Darras tome 27 p. 319
18. « Les princes des prêtres sont regardés comme ayant encore une fois tout disposé pour le crime ; mais leur méchanceté l’emportait d’autant plus sur celle d’Anne et de Caïphe, qu'ils avaient mieux pris leurs précautions pour que la victime n’eût pas le moyen de répondre aux accusations, ne vît pas la face du président, ne fût couverte ni par la sainteté du lieu, ni par celle du temps, ni par celle de son caractère, ni par les garanties d’une paix stipulée la veille; ils l’ont livré, non à des hommes plongés dans les ténèbres du paganisme, non à des étrangers, mais aux enfants du même peuple, professant
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la même religion et qui devaient au saint primat, ne fût-ce que par reconnaissance, une inviolable amitié... Pour les fidèles il n’est pas douteux que Dieu ne convertisse ou ne brise les instigateurs et les exécuteurs d’un pareil sacrilège. » Un peu plus loin l’auteur parle des miracles sans nombre qui s’opèrent chaque jour au tombeau du martyr, des cruelles angoisses où ces faits importuns jettent ses ennemis, des mesures prises et des efforts déployés pour en interdire la publication, ne pouvant interdire les miracles mêmes1. « Mais c’est en vain que l’homme désire cacher ce que Dieu veut rendre manifeste ; le retentissement est d’autant plus grand que les impies s’appliquent davantage à l’arrêter... Sur le parvis du sanctuaire, à la place même où le généreux primat est tombé, où sa dépouille mortelle a passé la nuit en face du grand autel, avant son inhumation, et sur sa tombe, les paralytiques sont guéris, les aveugles recouvrent la vue, les sourds entendent, les muets parlent, les possédés du démon sont délivrés, les pécheurs se convertissent. Je n’entre pas dans les détails, comme cela me serait facile, ayant vu de mes propres yeux ces étonnants prodiges2. »
19. Dès qu’il eut appris la mort de Thomas, le roi de France dépêchait des ambassadeurs choisis parmi les exilés au Souverain Pontife avec la lettre qui suit : «Il se place en dehors de la nature humaine, il renie ses devoirs les plus sacrés, le fils qui n’a pas souci de l’honneur de sa mère ; il oublie les bienfaits du Créateur, celui qui ne ressent pas les outrages dont la sainte Eglise est l’objet. Voici bien le moment de compatir à ses souffrances; ce n’est pas une douleur accoutumée que doit exciter en nous une cruauté sans exemple. En frappant le serviteur de Dieu, le glaive des méchants a pénétré dans la pupille même de notre divin Sauveur, éteignant ainsi d’une manière plus lâche encore que barbare, le flambeau de la chrétienté. Que la justice donc s’arme de toutes ses rigueurs, que l’épée de saint Pierre soit promptement dégainée, pour venger le martyr de Cantorbéry ; son sang crie veangeance,
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1. Nous avons vu de nos jours le pouvoir des miracles mis au ban de l’opinion, traqué par la police gouvernementale; et nous savons avec quel succès.
2. Joax. Saresber. Epist. 304 ; Pair. lat. torn, cxcix, col. 353 et seq.
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non pas tant en son nom qu’au nom de l’Eglise universelle. On nous apprend déjà qu’au tombeau de l’invincible athlète, les prodiges se multipliaient, attestant le pouvoir et proclamant la gloire de Dieu. Les porteurs de nos présentes lettres, maintenant orphelins, exposeront à votre Sainteté toute la suite de cette lamentable affaire ; daignez accorder à leur sincère déposition le même accueil et la môme confiance que vous nous accorderiez1. » Alexandre recevait simultanément des lettres analogues du comte de Blois et de l’archevêque de Sens, légat alors du Siège Apostolique2.
20. Henri II, pressé par la peur et la conscience, ne perdait pas non plus le temps ; il envoyait à Rome une ambassade, avec la lettre de l’évèque de Lisieux ; une autre l’avait précédée de quelques jours à peine, allant implorer, de la part de l’archevêque d’York et de ses collègues, la levée de l’excommunication. L’un des émissaires royaux écrit de Rome à l’archidiacre de Poitiers: «Je crois que l’ambassade arrivée la première aurait obtenu ce qu’elle venait solliciter, n’était survenu le bruit du meurtre de l’archevêque ; cela remit tout en question et présenta les choses sous un lugubre aspect. Le seigneur apostolique en fut tellement troublé qu’il se renferma dans le silence et la solitude pendant près de huit jours, au point que les siens eux-mêmes ne pouvaient l’entretenir. Dé- fense est faite à n’importe quel anglais de paraître eu sa présence. Toutes leurs négociations sont dès lors arrêtées. Nous déclarions à qui voulait nous entendre que le roi n’avait en aucune façon ordonné ni permis la mort du primat d’Angleterre, Qu’il en fût indirectement la cause, que les meurtriers se fussent autorisés des propos échappés à la colère, on ne le niait pas3. » Dans une lettre directement adressée par les ambassadeurs au roi lui-même, après avoir raconté les difficultés, les retards et les périls du voyage à travers le nord de l’Italie, ils exposent ainsi leurs démarches à Rome: « Quand nous allâmes au palais, le Pape nous en fit inter-
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1. Cod. Vatic. Epist. v, 78.
2. lbid. Epist. v, 18, 80, 82 et 83.
3. Coil. Vatic. Epist. v, 79.
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dire la porte ; il refusa de nous voir, bien loin de nous admettre à lui baiser les pieds. La plupart des cardinaux osaient à peine nous adresser la parole. Accablés de tristesse et d’anxiété, nous conjurions ceux qui nous ont témoigné le plus d’affection de ne point nous abandonner dans une situation aussi critique, de nous obtenir à tout prix une courte audience. Enfin deux seuls furent reçus, l’Abbé de Wallace et l’archidiacre de Lisieux, qu’on regardait comme moins engagés dans cette affaire. Aussitôt que, pour exprimer votre respect et votre dévouement filial à l’égard de l’Eglise Romaine, ils prononcèrent votre nom, toute la curie s’écria : Silence, silence ! — Ce nom ne devait pas résonner aux oreilles du Pontife. Et l’audience ne put continuer ; sur le soir on essaya de la reprendre, afin de vous justifier, mais sans résultat appréciable.
21. « Le Jeudi Saint approchait ; c’est le jour où, selon les traditions romaines, le Pape a coutume de prononcer les absolutions et les excommunications publiques.. Persuadés qu’on allait fulminer contre vous et votre royaume, vu les longues délibérations qui avaient précédé toujours dans ce sens, nous consultâmes les membres du Sacré-Collége les plus favorables à votre majesté, les suppliant avec toutes sortes d’instances de ne point nous cacher les intentions du Souverain Pontife et ce qu’il allait décider à notre égard. Leur réponse ne nous annonçait rien que de sinistre ; leurs gémissements ne nous permettaient plus de douter que l’immuable résolution du Pape ne fût de vous excommunier nommément et de jeter l’interdit sur toutes vos terres de l’un et de l’autre côté de la mer, comme aussi de confirmer la sentence déjà portée contre les évêques. Dans une telle extrémité, pour conjurer le désastre immédiatement suspendu sur votre tête et votre royaume, après avoir tenu conseil devant quelques cardinaux, nous n’avons pas craint de nous exposer nous-mêmes, en faisant savoir au Pape que nous avions reçu de vous le mandat de jurer en sa présence que vous obéirez de tout point à ses décisions, et que vous viendrez le jurer à votre tour. Le jour formidable étant venu, nous avons été tous mandés au consistoire, et tous nous avons prêté le même ser-
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menl. Cela n’a pas empêché le Ponlife d’excommunier en général les meurtriers de l’archevêque de Cantorbéry, tous ceux qui leur auraient donné conseil, aide ou simple assentiment, tous ceux encore qui les recevraient sciemment dans leurs domaines ou leur accorderaient une protection quelconque1 . » Si le coup n’atteignait pas directement Henri II, de la part d’Alexandre il ne pouvait qu’être différé, sa prudence et sa modération n’ayant jamais pour effet d’éteindre absolument sa vigueur apostolique. Voici comment l’un des biographes de saint Thomas explique ce délai : « Comme la confession, qui ne saurait prescrire, ne doit ni ne peut se faire par intermédiaire; comme l’aveu personnel a d’autant plus d’efficacité qu’il excite davantage le repentir et la dévotion, le pape Alexandre désigna deux légats a latere pour aller traiter cette affaire sur place, les cardinaux Théodin, du titre de Saint-Vital, et Albert, du titre de Saint-Laurent in Lucina, chancelier de l’Eglise, hommes éminents et par leur science et par leur sainteté. » Nous les verrons bientôt à l’œuvre 2.
22. Une autre légation avait précédé celle-là cette année même, avant qu’on eût appris la mort sanglante de Thomas ; sa mission était de contraindre par les censures ecclésiastiques le monarque anglais à tenir les promesses dont il se désistait comme toujours sans respect pour son honneur et sa parole. Roger du Mont nous dit en peu de mots quels étaient les légats et quels subterfuges employa le prince pour éluder leur autorité : « Vinrent alors en Normandie «les cardinaux légats envoyés par le pape Alexandre ; c’étaient Graltin et Vivian, déjà connus pour avoir été chargés d’une semblable légation. Ils causèrent au roi d’Angleterre bien des anxiétés, disposés qu’ils se montraient à lancer l’anathème sur sa personne et ses états. Pour détourner la foudre dont il se sentait menacé, Henri se hâta d’en appeler au Souverain Pontife; il obtenait par cet appel un moment de répit. Ce n’était là qu’une sécurité précaire ; les complications survenues lui faisant craindre, non sans raison, de plus terribles orages, il quitta brusquement la
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1. Cod. Vatic. Ejiist. v, St.
2. W. Xexybiug. Hist. Anyl. u, 2?>.
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Normandie et se rendit en Angleterre ; mais avant de partir il avait donné l’ordre à ses officiers d’arrêter au passage quiconque porterait un Bref ou rescrit venant de Rome, n’importe la condition et rang de celui qui tenterait l’entreprise. » Comme si toutes ces précautions ne pouvaient encore le rassurer, il ne séjourna pas longtemps en Angleterre. A la tête de cent cinquante vaisseaux, il cingla vers l’Irlande, dont il méditait la conquête depuis plusieurs années. On n’a pas oublié qu’il avait déjà communiqué ce dessein au pape Adrien IV, en lui disant qu’il se proposait avant tout d’étendre les possessions de l'Eglise Romaine, et les revenus du Denier de saint Pierre1. L’expédition était donc préparée; la coïncidence n’en est cependant pas moins remarquable, après tant de retards accumulés. A quelle occasion, sous quels prétextes, par quels instruments, dans quelles circonstances, à travers quelles sanglantes péripéties, fut réalisée cette conquête, nous n’avons pas à le dire ici ; de telles choses appartiennent à l’histoire profane, c’est affaire surtout aux historiens nationaux. Ils racontent avec autant de détails que d’éloges comment l’habile Plantagenet, mettant à profit les ambitions étrangères et les discordes intestines, se posant en civilisateur au milieu de la commune barbarie, sut ajouter à ses litres de roi d’Angleterre, de duc de Normandie, d’Aquitaine et d’Anjou, celui de lord d’Irlande.
23. Il faudra des années pour assurer et compléter cette nouvelle possession ; mais le 12 novembre de cette année 1171, il faisait son entrée solennelle à Dublin, réputée déjà la capitale de la « verte Erin », où des princes indigènes, courant au-devant de la servitude, venaient d’improviser pour le recevoir un admirable palais de bois, seul genre de construction jusqu’alors usité dans l’île. Aussitôt après le débarquement du roi, les évêques d’Irlande, étonnés de ses rapides succès, regardant l’invasion comme le châtiment providentiel des péchés de leurs peuples, après s’être réunis une première fois dans la métropole d’Armagh, tinrent un synode à Cashell, pour procéder à la réforme des mœurs et de la discipline. Ils commen-
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1 Joan. SA:::.T.rnG. Metalog. iv, 42.
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cèrent par reconnaître et siguer la souveraineté du conquérant, qui lui-même déclarait n’être venu que pour établir la réforme. Les canons dressés ensuite par eux prohibaient la polygamie et l’inceste, ordonnaient que le baptême serait désormais administré par les prêtres dans l’église, non par les laïques dans leurs maisons ; le clergé fut soustrait aux exactions des chefs temporels ; on régla le paiement de la dîme et le chant de l’office divin ; on détermina les formes sous lesquelles les mourants pourraient disposer de leurs biens; on pourvut à ce que la sépulture des morts s’accomplit avec décence1. Ces décrets et plusieurs autres nous laissent entrevoir le relâchement et le désordre qui s’étaient introduits dans la nation depuis saint Patrick son apôtre et saint Malachie son incomparable réformateur. L’âge et la maladie avaient empêché l’archevêque d’Armagh, primat de toute l'Irlande, vieillard révéré pour sa sainteté, d’assister au concile; mais quelque temps après il put visiter le roi dans sa nouvelle capitale. L’apparition du vénérable prélat étonna les courtisans, plus encore par la simplicité de ses habitudes que par la majesté de son extérieur; il était suivi d’une vache blanche, sa compagne assidue, disait-il, et sa mère nourricière ; car il ne vivait guère que de lait. Ce digne successeur de Malachie O’Margan mourut dans sa quatre-vingt-septième année, laissant à son tour la réputation d’un saint1. Henri se proposait de passer l’été suivant dans l’ile, afin de la parcourir et de la soumettre entièrement. Telle était la raison avouée ; dans le fond de son âme, il était retenu par la pensée que de loin il éviterait avec plus de certitude ou subirait avec moins de déshonneur les foudres pontificales.
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1 Giiialdus cambr. llibern. Expugn. LU), i, cap. 33, — IIoveden. part, n, pag. 527 ; — Labb. conc. tom. x. Ce dernier auteur commet une légère erreur de
date en renvoyant le concile de Cashell à l'année suivante; mais peut-être ce n'est la qu'une faute d'impression ou de copie.
2 « Vir virgineâ puritate et cordis mumlitiit coram Deo et lioniinibus gloriosus, in senectute boni! sanctissime obiit. » Giiiald. Ibid. pag.176.
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§ IV. LA CANONISATION DE S. THOMAS BECKET
24. Durant cinq mois aucun vaisseau venant d’Angleterre ou de Normandie n'avait touché les côtés de l’Irlande. Cette absence de communications ne pouvait pas toujours s’expliquer par les vents et les tourmentes; les terreurs secrètes du tyran en étaient visiblement la cause. Il avait beau faire cependant ; la position religieuse devenait chaque jour plus critique et n’était pas sans péril pour l’autorité royale. Vers la fin de mars 1172, il donna l’ordre du départ, mit à la voile, traversa rapidement l’Angleterre, franchit le détroit et débarqua dans ses possessions continentales. Lorsque le roi Louis, qui le croyait encore à Dublin, apprit qu’il était aux frontières de son royaume, il s’écria : Mon cousin d’Angleterre ne voyage ni sur un cheval ni sur un navire ; il vole comme un oiseau. — Les nouveaux légats d’Alexandre, Albert et Théodin, se trouvaient en Normandie1. Une première fois ils s’abouchèrent avec Henri dans la petite ville de Gournay ; la rencontre fut pacifique et même cordiale. On se rendit le lendemain à Savigny où l’archevêque de Rouen, tous les évêques de la province et beaucoup de grands seigneurs s’étaient réunis. On y traita longtemps des conditions de la paix ; mais, quand les légats formulèrent leur demande, précisant l’objet de leur mission, quand vint l’heure de ratifier le serment promis à Rome par les ambassadeurs du roi, celui-ci se leva transporté de colère et dit aux cardinaux: Je reviens en Irlande, où les occupations ne me manquent pas ; vous parcourrez tranquillement mes terres, comme vous l’entendrez; remplissez votre légation d’après les ordres que vous avez reçus. — Cela dit, il quitta l’assemblée. D’autres sortirent à son exemple. Les cardinaux n’en continuèrent pas moins leur délibération ; ils rappelèrent Arnoulf de Lisieux, Jean de Poitiers et Joscelin de Salisbury. Avec le concours de ces évêques, il fut décidé qu’une seconde réunion aurait lieu le vendredi suivant dans la ville d’Avran-
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1.Acta Alexaml. Sam. Pont, ad ann. 1172.
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ches. Le roi s’y rendit et parut un autre homme ; il accepta sans réclamation tout ce qui lui fut imposé de la part du Souverain Pontife. Il voulut même que son fils Henri, l’héritier reconnu de sa couronne et qui portait déjà le titre de roi, fût présent et jurât comme le père. On renvoya donc la séance au dimanche suivant ; c’était le dimanche avant l’Ascension. Le monarque alors, en audience publique, entouré de ses barons, étendant la main sur le Livre sacré des Evangiles, jura solennellement qu’il n’avait ni commandé ni désiré la mort de l’archevêque, qu’à la nouvelle de cette mort il avait ressenti plus de tristesse que de joie, qu’il n’avait jamais autant pleuré son père où sa mère. Il jura de plus qu’il accomplirait avec une entière soumission la pénitence qui lui serait enjointe par les cardinaux, comprenant bien, ajouta-t-il, qu’il était la cause de ce meurtre impie, les auteurs, ses amis et ses familiers, n’ayant eu d’autre mobile que le désir de le venger, ni d’autre excitation que ses téméraires paroles.
25. . Après ce serment et ces explications dont la loyauté ne semblait pas douteuse, voici ce qui lui fut prescrit par les légats : 1° Il enverrait deux cents soldats dans la Terre Sainte, à la disposition des Templiers, et les entretiendrait à ses frais pendant une année entière, donnant à chacun trois cents pièces d’or ; 2° Il renoncerait aux iniques et funestes statuts de Clarendon, ainsi qu'aux perverses coutumes introduites de son vivant au détriment de l’Eglise, et soumettrait à l’autorité du Pape celles qui pouvaient exister avant lui ; 3° Il restituerait à l’Eglise de Cantorbéry l’intégralité de ses biens et de ses privilèges, la rétablissant dans l’état où elle se trouvait avant les malheureuses dissensions, et rendrait ses bonnes grâces, avec toutes leurs possessions anciennes, aux amis de Thomas ; I° Lui-môme était obligé de partir pour la Terre Sainte et d’y servir pendant trois ans, s’il n’en était dispensé par le Pape, ou bien d’aller pendant un temps égal combattre les infidèles en Espagne. A cela furent ajoutés en secret des jeûnes, des aumônes et d’autres œuvres pies rentrant dans le domaine de la pénitence privée. Le roi donna son assentiment à tout de la manière la plus humble et la plus spontanée. — Seigneurs légats,
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s’écria-l-il ensuite, mon corps est dans vos mains ; quoi que vous m’ordonniez, le pèlerinage de Rome, celui de Jérusalem ou de Saint-Jacques, je suis prêt à vous obéir, j’en donne ma parole royale. — Une telle protestation émut jusqu’aux larmes toute l’assemblée. Après cela, les représentants du Saint-Siège menèrent le pénitent hors des portes de l’Eglise ; il se mit alors à genoux, reçut l’absolution et fut introduit dans l’enceinte sacrée, sans avoir été soumis à la peine de la spoliation ou des verges. Comme il était à désirer qu’on ne pût douter dans le royaume de France des faits qui venaient de s’accomplir, le roi consentit à renouveler ses promesses deux jours après dans la ville de Caen, en présence de l’archevêque de Tours et des évêques de sa province. Le serment fut rédigé par écrit, scellé du grand sceau d’Angleterre et transmis par les légats au Souverain Pontife, pour être conservé dans les archives du Vatican1. Une clause d’abord gardée secrète, dont quelques historiens ont voulu douter, mais qui n’en a pas moins tous les caractères de la certitude historique, était ainsi formulée : « Moi le roi et mon fils aîné, roi lui-même, jurons tenir du seigneur pape Alexandre et de ses légitimes successeurs la possession de notre royaume; nous contractons le perpétuel engagement, pour nous et nos successeurs, de ne nous regarder comme rois d’Angleterre qu’à la condition d’être reconnus par eux comme rois chrétiens et catholiques. » Cet acte n’allait pas larder à devenir public ; dès ce moment la couronne britannique, sans rien perdre de son éclat, était devenue un fief du Siège Apostolique ; elle s’affermissait et se relevait, au contraire, par une telle subordination.
26. Quelques mois plus tard, le V des calendes d’octobre, 27 septembre, se réunirent en concile dans l’église de S. André de cette même ville d’Avranches, sous la présidence des légats, l'archevêque Rotrou de Rouen, tous les évêques et les abbés de la Normandie ; et pour la troisième fois l’intraitable, l’orgueilleux Plantagenet acceptait la pénitence et prêtait le serment exigé, renonçant aux
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1. Acta Sum. Pontif. Alexand. III ad annuoi 1172.
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coutumes, cause de si longs débats, rendant à l’Eglise la liberté de ses communications et le plein exercice de son autorité. C’était le triomphe du martyr ; ce que n’avaient pu les plus sages conseils, les résistances les plus opiniâtres, les périls de l’Etat, l’intéret des peuples, sept ans d’exil, le sang d’un homme venait de le réaliser. Les représentants du Pape lui transmirent cet heureux dénoûment. Alexandre dans une prompte réponse leur ordonna de faire procéder à la réconciliation de l’église de Cantorbéry, sans qu’il fût besoin d’en renouveler la consécration ; et les cardinaux délégués se hâtèrent de communiquer cet ordre avec leurs pouvoirs au clergé de la primatiale2. N’oublions pas de signaler en passant les canons disciplinaires décrétés au concile provincial d’Avranches. La plupart n’était qu’une réédition des mesures adoptées par les conciles antérieurs: Défense de préposer des adolescents aux bénéfices qui portaient charge d’âmes ; d’admettre aux fonctions sacrées les fils des clérogames ; d’abandonner à des laïques une partie des oblations faites aux églises ; d’ordonner des prêtres sans titre assuré ; d’affermer les églises pour un prix annuel ; de permettre au mari d’entrer en religion, la femme demeurant dans le siècle, et réciproquement ; aux juges ecclésiastiques de passer aux tribunaux séculiers, sans peine d’être privés de leurs anciens bénéfices. Certains revenus attachés aux fonctions sacerdotales furent discutés dans cette même assemblée, mais sans qu’on pût arrivera l’entente sur ce point délicat. On y revint aussi sans succès sur la question de prééminence entre l’archevêché de Tours et celui de Dol. Le concile se sépara sans la résoudre ; elle sera résolue par l’avenir. Eu retournant à Rome, les légats emportèrent avec eux de précieuses reliques du nouveau martyr : une partie des cervelles recueillies par les religieux sur le parvis du sanctuaire, et la tunique imprégnée de son sang ; le pieux trésor fut déposé daus la basilique de Ste Marie Majeure.