Le cardinal Sarah, prophète en son continent ?

Le cardinal Sarah, prophète en son continent ?

Le cardinal Robert Sarah a achevé samedi 12 avril une longue visite au Cameroun. Il s’agissait du second déplacement en quelques mois du cardinal guinéen sur son continent d’origine, où il conserve une position de figure d’autorité. 

Par Lucie Sarr 

17 avril 2024 à 08h15 (Europe\Rome). Modifié 17 avril 2024 à 13h33 (Europe\Rome) 

Le cardinal Robert Sarah (par François-Régis Salefran/CC BY-SA 4.0 DEED) 

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« Les évêques d’Afrique dans leur pauvreté sont aujourd’hui les hérauts de [la] vérité divine face à la puissance et à la richesse de certains épiscopats d’Occident » qui seraient « tétanisés à l’idée de s’opposer au monde », dans la « tentation » d'un « athéisme fluide et pratique ». C’est peu dire que le cardinal Robert Sarah n’a pas mâché ses mots – tant dans l’éloge de l’Afrique que dans la critique de l’Occident – devant les évêques du Cameroun mardi 9 avril.  

 Ce voyage sur son continent d’origine est le second en quelques mois pour le préfet émérite de la Congrégation pour le culte divin, après un déplacement au moins de décembre, où il avait notamment participé à un congrès de liturgistes africains. Et à cette occasion, le cardinal - que La Croix International a cherché sans succès à joindre via son entourage - avait été nettement moins flatteur à l’égard de l’expression de la foi sur le continent : il avait dressé un véritable réquisitoire contre des célébrations liturgiques « trop banales et trop bruyantes, trop africaines et moins chrétiennes ». La déclaration avait alors fait largement polémique. 

D’une région animiste à la Curie romaine 

Cette tension entre éloge de positions doctrinales fermes africaines, mais critique de son expression liturgique est au cœur de la relation complexe entre le continent africain et celui que rien ne destinait a priori à être un proche collaborateur de trois papes. Né à Ourouss, dans les hauts plateaux de la République de Guinée, pays d’Afrique de l’Ouest très majoritairement musulman, dans une région plutôt animiste, Robert Sarah gagne l’estime générale en devant en 1978 - à 34 ans seulement - archevêque de Conakry. À ce poste, il dénonce courageusement les dérives du régime de Sékou Touré. 

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Un peu plus de deux décennies plus tard, changement radical : Mgr Sarah est appelé à servir à Rome au sein de la Curie par le pape Jean-Paul II. Conformément au droit canonique, il n’a plus vécu hors de la Ville éternelle, même s’il est à la retraite depuis février 2021. Depuis près d’un quart de siècle donc, le cardinal Sarah vit hors de son continent d’origine qui a entre-temps connu nombre de transformations sociales, économiques, politiques – à commencer par une explosion démographique avec un accroissement démographique de 65%. 

« Le cardinal Sarah était allé régler le problème et tout le monde est rentré dans les rangs ! »

Malgré cet éloignement géographique, assure Paul Samangassou, laïc camerounais ayant occupé des fonctions dans des institutions ecclésiales en Afrique, le cardinal Sarah aurait une influence « incroyable » sur le continent. « Il a enseigné à beaucoup de prêtres africains qui sont devenus plus tard des évêques », souligne-t-il. Mais surtout, pour Paul Samangassou le cardinal guinéen est parvenu à s’installer comme figure d’autorité dans l’Église africaine. « Avant le Synode sur la famille, il a rencontré le Sceam pour préparer l’épiscopat africain à parler d’une seule voix », rappelle-t-il. Et de rapporter un autre événement : « en 2009, les prêtres de Bangui s’étaient mis en grève après la nomination d’un religieux, Mgr Nzapalainga, comme administrateur apostolique du diocèse. C’était alors le cardinal Sarah qui était allé régler le problème et tout le monde est rentré dans les rangs ! »

Inculturation et lien avec la France  

Mais dans le même temps, analyse ainsi le père Donald Zagoré, prêtre de la Société des missions africaines (SMA), « si le cardinal Sarah jouit d’un grand respect, il est quand même vu en Afrique comme étant un homme trop radical, surtout sur les questions liées à la liturgie ». « Il y a certes des dérives dans l’inculturation, mais tout n’est pas jeter ! », s’exaspère ainsi un spécialiste africain de l'inculturation devant les dénonciations du cardinal sur des célébrations qui seraient « saupoudrées d’éléments africains »« déformant ainsi le mystère pascal »« Dans un continent dont l’évangélisation est encore récente, l’enjeu n’est pas non plus de vider les églises ! », bondit de même un évêque ivoirien qui préfère rester anonyme.  

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D’autant que si le cardinal Sarah loue l’Afrique comme barrière contre des dérives doctrinale, tous n’y sont pas forcément alignés sur sa fermeté, pour ne pas dire sur son intransigeance. « Les sorties récurrentes du cardinal Sarah critiquant l’inculturation et le fait qu’il soit le candidat des traditionalistes français en cas de conclave le rendent illégitime à donner des leçons aux Africains », tacle un prêtre qui demande lui aussi l’anonymat. Le haut prélat est en effet réputé pour sa proximité avec la frange la plus classique – voire traditionnelle – des catholiques de France, où il se rend fréquemment. 

Pour le père Zagoré, la « trop grande rigueur » du cardinal Sarah « refroidit ses relations avec le continent ». Ainsi, considère l’évêque ivoirien, plus que dans le rôle d’un porte-parole de l’Eglise africaine, « le cardinal Sarah se met dans la position d’un prophète ».  « Certains Africains admirent sa position notamment face à ce qu’ils considèrent comme étant des dérives dans l’Église », reconnaît-il. Avant d’ajouter : « Mais ce n'est pas forcément la grande majorité. » 

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