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Je pense qu'il importe de noter comment la doctrine trinitaire devient ici une affirmation existentielle, comment le fait de soutenir l'identité de la relation et de l'unité devient éclairant par rapport à nous.
L'essence de l'être personnel trinitaire, c'est d'être pure relation et de ce fait unité absolue. On reconnaîtra sans peine maintenant qu'il n'y a pas là contradiction.
On verra aussi plus clairement désormais que l'unité la plus parfaite n'est pas celle de l' «atome », de l'unité indivisible la plus petite 30, mais que l'unité absolue se réalise uniquement dans l'esprit et inclut le caractère relationnel propre à l'amour.
La confession de l'unicité de Dieu est donc aussi radicale dans le christianisme que dans toute autre religion monothéiste; c'est même là seulement qu'elle atteint son degré maximum.
L'essence de la vie chrétienne consiste à accueillir et à vivre l'existence comme être relationnel, à entrer ainsi dans cette unité qui est le principe et le fondement du réel.
A partir de là, on peut voir comment la doctrine trinitaire bien comprise peut devenir la clé de voûte de la théologie et de la pensée chrétienne en général, le point de départ de toutes les autres lignes de réflexion.
Revenons encore une fois à l'évangile de Jean, qui est ici la meilleure référence. On peut dire que la ligne de pensée ci‑dessus indiquée constitue la véritable dominante de sa théologie.
En dehors de l'idée de « fils”, elle apparaît surtout dans deux concepts christologiques, que nous évoquerons brièvement à titre de complement: l'idée de « mission » et la désignation de Jésus comme « Parole” de Dieu (Logos).
La théologie de la « mission” se présente ici encore comme théologie de l'être en tant que relation, et théologie de la relation en tant que forme de l'unité. On connaît le mot du judaïsme tardif: « L'envoyé d'un homme est comme cet homme lui‑même 31.”
Jésus apparaît chez Jean comme l'Envoyé du Père, en qui s'accomplit réellement ce à quoi tous les autres envoyés ne peuvent que tendre: tout son être, c'est d'être envoyé; lui seul est l'Envoyé qui représente l'autre sans interposer son propre être.
Ainsi, parce qu'il est l'Envoyé véritable, il est un avec Celui qui l'envoie. A nouveau, par le concept de mission, Jésus
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p121 LA FOI AU DIEU UN ET TRINE
est interprété comme « être venant‑de » et “être ordonné‑à »; à nouveau l'être est conçu comme ouverture totale et sans réserve.
A nouveau l'application est faite à l'existence chrétienne : “Comme le Père m'a envoyé, ainsi je vous envoie” (13, 20; 17, 18; 20, 21). En plaçant cette existence dans la catégorie de la mission, Jean l'explique une fois de plus comme “être venant‑de”, “ordonné‑à”, comme être relationnel et partant comme unité.
Pour terminer, il ne sera peut‑être pas inutile de faire une remarque au sujet du concept du Logos. En caractérisant le Seigneur comme Logos, Jean reprend un mot largement répandu dans l'univers intellectuel grec et juif; en même temps, il adopte ainsi toute une série de représentations et d'associations d'idées, contenues dans ce mot et qui se trouvent de la sorte transférées au Christ.
Or la nouveauté que Jean a inscrite dans le concept du Logos consiste peut‑être avant tout en ce que, pour lui, le Logos ne représente pas simplement l'idée d'une rationalité éternelle de l'être, comme le concevait essentiellement la pensée grecque.
Appliqué à Jésus de Nazareth, le concept du Logos reçoit une nouvelle dimension. Il n'exprime plus simplement l'imprégnation de tout être par le sens, mais désigne cet homme: celui qui est ici présent est “Parole”, est le “Verbe”.
Le concept de Logos, qui signifiait pour les Grecs “sens» (ratio), devient ici réellement “parole” (verbum). Celui qui est ici présent est “parole”; il est donc “dit”, parole exprimée par quelqu'un et adressée à quelqu'un et de ce fait, pure relation entre celui qui parle et ceux qui sont interpellés.
Ainsi la christologie du Logos, en tant que théologie de la Parole, représente elle aussi une ouverture de l'être sur l'idée de relation. Car ici encore l'on peut dire : la parole est essentiellement “à partir de quelqu'un d'autre”, “vers quelqu'un d'autre”; elle est une existence qui est tout entière passage et ouverture.