Ratzinger
p137 LA FONCTION DU MAGISTÈRE
Chacun doit avoir le droit de mûrir et d'exprimer librement sa propre opinion. L'Église s'est déclarée tout à fait favorable à cela dès avant le concile Vatican II, et elle l'est encore aujourd'hui. Mais cela ne veut pas dire que toute opinion exprimée doit être reconnue comme catholique. Chacun doit pouvoir s'exprimer comme il le veut et comme il le peut en face de sa propre conscience. Mais l'Église doit pouvoir dire à ses fidèles quelles sont les opinions qui correspondent ou ne correspondent pas à leur foi. Cela est son droit et son devoir, afin que le oui reste oui, et que le non reste non, et afin que soit préservée la clarté qu'elle doit à ses fidèles et au monde.
Celui qui aujourd'hui exerce l'autorité dans l'Église n'a pas de pouvoir. Au contraire, il se trouve être contre le pouvoir dominant, contre la force d'une opinion pour laquelle la foi dans la vérité est un trouble insupportable pour la bonne conscience avec laquelle on se consacre aux abus. Ce pouvoir dominant n'hésitera pas à frapper qui le contredit, mais justement, c'est, selon saint Paul, la condition
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de l'apôtre, du témoin de Jésus‑Christus dans le monde (1 Co, 4, 12). Au fond, la même chose arrive à celui qui, dans le monde, a le courage de se déclarer chrétien et le courage de vivre en chrétien.
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………… Pour la majorité, le mécontentement vis‑à‑vis de l'Église provient du fait qu'étant une institution comme beaucoup d'autres, elle aussi limite leur liberté. La soif de liberté est la forme dans laquelle s'exprime aujourd'hui le désir de libération et le sentiment de non‑liberté, d'aliénation. L'invocation de la liberté aspire à une existence qui ne soit pas limitée par ce qui est déjà donné, par ce qui vient faire obstacle à mon plein épanouissement, en me présentant de l'extérieur la route que je devrais suivre. Mais surtout, je me heurte à des barrières, à des barrages routiers qui m'arrêtent et m'empêchent de passer outre. Ces barrages élevés par l'Église apparaissent par conséquent comme doublement pénibles parce qu'ils pénètrent jusque dans ma sphère la plus personnelle et la plus intime. De fait, les règles de vie de l'Église sont bien plus qu'une espèce de code de la route permettant à la société d'éviter autant que possible les collisions. Elles concernent mon cheminement intérieur, me disent comment je dois comprendre et former ma liberté. Elles exigent de ma part des décisions qui ne peuvent être prises sans la souffrance du renoncement. Peut‑être veut‑on me refuser les plus beaux fruits du jardin de la vie?
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2. Une réforme inutile
Mais comment cela se produirait‑il? Comment semblable réforme pourrait‑elle réussir? Eh bien, commençons toujours, disons‑nous. Et, souvent, c'est dit avec la présomption ingénue de l'esprit éclairé, persuadé que les générations précédentes n'ont pas bien saisi le problème, ou qu'elles se sont montrées trop pusillanimes et bien peu éclairées. Nous, en revanche, nous possédons finalement aussi bien le courage que l'intelligence. Quelle que soit la résistance que les réactionnaires et les fondamentalistes pourront opposer à cette noble entreprise, elle sera mise en oeuvre. Du moins, il y a une recette extrêmement éclairante: au départ l'Église n'est pas une démocratie. A ce qu'il paraît, elle n'a pas encore intégré dans sa constitution interne ce patrimoine de
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droits de la liberté élaboré par le siècle des Lumières, et reconnu depuis lors comme loi fondamentale par les formations sociales politiques. Ainsi semble‑t‑il être la chose la plus ordinaire du monde que de récupérer une bonne fois tout ce qui avait été laissé de côté, et de commencer à constituer ce patrimoine fondamental de structures de liberté. Comme on dit, ce chemin va d'une Église paternaliste et distributrice de biens à une Église‑communauté : personne ne devrait plus se contenter de recevoir passivement les dons qui le font chrétien. Au contraire, chacun doit devenir un acteur de la vie chrétienne.
Darras tome 33 p.
A un autre point de vue, disent encore les libéraux, cette paix d'Augsbourg est digne d'admiration. La constitution du saint Empire Romain avait livré le monde au pape et à l'empereur ; le pape était le chef spirituel ; l'empereur le chef temporel de l'humanité. La paix d'Augsbourg abat l'Empire ; elle assure l'indépendance des princes et délivre le pouvoir civil du service des doctrines orthodoxes. Des chefs d'Etat n'ont plus qu'à s'occuper du bien-être de leurs sujets : c'est à l'Église et au Saint-Siège, à faire seuls leurs affaires, quitte à représenter Jésus-Christ comme rédempteur des âmes et à abandonner l'idée impraticable de sa royauté sur les nations. » Nous ne discuterons pas ici, au point de vue des principes, ces extases et ces emphases des libéraux. Nous ferons seulement observer que les Luthériens en révolte, réclament la liberté tant qu'ils sont en minorité et oppriment dès qu'ils sont les plus forts. Aussitôt qu'ils se voient des chances de victoire, ils arborent le drapeau de la rébellion. Si la victoire est fidèle à leurs drapeaux, ils se serviront de la paix pour avancer les affaires de leur tyrannie, en violant tant qu'ils le pourront les droits et les intérêts des catholiques. A partir de la paix d'Augsbourg, il n'y a plus en Europe, à l'ordre du jour, qu'une question : Poursuivre le dépouillement intégral de l'Église catholique ; il n'y a plus qu'une consigne : Dépouiller l'Église aujourd'hui pour demain l'anéantir. La tolérance inscrite dans les traités il y a trois siècles, préconisée longtemps par les protestants, les déistes et les libéraux, est reniée aujourd'hui, par ces mêmes libéraux sur toute la face de la terre; à la place du libéralisme, nous voyons l'athéisme persécuteur, la proscription des religieux et des prêtres, l'asservissement du chef de l'Église, Satan avec ses suppôts s'efforcent d'établir son règne sur les débris de la croix abattue. Ce libéralisme est cynique avec ses admirations pour les principes de la paix d'Augsbourg.
35. La paix d'Augsbourg complète la victoire du protestantisme
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en Allemagne. Le saint empire Romain est anéanti, dépouillé de ses prérogatives, en attendant que périssent même ses ruines. La nation allemande, livrée aux caprices d'une multitude de papes laïques et de souverains absolus, a cessé d'être une ; elle est désormais divisée en deux partis, ou mieux partagée en deux camps ; elle versera des flots de sang pour des disputes de prépondérance ; elle en versera des torrents, pour reprendre son unité perdue. En proie, même en temps de paix, aux déchirements intérieurs, elle en forme plus qu'un corps sans âme, dont les membres se paralysent ou s'interdisent le mouvement. L'influence de l'Allemagne s'éclipse devant la suprématie de la France. La liberté disparait sous l'oppression de ses prétendus défenseurs ; et l'axiome inventé alors : Cujus regio hujus religio : montre à quel état de dégradation les victoires du libre examen ont réduit les peuples. Exemple nouveau de cette grande vérité, qu'en dehors de l'Eglise, la révolte contre le Pontife Romain aboutit forcément au plus abject despotisme. Si l'on veut, au surplus, apprécier les motifs personnels qui inspiraient les chefs du luthéranisme, qu'on écoute l'historien Gfrorer : « Remplacez, dit-il, le mot de religion par biens du clergé et vous aurez la clef de l'énigme. Le sens de la réforme est que les biens du clergé appartiendront au souverain dans les états duquel ils sont situés. La question de la croyance des sujets se révèle alors telle qu'elle est réellement, une question tout accessoire. Pour justifier la confiscation des biens du clergé, les princes n'ont qu'à arborer la bannière de la nouvelle doctrine et la chose devient toute naturelle. La paix de religion d'Augsbourg a dévoilé le secret du point de vue sous lequel les grands seigneurs allemands ont considéré la réforme dès le principe. L'intention de Luther fut sans doute pure (tel n'est pas notre avis) ; mais ceux aux mains desquels il livra la nouvelle Eglise n'eurent, dès le premier moment, en vue que l'agrandissement de leurs possessions et de leur souveraineté, et ce fut au jour de la victoire que se montra dans toute sa réelle nudité ce qu'on avait jusqu'alors caché sous toute espèce de masques hypocrites. » — Ainsi donc, après vingt ans de luttes terribles, entreprises au nom de l'Evangile et de la liberté, après le soulève-
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ment des masses et les guerres des princes, après le bouleversement de l'Eglise et la ruine de l'Allemagne le protestantisme triomphant dresse son drapeau sur les débris du catholicisme abattu. Quels sont les résultats de la victoire? Le mouvement, confisqué au profit des princes, est immédiatement dirigé contre l'Empereur, et, avec le pouvoir impérial, tombe la barrière qui s'opposait au despotisme des petits souverains. Le peuple n'est pas encore entré dans la vie publique. La petite noblesse et les classes inférieures sont tour à tour écrasées et dépouillées de ce qu'elles possédaient auparavant de sécurité, de liberté, de privilèges et de droits. La conscience n'est plus qu'un vain mot ; la religion, l'esclave complaisante des princes ; le sujet, une machine sans âme, plus dégradé que l'ilote de Sparte. Mais qu'on écoute encore Gfrorer sur les soi-disant réformes du luthéranisme. « Après le règne des prédicateurs de cour, dit-il, surgit une multitude de très-petits, mais aussi très-orgueilleux papes luthériens, qui gouvernaient leurs troupeaux avec un sceptre de fer et assombrissaient les intelligences. Ces hommes n'ont, en effet, employé le pouvoir remis entre leurs mains que pour déshonorer pendant cent-cinquante ans l'église de Luther, par les plus scandaleuses querelles du dogme et dépouiller les populations, qu'ils entraînaient dans leurs disputes, de leur gaieté et de leur bon sens. Bientôt des luthériens sincères firent la remarque que la nouvelle église, au lieu d'un Pape unique et grand, inaccessible par le fait même de sa haute position aux mesquines jalousies, avait créé toute une quantité de petits papes parfaitement insupportables dans leur ensemble. La comparaison entre le passé et le présent découvrit des plaies plus profondes encore. Les chefs de l'église luthérienne, insolents pour tout ce qui était au-dessous d'eux, n'étaient plus que d'humbles complaisants pour tout ce qui leur était supérieur. Le moyen âge, dans sa meilleure époque, avait maintenu avec une grande fermeté le principe que l'autorité royale et l'autorité pontificale (sauf à Rome) ne pouvaient jamais être réunies sur une seule tête. C'est à ce principe que le monde latino-germanique dut sa liberté, sa civilisation propre ; car là où l'Eglise et l'Etat, le prêtre et le souverain
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se font mutuellement contrepoids, il n'y a pas place pour une tyrannie régulière. La réforme changea tout cela. Après qu'on eut secoué le joug de Rome les souverains héritèrent, dans tous les pays luthériens, de la succession du Pape, c'est-à-dire de son autorité suprême sur l'Église comme de ses revenus. Sous ce dernier rapport surtout l'échange fut honteux. Les sommes que les curés ou l'évêque tiraient autrefois des dispenses de mariage ou de pénitences spirituelles, furent versées dans les caisses princières, et les impôts qui avaient fait jeter les hauts cris, au commencement du XVIe siècle, furent dès lors proclamés très-légitimes1. »