VIème Concile oecuménique 8

Darras tome 16 p. 344


§ V. Sessions acéphales.

 

42. Deux jours après, le 22 mars, la XIIe session s'ouvrit, disent les actes, « devant le siège vénérable du très-pieux, chrétien et grand empereur Constantin, dont la personne était représentée selon son ordre par les très-glorieux patrices Constantin, Anastase, Polyeucte et Pierre, présents et entendants 1. » Voilà, il faut l'avouer, un sin­gulier protocole pour un concile œcuménique. Mais nous n'en sommes plus à compter les étonnements de ce genre. Le siège de l'empereur, son trône, si l'on veut, était assez vénérable pour que, même vide, il fût le centre de tous les respects. Si un fauteuil avait ce prestige, on devine bien que les quatre hauts personnages repré­sentant la majesté vivante du César absent n'étaient ni moins redou­tés ni moins redoutables. «Ils prirent séance, ajoutent les actes, de chaque côté (ex latere) du vénérable siège impérial. » Tous les évêques présents à la session précédente assistèrent à celle-ci; la liste du procès-verbal constate l'arrivée de trois nouveaux : Straton de

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1 Proposito venerando sessu piissimi et Christo amabilis magni imperatoris Constantini, secundum jussionem ejus, ex persona ej'us prcesentibus et audientibus gloriosissimo, etc. (Labbe, tom. VI, col. 908).

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Soli, Tychon de Citium (île de Chypre), Théodose de Psibeli. Cette liste du procès-verbal, comme toujours, inscrit en tête le nom des trois légats apostoliques, « les prêtres romains Georges et Théo­dore et le vénérable diacre Jean, représentants du très-saint et très-bienheureux Agathon pape de l'antique Rome. »  Les trois évêques de Porto,  Paterno et Rhegium,  délégués  du  synode romain, le prêtre Théodore délégué de Ravenne, et les quatre abbés des monastères de Rome et d'Italie figurent à leur rang. En apparence, tout semble pacifique et régulier, sauf cette étrange délégation de la présidence aux quatre patrices, dont nul ne con­teste le droit ni ne discute l'autorité. Le diacre et notarius Cons­tantin ouvrit comme à l'ordinaire la séance. Mais cette  fois  il s'adressa d'abord aux très-glorieux patrices, puis au concile, et le fit en ces termes : « Préoccupés comme vous l'êtes de soumettre à l'examen le plus minutieux tout ce qui peut conduire à la très-exacte compréhension de notre foi orthodoxe et immaculée, votre gloire sait, et le saint et œcuménique concile se souvient que, dans le cours de la précédente séance, lorsqu'on donna lecture du pré­tendu discours prosphonétique de Macaire, sa sérénité instruite par Dieu même, le très-pieux et grand empereur daigna parler de quel­ques papiers remis entre ses mains par Macaire. Jusqu'ici l'empe­reur ne les a point lus ; il veut les communiquer au concile afin qu'il en soit pris connaissance. Or, le très-glorieux patrice et questeur Jean, chargé par sa sérénité impériale d'apporter ces documents, se tient derrière le voile de la porte attendant de vous un ordre d'introduction. » Les très-glorieux juges et le saint concile jugèrent à propos de laisser attendre le patrice Jean ; ils demandèrent la lecture des procès-verbaux précédents. Sans doute il ne s'agissait que d'un procès-verbal ou compte-rendu sommaire, autrement la lecture eût pris deux jours et deux nuits. Après cette formalité, ils dirent : « Qu'on introduise le très-glorieux patrice et questeur. » Ce haut fonctionnaire fit en quelques mots l'exposé de sa mission. «L'empereur, dit-il, en me chargeant de transmettre au saint con­cile ces codices, a daigné me donner l'ordre de vous assurer en son nom qu'il ne les a points lus, qu'il n'en sait même pas le contenu

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ni le titre. Il les a trouvés au milieu d'une foule d'autres pièces, et ainsi que vous pouvez le voir, il vous les transmet tout scellés1. » Quel pouvait bien être l'intérêt de l'empereur à cette déclara­tion qu'il avait déjà faite lui-même à la séance précédente, que le diacre et notarius venait de répéter encore, et que le glorieux patrice Jean renouvelle avec tant d'insistance dans sa harangue ? Un tel luxe de précautions pour affirmer un fait aussi simple et dégager d'avance si soigneusement la responsabilité de l'empereur, afin qu'il fût bien stipulé que celui-ci n'avait pas lu les pièces, qu'il n'en connaissait pas même le titre, produit sur nous une impression très-exactement contraire à celle qu'on voulait donner aux membres du concile. Qu'importait à la valeur intrinsèque des nouvelles pièces de Macaire, que l'empereur eût pris ou non la peine de les lire? La question était tranchée, quant à l'hérésie du patriarche d'Antioche, depuis la huitième cession. En reprenant partiellement l'examen des divers écrits de ce patriarche, on perdait le temps au pied de la lettre et on suivait une voie anti-canonique. Ce n'était pourtant point par intérêt pour Macaire que l'empereur et le parti grec agissaient de la sorte. Ce personnage trop compromis ne pouvait être réhabilité. Dans sa chute définitive, il entraînait la condamnation posthume des patriarches byzantins Sergius, Pyr­rhus, Paul et Pierre. Quel échec pour le siège de Constantinople, qui disputait à la chaire apostolique de Rome la double prérogative du principat hiérarchique et de l'infaillibilité doctrinale ! Si l'on ne pouvait prévenir ce résultat, il fallait à tout prix en atténuer l'im­portance et placer le siège apostolique dans une situation telle qu'une partie du verdict dirigé contre les hérésiarques monothé-lites allât directement le frapper lui-même. En un mot, si l'on ne pouvait empêcher la condamnation de Sergius et de ses succes­seurs, on ne désespérait pas d'y faire comprendre le pape Honorius. Voilà le piège qui se cachait sous ces diverses manœuvres. La première et la plus habile sans contredit fut la déclaration par laquelle l'empereur, annonçant qu'il ne présiderait plus les sessions

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1 Labbe, tom. VI, col. 913.

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en personne, ajoutait que son absence serait sans inconvénient, puisqu'il n'y avait plus de questions importantes à traiter. Or, il parlait ainsi au moment même où l'on allait saisir le concile de la plus importante, de la plus grave, de la plus vitale de toutes les questions, la condamnation doctrinale d'un pape. Évidemment si quand il tenait ce langage l'empereur eût paru savoir ce qui allait se passer, il aurait assumé vis-à-vis de tout le concile la responsabilité du plus impudent mensonge. Il fallait donc absolu­ment pour le succès de l'intrigue, que l'empereur semblât ignorer le contenu des fameux papiers remis par Macaire. Ce fut en effet le dépouillement de ces papiers qui introduisit, d'une façon en appa­rence fortuite, la question d'Honorius dans les délibérations con­ciliaires. Dès lors, nous comprenons la triple affirmation officielle de l'empereur lui-même, du diacre et notarius Constantin, du très-glorieux patrice et questeur, répétant tous trois, avec une insis­tance d'autant plus suspecte qu'elle semblait plus inutile, que «l'empereur n'avait pas lu les papiers de Macaire, qu'il n'en con­naissait ni le titre ni le contenu. » Et comme preuve de la bonne foi impériale, le très-glorieux questeur montrait aux pères les sceaux intacts apposés sur l’enveloppe.


   43. Le plan était bien concerté. L'exécution fut cependant plus pénible que ses auteurs n'avaient pu le supposer, et beaucoup moins pacifique qu'on ne le croit généralement. «Quand le patrice Jean eut cessé de parler, reprennent les actes, les très-glorieux juges et le saint concile dirent : Qu'on reçoive les codices appor­tés par l'envoyé impérial. » Les notarii du concile les reçurent donc des mains du haut fonctionnaire. L'enveloppe extérieure portait un cachet de cire au monogramme de l'empereur. Chacun des codices était protégé par un cachet semblable. Nous ne voyons pas très-bien comment le sceau impérial apposé de la sorte prou­vait que l'empereur, ou quelque confident en son nom, n'avait pas d'abord pris connaissance de ces volumes. Mais le concile ne fit aucune observation. Il s'associa seulement aux très-glorieux juges pour donner congé au questeur en ces termes : « Le pa­trice Jean a rempli la mission qu'il tenait de la confiance impé-

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riale. Il peut maintenant se retirer1. » Le haut fonctionnaire ne paraît pas s'être rendu à cette invitation, car nous le retrouverons bientôt en fonction dans l’assemblée. Les juges et le concile or­donnèrent ensuite la lecture des fameux codices. Elle fut faite par le lecteur et notarius byzantin Antiochus. La première pièce était le pseudo-discours prosphonétique de Macaire, déjà lu précédem­ment. Juges et concile demandèrent qu'on ne leur en infligeât pas de nouveau l'audition. Le seconde pièce, autant qu'on peut en juger par les quelques lignes initiales, était le récit d'une audience accordée par le patriarche de Constantinople à deux évêques, Zacharie de Léontopolis et Georges d'Adras en Isaurie, délégués près de lui par Macaire. Le patriarche de Constantinople qui avait donné cette audience, était-il le fameux Théodore au rôle si énigmatique? nous ne le savons pas, car dès les premières phrases, les juges firent cesser la lecture, en disant : « Cette pièce est étrangère à la question qui nous occupe. Nous estimons inutile de la produire 2. » Au point de vue historique, cet incident est regret­table ; il nous prive d'un document qui peut-être fournirait son con­tingent de révélations curieuses. La troisième pièce était une lettre de Sergius de Constantinople à l'évêque de Phase, Cyrus, où le monothélisme était ouvertement professé. Le concile en entendit la lecture. Mais il fit supprimer celle de la prétendue lettre du patriarche Mennas au pape Vigilius. « Cette pièce est apocryphe, dirent les très-glorieux juges, nous avons précédemment eu la preuve de sa supposition. » Vinrent ensuite les actes du Ve concile général, version également apocryphe, dont les juges firent égale­ment supprimer la lecture. Tout ce fatras de documents hérétiques ne présentait jusque-là aucun intérêt. Mais ce n'était que le pré­lude. Le lecteur Antiochus arriva enfin à ce titre : « Copie de la lettre de Sergius de Constantinople au pape romain Honorius.» Cette fois on atteignait le but. La lettre fut lue intégralement, elle fut suivie de la réponse d'Honorius, dont la lecture s'acheva de même sans donner lieu à la moindre observation. Quand le lecteur eut fini, les

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1 Labbe, tom. VI, col. 913. — 2. Labbe, tom. VI, col. 913.

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très-glorieux juges et le saint concile dirent : « Il conviendrait d'apporter des archives tous les regesta et écrits dogmatiques adres­sés par Sergius soit à Honorius, soit à Cyrus d'Alexandrie, à Sophronius ou à tous autres, ainsi que les rescrits d'Honorius à Sergius sur la question de dogme, afin de les collationner avec le texte des codices offerts par Macaire au très-pieux empereur notre maître. » L'archiviste Georges, chargé de cette mission, témoi­gna la joie qu'elle lui causait par ces quelques mots : « Je cours aux archives, et suivant l'ordre du saint synode, j'en rap­porterai tout ce que je pourrai trouver en ce genre1. » Le complot marchait à merveille. Pour en seconder le mouvement et l'entourer d'une surabondance de formalités légales, les très-glorieux juges s'avisèrent de députer trois évêques, Jean de Rhegium, Georges de Cyzique et Domitius de Prusias, près du patriarche hérétique Macaire, afin de savoir s'il reconnaissait comme lui appartenant les papiers remis sous son nom par l'empereur au concile. Quand les très-glorieux juges eurent cette belle imagination, ils ne s'aperçurent point sans doute de l'injure qu'ils faisaient à l'empereur en mettant sa parole en suspicion ; d'autre part, ils ne songèrent pas que Macaire, anathématisé comme hérétique et solennellement déposé dans la VIIIe session, se trouvait par rapport au concile dans une situation où d'après les règles canoniques il n'était plus permis de communiquer officiellement avec lui. L'as­semblée ne fit aucune réclamation ; les légats du saint-siége ne dirent pas un mot, du reste ils n'ouvrirent pas une seule fois la bouche durant toute la session, et nous verrons bientôt pourquoi. Enfin les trois évêques désignés, sans en excepter, s'il faut en croire les actes, celui même de Rhegium, l'un des trois délégués du synode romain, ne firent aucune difficulté: ils partirent pour exécuter leur mandat et s'adjoignirent les magnifiques Paul et Jean, secrétaires impériaux avec le religieux lecteur et notarius Agathon. A propos de ces deux magnifiques secrétaires impériaux Paul et Jean, il n'est pas inutile de noter que leur présence à la

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session n'a laissé aucune trace dans la liste officielle placée en tête du procès-verbal. Cette liste ne nomme, en fait de laïques, que les quatre très-glorieux patrices et juges. Pourquoi cette dissimulation? Évidemment la liste est incomplète, ou bien elle aura subi quelque mutilation. A leur retour, les cinq envoyés rendirent compte de leur mission en ces termes : «Selon l'ordre de votre gloire, et celui du saint et œcuménique concile, nous nous sommes trans­portés au palais patriarcal. Là étant entrés dans la cellule où réside Macaire, nous lui avons demandé s'il reconnaissait pour siens les codices en parchemin, le quaternio de papier et les divers opus­cules remis par l'empereur. Après les avoir parcourus, Macaire a déclaré qu'il les reconnaissait parfaitement1. » De son côté, l'ar­chiviste Georges revint avec tous les regesta demandés. La lettre de Sergius à Cyrus fut collationnée par le lecteur Antiochus, assisté du très-glorieux questeur Jean, encore un laïque qui n'avait aucun droit de se trouver là, dont la liste du procès-verbal ne fait nulle mention, et que les actes eux-mêmes nous représentent comme ayant quitté l'assemblée sur l'invitation des juges et du concile après le dépôt officiel des papiers de Macaire. Tout cela, il faut en convenir, est bien étrange. Enfin, la lettre du pape Honorius fut collationnée par le même lecteur Antiochus et par Jean de Porto, l'un des évêques délégués du synode romain. Ceci n'est pas moins étrange. Mais les actes le disent, et ils ne laissent pas même soup­çonner la moindre protestation de la part de cet évêque suburbicaire de Rome, lequel avait assisté au synode romain présidé par Agathon, souscrit avec cent vingt-cinq de ses collègues sa foi à l'infail­libilité dogmatique du saint-siége, et par conséquent reconnu l'or­thodoxie intrinsèque des lettres d'Honorius. Quoi qu'il en soit, les textes furent reconnus conformes. Les très-glorieux juges dirent alors : « Le saint et œcuménique concile doit maintenant déclarer son sentiment sur les écrits de Sergius de Constantinople, d'Ho­norius pape de Rome et de Sophronius de Jérusalem, dont il a entendu la lecture. « Encore ici nous ferons remarquer la préten-

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1. Labbe, tom. VI, col. 936.

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tion exorbitante des très-glorieux juges qui décrètent d'accusation un pape avec une semblable désinvolture, sans même lui faire l'honneur de le nommer au premier rang. Mais du moins cette fois, les légats apostoliques vont faire entendre une protestation indignée. Non. Ils n'assistaient donc pas à cette procédure inouïe, à cette séance impossible où quatre laïques mettaient en accusa­tion la foi d'un vicaire de Jésus-Christ, d'un successeur de saint Pierre? La liste officielle du procès-verbal les cite comme présents. Nous saurons bientôt à quoi nous en tenir sur ce point. Le fait est que les actes ne citent d'eux aucune parole. Le concile répondit aux très-glorieux juges qu'il statuerait dans la réunion prochaine sur les écrits de Sergius, d'Honorius et de Sophronius. Le pape n'obtenait pas du concile un rang plus honorable que celui où l'avaient placé les juges. Ces derniers firent alors une communi­cation solennelle  au  nom  du très-pieux empereur. « Le grand prince notre maître, dirent-ils, espère que Macaire viendra à rési­piscence. Dans ce cas, le concile permettrait-il que ce patriarche, malgré la déposition dont vous l'avez frappé, fût rétabli sur son siège? » Poser une pareille question c'était insulter à la fois le bon sens, le droit canonique, l'assemblée tout entière. Bien qu'habitués à une obéissance passive,  les évêques  orientaux sentirent leur conscience se réveiller sous ce coup de fouet. Ils déclarèrent una­nimement que Macaire ne serait jamais rétabli par eux dans sa dignité épiscopale.   « Au lieu de le réhabiliter, dirent-ils, nous prions l'empereur de l'envoyer en exil. » Les évêques et les clercs du patriarcat d'Antioche s'avancèrent alors près de l'estrade des juges,   et  dirent :   « Nous supplions votre gloire d'obtenir de l'empereur qu'il soit pourvu à la nomination d'un autre patriarche, afin de faire cesser la viduité de notre église. — Les très-glorieux juges répondirent en ces termes : Nous agirons dans le sens de votre requête. De son côté, le saint et œcuménique concile voudra bien dans sa prochaine réunion se prononcer, comme il l'a promis, sur Sergius, Honorius et Sophronius. » Ainsi finit cette ignomi­nieuse séance.

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   44. Arrêtons-nous un instant pour mesurer le chemin parcouru en quelques jours. C’était le 20 mars que les pères avaient impli­citement proclamé l'orthodoxie d'Honorius, et dès le 22, Honorius se  trouve positivement mis  en  accusation, sans  qu'aucun  des membres du concile juge à propos de réclamer. Le 20 mars, l'em­pereur Constantin annonce qu'il ne présidera plus en personne, que toutes les questions importantes sont vidées. Le 22 mars, la cause la plus importante qui puisse  être jamais soumise, à un concile est introduite officiellement. L'empereur n'est pas là ; il n'y a que son siège vide : quatre patrices à latere président sous le titre de  « très-glorieux juges. » L'attitude de ces quatre patrices est remarquable. Au début de la séance, les actes les associent toujours au concile en ces termes : gloriosissimi judices et sancta synodus dixerunt. Mais à la fin, on ne s'astreint même plus à ce  protocole,  et   « les très-glorieux juges » seuls proposent, décident, ordonnent. Ils insistent surtout sur la nécessité pour le concile de juger la mémoire de Sergius, d'Honorius et de Sophronius. Trois fois  ils y reviennent : Sanctum vestrum et universale concilium de Sergio, de Honorio et Sophronio quœ ei visa fuerint pro-sequatur1. — Hoc quidem sancta synodus peragat2. — Vestra sancta synodo in futuro secretario quœ promissa sunt super Sergio, Honorio atque Sophronio opere adimplente 3. Ils osent demander la réhabili­tation de Macaire ; ils se consolent de n'avoir pu l'obtenir, en exi­geant la condamnation d'Honorius. Mais de quel droit ces quatre sénateurs, très-humbles valets d'un césar byzantin, ont-ils jamais pu présider canoniquement un concile œcuménique? En vérité, si quelque chose ici doit nous étonner plus encore que cette mons­truosité historique, c'est le silence absolu gardé sur elle depuis deux cents ans par tous les adversaires d'Honorius. On dirait que les actes du VIe concile ne furent étudiés sérieusement par aucun de ceux qui en ont le plus parlé. Le temps est enfin venu de les montrer tels qu'ils sont, irréguliers, anticanoniques, nuls; dans

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1 Latrbe, tom. VI, col. 936, E. — 2 Labbe, tom. VI, col. 937, A. — 3 Labbe, tom. VI, col. 940, A.

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toute la période où le fauteuil vide de l'empereur présidait les séances, parlait, décidait, tranchait par la bouche de quatre sénateurs a latere. Il n'est donc point question ici d'attaquer l'au­thenticité de ces actes. Nous les régardons comme authentiques. Tout au plus fait-on figurer dans la liste préliminaire des assistants, les légats apostoliques, malgré leur absence, de même qu'on voit ap­paraître dans le cours de queques sessions des laïques dont le nom n'est pas mentionné sur la liste du procès-verbal. Mais ces fraudes sont légères, en comparaison de l'incroyable abus d'un concile présidé par un fauteuil vide et dirigé tyranniquement par quatre fouatoi. Il a fallu tout le servilisme de l'épiscopat byzantin pour se prêter à cette comédie sacrilège. Depuis longtemps ces réflexions nous étaient familières, car depuis longtemps nous avions étudié feuille à feuille le texte grec et latin des actes du VIe concile œcuménique, lu et relu les 334 pages grand in-folio qu'ils absorbent dans le format de Mansi, de Labbe et d'Hardouin. Le concile fut très-réellement acéphale à partir de la XIe session ; la simple inspection des actes le prouve surabondamment. Toutefois il nous paraissait impos­sible qu'un fait si facile à constater n'eût pas été signalé par d'autres que par nous. Il nous paraissait impossible que le secret d'une intrigue ourdie et menée à fin par des grecs, n'ait pas été trahi par d'autres grecs. Le siège de Constantinople, qui devait le plus profiter de l'humiliation du siège romain, avait eu plus tard, dans les autres patriarcats d'Orient, des rivaux et des ennemis. Une indiscrétion venue de ce côté était très-vraisemblable. En dirigeant en ce sens nos investigations, il y avait tout lieu d'es­pérer quelque découverte. Enfin, lors du concile de Florence, l'in­térêt général des grecs était l'union avec Rome pour échapper à l'invasion définitive du mahométisme. Là aussi on pouvait compter sur quelques indications précieuses. Le champ à parcourir était immense, mais un seul mot révélateur, s'il se rencontrait quelque part, suffirait pour compenser le labeur d'une telle recherche. Nos prévisions et nos espérances ne devaient pas être déçues.

 

   45. En l'an 933, deux siècles et demi après la tenue du VIe concile général, à l'époque où le schisme de Photius avait triomphé

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en Orient, le siège patriarcal d'Alexandrie était occupé par Eutychius, l’un des hommes les plus érudits de son temps, et célèbre dans les histoires arabes sous le nom encore aujourd'hui respecté de Saïd-Ibn-Batrik. Il a laissé des annales universelles commençant à la création du monde et finissant à l'an 937 de notre ère. Cet ouvrage écrit en arabe, fut publié pour la première fois avec traduction latine en 1698, à Oxford, par l'orientaliste anglican Edward Pocock 1. Déjà le nom et l'ouvrage d'Eutychius ont été cités par nous, à propos des documents sur le pape Honorius tirés de la dissertation de Fausto Naironi. La valeur historique des An­nales du patriarche alexandrin est d'ailleurs attestée par Georges Hamartolus, qui les cite fréquemment sous le titre de « Chronique d'Alexandrie,» comme une source de renseignements précis et positifs 2. Eutychius lui-même prend soin d'avertir le lecteur qu'il a composé son ouvrage de textes empruntés à tous les ma­nuscrits anciens ou modernes dont il a pu prendre connaissance, qu'il s'est uniquement préoccupé de rechercher partout la vé­rité, juxta accuratam veri rationem 3. Or, dans le court récit qu'il consacre au VIe concile œcuménique, Eutychius s'exprime en ces termes : « Le patriarche de Rome Agabio (Agathon), après avoir reçu de l'empereur les lettres relatives à la convocation d'un sy­node général pour terminer la controverse monothélite, rassembla d'abord cent vingt-quatre évêques d'Occident. Il choisit ensuite trois légats du nombre des prêtres et des diacres qui le servaient à l'autel du Seigneur, et les fit partir pour Constantinople avec quelques représentants du synode romain. A leur arri­vée, ils furent admis à l'audience impériale. Constantin de son côté convoqua cent soixante-neuf évêques orientaux, lesquels ajoutés aux cent vingt-quatre du synode romain représentés par

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1 Edward Pocock, anglican, théologien et orientaliste, né à Chivaly dans le Berkshire en 1604, successivement chapelain de la factorerie anglaise d'Alep, puis professeur d'arabe et d'hébreu à Oxford, mourut dans cette dernière ville en 1691.

2. Cf. Georg. Hamartol., Chronic, lib. IV, cap. r.cxxvn; Patr. grœc, tom. CX, col. 834; A. Eutych., Annal.; Patr. grœc, tom. CXI, col. 1090, A.

3 Eutych., Annal., Prœfat.; Patr. lat., tom. CXI, col. 967.

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délégués forment un total de deux cent quatre-vingt-douze. Mais les évêques orientaux répudièrent les trois légats envoyés par le patriarche de Rome Agabio, at rejectis tribus diaconis qui ab Agabio patriarcha Romano missi fuerant. Le patriarche Georges de Constantinople demeura président de ce VIe concile, fuitque hujus concilii sexti prœses Georgius patriarcha Constantinopoleos. On prononça l'anathème contre Macaire d'Antioche, Cyrus d'Alexandrie, Honorius patriarche de Rome, Théodore, Paul et Pierre de Constanti­nople 1. » Voilà donc enfin nettement articulé le fameux secret des sessions acéphales du VIe concile œcuménique. Les trois légats du siège apostolique en furent exclus : rejectis tribus diaconis qui ab Agabio patriarcha romano missi fuerant. Toute l'intrigue fut conduite par Georges de Constantinople. Ceci nous explique le silence gardé par les légats dans les circonstances les plus graves et les plus décisives. Ils avaient été répudiés, exclus, rejetés des séances. Leur nom cependant figure sur la liste officielle qui précède chaque procès-verbal. C'est une fiction mensongère. Par un procédé en sens inverse, le nom de Théodore de Constantinople manque abso­lument dans les actes, pendant qu'Eutychius, confirmant explici­tement la donnée du Liber Pontificalis, mentionne cet ex-patriarche parmi les monothélites compris dans la condamnation et l'ana­thème.

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