Darras tome 7 p. 86
§ III. AElia Capitolina.
46. Le personnage désigné par Adrien sous le titre de patriarche des Juifs, dénomination récemment introduite dans le vocabulaire hiérarchique des Hébreux, était alors donné à certains inspecteurs que le grand Sanhédrin envoyait visiter les synagogues. Depuis la ruine de Jérusalem, l'assemblée des docteurs et des prêtres d'Israël s'était fixée à Tibériade, où elle travaillait à diriger, vers un but
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Antinoo qux dixerunt comperiisse te credo. Nihil iliis opto nisi ut suis pullis àlantur quos quemadmodum feecundant pudet dicere. Calices tibi a/lassontes versi-colores transmisi, quos mild sacerdos tempii obtulit, tihi et sorori mece specialiter Xsdicatos; quos tu ve/im festis diebus conviviis adhibeas. Caveas tnmen ne hit Jifricanus noster indulgenter utatur. CVopiscus, Saturninus, cap. Viii.)
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commun, le rétablissement de la monarchie de David, toutes les aspirations et tous les efforts des Juifs dispersés. Un rabbi fameux, Akiba, le compilateur du Talmud, était alors l'âme du Sanhédrin, qu'il présida pendant quarante ans. Les espérances d'Israël s'étaient personnifiées en lui. Il entretenait une correspondance chiffrée avec ses compatriotes de la Cyrénaïque, de l'Egypte, de Chypre, de la Mésopotamie. Le patriarche juif, que l'empereur Adrien prenait complaisamment pour un dévot à Sérapis, et au besoin pour un adorateur du Christ, n'était qu'un émissaire d'Akiba, chargé de souffler le feu de la révolte et d'attiser la haine de Rome dans le cœur des Juifs d'Alexandrie. Pour comprendre le crédit dont jouissait Akiba, parmi ses coreligionnaires, il suffit de jeter un coup-d'œil sur la légende talmudique qui lui fut consacrée. On faisait remonter sa lignée paternelle jusqu'à Sisara, ce généralissime des armées du roi d'Azor, tué de la main de Jahel, dans la tente d'Haber le Cinéen. Un sang mêlé coulait donc dans les veines d'Akiba; mais sa famille, depuis longtemps incorporée à la race hébraïque, s'était constamment distinguée par son zèle pour la loi et par un patriotisme éclatant. La jeunesse du Rabbi s'écoula, comme celle de David, dans les soins de la vie pastorale. Le futur docteur gardait les troupeaux de Calba-Scheboua, riche habitant de Jérusalem (17-40 de l'ère chrétienne). Ce fut la fille de son maître qui lui révéla la première la vocation où il devait s'illustrer. «Va, lui dit-elle un jour, étudier parmi les docteurs. Tu deviendras célèbre, tu auras toi-même des disciples, alors je t'épouserai. » Avant de s'éloigner, Akiba voulut procéder à la cérémonie des fiançailles, qui eut lieu, sans que le père de la jeune fille en fût informé. Quittant alors sa houlette pastorale, le descendant de Sisara fréquenta les écoles des maîtres les plus renommés. Cependant la fiancée refusa les riches partis qui se disputaient sa main. Calba-Scheboua, ne sachant à quoi attribuer l'obstination de sa fille, la pressa tant qu'il finit par lui arracher son secret. Cette révélation inattendue le jeta dans la fureur et le désespoir. Il chassa la jeune fille de la maison paternelle. Déchue de sa splendeur, la fiancée d'Akiba endossa les livrées de l'indigence, et se
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retira chez une vieille femme, qui passait les nuits à l'injurier sans merci. Douze années s'écoulèrent. Akiba, suivi de douze mille disciples, se présenta à la porte de la cabane où demeurait sa fiancée. Avant d'ouvrir, il prêta l'oreille au dialogue qui s'échangeait à l'intérieur. « Maudite folle ! disait la vieille, combien de temps attendras-tu ce prétendu fiancé, qui ne vient jamais. — Si Akiba mon époux comprenait ma pensée, répondit la fille de Scheboua, il resterait encore douze autres années à fréquenter les écoles. — Akiba se le tint pour dit; il rebroussa chemin, et douze ans plus tard il revint, suivi de vingt-quatre mille disciples. Cette fois la fille de Scheboua vint à sa rencontre. Mais les disciples du Rabbi, voyant cette femme couverte de haillons,-voulaient lui barrer le passage. — Que faites-vous, dit Akiba, c'est à elle que nous devons toute notre science. — La fille de Scheboua se prosterna aux genoux du Docteur, et, à partir de ce jour, elle devint la plus fortunée des femmes en Israël. La réputation d'Akiba s'accrut, au point qu'on le surnommait le nouveau Moïse. Il fixa le texte de la Mischna, seconde loi, et l'enrichit d'un commentaire, ou Gemara, qui se développa successivement, pour former deux siècles plus tard la compilation connue sous le nom de Talmud de Jérusalem 1, d'où l'érudition moderne, parmi des fables puériles et de ridicules légendes, a dégagé une foule de renseignements précieux pour l'intelligence des mœurs et du cérémonial hébraïques.
47. À l'époque de la ruine de Jérusalem par Titus, Akiba fut
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1. Il ne faut pas confondre l'œuvre d'Akiba avec le second Talmud, dit de Babylone, qui ne fut composé qu'environ deux cents ans après le premier, vers la fin du Ve siècle de notre ère. Ce dernier est l'œuvre de plusieurs rabbins qui, après la dispersion des Juifs sous Adrien, se retirèrent dans la Babylonie et y établirent des écoles qui durèrent quelques siècles, probablement jusqu'aux incursions et aux conquêtes musulmanes. C'est celui dont aujourd'hui les Juifs font le plus de cas; ils l'étudient avec un respect religieux qui égale celui qu'ils professent pour les Livres saints. Toutes les fois qu'il parlent du Talmud, de la Mischna ou de la Gemara, ils entendent la compilation babylonienne, en douze volumes in-folio. Le Talmud de Jérusalem n'a qu'un volume également in-folio. (Cf. Cours complet d'Hist, ecclés., tom. X, col. 1310.)
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assez heureux pour échapper aux massacres et à la captivité qui frappèrent tant de milliers de ses compatriotes. Lors de l'avénement d'Adrien à l'empire, Akiba était centenaire, mais par un nouveau trait de ressemblance avec Moïse, les années semblaient respecter son génie. Réparer les désastres de Jérusalem et faire retomber sur Rome les malheurs de Sion, telle était sa préoccupation constante. Il tenait dans sa main tous les fils de l'insurrec-tion. Par ses ordres, de nombreuses bandes s'étaient retranchées en armes dans les montagnes de la Palestine, d'après un plan stratégique qui permettait déjà d'apercevoir le mouvement d'ensemble que le Rabbi voulait préparer. Les positions militaires occupées par ces groupes isolés, étaient reliées entre elles au moyen de communications souterraines, établies dans de vastes proportions, et pouvant servir de retraites et d'issues aux rebelles, en cas de surprise ou de défaite. Cependant Akiba ne pouvait lui-même conduire ses guerriers au combat. II lui fallait un chef militaire. Il l'improvisa dans la personne d'un aventurier, dont le nom véritable est demeuré inconnu, mais qu'il présenta aux insurgés sous le titre de Bar-Cocab ou Bar-Cocébas, Fils de l'Etoile. Ce héros devait réaliser l'antique prophétie de Balaam : « Une étoile se lèvera du sein de Jacob; un sceptre se dressera du milieu d'Israël, pour frapper les chefs de Moab. » Akiba consigna l'avènement du pseudo-Messie dans le Talmud, et fit accepter Bar-Cocébas, comme le Sauveur promis aux patriarches, prédit par les prophètes, et attendu depuis tant de siècles par les enfants d'Abraham. Cette apparition d'un sauveur armé, qui allait prendre en main l'épée de David, renverser la domination étrangère, refouler en Occident les aigles romaines et venger deux siècles d'oppression et d'outrages, enthousiasma les Juifs. La guerre sainte fut déclarée. Adrien venait de quitter l'Egypte et la Syrie, pour retourner en Grèce. La plupart des légions l'avaient suivi, comme escorte d'honneur, en sorte que les garnisons de la Palestine se trouvaient diminuées de plus de moitié. Bar-Cocébas profita habilement des circonstances. A la tête de troupes fanatisées par les prédications d'Akiba, il vint planter son étendard victorieux sur les ruines de Jérusalem, s'empara de cin-
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quant places fortes, et reçut la soumission des bourgades et des villages de l'ancienne Judée. Le vieil Akiba, comme autrefois Samuel, versa l'onction sainte sur la tête du triomphateur. Bar-Cocébas prit le titre de roi des Juifs et se proclama l'héritier et le rejeton de David. Il fit frapper à son nom la monnaie nationale, mais le temps lui manqua pour faire un coin nouveau. Il dut se contenter de reprendre celui qui avait servi jadis sous les Machabées, en y ajoutant ie titre de Fils de l'Etoile. Deux cent mille hommes étaient prêts à vaincre ou à mourir pour le nouveau roi. Bar-Cocébas aurait voulu que les chrétiens vinssent grossir, par leur adjonction, cette formidable armée, et prendre part à l'insurrection contre Rome. Il se vengea de leur refus en les faisant expirer dans les plus cruelles tortures 1. C'est à cette époque que se rattache le martyre de saint Jude, évêque de Jérusalem, dont le nom se trouve inscrit le quinzième dans les diptyques de cette Église 2. Un trait caractéristique, raconté par le Talmud, peut d'ailleurs nous donner l'idée de l'exaltation sauvage des insurgés. On prétend que Bar-Cocébas exigeait de chacun de ses guerriers, avant de l'admettre dans les rangs, qu'il se coupât lui-même et sans pâlir, un doigt de la main.
48. Adrien, qui riait de tout, commença d'abord par accueillir avec ses sarcasmes habituels la nouvelle de l'insurrection juive. Il se contenta d'écrire au gouverneur de Judée Tinnius Rufus, pour lui donner l'ordre d'éteindre cette ridicule tentative dans le sang de ses auteurs. Le gouverneur rassembla le peu de soldats romains demeurés sous ses ordres, tomba avec eux sur quelques villes non fortifiées, passa les enfants et les femmes au fil de l'épée, brûla les habitations et confisqua les terres. Ces exploits furent bientôt arrêtés par l'armée de Bar-Cocébas, qui infligea au proconsul romain une honteuse défaite. Tinnius Rufus essaya vainement de reprendre l'avantage; trois nouveaux échecs, qui anéantirent sa faible armée, vinrent apprendre à Adrien que la révolte de Palestine
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1. Dio Cassius, In Aclnan., § 13. — 2. Martyrot. Hieronymian., Act. Sanct., I» maii; Usuard, 4 maii; Bollaudist., ;om. III, rnaii; Tractât, prcelimin., Oriens Christian., pag. 9, n. 34; Lcquien, tom. III, pag. 143.
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était une affaire sérieuse. Le Fils de l'Étoile avait étendu ses relations en Arménie, dans l'Adiabène, en Perse, cherchant partout des ennemis à l'empire; s'associant, parmi les peuplades voisines, une multitude avide de pillage, qui venait grossir le nombre de ses troupes; liant des intrigues avec ses coreligionnaires sur tous les points du monde. L'insurrection mettait en mouvement tout l'univers. Adrien, épouvanté, fit appel au vainqueur de la Grande-Bretagne, Julius Severus, réputé le plus grand général de son temps, et le fît passer en Judée avec ses meilleures troupes. Il était temps. Tinnius Rufus, quatre fois vaincu, n'ayant plus à sa disposition qu'un petit nombre de soldats démoralisés, était sur le point de tomber au pouvoir des rebelles. Le nouveau généralissime s'inspira de la tactique prudente suivie autrefois par Vespasien, dans une circonstance analogue. Évitant avec soin les batailles rangées, où les Juifs auraient pu déployer toutes leurs forces, décuplées par l'énergie du patriotisme, il manœuvra de telle sorte que ses troupes, espacées dans un cercle concentrique qui devait se resserrer gra- duellement, n'eurent jamais que des engagements partiels. A mesure qu'une place était prise, on passait tous les habitants au fil de l'épée, on brûlait les maisons, on dévastait le territoire. Le désert se faisait ainsi autour des insurgés. La guerre dura plus longtemps; mais elle entraîna moins de dangers, et son résultat fut définitif. Jérusalem, ou plutôt les ruines de cette capitale juive que Bar-Cocébas n'avait pas eu le temps de relever, ne tardèrent pas à être occupées par les Romains. Leur muraille mobile se resserrait autour des insurgés, qui se virent successivement enlever cinquante places fortes, et plus de neuf cents villages livrés aux flammes par Julius Severus 1.
49. Le Fils de l'Etoile s'enferma avec toute son armée dans la forteresse de Bétherra2 . La position géographique de cette ville, qui allait devenir un centre de résistance aussi important que l'avait été Jérusalem sous Vespasien et Titus, n'a pu encore être déterminée par la science moderne. Eusèbe la place à une distance assez
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1 Dio Cassius, loc. citât. --.2. Le Talmud donne à cette ville le nom de Belher ou Bitter.
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rapprochée de Jérusalem 1 ; le Talmud d'Akiba affirme qu'elle était à quarante milles (douze lieues) de la mer2; un passage de la Mishna semble indiquer qu'elle se trouvait hors des limites de la Judée, et peut-être dans le midi, non loin de Thecué 3; enfin quelques auteurs l'identifient avec Rethsour, près d'Hébron, où l'on trouve encore aujourd'hui un village arabe du nom de Béthour 4. Quoi qu'il en suit, les traditions rabbiniques s'accordent à relever l'importance de ce dernier poste militaire, occupé par les Juifs en armes sur le sol de la patrie. On en jugera par l'hyperbole suivante : « On comptait dans Bitter, dit le Talmud, quarante collèges, dont chacun avait quarante maîtres, et chaque maître quatre cents disciples 3. » Le total de cette modeste énumératiou donnerait le chiffre formidable de six cent quarante mille écoliers. On ne se plaindra pas que l'éducation fût négligée à Bittter. Ce qui est certain, c'est que Bar-Cocibas y groupa autour de lui les forces vives de la nation. Tous les membres du Sanhédrin y étaient réunis, sous la direction d'Akiba, leur patriarche. La peine de mort fut décrétée contre quiconque parlerait de se rendre. La première victime de cette mesure extrême fut le pieux rabbi Eliézer de Modéin. Il passait les jours et les nuits à prier pour le succès du roi, dit encore le Talmud. Mais un délateur l'accusa d'entretenir une correspondance secrète avec les ennemis. Bar-Cocébas lui fit trancher la tête. Bitter avait été investie par toute l'armée romaine. Les horreurs du siège de Jérusalem se renouvelèrent, dans cette citadelle maintenant inconnue. S'il faut en croire les traditions juives, Bitter résista trois ans et demi aux efforts des légions. L'empereur Adrien serait venu, en personne, ranimer le courage de ses soldats et l'ardeur de leurs chefs. Les assiégés souffrirent héroïquement les tortures de la faim et de la soif, car le pain et l'eau manquaient également. La terreur inspirée par le Fils de l'Etoile maintenait dans
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1.'"iwh.,Uist. eedes., lib. IV, 6. — 2. Thaanith., cap. iv. — 3. Mischna, 1«pars. IMaili, ciip. IV, g 10. —4. Mluncli, Palatine, yng. GOG.
5. Qui rlr.i'/iida tjyw.nn.na fuere in urlm Bille/; quorum quodque erat pedagogit guatlra'/i'tl'i, rtec pauciorcs quant qnntli'ar/mtofi quisque habehat discipulos. (Talmud. Gutllin., fol. 57 ; Mischna, De Uxore suspect., c. Vlll, § 1, not. 12.)
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le cœur de cette population décimée par la famine et la peste, une ardeur et un fanatisme qui triomphaient de la mort elle-même. Au temps de saint Jérôme, on disait encore, dans toute la Palestine, que « la bouche de Bar-Cocébas vomissait des flammes 1, » soit que l'imposteur juif usât réellement d'un procédé connu de tous les charlatans pour en imposer à la crédulité vulgaire, comme saint Jérôme paraît le croire, soit qu'avec M. Salvador, on prenne cette expression pour une allégorie orientale, représentant la puissance du dernier héros de la nationalité juive, pour échauffer l'âme de ses partisans, et allumer l'incendie qui, selon la parole de Dion Cassius, avait menacé l'empire d'une conflagration universelle. Akiba secondait de sa parole et de son exemple les efforts désespérés du roi de son élection. Enfin, l'an 136, le jour anniversaire de la prise de Jérusalem par Titus, dans un dernier assaut donné simultanément par toutes les légions romaines, les remparts de la citadelle furent escaladés et Bitter fut prise. D'après les traditions des vaincus, le massacre fut horrible. On compta les cadavres par millions, le sang versé par le glaive des soldats aurait formé deux torrents qui se précipitaient de la montagne, entraînant des rochers sur son passage et roulant jusqu'à la mer. Sous une seule pierre, on aurait recueilli les crânes de trois cents enfants. Avec les ossements des victimes, Adrien aurait construit le mur d'un domaine de six lieues de long et autant de large. Tout en faisant la part de l'exagération habituelle chez les rabbins, l'histoire doit constater ici que les chiffres fournis par Dion Cassius sont réellement formidables. «Dans tout le cours de la guerre, dit-il, cinq cent quatre-vingt mille Juifs furent tués les armes à la
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1. Ut Me Bar Chochabas, auctor seditionis judaïcœ, stipulam in ore succensam anhelitu ventilabai, ut flammas evomere putaretur. (S. Hieronym., Apolog. ad' versus lit) rus Ru fini, lib. III, 31 ; Patrol. lat.,XXUI, col. 480.)
2. llos Romani primo nihili faciebant, sed poslquam totam Judœam commotaK'î esse, Jiulœoique omnes ubique gentium tumultuari et conventus facere intettexe^ runt, ac multa damna occulte aperteqiie Romanis infene, cum iisque complureS a/ias génies lucri cupidilate conjungi, ac fere ob eatn causam omnem orbem ter<*> rarum commoveri, Adrianus optimos quosque duces adversum eos miltit. (Dio Cassius, In Adrianum, Cf, Salvador, Dominât, rom. en Judée, tom. XI, p. 531. ^
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main. Le nombre de ceux qui périrent par la famine, la peste et l'incendie, est incalculable. Presque toute la Judée fut transformée in un désert. Du côté des Romains, les pertes furent tellement énormes qu'Adrien, en écrivant au sénat pour l'informer de sa victoire, n'osa point commencer sa lettre par la formule ordinaire: « Si vous et vos enfants vous prospérez, c'est bien; il en est de même de l'empereur et de l'armée1. »
50. Le Fils de l'Etoile, plus heureux que n'avaient été Simon Gioras et Jean de Giscala, tomba, frappé d'un coup mortel, au moment où les Romains victorieux entraient dans la forteresse. Le soldat qui l'avait tué, lui trancha la tête et porta ce trophée sanglant à l'empereur. Adrien, disent les traditions talmudiques, se fit montrer le cadavre du Fils de l’Etoile. Au moment où il le considérait, un serpent enlaçait de ses replis le corps du dernier roi juif. « Jamais une puissance humaine n'aurait triomphé de ce héros, dit l'empereur. II a fallu que les dieux vinssent à notre secours. » Akiba fut fait prisonnier, avec neuf autres docteurs qui formaient le comité de défense nationale. Le Talmud a conservé leurs noms. C'étaient Ismaël, fils d'Êlisab ; Siméon III, fils de Gamaliel II;Lakida; Ananias, fils de Téradion; Éléasar, fils de Samua; Juda, fils de Damas; Isbab le Scribe; Hanima, fils d'Akinaï; Jude, fils de Babas. On donna l'ordre de les livrer immédiatement au supplice : Akiba fut réservé à mourir le dernier. On le déchirait avec des ongles de fer, pendant que ses compagnons mouraient sous ses yeux. Durant cette double et longue torture, le rabbi ne0 cessa de répéter la fameuse profession de foi hébraïque : «Écoute, Israël, Jéhovab est ton Dieu; Jéhovah est un. » Quand la hache du licteur le frappa du coup mortel, il redisait encore cette expression biblique, qui résumait toute sa croyance et toute sa vie. Les
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1 Cessa tunt in excursionibus prœliisque hominum quingenia octoginta miliia : eorum aulem qui famé, morbo, et igni interierunt, infinita fuit multitudo, ita ut omnis pêne Judœa déserta relicta fuerit. Periere quoque ex Romanis comptures in eo bello. Quamobrem Hadrianus quum scriberet ad senatum, non est vjus illo exordio, quo uti imperalcres consueverunt : SI VOS L1BER1QVE VESTR1 VALE-Ï1S, BENE EST : EGO QV1DEM ET EXERCITVS VALEMVS. (Dio Cassius.loe, «it.)
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Juifs n'ont rien appris, ni rien oublié. Depuis Akiba, ils persistent toujours à regarder le dogme chrétien de la Trinité, et celui de l'Incarnation du Fils de Dieu, comme des croyances idolâtriques. Pour eux, comme pour Akiba, le seul Christ possible serait un guerrier victorieux, qui rétablirait la monarchie de Jérusalem et le sacrifice mosaïque, sur l'autel de Sion. Nous avons déjà dit que cette espérance devient de plus en plus irréalisable, à mesure que les siècles s'écoulent. On pourrait, avec de l'or, reconstituer en Judée un royaume aussi étendu que celui de David; peut-être réussirait-on à reconstruire un temple sur l'emplacement de la Mosquée actuelle du Haram el Schérif; mais tout l'or du monde et toute l'influence d'Israël seraient impuissants à ressusciter la pratique des sacrifices quotidiens, l'exercice de cette boucherie sacrée, où les vœux des mortels s'élevaient au pied du trône de Jéhovah, parmi la fumée des chairs rôties, la vapeur du sang et les nuages aromatiques de l'encens et de la myrrhe. Adrien acheva de détruire les restes de Jérusalem, épargnés par Titus. II fit abattre les trois tours hérodiennes Hippicos, Mariamne et Phasaël, réservées jusque-là pour abriter la garnison romaine, chargée de veiller sur les ruines de Sion. Il fit passer la charrue et semer du sel sur les fondements renversés. Cette destruction définitive serait encore réparable; on peut remuer des pierres et reconstruire des monuments. Mais nous défions le judaïsme de faire reprendre goût à l'immolation sanglante qui est le pivot du culte de Moïse. Plus le temps viendra, plus ce carnage sacré sera impossible. Pourquoi donc le judaïsme s'obstinerait-il encore à attendre une restauration qui ne se fera jamais?
31. Adrien fit exposer comme esclaves tous les prisonniers juifs, sur les marchés de Térébinthe et de Gaza. Le nombre des captifs était tel qu'on refusa de les acheter. L'empereur en fit diriger des quantités considérables en Espagne, sa patrie; le reste fut traîné en Egypte et livré gratuitement aux indigènes, qui s'en servirent comme de bêtes de somme. L'Occident tout entier fut inondé de cette marchandise humaine, à laquelle son abondance enlevait toute valeur. Le désastre des Juifs, sous Adrien, surpassa ceux
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que Nabuchodonosor et Titus avaient fait subir à leurs pères. L'empereur avait résolu d'effacer jusqu'au dernier vestige de l’antique Jérusalem. Il crut n'y pouvoir mieux réussir qu'en fondant sur les ruines mêmes une cité païenne, à laquelle il donna son propre surnom, allié à une épithète consacrée à Jupiter. La ville nouvelle s'appela donc AElia Capitolina. Son enceinte fut tracée de telle sorte qu'elle laissait au dehors des remparts toute l'esplanade du mont Sion, la porte de l'Angle et le côté septentrional, qui s'étendait jadis de la porte Sterquiline à celle d'Éphraïm. La montagne du Calvaire et le sépulcre du Sauveur, qui ne faisaient point partie de la ville ancienne, furent compris dans la circonscription du nouveau tracé. Une idole de Jupiter fut érigée sur l'emplacement du Saint-Sépulcre. Une statue de Vénus se dressa au lieu où Pilate avait l'ait élever la croix de Jésus-Christ. Adrien voulait profaner tous les lieux consacrés par les souvenirs de la rédemption; il ne s'apercevait pas que cette profanation même devait, pour l'avenir, en déterminer plus sûrement la véritable situation. Un bois, destiné au culte d'Adonis, fut planté à Bethléem, autour de la crèche où Jésus était né. Par un raffinement de précaution sacrilège, l'empereur fit employer les matériaux provenant de la démolition du Temple de Jérusalem, à bâtir l'amphithéâtre d'AElia Capitolina. Quand il eut achevé cette ville improvisée, il fit placer, sur la porte principale, un pourceau de marbre, l'animal le plus immonde aux yeux des Juifs. Une colonie de Syriens et d'Égyptiens fut mise en possession de la cité nouvelle. L'entrée en fut interdite aux Hébreux; on dut même leur défendre de s'arrêter, pour la regarder de loin, tant était persévérant et opiniâtre leur amour pour Sion ! Ils furent réduits à acheter, à prix d'or, la permission d'aller, un jour dans l'année, baigner de leurs larmes les lieux où la religion de leurs pères avait fleuri autrefois avec tant de gloire. Saint Jérôme, qui fut témoin, de son temps encore, de cette lugubre cérémonie, disait : «Après avoir acheté le sang du Sauveur, les Juifs sont obligés aujourd'hui d'acheter leurs propres larmes. On rançonne jusqu'à leurs pleurs! Quel triste et lamentable spectacle, de voir, à l'anniversaire de la ruine de Jérusalem, accourir, dans un appa-
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reil lugubre, une multitude désolée, tout un peuple, hommes, femmes, enfants, vieillards, en haillons, et portant, sur leurs corps exténués par la faim et l'indigence, la marque du courroux du Seigneur! Des larmes coulent le long de leurs joues; leurs bras livides s'étendent pour implorer la miséricorde divine; ils laissent tomber leurs cheveux épars et se meurtrissent la tête sur la pierre nue de quelque assise salomonienne. Cependant un soldat roman se présente au nom du fisc; il tarife les lamentations et se fait payer un large tribut, si l'on veut plus longtemps prier et pleurer 1 ! » Cette catastrophe tourna néanmoins à l'avantage de l'Église chrétienne de Jérusalem. Jusque-là elle avait été gouvernée par des évêques convertis du judaïsme, et précédemment soumis à la loi mosaïque de la circoncision. Le séjour à AElia Capitolina n'étant plus permis qu'aux païens ou gentils, l'Église de la cité nouvelle se recruta parmi les conquêtes qu'elle faisait dans leur sein. D'ailleurs, en achevant la dispersion du peuple déicide, cette dernière tempête donna une nouvelle force et un nouvel éclat aux preuves de la religion chrétienne, qui, d'après les prophéties, devait succéder au judaïsme et s'élever sur ses ruines. Le premier des évêques de Jérusalem, choisi en dehors de la circoncision, fut saint Marc, dont le nom est inscrit au Martyrologe romain, sous le titre de martyr, le 22 octobre1.
52. Loin d'ouvrir les yeux en présence d'une vengeance divine si manifeste, les docteurs juifs s'appliquèrent plus que jamais à s'aveugler eux-mêmes, et à maintenir dans l'erreur leurs malheureux compatriotes. Sous le titre de princes de la captivité, les rabbins reconstituèrent des collèges dans plusieurs villes de la Galilée, notamment à Séphoris et à Tibériade. Les premiers linéaments du Talmud, tracés par Akiba, furent augmentés de toutes les traditions flottant à l'état de souvenirs, dans les écoles pharisaïques. L'esprit qui se révèle, à chaque pas, dans cette énorme compilation, est celui d'une haine fanatigue contre le nom et la doc-
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1 S. Hieronym., In Sopfion. {.omment., cap. II. 2 Le QulfiD., Oriens. Christian., tom. III, psg. 146; Martyr, rom., 2â octobr.
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trine de Jésus-Christ.