Augustin 31

CHAPITRE XI

 

1.      La conférence ouverte le 1er juin. - 2. Les donatistes veulent que l'on fasse comparaître tous les catholiques pour vérifier l'exactitude des signatures portées à leur mandat. - 3. Les donatistes n'acceptent pas la faculté qui leur est laissée de prendre tous place à l'assemblée ; ils nomment leurs délégués pour soutenir leur cause. - 4, Ils sont convaincus de quelques faux dans les signatures du mandat donné à leurs défenseurs, et de mensonge à propos de l'évêque Quodvultdeus. - 5. Au jour fixé pour la seconde conférence, il ne se présente que les sept évêques donatistes délégués pour défendre leur cause, tandis qu'il s'en trouve dix-huit du côté des catholiques, - 6. On accorde un délai aux donatistes.

 

1. Le jour fixé pour la conférence, c'est-à-dire le ler juin 411, qui était cette année, un jeudi, Marcellin se rendit avec des hommes de différente dignité, à savoir vingt officiers de l'ordre judiciaire, quatre notaires ecclésiastiques, deux catholiques et deux donatistes, au lieu de la réunion qui était les thermes de Gargilies. De tous les évêques catholiques réunis à la porte de la salle, il ne fit introduire que leurs dix-huit délégués, et admit tous les donatistes (1). Les donatistes mirent donc de côté cette arrogance avec laquelle quelques années auparavant, ils n'avaient cessé de répéter qu'il est indigne que les fils des martyrs prennent place à la même assemblée que les fils des traditeurs qui avaient livré les saintes Écritures (2). Marcellin commença par faire lire les rescrits de l'empereur et ses propres ordonnances, ainsi que les différentes lettres que lui avaient adressées les évêques des deux communions. Mais comme dans sa première ordonnance, Marcelin avait fait aux schismatiques la promesse d'accepter, dans cette affaire, un assesseur de leur choix, Pétilien répondit qu'il ne convenait pas, que ceux à qui l'on avait donné un défenseur s'en choisissent eux-mêmes un autre (3). Mais ils trouvèrent dans leur propre conscience et dans leurs propres appréhensions un second juge beaucoup plus perspicace et plus sévère que celui que leur avait donné Honorius (4). Ils n'avaient pas même encore exposé leur cause, que ce juge l'avait déjà jugée lui-même avant tout autre. La lecture de ces écritures terminées, Émérite prétendit que déjà l’époque fixée pour la conférence et les quatre mois prescrits par l'empereur étaient passés depuis le 19 mai (5). Mais Marcellin leur apprit que l'on avait jusqu'au ler juin, et dit que les quatre mois écoulés, il pouvait en ajouter encore deux (6), ce qui cependant n'empêcha pas les donatistes d'accuser plus tard les catholiques de ne s'être pas rendus à l'appel au jour prescrit : c'est ce qu'ils dirent particulièrement le second jour de la conférence; mais les catholiques les confondirent avec la plus grande force (7). Leur tentative n'eut ainsi d'autre résultat pour eux que de montrer à tout le monde on ne peut plus clairement combien ils craignaient qu'avant même qu'on en vînt au fond de l'affaire, on ne vit la faiblesse de leur parti et la force des catholiques. Marcellin s'était plaint que les donatistes suscitaient des chicanes indignes de l'importance du procès que l'on instruisait. Aussi lui demandèrent-ils de mettre de côté tous ces procédés qui sentaient le barreau, et d'ordonner de n'avoir recours qu'à l'autorité des Écritures (8). Marcellin était d'avis que l'on commençât la procédure par l’élection des personnes, ce que les donatistes n'avaient pas encore fait en sa présence; ils prétendaient, en effet, que c'était une formalité qui sentait le barreau, et que, par conséquent, on devait rejeter comme les autres. Néanmoins, comme pressé par les donatistes, il avait demandé aux catholiques

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4      Carth. II, ch. XLVIII-L.

 (1) Conf. CarM. 1, eh. 1. (2) Aux donatistes ap'è$ la C0?'1.~ n. 1-39. (3) Conf. cle Carth. I, eh. vi-vii. (4) Aux ìònatì*stes après la conf. n. 46. (5) Conf. Carth. I, eh. xxix. (6) Conf. eh. xxxvi. (7) Conf. (8) La mèrne, eh. xxx-xxxi.

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s'ils préféraient procéder à la manière des jugements publics ou ne s'appuyer que sur l'autorité des Écritures, il lui avait été répondu que le mandat contenait la volonté de tous les évêques et qu'il ne leur était pas permis d'en outre-passer les termes; cependant l'affaire ne dépendait pas de la procédure du barreau. Marcellin obtint enfin que cette réponse serait lue en public, malgré l'opposition des donatistes qui répétaient que cette formalité n'était pas du tout nécessaire, puisque, dit Émérite, toute l'Église est dans l'unité (1). Après la lecture du mandat, ils reconnurent, de bonne foi, qu'il excluait toutes les formalités du barreau et les procédures du forum; et que ce qu'ils avaient à faire était de répondre aux catholiques par les textes de la loi divine (2). Mais ils oublièrent bientôt cette promesse.

2. Après la lecture du mandat, ils demandèrent que l'on fit entrer ceux qui y avaient mis leur signature de peur que, parmi les signatures, il ne s'en trouvât d'apocryphes de la main de quelques clercs inférieurs. Les catholiques soupçonnèrent les donatistes, qui n'avaient osé jusque-là exciter aucun tumulte, dans la crainte que la honte n'en retombât sur eux, qui formaient presque seuls toute l'assemblée, de vouloir y appeler les catholiques, afin que, le tumulte qui pouvait naître peu à peu dans cette multitude d'assistants, leur fournit l'occasion de se retirer de la conférence (3). C’est pourquoi ils s’y refusèrent jusqu'à ce que les donatistes eux-mêmes eussent proposé de placer les leurs d'un côté et les catholiques de l'autre, en sorte que s'il s'élevait quelque trouble, la faute n'en pût cependant retomber sur les innocents. Mais ensuite on comprit que les donatistes ne voulaient retenir les catholiques présents que parce qu'ils ne pouvaient croire que le nombre de ceux qu'ils n’avaient pas vu entrer dans la ville avec pompe et apparat était aussi grand que celui des signataires. Aussi les évêques catholiques consentirent-ils à ce qu'on fît venir leurs collègues qui, par hasard, s'étaient réunis dans une église (4). Mais comme il pouvait s'en trouver quelques-uns d'absents, Alype promit de les amener le lendemain. Cependant on introduisit ceux qui étaient aux portes de l'assemblée, et qui y avaient certainement été appelés à dessein. Aucun de ceux qui avaient placé leurs signature au bas du mandat ne se trouva absent, excepté ceux qui étaient malades à Carthage. Dans cet examen des signatures, les schismatiques faisaient un crime aux catholiques de ce que, dans les endroits où ils ne comptaient eux-mêmes qu'un seul évêque, ils en avaient quelquefois deux ou même davantage (5). De leur côté, les catholiques prouvaient qu'il en était de même des donatistes. Ils se reprochaient réciproquement les uns aux autres d'avoir établi des évêques dans des villas, des propriétés, des campagnes, et même dans des endroits où il n'y avait point de peuple (6). Enfin ils se reprochaient mutuellement ce qu'ils avaient eu à souffrir les uns des autres. Mais Marcellin arrêtait, autant qu'il le pouvait, ces récriminations qui n'avaient aucun rapport avec la question. À la proclamation du nom de Félicien de Mustis autrefois de la secte des maximianistes, Alype insista pour que les donatistes reconnussent publiquement qu'il était des leurs (7); mais ils le refusèrent. Un évêque catholique signa pour un autre nommé Paulin, qui était présent, mais ne savait pas écrire (8).

3. Après la lecture de tous les noms des catholiques, Marcellin pria les évêques de s'asseoir, sans doute parce qu'il lui répugnait d'être assis quand eux-mêmes se tenaient debout. Les donatistes refusèrent cet honneur qui leur était offert, tout en s'adressant ainsi qu’à Marcellin les plus magnifiques éloges (9). Mais quoiqu'ils lui prodiguassent, dit saint Augustin, les titres d'honorable, de juste, de vénérable et de bienveillant, néanmoins ils ne voulaient pas aborder devant lui l'affaire pour laquelle on s'était assemblé en si grand nombre (10). On les contraignit cependant enfin à choisir les défenseurs de leur parti, ou pour parler plus justement à

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(1) La MÔM8, Ch. XLVIL (2) La même eh. vii. (3) La môme, ch. LXXXI-LXXXIII, LXXXIV. (4) La même, ch xxix. (5) La même, eh. i,xv-cxvii. (6) La même, eh. CLXXI-CLXXIL (7) La môme, eh. cxxir, BARoN., Conf.

1, eh. xii. (8) Conf. Carth. 1, eh. cxxxiii. (9) La même, eh. CXLIV-CXLV. (10) BRrVIC., Conf. 1, eh. mir.

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faire connaître ceux à qui ils avaient confié ce soin depuis le 25 mai (1). On lut donc le mandat concernant cette affaire et fixant à sept le nombre des délégués chargés de leur défense. Augustin en fit ajouter sept autres pour assister les premiers dans la dispute, et quatre autres pour veiller à la garde des registres, comme on le voit à la fin de la première conférence (2). 


4. Après le mandat, on lut les signatures, à la demande des catholiques et surtout des schismatiques (3), qui le demandaient instamment à Marcellin prouvant ainsi que pour eux toute la valeur de leur cause reposait sur le nombre des signatures, quoique Marcellin eût dit qu’il ne s'agissait nullement de nombre et qu'il se contenterait du témoignage des dix premiers répondant de la vérité des autres signatures, ce dont les catholiques se contentaient également : mais il fallut condescendre aux caprices des donatistes. Félix qui avait signé le troisième, se disait évêque de Rome (4). Les catholiques ne s'arrêtèrent à ce détail, que pour dire qu'on devait conserver son droit à Innocent (5). On lut les noms de quelques évêques qui ne s'étaient jamais rendus à Carthage, mais, pour qui on avait signé, bien que le mandat, était-il écrit, fût adressé par les évêques présents à d'autres évêques présents (6). Ainsi, Manilius, prêtre de Bazia, signa à la place de son évêque qu'une ophtalmie avait empêché de venir, mais sans même écrire le nom de cet évêque (7). De même, on trouve la signature du prêtre Rufin à la place de celle de son évêque Julien absent (8). On trouve encore quatre autres évêques qui avaient signé pour leurs collègues restés malades en route (9). Quant à Félix de Zumma on ne trouva ni que ce fut lui qui eût signé ni qu'un autre avait signé pour lui, en sorte que les donatistes après s'être concertés furent contraints de dire qu'on avait peut-être confondu son nom avec celui d'un certain Félix de Lambessa qui était alors malade, et absent (10). Mais ils avaient dit auparavant que ce Félix de Zumma avait été retenu par la maladie (11). Novat évêque catholique de Sétif, voyant un Donat se porter comme évêque de cet endroit qui était sous sa juridiction, affirma qu'il n'y avait là ni évêque donatiste ni même aucun donatiste (12). De même Asellique, évêque de Tusuris, affirma sous la foi du serment que le 29 avril, date de son départ d'Arzuque, pays situé vers le midi de l'Afrique, Victorien qui se disait évêque des donatistes d'Agues, n'était qu'un simple prêtre qui avait dû être sacré évêque en route, quoiqu'il fût accusé d'adultère et que sa cause ne fût pas encore jugée (13). 


5. Ce qui arriva à Quodvultdeus, évêque de Cestes, paraît tout particulièrement digne de remarque (14) en ce qu'il le convainquit du mensonge le plus évident (15). En effet, comme la signature de cet évêque se trouvait avec celle des autres, comme s'il l'eût donnée à Carthage, quoiqu'il n'eût pas répondu à l'appel de son nom, lorsqu'on demanda où il était, des donatistes dans leur trouble déclarèrent qu'il était mort en route. Les catholiques leur ayant demandé comment il avait pu signer, à Carthage, puisqu'il était mort en route, ils furent longtemps décontenancés et troublés et ne savaient que répondre. En effet, ils commencèrent par dire que la signature n'était point de lui, mais d'un autre. Les catholiques croyant que, par cet autre, ils voulaient parler d'un clerc qui avait signé pour le mort, demandèrent s'il avait signé son nom ou le nom du mort. Mais ensuite les donatistes répondirent que c'était bien lui en personne qui avait signé le vingt-cinq mai, époque à laquelle se fit le mandement, qu'il était déjà malade quand il signa et qu'il mourut pendant qu'il était en route pour retourner chez lui. En entendant cela, les catholiques se firent relire le contexte du mandat pour mettre la contradiction des donatistes en plus vive lumière. On fit ce que demandaient les catholiques et comme la contradiction 


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(1) Conf. Carih. 1, Ch. CXL111. (2) Conf. de Carth. I, ch. ccxviii. (~) La môme, ch. CLII-CLIV,-CLXV-CLXXV (4) La môme, ch. CLVIII. (5) La même, Ch, C]LXI-CLXIII. (6) BREVIC., C(~-îèf. 1, eh. xiv. (7) Conr. Carth. 1, ch. CLXXXII-CLXXXIII. (8) La m ême , ('11. CLCIII-CXCV. (9) La mêm~,,, ch. ccv ii-ccix. (10) La même, ch. cc-cci. (11) La même, ch. cxiv. (12) La même, ch. cciii-cciv. (13) Lu même, ch. ccvii-ccviii. (14) La mêwe, ch. ccvii-ccviii. (15) Lettre CXLI. 
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apparaissait flagrante, le magistrat demanda aux donatistes s'ils voulaient bien certifier, sous la foi du serment, qu'il était à Carthage, quand ceux qui s'y trouvaient également firent souscrire le mandement par les évêques présents. Plus troublés que jamais à cette proposition, ils répondirent : « Après tout, qu'importe qu'un autre ait signé pour lui ? » Leur fausseté était découverte ; le magistrat la laissa an jugement de Dieu et fit continuer la lecture des signatures (1). C'est ainsi que les donatistes qui avaient voulu qu'on examinât les signatures des catholiques parce qu'ils espéraient en surprendre de fausses dans le nombre (2) s'embarrassèrent dans leurs propres filets. Or, au milieu de cette discussion, Pétilien ayant dit un peu froidement : « Un homme ne peut-il mourir ?» Alype répondit : «Mourir, oui; tromper, non (3).» Après la lecture des signatures des donatistes, Alype offrit d'ajouter seize évêques catholiques pour signer le mandat outre les quatre qui se trouvaient dans la ville retenus par la maladie (4). Il arriva ainsi que dans le compte des évêques, le nombre des catholiques dépassait celui des donatistes. On les congédia tous, excepté les trente-six qui avaient été choisis pour la conférence (5). Mais comme il était déjà onze heures c'est-à-dire six heures du soir, Marcellin, du consentement des parties, remit la conférence au surlendemain, samedi, 3 juin, afin que ce qui avait été dit et seulement noté pût être rédigé et mis en ordre pendant cet intervalle de temps (6).

 

6. Le lendemain, c'est-à-dire le 2 juin 411, qui était un vendredi, les avocats des donatistes, qui s'arrogeaient le titre de défenseurs de la vérité de l'Église, présentèrent à Marcellin un rapport dans lequel, après avoir exposé que les actes de la dernière conférence étaient trop longs pour être transcrits en si peu temps, ils demandaient qu'on leur délivrât une copie du mandat des catholiques afin de se tenir prêts à soutenir la cause qu'ils avaient entreprise (7). Marcellin la leur fit donner. La lecture les jeta, comme ils l’ont eux-mêmes avoué, dans un grand trouble (8) ; il ne leur venait à l'esprit aucune réponse à faire. Ensuite, quoiqu'ils se fussent engagés par promesse à continuer la conférence, le jour suivant, 3 juin, ils changèrent d'avis, espérant que, par quelque retard, ils pourraient se remettre. Cependant, sept seulement de leurs délégués se rendirent à la salle des réunions, le 3 juin, pour défendre leur cause, tandis que nul ne manquait parmi les dix-huit délégués catholiques (9). Marcellin les pria de nouveau de s'asseoir, les catholiques obéirent aussitôt; mais les donatistes non-seulement refusèrent cet honneur, mais aussi soutinrent qu'il leur était défendu, par les lois divines, de s'asseoir avec les catholiques. Les évêques catholiques ne firent aucune attention à cela de peur de consumer le temps à disputer sur des choses qui ne se rapportaient en rien au sujet principal. Aussitôt cependant tout le monde se leva. Puis Marcellin lui-même ayant fait retirer son siège, se tint debout, en disant que le respect qu'il devait à des évêques l'empêchait de s'asseoir, tandis qu'ils demeuraient eux-mêmes debout (10). Les donatistes, par cette manière d'agir, montraient assez leur arrogance. Dans la troisième conférence, les catholiques, à l'occasion de quelques lettres écrites par ceux à qui ils répondaient, blâmèrent cette vanité ridicule. Ils interprétaient mal les Écritures. Si, ces paroles d'un psaume, « Je ne me suis pas assis dans l'assemblée des impies» les empêchaient de s'asseoir avec ceux qu'ils voulaient désigner par ce mot, les impies, ils ne devaient pas, non plus, entrer dans le même endroit, selon les paroles du même psaume qui continue ainsi: « Et je n'entrerai pas avec ceux qui pratiquent l'iniquité (Ps., xxv. 4). » Mais puisqu'ils n'avaient pas hésité à entrer avec eux dans le même endroit, ils ne devaient pas non plus refuser de s'y asseoir avec eux (11).

 

7. On lut donc en présence de Marcellin et des autres membres de l'assemblée la note présentée la veille par les donatistes (12). Le

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(1) BREVIC., Conf., 1, eh. xiv. (2) Aux donat. aprèe la Conf. D. 56. (3) Conf. Carth. 1, eh. ccv. (4) La méme, eh. ccxi-ccxiii. (5) La même, eh. ocxvi. (6) La même, ch. coix. (7) La même, Il, eh . XII. (8) La même, ch. xxxiii-xxxvi. ffi La méme, eh. 11. (10) La même, ch. iii-iv. (11) Conf. iii, a. iS. (12) Con[. Carth. 11, eh. xii.

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président demanda ensuite si chaque évêque était prêt à mettre sa signature en bas de ces paroles (4). D'abord les donatistes prétendirent que ce n'était pas la coutume ; puis, ils promirent de répondre lorsqu'on leur aurait mis entre les mains une copie des actes de la dernière conférence qui n'étaient pas encore entièrement rédigés, disant qu'ils désiraient, avant de pousser l'affaire plus loin, les relire et les examiner à loisir, ce qu'ils ne pouvaient faire sur de simples notes, puisque d'ailleurs on ne connaît rien aux notes prises par les autres (2). Tout cela était pour perdre le temps et empêcher qu'on en vînt à l'examen de l'affaire (3). Les catholiques répondaient en disant qu'ils auraient dû, dans la première conférence, prévoir, qu'ils auraient besoin d’une copie de ces actes et ne pas promettre de se rendre avant de savoir s'ils seraient prêts, que maintenant qu'ils avaient donné leur parole, il n’était pas juste d'ajourner et enfin que la veille, en demandant le mandat des catholiques, ils n'avaient point fait mention d'autre chose (4). De plus, la dernière conférence avait été consacrée tout entière à l'examen des signatures des évêques et à diverses autres choses semblables, plutôt qu'à quoi que ce fût de la moindre importance (5). Mais, loin d'être satisfaits de tout cela, ils objectaient d'une manière désagréable, comme ils l'avaient fait la veille, que le jour fixé pour la conférence était écoulé depuis le 19 mai (6). Enfin, comme ils persistaient à demander un délai, Augustin obtint du juge qu'on le leur accordât (7). Ce qu'ils demandaient, il est vrai, n'était pas injuste, mais, comme ils s'étaient engagés, par promesse, à poursuivre l'affaire ce jour-là, il n'y avait plus lieu de tenir compte de telles demandes (8). Marcellin leur accorda cependant ce délai, mais presque à contre-cœur (9), et, sur la promesse que firent les notaires, d'achever les pièces déjà corrigées (10), les donatistes promirent de les signer (11) et admirent enfin le point capital auquel ils s'étaient d'abord refusés (12). Ils savaient, en effet, que s'ils refusaient de mettre leurs signatures au bas de ces actes, il serait évident qu'ils avaient été retenus par la crainte d'être convaincus par leurs propres paroles. C'est pourquoi ils jugèrent préférable d'obscurcir eux-mêmes leurs propres paroles et d'y chercher des difficultés que de commencer par les condamner. Les donatistes s'étant engagés à signer les actes, les notaires donnèrent l'assurance que si les autres étaient signés le jour même ou le lendemain, vu le travail de jour et de nuit des copistes pour les achever, ces actes seraient publiés le 7 juin (13). Alors catholiques et donatistes promirent de se réunir en assemblée le jeudi, 8 juin, pour traiter enfin l'affaire en question (14). Marcellin accorda aussi aux donatistes, sur leur demande, que de grand matin, le jour fixé plus haut, on remettrait aux deux parties la copie des deux conférences; on devait témoigner par écrit que ces conditions avaient été remplies (15). Ainsi se termina la seconde conférence par la promesse du tribun, de promulguer l'édit d'ajournement du jugement, accordé aux donatistes sur leurs prières (16). Alype avait fait la même demande, parce qu'il craignait que les donatistes ne prissent de là l'occasion de soulever le peuple, par de fausses rumeurs, comme cela était arrivé la veille. Or, pendant cette discussion, Augustin ayant une fois appelé les donatistes du nom de frères, ce mot mécontenta Pétilien qui s'en plaignit comme d'une injure (17). Les notaires firent preuve d'une diligence qui surpassa leurs promesses (4 8), car le 8 juin, à trois heures, c'est-à-dire selon notre manière de compter en Gaule, vers les neuf heures du matin, ils portèrent aux donatistes les actes des deux conférences dans l'Église qu'on appelait Théoprépie. C'est Montan de Zama qui leur en a donné un reçu par écrit. Deux heures après, ils les apportèrent aux catholiques, dans l'Église de Sainte Restitute. Fortunatien de Sicea en donna

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(t) La [même, eh. xiii. (2) La môme, ch- xvi-xx-xXX,11-XXXVIII-XLIII. (3) La môme, ch. xxxvI. (4) La môme, Ch. XLIX. (5) La même, ch. XL. (6) La même, eh XLVIII-L. (7) La même, ch. LVI. (8) La même, ch. LXVI. (9) La MÔM,8, LXI. (10) La même, ch. Lxiv. (11) La_même, ch. LXIV. (t2) Aux donatistes après la Conl. n. 15. 1.3) Conf. Carth. II, ch- LXV. (14) La même, Ch. LX-1 LXVIL (15) La même, ch. LXVII-LXV11I.(l 6) La même, Ch. LXXII

 LXXIII. M) Là c ème ch. XLIX-L. (M La même III eh iii

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un reçu par écrit (3). Mais sur leur reçu, les schismatiques dirent que ces deux conférences avaient été assemblées contre les traditeurs et leurs persécuteurs. Les deux parties promirent de revenir le jour fixé, à la troisième conférence. Il n'est pas douteux que Marcellin, pour dégager sa parole, fit afficher publiquement le rapport des deux conférences à mesure qu'on le rédigeait, et il ne faut peut-être point rapporter à autre chose l’édit mentionné en tête de la seconde conférence où il déclare qu'il veut promulguer, selon sa promesse, ce qui s'est déjà passé dans l'assemblée des évêques et la partie du débat qui avait eu lieu en présence de tous.

 

CHAPITRE XII

 

1. Dans la troisième conférence du 8 juin, les donatistes insistent pour que l'on s'occupe de savoir qui sont les demandeurs et que l'on examine les mandats des catholiques pour la demande de la conférence. - 2. Ils reconnaissent que l'Eglise catholique est celle qui est répandue par toute la terre. - 3. On lit différents actes pour découvrir quels sont les demandeurs, et on arrive ainsi contre le gré des donatistes au point capital de l’affaire. - 4. Les donatistes font paraître un libelle traitant selon eux de la pureté de l'Eglise. - 5. Augustin le réfute et termine ainsi la controverse sur ce sujet important.

 

1 - Le 8 juin, on se réunit en conférence à l’aube du jour, selon ce qui avait été convenu. Marcellin fit introduire les dix-huit catholiques, comme précédemment, et seulement les onze donatistes qui se trouvèrent là présents et déclara ensuite qu’écartant tout subterfuge, tout retard inutile, on allait enfin en venir au fond même de la question. Aussitôt, les catholiques déclarèrent que, puisque dans leurs mandats, les donatistes les avaient traités de persécuteurs et de traditeurs, c'était à eux d'appuyer leurs accusations sur de légitimes arguments, et de faire connaître, en général, les motifs qui les avaient portés à se séparer de l’Église (2). Les schismatiques répondirent que l'on devait commencer par examiner quels étaient, dans l'affaire, les demandeurs et les défendeurs. Pour le savoir, on devait considérer par qui la conférence avait été demandée (3). Ils insistèrent sur ce point avec tant d'opiniâtreté que, lorsque les catholiques se présentèrent comme défendeurs, ils épiloguèrent encore à la manière des gens du barreau ; de là mille délais et des difficultés infinies. Cependant Marcellin ne se montrait pas hostile à cette recherche ; mais les catholiques virent bien où tendaient leurs adversaires; car bien que les donatistes eussent suffisamment montré dans leur mandat que c'étaient eux qui se portaient comme demandeurs, les catholiques ne voulaient néanmoins pas pousser plus loin les recherches sur ce point et engageaient leurs adversaires à s'occuper avant tout, de choses importantes dans l'affaire qui les occupait (4). Ils demandèrent que les donatistes commençassent par faire connaître les motifs qui les avaient portés à se séparer de l'Église appuyée sur les divines Ecritures et répandue par tout l'univers (5), et prouver ensuite, comme ils s'y étaient engagés, que ce sont eux qui suivent l'Église catholique (6). À cette occasion, Augustin parla en ces termes: « Telle n'est pas la volonté de Dieu que ce soit ici un procès, mais plutôt une discussion et une conférence. Que l’on ne vienne pas faire intervenir des raisons qui n'ont aucun rapport avec la question. L'Église que nous appuyons du témoignage des divines Écritures est connue de tous, elle est, comme il est écrit, établie sur une très haute montagne, et toutes les nations viennent à elle. Si l'on a quelque chose à alléguer contre cette Église, qu'on le dise sans aucun retard. Combien y a-t-il de temps que l'attente du Peuple est ainsi suspendue? Tout le monde songe à son âme, et nous, nous opposons mille prétextes qui ne peuvent que nous retarder, afin que jamais on n’en vienne à connaître la vérité (7). » Cependant, ils ne niaient pas que l'empereur avait accordé la conférence à leurs propres prières, comme il le déclarait lui-même dans le rescrit qui fut lu de nouveau.

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      (il La môme, eh. iv. (2) Confér. Carthag. iii, ch. xvi 5

(5) La, môme, ch. LXXXII. (6) La même, ch. LXXV. (7) La même, ch. xxi.

(3) La môme Cn. xvl. (4) La mème, ch. xviii-n. 98.

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Mais, non contents de cette, déclaration, les hérétiques insistaient, en outre, pour que l'on présentât une supplique à Honorius, qu'on lui donnât les noms des délégués et qu'ou publiât les mandats qu'ils avaient reçus des catholiques à ce propos. Si on ne le faisait pas, le rescrit qu'ils avaient obtenu ne serait d'aucune importance. Les catholiques soutenaient que cela était tout à fait étranger à la question, et quoique Marcellin, en cela, fût de leur avis, l'opiniâtreté des donatistes ne put cependant jamais être vaincue. «L'attente, je ne dis pas de cette cité ajoutait Augustin, mais du genre humain presque tout entier, est en suspens, il veut apprendre quelque chose sur l'Église et nous ne nous occupons que de formalités et de procédures comme au barreau (1).» «Que ne fait-on pas pour ne rien faire (2).» Un autre évêque catholique disait aussi : « N'est-ce pas chercher à s'échapper, que de laisser la cause pour rechercher qui sont les demandeurs ? Pourquoi êtes-vous donc venus ici (3) ? » Cette controverse, à propos de la députation des catholiques à Honorius, se continua jusqu'au quatre-vingt-dix-septième article de la conférence, où les catholiques sont de nouveau pressés par les hérétiques de se reconnaître demandeurs.

 

2. On fit aussi quelques difficultés sur le nom de catholiques (4). Marcellin promit d'y revenir quand l'affaire serait terminée et de déclarer ce qu'il fallait en penser (5). Jusque-là, il ne lui était pas permis de refuser aux catholiques le titre dont l'empereur même les honorait dans son rescrit (6). Le tribun voulait qu'on examinât qui devaient être regardés comme demandeurs : les catholiques se refusèrent à prendre pour eux ce rôle, de peur d'ouvrir la porte aux chicanes des donatistes. Augustin répondit que le dessein des catholiques était de réfuter les accusations par lesquelles les donatistes attaquaient l'Église dans leurs plaintes, et qu'ils n'avaient demandé cette conférence que pour donner aux donatistes, qui l'avaient aussi sollicitée, la faculté de prouver qu'ils avaient eu raison de se séparer, ou de reconnaître leur iniquité et de la réparer (7). Enfin, qu'il était du devoir de Marcellin de déclarer à qui convenait le nom de demandeurs (8). Les schismatiques disputèrent un peu sur la signification du mot catholique; mais ils avouèrent cependant qu'il ne leur convenait pas d'enlever ce nom à leurs adversaires, puisque ceux-ci montraient que tout l'univers leur est uni de communion (9). La vérité profita beaucoup encore lorsque des catholiques, disant aux donatistes que leurs fausses accusations atteignaient l'Église qui est répandue sur toute la terre, ceux-ci reconnurent qu'ils ne voulaient pas faire le procès à toutes les églises du monde puisque, étrangères à la discussion des chrétiens d'Afrique, elles attendaient l'issue du débat, afin de s'unir de communion à ceux qui l'auraient emporté et de jouir, avec eux, du nom de catholiques (10). Ils reconnaissaient ainsi qu'ils ne reprochaient rien à l’Eglise répandue dans le monde entier. Il s'ensuivait aussi de cet aveu que Cécilien n'avait pas été séparé de cette même Église, soit parce qu'il était innocent, soit parce qu'il ne pouvait se faire que ceux qui étaient en communion avec lui fussent souillés par la faute qu'il avait commise. La force de ce raisonnement regardait tous les Africains; car ceux qui s'étaient unis à son église avaient toujours gardé avec lui le nom de catholiques. Certes, la victoire des catholiques était manifeste, et un bienfait de la grâce de Dieu. Les hérétiques dirent que leurs adversaires n'appartenaient pas à cette communion universelle, et virent avec beaucoup de joie que la question était revenue à ce point. Aussi Alype demanda-t-il de suite la permission de donner la démonstration qu'on recherchait (11). Mais les schismatiques s'efforcèrent de détourner la discussion vers un autre point, et demandèrent de nouveau qu'on leur montrât les mandats des délégués, laissant de côté la question de l'Église que déjà ils

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(1) La même, eh. XL. (2) La mèrne, eh. XL. (3) La même, eh. LXI. (4) La même, M, ch. xxii. (5) La même, ch. xxxvi, n. 94. (6) La m6me, ch. XCII-XCIV-CXLvii. (7) La même, ch. cx-cxvi. (8) La même, ch. cviii.

(9) La même, ch. cii. (10) La      ch. cxix. (11) La mêrne, ch. cii.

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avaient abordée (1). Mais Augustin ayant dit que sa volonté était de se fixer dans l'Église répandue par tout l'univers en disant : «Nous avons choisi cette Église pour la conserver, » Emérite lui répondit : « C'est ainsi que vous avez coutume de choisir et de changer (2). » Il faisait sans doute implicitement allusion à l'hérésie des manichéens à laquelle Augustin avait été attaché. Mais, sans dire un mot pour répondre à cette injure qui lui était personnelle, le saint continua son discours.

 

3. Enfin le juge déclara que ce sont ceux qui accusent les autres qui sont demandeurs ; or il était prouvé que la conférence avait été demandée par les deux partis (3). Après avoir aplani cette difficulté, les catholiques offrirent de lire l'acte de ce que les donatistes avaient exprimé en présence des préfets, le 30 janvier 406 (4). Mais il fut complètement impossible de poursuivre la lecture au-delà de la date de cet acte. En effet, comme les donatistes s'étaient tellement engagés et embarrassés dans cet acte, que, de peur de se voir convaincus par leurs propres paroles, ainsi que Possidius le leur reprochait à juste titre, ils n'omirent rien pour en empêcher la lecture (5). Ils revinrent donc encore sur une chose qui avait déjà été réduite à néant et repoussée mille fois par le juge : ils voulaient examiner les mandats des délégués qui avaient obtenu la conférence de l'empereur. Ils le demandaient avec une telle insistance, qu'ils semblaient presque décidés, si on le leur refusait, à rompre la conférence. Néanmoins Marcellin continua de repousser cette demande, attendu qu'il s'était engagé par serment à ne faire lire que ce que les deux partis voudraient produire publiquement (6). Or, comprenant qu'ils n'arriveraient à rien par cette voie, ils présentèrent quelques actes des catholiques, antérieurs à 406, dans lesquels, ces derniers pour forcer les schismatiques à se rendre à l'assemblée, les chargeaient de diverses accusations. Les donatistes demandaient donc que l'on commençât par ces actes, comme étant plus anciens que ceux que produisaient les catholiques, et de tenir ces derniers pour demandeurs à cause des crimes qui s'y trouvaient articulés contre eux dans ces actes (7). Cependant les catholiques présentèrent le rapport d'Aurèle à Constantin, afin que, si on voulait tenir compte des dates, on commençât par cet acte, comme beaucoup plus ancien (8). En effet, Marcellin fit suivre cet ordre (9), d'où il arriva que la question de savoir qui étaient les demandeurs, introduite par les donatistes dans le seul but de détourner du principal de l'affaire, y ramena peu à peu, non sans un dessein de la Providence (10). Ceux-ci le remarquèrent et ne purent s'empêcher de témoigner leur mécontentement en s'écriant : « Nous voilà insensiblement ramenés à la question (11).» Cette parole montrait assez que le but de toutes leurs eutreprises était uniquement d'empêcher qu'il en fût ainsi, et il ne purent dissimuler que la vérité leur déplaisait. Ils ne tardèrent pas beaucoup à renouveler leurs plaintes (12). « 0 violence de la vérité, s'écrie Augustin, plus forte que tous les chevalets et que tous les instruments de torture, pour obtenir un aveu ! Qui aurait pu arracher à ces cœurs fermés, une parole qui manifestât mieux leurs craintes, je ne dis pas en les comblant des plus riches présents, mais encore en leur faisant subir les plus cruelles tortures? De nobles personnages qui semblaient choisis pour agir, élèvent la voix et témoignent qu'ils sont plutôt choisis pour ne rien faire, et se plaignent avec des sentiments de haine, d'être insensiblement amenés à la question (4 3). 0 confusion aussi grande que peu surprenante ! Quand vit-on le démon redouter ainsi l'exorciste (14).» Or, afin d'éluder une recherche trop approfondie, les donatistes accusent les catholiques de violer la promesse qu'ils avaient faite de s'en tenir aux divines Écritures, puisqu'ils recourent aux actes publics (15). Augustin répondit à cette accusation en disant que les siens appartenaient à l'Église catholique et qu'ils étaient toujours prêts à appuyer son autorité sur l'a parole di-

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(1) Porif m n 3 12) Conf Carthan      111 eh      e- ci

1 . .      1 .      . (3) La m~me, ch. cxx. (4) La même, e. Cxxiv. (5) La, Mêlile, Cil. XLI. (6) La même, ch. CXL. (7) La môme, ch. CXLI. (8) La mèine, ch. CXLIV-CXLV11I. (9) La même,

eh. CL - (10)      111, n. 7, et aux donatiyies, après la Ccnf. n. 43. (t1~ Conf. Ca,,th. IR, eh. CLI. (12) La même, cil. cxciii. (13) Aux donatistes après la Conf. n. 43, (14) La môme , il. 44. 115) Conf. Carth. 111, Ch. CXLIX.

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vine. S'ils citent des lois, des actes ou des registres publics, ce sont les donatistes qui les y contraignent en recourant les premiers à ces documents. « Quand ils nous accusent du crime de tradition, dit-il, ou bien ils ne prouvent pas ce qu'ils avancent par les actes publics, et, en ce cas, c'est comme s'ils ne disaient rien; ou ils le prouvent, et ils nous forcent à nous servir des actes publics à leur tour (1).» Marcellin ayant agréé cette réponse (2), les donatistes ne rougirent pas de redemander encore aux catholiques de produire leurs mandats aux délégués, mais sans plus de succès qu'auparavant (3). C'est pourquoi Marcellin fit lire l'acte qu'apportaient les donatistes; il était, de l'année 403 (4), en priant les catholiques de souffrir que la lecture des leurs, quoique plus ancienne, fût différée(5). Cette lecture achevée, Marcellin déclara qu'il semblait que les catholiques fussent demandeurs, puisqu'ils reprochaient aux donatistes le crime de schisme et d'hérésie; cependant, afin de porter une décision plus juste, il dit qu'il fallait lire également les autres actes (6). Les donatistes, bien qu'aimant la chicane, n'avaient assurément rien moins à cœur. Aussi revinrent-ils à leurs artifices accoutumés et à leurs sophismes, en disant que le jour indiqué pour la conférence était passé, et en se plaignant du mandat et de la manière dont la cause était conduite, fatiguant ainsi continuellement les oreilles du même refrain, pour arriver à faire laisser de côté le principal de l'affaire, et espérant qu'il ne se trouverait personne pour lire des actes si longs et si fastidieux (7). Néanmoins le juge triompha de ces longues obstinations et fit lire le rapport dans lequel Anulin exposait à Constantin les plaintes des donatistes contre Cécilien (8), et la chose commença ainsi à être abordée. Après la lecture de la lettre d'Anulin au sujet de Cécilien, les donatistes, sans doute pour s'opposer aux conséquences qui devaient s'en suivre, demandèrent à Augustin à quel titre il défendait Cécilien, était-ce comme étant son fils ou non (9)? Il leur répondit que les catholiques ne reconnaissent d'autre père ou supérieur dans les choses qui ont rapport à la foi et au salut, que Jésus-Christ. Par conséquent, saint Paul s'appela lui-même le père des Corinthiens, il ne faut point l'entendre en ce sens, mais seulement en tant qu'il était le dispensateur du ministère évangélique auprès d'eux (10). Cécilien n'est donc regardé par les catholiques ni comme un père, ni comme une mère, pour répondre à la question insensée des schismatiques (11), mais seulement comme un frère bon ou mauvais : cela ne porte aucun préjudice à l’ÉgIise; il défendait sa cause parce que les catholiques le croyaient innocent ; mais s'il ne l'était pas, il subirait seul le préjudice que lui porterait sa faute. Si ces adversaires voulaient laisser de côté cette accusation, les catholiques aussi cesseraient de le défendre et la cause actuellement en question en serait d'autant moins longue (12). La discussion dura quelque temps; cependant Marcellin ayant répondu quelquefois aux donatistes, en se servant des paroles d'Augustin, Pétilien lui reprocha de se montrer trop favorable aux catholiques (13).

 

4. Après qu'Augustin eût achevé son discours sur l'emploi du mot père, les donatistes lui demandèrent par qui il avait été sacré évêque (4). Mais Possidius, en homme qui connaissait ce grand évêque dont il était l'élève, répondit que les catholiques ne s'étaient pas engagés à défendre la cause d'Augustin quelle qu'elle fût (15). Cependant les donatistes insistèrent et semblaient rechercher quelque mal à dire sur le sacre du saint évêque. Cependant, dès qu'il eût déclaré publiquement que c'était Mégale qui lui avait imposé les mains et qu'il eût demandé, en même temps s'ils avaient quelque chose à lui reprocher, ils détournèrent l'entretien vers un autre sujet (16). Ils présentèrent un mémoire au nom de tout leur parti dans lequel ils prétendaient prouver par des textes des

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(1) La même, ch. CLV. (2) La même, CI]. CLVI. (3)

La même, ch, CLVII-CLXlV. (4) La même, ch. CLXXIV.

05 La môme, ch. CLXX. (6) La même, ch. CLXXVII-CLXXX. (7) La même, CLXXXI-CLXXXIII-CXXXXVIII-XLIII-

(8) La même, eb. ccxvi, ccxx. (9) La même, ch. ccxxi-ccxxvii. (10) La même, ch. CCXXII-CCXLI1. (11) La même, ch. ccxxxi. (12) La même, ch. ccxxx-ccxxxii-ccxxxiii. (13) La même, eh. ccxxxiii-ccxxxiv. (14) La même, ch.CCX Mir. (15) La même, CI], CCXLV. (16) La même, ch. CCXLIX.

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saintes lettres que les mauvais évêques étaient une souillure et un déshonneur pour l'Église, dont les enfants ne devaient compter aucun méchant, au moins connu, dans leurs rangs. Car, pour les méchants inconnus, ils étaient contraints par la force de la vérité, d'avouer qu'il y en avait plusieurs de cachés dans son sein (1). Marcellin déclara que ce mémoire aurait dû être rédigé non par tout le parti, mais par les sept évêques chargés de conduire la discussion (2). Les choses n'en étant pas ainsi, les catholiques auraient pu le rejeter et en interdire la lecture, mais ils ne voulurent point apporter le moindre retard, de peur de paraître redouter la force des arguments de leurs adversaires (3). Les donatistes firent lire leur mémoire par un de leurs évêques. Les catholiques en écoutèrent la lecture sans interrompre et d'une oreille bienveillante (11). Ils avaient rédigé cet écrit dans le dessein de répondre au mandat des catholiques lu à la première conférence. Mais Augustin démontra que rien dans ce libelle ne répondait au mandat des catholiques; la seule lecture des deux écrits, disait-il, le prouve clairement. Aussi ce fut un véritable triomphe pour les catholiques d'avoir accordé à la demande de leurs adversaires, la publication du mandat, en même temps qu'un délai de sept jours, que les donatistes avaient sollicité, afin d'avoir le temps de méditer et de préparer leur réponse, car s'ils laissaient quelques points sans réponse, il devenait de toute évidence que c'était moins le fait de l'oubli, que de l'impossibilité de la réfuter.

 

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