La foi chrétienne hier et aujourd’hui 66

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   La notion de fils‑de‑Dieu qui, à travers l'explication de la résurrection et de la croix par le psaume 2, est entrée de cette manière et sous cette forme dans la confession de foi en Jésus de Nazareth, n'a vraiment rien de commun avec l'idée hellénistique de l'homme divin; elle ne saurait en aucune façon être expliquée à partir d'elle.

 

Elle représente plutôt la deuxième étape de démythologisation de l'idée orientale de roi, que l'Ancien Testament avait déjà démythologisée une première fois. Elle désigne Jésus comme le véritable héritier de l'univers, comme l'héritier de la Promesse, en qui est accompli le sens de la théologie davidique.

 

En même temps, il apparaît que l'idée de roi, appliquée ainsi à Jésus à travers le titre de fils, se rencontre avec l'idée de serviteur. En tant que roi, il est serviteur, et en tant que serviteur, il est roi. Cette compénétration, fondamentale pour la foi au Christ, est préparée dans l'Ancien Testament, quant au sens, et même quant à la terminologie dans la traduction grecque.

 

Le mot pais, employé pour désigner le serviteur de Dieu, peut aussi signifier enfant. A la lumière de l'événement du Christ, cette double signification devait devenir une indication sur l'identité interne des deux sens en Jésus 16.

 

   L'équivalence entre fils et serviteur, entre gloire et service, à laquelle l'on aboutit ainsi et qui amena une interprétation toute nouvelle de l'idée de roi et de l'idée de fils, a trouvé sa formulation sans doute la plus grandiose dans la lettre aux Philippiens (2, 5‑11), donc dans un texte qui est encore né entièrement sur le sol du christianisme palestinien.

 

Il renvoie à l'exemple fondamental des sentiments de Jésus, qui ne retint pas jalousement l'égalité avec Dieu, qui lui revenait de droit, mais qui s'est engagé dans l'humble condition de serviteur, jusqu'à la totale dépossession

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de lui-même.

 

Le terme evacuatio employé par le texte latin, signifie qu'il s'est “vidé complètement” renonçant à être pour soi, il est entré dans la pure dynamique du “pour ». Mais, continue le texte, par là‑même il est devenu le Maître de l'univers, de tout le cosmos, devant qui ce dernier accomplit la proskynèse, c'est‑à‑dire le rite et l'acte de soumission, auquel seul le roi véritable a droit.

 

Celui qui obéit librement apparaît alors être le véritable Seigneur; Celui qui s'est abaissé jusqu'à l'extrême limite de la dépossession de soi est devenu par là‑même le Seigneur du monde.

 

Ce que nos considérations sur la Trinité nous ont déjà fait découvrir, nous le retrouvons ici à partir d'un autre point de départ: celui qui ne tient absolument pas à soi, mais qui est pure relation, coïncide par le fait avec l'Absolu et devient Seigneur.

 

Le Seigneur devant qui tout genou fléchit est l'agneau immolé, représentant une existence qui est pur acte, pur « être‑pour”. La liturgie cosmique, l'hommage d'adoration de l'univers se déploie autour de cet Agneau (Ap 5).

 

   Mais revenons encore à la question concernant le titre de fils‑de‑Dieu et sa place dans le monde antique. Car il faut noter que ce titre a tout de même un parallèle, linguistique et réel, dans le monde hellénistique romain. Mais ce parallèle n'est pas l'idée de l' “homme divin”, qui n'a rien à voir avec lui.

 

Le seul parallèle réel, dans l'antiquité, de la désignation de Jésus comme Fils de Dieu (qui est l'expression d'une nouvelle conception de la puissance, de la royauté, de l'élection, et même de la condition humaine) se trouve dans la désignation de l'Empereur Auguste comme “fils de dieu” (Théu uios= Divi [Cœsariss filius) 17.

 

Nous trouvons ici de fait exactement le mot par lequel le Nouveau Testament décrit la signification de Jésus de Nazareth. C'est dans le culte romain de l'Empereur, et en lui seulement, que revient, à la fin du monde antique, en même temps que l'idéologie royale de l 'Orient, le titre de “fils de dieu”; ce titre n'existe nulle part ailleurs et ne peut exister en raison de la multiplicité de sens du mot « Dieu 18”.

 

Il ne fait son apparition que là où l'on revient à l'idéologie royale orientale, lieu d'origine de cette désignation. Autrement dit, le

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titre de “fils de dieu” appartient à la théologie politique de Rome; il renvoie donc à un contexte originel identique à celui qui, nous l'avons vu, a donné naissance au « Fils de Dieu” néo‑testamentaire.

 

 Les deux désignations proviennent de fait, bien que indépendamment l'une de l'autre et par des voies différentes, du même terroir et renvoient à une même et unique source. Nous retiendrons donc que, dans l'Ancien Orient, et à nouveau dans la Rome impériale, l'expression “fils de Dieu” fait partie d'une théologie politique.

 

Dans le Nouveau Testament, cette formule, déjà réinterprétée par Israel à l'intérieur d'une théologie de l'élection et de l'espérance, a été une fois de plus transformée par son intégration dans une nouvelle dimension de la pensée.

 

A partir de la même racine ont donc poussé des plantes tout à fait diverses dans le débat, qui devait devenir très vite inévitable, entre la confession de Jésus comme Fils de Dieu et la confession de l'Empereur comme fils de Dieu, s'opposaient pratiquement le mythe démythisé et le mythe resté mythe.

 

La prétention de domination universelle de l'Empereur-dieu romain était naturellement incompatible avec la théologie royale et impériale complètement transformée qui anime la confession de Jésus comme “Fils de Dieu”. Aussi la martyria (témoignage) devait‑elle devenir le martyrium, la provocation contre la déification du pouvoir politique 19.

 

© Robert Hivon 2014     twitter: @hivonphilo     skype: robert.hivon  Facebook et Google+: Robert Hivon