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CHAPITRE XXIX.
Arrivée d'Elie avant le Jugement. Conversion des Juifs par ses prédications dévoilant ce qu'il y avait de caché dans les écritures.
Malachie ayant averti les Juifs de ne pas oublier la loi de Moïse, parce qu'il prévoyait qu'ils seraient encore longtemps avant de l'interpréter spirituellement, comme il le fallait, ajoute aussitôt : « Et voilà que je vous enverrai Elie de Thesbé avant que ce grand et terrible jour du Seigneur ne paraisse; il tournera le cœur du père vers le fils, et le cœur de l'homme vers son prochain pour que, à mon arrivée, je ne sois pas obligé de détruire toute la terre. » (Mal. iv, 5.) Les fidèles croient et disent qu'à la fin du monde, avant le jugement dernier, à la prédication de ce grand et admirable prophète Elie, les Juifs croiront au véritable Messie, en notre Christ. Notre espérance est bien fondée quand nous l'attendons comme précurseur de l'arrivée du Sauveur comme juge; car on peut avec raison croire qu'il est encore vivant. L'Écriture dit ouvertement qu'il a été enlevé de terre sur un char de feu. Quand il sera venu, il fera connaitre l'esprit de la loi aux Juifs qui ne l'entendent que charnellement, et il tournera le cœur du père vers le fils, où plutôt les cœurs des pères vers leurs enfants, les Septante ont mis un singulier pour un pluriel. Le sens est donc que les fils, qui sont les Juifs, entendront la loi comme les pères qui sont les prophètes au nombre desquels se trouve Moïse. La conversion des pères aux enfants aura lieu quand la croyance des pères ne différerapas de celle des enfants, et le cœur des enfants sera tourné vers leurs pères quand ceux‑là seront d'accord avec ceux‑ci. Les Septante ajoutent que le cœur de l'homme se tournera vers son prochain. Il n'est pas de proximité plus intime que celle du père et du fils. On peut donner à ces paroles des Septante, traducteurs inspirés, un sens plus relevé, et dire qu'Élie tournera le cœur de Dieu le père vers le Fils, non en faisant qu'il l'aime, mais en instruisant les Juifs de cet amour, et les portant par là à aimer notre Christ qu'ils haissaient auparavant. Maintenant aux yeux des Juifs Dieu a détourné son
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cœur de notre Christ; du moins, ils croient. Mais le cœur de Dieu sera pour eux retournévers son Fils, quand par le changement de leurs cœurs, ils apprendront l'amour du Père pour son Fils. Pour ce qui suit : et le cœur de l'homme vers son prochain; c'est Élie tournant le cœur de l'homme vers Jésus‑Christ homme, puisque étant Dieu il n'a pas craint de devenir notre prochain sous la forme d'esclave. Et Élie agira ainsi « pour qu'à mon arrivée je ne détruise pas toute la terre. » Ceux‑là sont terre, qui n'ont de goût que pour elle, comme les Juifs charnels qui murmurent en disant, que les méchants sont agréables à Dieu et que c'est une folie de le servir.
CHAPITRE XXX.
L'ancien testament ne dit pas évidemment que le Christ viendra en personne pour juger au dernier Jour; mais d'après quelques passages où Dieu parle, on ne peut douter que ce ne soit le Christ.
1. Les Saintes‑Écritures renferment beaucoup de passages ayant trait au jugement dernier; il serait trop long de les rapporter. Qu'il nous suffise de l’avoir prouvé par les citations prises dans l'ancien et le nouveau Testament. Mais l'ancien ne prouve pas aussi clairement que le nouveau que c'est Jésus‑Christ qui doit le faire. Parce que quand le Seigneur dit qu'il viendra, ou qu'il y est dit que le Seigneur doit venir, il ne s'ensuit pas que ce soit le Christ; car le Seigneur est Père, Fils et Saint‑Esprit. Cependant, essayons de le démontrer. D'abord quand Jésus‑Christ parle comme Dieu dans les livres prophétiques, on voit que c'est lui qui parle, et quand les expressions ne sont pas si claires, quand il est question que Dieu viendra pour juger, au dernier jour, on peut croire que c'est le Christ. Isaïe prouve merveilleusement ce que j'avance. Car Dieu dit par son prophète : « Écoute-moi, Jacob et Israël que j'appelle. Je suis le premier et je suis le dernier. Ma main a fondé la terre et ma droite a affermi le ciel. Je les appellerai, et ils s'assembleront autour de moi, et ils m'écouteront. Qui a fait ces prédictions? Parce que je vous aime, j'ai accompli vos volontés
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sur Babylone, et exterminé la race des Chaldéens. J'ai parlé, et j'ai appelé, j'ai conduit ses pas et l'ai fait réussir dans ses entreprises. Approchez‑vous de moi et écoutez‑moi. Dès le commencement j'ai parlé ouvertement. J'étais présent à tous ces événements. Et maintenant le Seigneur Dieu m'a envoyé et son Esprit. » (Is. xLviii, 12.) C'est lui‑même qui parlait tout à l'heure comme Dieu et pourtant on ne saurait pas que c'est Jésus‑Christ s'il n'eut ajouté : et maintenant le Seigneur Dieu m'a envoyé et son Esprit. Il parle ici comme serviteur de l'avenir et du passé : c'est ainsi que le même prophète dit : « Il a été conduit à la mort comme une brebis. » Il ne dit pas : il sera conduit; mais il se sert d'un passé pour un futur. Cest ainsi que parlent ordinairement les Prophètes.
2. Il y a un autre passage dans Zacharie qui montre à ne pouvoir s'y tromper que la Toute-Puissance a envoyé le Tout‑Puissant. Qui envoie? qui est envoyé? c'est Dieu le Père qui envoie son Fils. Car il dit « Voici ce que dit le Seigneur Tout‑Puissant: après la gloire, il m'a envoyé vers les nations qui vous ont pillé; car vous toucher, c'est toucher la prunelle de son œil; j’étendrai ma main sur eux, et ils deviendront la proie de ceux qui étaient leurs esclaves; et vous connaîtrez que c'est le Dieu Tout-Puissant qui m'a envoyé. » (Zach. II, 8.) Le Seigneur dit donc que le Tout‑Puissant l'a envoyé; c'est aussi le Christ qui parle aux brebis de la maison d'Israël, qui avaient péri; comme il dit dans l’Evangile : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël » (Matth. xv, 24) qu'il compare ici à la prunelle de l'œil de Dieu, à cause de son amour ineffable. Au nombre de ces brebis sont les Apôtres. Mais après sa résurrection glorieuse, car auparavant, d'après le témoignage de l'Évangéliste, Jésus n'était pas encore glorifié; il fut envoyé aux nations dans la personne de ses apôtres. De là l'accomplissement de la parole du Psalmiste: «Vous me délivrerez des rébellions de ce peuple, vous me placerez à la tête des nations, » afin que les spoliateurs et les tyrans d'Israël deviennent à leur tour non‑seulement les esclaves, mais encore la dépouille d'Israël. C'est ce qu'il avait promis à ses apôtres : « Je vous ferai pêcheurs d'hommes; » et à l'un d'eux : « Désormais vous prendrez les hommes. » (Luc. V, 10.) Dépouilles heureuses, semblables à celles qu'on enlève au
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fort armé, mais chargé de chaines par une main plus forte que la sienne.
3. Et le Seigneur dit encore par le même prophète : « En ce jour‑là j'exterminerai toutes les nations qui s'élèveront contre Jérusalem, et je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalem l'Esprit de grâce et de prières, et ils tourneront les yeux vers moi qu'ils ont insulté; et ils se lamenteront sur moi comme sur un fils bien aimé et ils succomberont à leur douleur comme s'ils pleuraient un fils unique. » (Zach. xii, 9.) Il n'y a que Dieu qui puisse exterminer toutes les nations ennemies de la sainte Cité de Jérusalem, qui marchent contre elle, c'est‑à‑dire, qui lui sont contraires, ou encore qui viennent sur elle pour la subjuguer. Qui peut, si ce n'est Dieu, répandre sur la maison de David et les habitants cet Esprit de grâce et de miséricorde. C'est là l'ouvrage de Dieu et attribué à Dieu par son prophète; et cependant Jésus‑Christ montre que ce Dieu si grand et si admirable dans ses oeuvres est lui‑même quand il ajoute : « Ils tourneront les yeux vers moi qu'ils ont insulté et ils se lamenteront comme sur un fils bien aimé et ils succomberont à leur douleur comme s'ils pleuraient sur un fils unique. » Car en ce jour, les Juifs, eux‑mêmes qui doivent recevoir l'Esprit de grâce et de miséricorde se repentiront d'avoir insulté le Christ dans sa passion, quand ils le verront venir dans sa majesté et qu'ils seront forcés de reconnaitre ce Jésus dont leurs pères ont tourné en ridicule l'humilité. Ce n'est pas tout, leurs pères eux-mêmes qui auront à se reprocher un tel sacrilège, le verront après leur résurrection, non pour se repentir, mais pour être punis. Ce n'est donc pas à eux que s'adresse cette parole: « Je répandrai sur la maison de David et sur les habitants de Jérusalern l'Esprit de grâce et de miséricorde, et ils jetteront sur moi les yeux parce qu'ils m'ont insulté; » mais à ceux de leurs descendants qui alors ajouteront foi aux paroles d'Elie. C'est ainsi que nous disons aux Juifs : vous avez fait mourir le Christ quoique ce soient leurs pères qui ont été coupables de ce déicide; de même ils pleureront d'avoir en quelque sorte fait ce qu'on ne peut reprocher qu'à leurs pères. Quoique fidèles et doués de cet Esprit de grâce et de miséricorde, ils ne puissent partager la peine méritée par l'impiété de leurs parents, ils regretteront le crime de leurs pères comme s'ils l'avaient commis eux‑mêmes. Ce
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qui causera leur peine, ce n'est pas la faute en elle même, mais la piété filiale. Les Septante ont dit : « Ils jetteront les yeux sur moi qu'ils ont insulté. » Mais l'hébreu traduit littéralement s'exprime ainsi: « Ils jetteront les yeux sur moi qu'ils ont percé. » Paroles qui rappellent plus évidemment le crucifiement de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. Mais le mot insulte, que les Septante ont employé, s'applique à toutes les circonstances de la passion. En effet cessent‑ils un instant de l'insulter quand ils se saisissent de lui, quand ils lui lient les mains, qu'ils le trainent de tribunal en tribunal, qu'ils le revêtent d'un manteau, ridicule, qu'ils le couronnent d'épines, qu'ils le frappent sur la tête avec un roseau, que par dérision ils l'adorent le genou en terre, qu'il est chargé de sa croix, et qu'il y est attaché. En adoptant l'une et l'autre expression : « insulté et percé, » nous reconnaissons plus encore la vérité de la passion de Notre-Seigneur.
4. Donc, quand dans les Saintes‑Écritures on lit que Dieu doit venir pour présider au jugement dernier, même quand il n'y est pas personnellement désigné, on doit entendre le Christ; parce que, quoique le Père doive juger, il ne le fera que par l'avénement du Fils de l'homme. En effet, quand le Père serait présent, «il ne juge personne puisqu'il a donné au Fils le droit de prononcer tout jugement.» Le Fils viendra juger comme homme parce qu'il a été jugé comme homme. De quel autre Dieu parlerait‑il par le prophète Isaïe sous les noms de Jacob et d'Israël auxquels Jésus est redevable de son humanité quand il dit: « Jacob est mon serviteur, je le protégerai, Israël est mon favori, mon cœur l'a choisi. J'ai répandu sur lui mon esprit, il jugera les nations. Il ne criera pas, il ne se taira pas, et du dehors on n'entendra pas sa voix. Il ne brisera pas le roseau déjà rompu, il n'éteindra pas la mèche qui fume encore; mais ses jugements seront conformes à la vérité; il jettera un grand éclat, et il ne le perdra pas jusqu'à ce qu'il juge la terre; et toutes les nations espéreront en son nom. » (Isaie, XLII, 1.) Dans l'hébreu on ne lit ni Jacob, ni Israël, mais les Septante voulant nous indiquer comment il fallait comprendre ici le mot serviteur, à cause de cette forme d'esclave sous laquelle le Très‑Haut a daigné se montrer, l'ont désigné par le nom de l'homme dont la postérité lui a transmis cette forme d'esclave. L'Esprit‑Saint lui a été donné sous la forme de colombe, comme l'assure l'évangile. Il a prononcé le jugement aux nations en leur prédisant l'avenir qu'elles ne connaissaient pas. Il était si doux qu'il ne cria pas,
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et pourtant il ne cessa pas de prêcher la vérité. Mais sa voix n'a pas été entendue et ne l'est pas encore par ceux qui, retranchés de son corps, ne lui obéissent pas. Et les Juifs eux‑mêmes, ses persécuteurs, qu'il compare à un roseau rompu, car leurs forces les ont abandonnés, à une lampe fumante, car ils ont perdu la lumière, il ne les a ni brisés, ni éteints; mais il leur a fait grâce parce qu'il ne venait pas les juger; au contraire pour être jugé par eux. Il prononca son jugement selon la vérité en leur annonçant l'heure du châtiment s'ils persistaient dans leur péché. Sa figure s'est tranfigurée sur la montagne, et son nom a retenti dans tout l'univers. Il n'a été ni brisé, ni broyé puisque ses persécuteurs n'ont pu obtenir qu'il cessât d'être en lui‑même, ou en son Église. Donc ne s'est pas vérifiée, ne se vérifiera jamais cette parole de ses ennemis : « Quand mourra‑t‑il? quand périra son nom? Jusqu'à ce qu'il établisse la justice sur la terre.» (Ps. XL, 6) Ce secret que nous cherchions, nous l'avons trouvé. C'est ce jugement dernier qu'il publiera sur la terre quand il sera descendu du ciel. Ces dernières paroles : « Les nations espéreront en lui » sont déjà accomplies. Puisqu'on ne peut nier cette vérité, qu'on croie donc ce qu'on ne nie que par impudence. Qui aurait pu espérer que ceux qui ne veulent pas croire dans le Christ, sont témoins comme nous, et qu'ils grincent les dents et se desséchent de ce qu'ils ne peuvent nier? Qui aurait cru que toutes les nations mettraient en lui leur espoir quand on se saisissait de sa personne, qu'on le liait, qu'on le frappait, l'insultait, le crucifiait et que ses disciples eux-mêmes étaient ébranlés dans la foi qu'ils commençaient d'avoir en lui? Ce qu'un seul larron espéra sur la croix, les nations répandues par toute la terre l'espèrent aujourd'hui et ont pris pour signe cette croix sur laquelle il est mort, afin d'éviter la mort éternelle.
5. Ainsi personne ne peut douter, encore moins nier que le jugement dernier, ainsi qu'en parlent les Saintes‑Écritures, ne soit présidé par Jésus. Peut‑être quelques esprits d'un entêtement et d'un aveuglement incroyables refuseront‑ils de se soumettre à ces témoignages, qui ont déjà prouvé leur vérité à toute la terre. Quels sont les signes qui doivent arriver à ce jugement, ou non loin de là? Les voici : l'arrivée d'Élie de Thesbé, la conversion des Juifs, la persécution de l'Antechrist, le jugement du Christ, la résurrection des morts, la séparation des bons et des méchants, l'embrasement du monde et son renouvellement. Croyons que
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tout cela doit arriver; mais comment? Dans quel ordre? C'est ce qu'apprendra l'expérience mieux que la raison humaine. Je pense cependant que tous ces événements arriveront dans l'ordre que j'ai exposé.
6. Pour achever cet ouvrage il nous reste encore deux livres à traiter ; nous espérons le faire, avec la grâce de Dieu; nous l'avons promis. Le premier traitera du supplice des méchants; le second du bonheur des justes. J'y réfuterai, selon les forces que Dieu me donnera, les frivoles objections de ces malheureux qui croient pouvoir, dans leur sagesse, détruire les prophéties et les promesses du Seigneur et méprisent comme de ridicules erreurs les aliments salutaires de la foi. Pour ceux qui sont sages selon Dieu, ils trouvent la preuve de tout ce qui paraissant incroyable maintenant, est cependant attesté par les Saintes‑Écritures, toujours trouvées fidèles dans la toute‑puissante véracité de Dieu. Ils savent qu'elles ne peuvent nous tromper, et que ce que l'infidèle croit impossible, Dieu peut facilement le faire.
FIN DU TOME VINGT‑QUATRIÈME.