apostoliques à cette séance. Nous surprenons cette fois les actes offi­ciels en flagrant délit de mensonge. A la page précédente, la liste mentionnait les légats du très-saint pape Agathon comme siégeant en personne, les premiers, et par conséquent, suivant la tradition unanime de tous les conciles, devant aussi les premiers avoir la parole. Or, à la page suivante, par une contradiction manifeste, il se trouve que le diacre promoteur profite de l'absence des légats pour inviter le concile à écouter une lecture précédemment inter­dite par les légats. On croirait entendre un écolier délivré de la présence du maître. Les légats du pape Agathon avaient déclaré faux et apocryphe le discours de Mennas au pape Vigilius, fausses et apocryphes les lettres de Vigilius à Justinien et à Théodora. Ces trois pièces, sur la réclamation très-légitime et très-justifiée des légats, avaient été écartées comme l'œuvre frauduleuse de l'héré­tique Macaire. L'empereur qui présidait en personne la IIIe session où le fait s'était produit, les cinquante évêques qui, à la date du

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1 Labbe, tom. VI, col. 976.

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p370 PONTIFICAT DE  SAINT AGATDON   (G79-G82).

 

10 novembre 680, formaient tout le personnel du concile, avaient admis la parfaite véracité du grief articulé par les légats. Après confrontation des textes, le faux avait été unanimement constaté et conspué. Et maintenant, nous faisons appel à la bonne foi de tous les lecteurs. Si les légats du saint-siége eussent été présents à cette nouvelle séance acéphale où l'on remettait en question et leur autorité et leur considération et leur honneur, à qui fera-t-on croire que ces légats eussent gardé le silence ? Il y a plus, suppo­sez que par impossible les légats eussent été présents, supposez que par trahison, lâcheté, connivence, simonie ou tout autre motif, ces légats présents se fussent laissé insulter sans dire un mot, le concile n'en était pas moins acéphale. En effet, ce n'est pas la pré­sence inerte et muette des légats apostoliques à une assemblée d'évêques qui rend cette assemblée œcuménique, c'est leur prési­dence réelle, la direction qu'ils impriment ou font imprimer aux débats conciliaires, l'approbation ou la désapprobation explicite qu'ils donnent aux actes. Or, depuis la XIe session tenue le 20 mars 681, les légats n'ont plus une seule fois parlé, fait un geste, articulé même une exclamation au sein du concile. Ce concile était donc, en fait et en droit, devenu acéphale, et nous remercions le diacre Constantin de nous en avoir, involontairement sans doute, fourni la preuve péremptoire.


   53. Avant d'adopter la proposition du diacre Constantin, les très-glorieux juges et le concile firent procéder à la lecture du procès-verbal de la précédente séance, puis ils donnèrent leur adhésion formelle au nouvel ordre du jour. « Qu'on apporte, dirent-ils, les deux volumes en parchemin renfermant les actes du Ve concile général déjà présentés à la IIIe session par le diacre et archiviste Georges, afin que nous puissions examiner plus exacte­ment, ôxftSéoTepov Sietyvùjvou, si les falsifications reprochées par les représentants du très-saint Agathon, pape de l'ancienne Rome, existaient en réalité. Nous demandons qu'on nous produise égale­ment le texte authentique de la VIIe session du Ve concile général, conservé aux archives en un manuscrit sur papier formant un vo­lume à part. Après confrontation des textes, il sera prononcé sur

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leur valeur. » L'archiviste s'empressa d'exécuter cet ordre et présenta les trois volumes demandés. Sur la requête des très-glorieux juges et de l'assemblée, il affirma que ces livres étaient bien les mêmes déjà lus à la IIIe session, et il ajouta: « Après une nouvelle et minutieuse recherche dans la bibliothèque du patriar­cat, j'ai découvert un autre exemplaire sur papier des actes du Ve concile général. Si l'assemblée le juge à propos, je le lui pré­senterai. » On accepta cette proposition, et l'archiviste fut invité à attester par serment, la main sur les Évangiles, que ces quatre volumes n'avaient été ni altérés, ni mutilés, ni interpolés par lui ou par d'autres personnes à sa connaissance. Georges prêta ser­ment, et l'on procéda à la vérification. Le quatrième exemplaire, produit en dernier lieu, se trouva réellement authentique. Il ne renfermait ni le discours apocryphe de Mennas à Vigilius, ni les prétendues lettres de Vigilius à Justinien et à Théodora. En con­séquence, le concile fit biffer ces textes dans les trois autres volumes falsifiés, et anathématisa les auteurs quels qu'ils fussent des falsifications. Le plan concerté pour amener la condamna­tion de Vigilius échouait donc misérablement. On peut conjecturer que l'archiviste Georges, tenu en dehors de la confidence, ne savait rien du projet inopinément renversé par sa récente découverte. Les révélations les plus curieuses se succédèrent alors sur les fal­sifications systématiquement pratiquées par la fraude byzantine. Écoutons ces grecs dénoncer eux-mêmes l'impudeur et la mauvaise foi du génie grec. « Macrobe évêque de Séleucie, suffragant du patriarcat d'Antioche, prit la parole : Philippe, maître des milices impériales, dit-il, me fit cadeau d'un exemplaire des actes du Ve concile général. Le voilà. En le lisant, j'y trouvai des falsifica­tions, et j'en fis la remarque au maître des milices. N'avez-vous pas eu l'occasion, lui demandai -je, de le prêter à quelqu'un ? — En effet, répondit-il, je me rappelle l'avoir prêté à l'archimandrite Etienne, disciple de Macaire. — Or, en examinant les surcharges et falsifications de plus près, j'acquis la certitude qu'elles étaient de la main du moine Georges, secrétaire de Macaire. Je connais parfaitement l'écriture de Georges ; Macaire était mon patriarche.

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p372  PONTIFICAT DE  SAINT AGATIION  (G79-682).

 

  Chaque fois que je lui rendais visite, je voyais Georges occupé à écrire sous la dictée de son maître. Je suis donc sûr du fait que j'énonce 1. » Or, quand Macrobe parlait ainsi, le moine Georges était là : il siégeait au rang des abbés comme membre du concile. Les très-glorieux juges dirent : « Qu'on lui présente cet exemplaire, et qu'il dise si réellement les additions faites au sixième folio sont de sa main. » Ainsi interpellé, le moine fut obligé de s'avouer coupable. Mais il rejeta naturellement la faute sur ceux qui la lui avaient commandée. Voici sa réponse, elle renferme quelques détails précieux à recueillir. «Le livre présenté par le très-saint Macrobe, métropolitain de Séleucie, provient en effet du maître des milices impériales, Philippe, qui me le communiqua. Ce Philippe était en relations de voisinage avec le père de l'archimandrite Etienne, aujourd'hui enveloppé dans la catastrophe de l'hérétique Macaire. Or, quand eurent lieu les pourparlers entre Macaire et l'ex-patriarche de Constantinople Théodore, ces deux personnages firent copier les prétendues lettres de Mennas et de Vigilius. Macaire et Etienne ont déjà raconté ce fait. Pour ma part, j'ai exécuté ces copies sur des quaternions qui ont été plus tard offerts à notre très-pieux empe­reur. » (Nous ouvrons ici une parenthèse et nous interrompons un instant la déposition de l'inculpé, pour constater d'après son témoi­gnage la véracité du Liber Pontificalis et des annales d'Eutychius, lesquels nous avaient déjà appris que l'ex-patriarche byzantin Théodore était cosignataire avec Macaire d'Antioche de la profes­sion de foi monothélite remise entre les mains de l'empereur. Cette constatation entraîne nécessairement celle d'une suppression volontairement calculée dans les actes, puisque l'inculpé se réfère à la déclaration explicite du fait antérieurement avoué par Ma­caire et son disciple Etienne. Or, les actes, tels que nous les avons, ne mentionnent nulle part ailleurs le nom de l'ex-patriarche byzantin Théodore. «Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. » Mais restituons la parole au secrétaire épiscopal d'Antioche). « Philippe, continue-t-il, apporta son manuscrit à Etienne pour l'examiner. A mon voyage en Occident,  disait

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1. Labbe, tom. VI, col. 981.

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p373 CHAP.   V.   — SESSIONS  ACÉPHALES.     

 

Philippe, je me suis procuré un exemplaire des actes du Ve con­cile général. Je voudrais savoir s'il est complet. — Non, répondit Etienne, il y manque les pièces relatives à Vigilius. — En ce cas, reprit Philippe, faites-les ajouter sur mon exemplaire. — Ce fut à moi qu'Etienne s'adressa pour ce travail. Je fis la transcription, et je la reconnais parfaitement pour être de ma main. D'ailleurs Macaire et Etienne firent ajouter ces pièces à tous les exemplaires du Ve concile général qui passèrent entre leurs mains. Je me rap­pelle entre autres un manuscrit latin qu'ils disaient avoir acheté six solidi la veuve du patrice Innocentius. Le prêtre Constantin, professeur de langue latine (latinus grammaticus) dans cette capi­tale bénie de Dieu, a eu connaissance de ce dernier fait. On peut l'interroger 1. » Les très-glorieux juges firent en effet comparaître le grammairien. Il déposa en ces termes: «Un jour, le patriarche Paul de Constantinople2 me remit un exemplaire latin des actes du Ve con­cile général. Collationnez-le, dit-il, avec les actes grecs, et voyez s'il est complet. — Je ne tardai pas à m'apercevoir que les lettres de Mennas et du pape Vigilius manquaient dans l'exemplaire latin. Le patriarche me donna ordre de les faire ajouter. Concertez-vous, me dit-il, avec le diacre Antipisiadas. Il a une très-belle écriture, et pourra vous fournir une copie exacte. — Antipisiadas me remit en effet une copie sur laquelle le calligraphe Théodore, demeurant place Saint-Jean-Phocas, exécuta la transcription définitive insérée au manuscrit3. » Ainsi parla le prêtre Constantin, professeur de grammaire latine. Voilà donc un atelier de faussaire à tant la ligne, fonctionnant à Constantinople pour la plus grande joie de ses patriarches, fabriquant de faux actes, dénaturant l'histoire et prodiguant l'outrage aux vicaires de Jésus-Christ. Hélas ! ils igno­raient ces choses, ceux qui en ces derniers temps nous parlaient de «la grande école de falsification » fondée par l'église romaine.

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1 Labbe, tom. VI, col. 982-983.

2. Voici maintenant que le patriarche byzantin désigné comme complice des falsifications de Macaire se nomme Paul. Tout à l'heure il s'appelait Théodore. Des changements subreptices de nom ont vraisemblablement eu lieu ici. — 3 Labbe, tom. VI, col. 984.

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p374  PONTIFICAT  DE  SAINT AGATH0N   (679-682).

 

   Les révélations successives que chaque témoignage apportait, semblent avoir piqué la curiosité des juges et de l'assemblée. On venait de nommer le diacre Antipisiadas comme l'un des complices de fraudes calligraphiques. Il fut mandé et confirma le fait en ces termes: « Le patriarche Paul m'appela un jour, et me dit : Ecrivez sous la dictée du grammaticus Constantin le texte des actes du Ve concile œcuménique. — J'étais l'un des serviteurs du patriarche ; dès qu'il me donnait un ordre, je devais obéir. J'écri­vis donc cette copie et la remis ensuite au grammaticus 1. » Les investigations n'allèrent pas plus loin. « Anathème à tous les falsi­ficateurs ! s'écria le concile, anathème aux monothélites ! gloire éternelle au Ve concile général ! Longues années à l'empereur Constantin, le grand, le pacifique, le conservateur de la vraie foi! » C'eût été là une bonne occasion de nommer le pape saint Agathon, et d'associer aux acclamations pour l'empereur celles qu'une assemblée œcuménique ne manque jamais de formuler en l'honneur du vicaire de Jésus-Christ. Il n'en fut rien pourtant ; les légats du siège apostolique, présents et présidents d'après la liste du procès-verbal, absents et répudiés d'après les témoignages extrinsèques et intrinsèques les plus positifs, ne rappelèrent point ce devoir à l'assemblée acéphale. La séance des falsifications, car elle pourrait s'appeler ainsi, se termina par la lecture d'un texte fort authentique de saint Athanase en faveur du dogme des deux volontés en Jésus-Christ. Au moment où les pères se levaient, Domitius de Prusias réclama un instant d'attention pour signaler au concile la propagande monothélite d'un prêtre et moine du nom de Polychrone, lequel, ardent disciple de Macaire et d'Etienne, exerçait sur le peuple une dangereuse influence. Les très-glorieux juges, heureux sans doute de trouver un nouveau sujet d'occupation pour le concile, se hâtèrent d'annoncer que Poly­chrone serait mandé et comparaîtrait à la prochaine séance 2. »

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon